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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 14 novembre 2000, n° ECOC0000424X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Syndicat des Exploitants Indépendants des Réseaux d'Eau et d'Assainissement

Défendeur :

Société de Distribution d'Eau Intercommunale (SA), Ministre de L'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacabarats

Conseillers :

Mme Bregeon, M. Le Dauphin

Avocats :

Me Destarac, SCP Coulombie-Gras-Cretin, Me Richer.

CA Paris n° ECOC0000424X

14 novembre 2000

Le 10 juin 1998, la commune de Sainte Colombe (Rhône) a mis en œuvre la procédure de publicité visée à l'article L. 1441-1 du Code général des collectivités territoriales en vue de la délégation, sous forme d'affermage, de l'exploitation du service de l'assainissement

Deux propositions sont parvenues à la commune : l'une de la société de distribution d'eau intercommunale (ci-après la SDEI), pour un montant de 119 800 F HT, l'autre de la société Cholton, pour un montant de 131 000 F HT.

Par délibération du 16 décembre 1998, le conseil municipal a retenu l'offre de la SDEI.

Par lettre enregistrée le 25 octobre 1999, le syndicat des exploitants indépendants des réseaux d'eau et d'assainissement, dont la société Cholton est membre, a saisi le Conseil de la concurrence de l'offre présentée par la SDEI dans les conditions ci-dessus rappelées, ladite offre devant selon ce syndicat être regardée comme une pratique de prix abusivement bas prohibée par les dispositions de l'article L. 420-5 du code de commerce, (anciennement article 10.1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) dès lors qu'elle était de nature à empêcher des entreprises de taille moyenne d'accéder au marché de l'assainissement, dominé par trois groupes nationaux, dont celui contrôlant la SDEI.

Par décision n° 99-PB-01 du 21 décembre 1999, le Conseil de la concurrence a, en application des dispositions de l'article L. 462-8 du Code de commerce (anciennement article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986), déclaré la saisine irrecevable au motif "qu'en passant un marché en vue de l'attribution de l'affermage de l'assainissement, le conseil municipal de Sainte Colombe est intervenu pour sub-déléguer une mission de service public déléguée aux communes et pour satisfaire les besoins des habitants de la commune et non ses propres besoins" de sorte que ladite commune "n'est pas un consommateur au sens de l'article L. 420-5 susvisé".

LA COUR ;

Vu le recours formé à l'encontre de cette décision, le 29 mars 2000, par le syndicat des exploitants indépendants des réseaux d'eau et d'assainissement, qui demande à la cour :

- d'annuler la décision précitée,

- de dire que le Conseil de la concurrence devra diligenter l'enquête nécessaire à l'instruction de sa requête,

- de dire et juger que l'offre de prix formulée par la SDEI pour l'attribution du contrat d'affermage de service d'assainissement de la ville de Sainte Colombe constitue une pratique prohibée par l'article L. 420-5 du Code de commerce

Vu le mémoire déposé le 14 juin 2000, par lequel la SDEI, mise en cause d'office par application de l'article 7, alinéa 2, du décret du 19 octobre 1987, demande la cour :

- de dire le recours irrecevable,

- à défaut de le rejeter,

- de condamner le syndicat requérant à lui payer la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts pour recours abusif et celle de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les observations écrites déposées le 3 juillet 2000 par le Conseil de la concurrence ;

Vu les observations déposées le même jour par le ministre chargé de l'économie, qui demande à la cour de rejeter le recours ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 19 juillet 2000 par le syndicat des exploitants indépendants des réseaux d'eau et d'assainissement ;

Ouï le 3 octobre 2000 les conseils du requérant et de la SDEI en leurs plaidoiries, le représentant du ministre chargé de l'économie en ses observations, le représentant du ministère public en ses conclusions tendant au rejet du recours ;

Sur ce :

Considérant que le recours, formé dans le délai légal par l'auteur de la saisine ayant donné lieu à la décision d'irrecevabilité critiquée, est recevable ;

Considérant, sur le mérite de ce recours, qu'aux termes de l'article L. 420-5 du Code de commerce, sont prohibées les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un marché ou d'empêcher d'accéder à un marché une entreprise ou l'un de ses produits ;

Qu'il s'ensuit qu'entrent seules dans les prévisions de ce texte les offres de prix faites aux consommateurs eux-mêmes;

Considérant que, sans dénier que la commune de Sainte Colombe n'a pas la qualité de consommateur au sens dudit texte, le syndicat des exploitants indépendants des réseaux d'eau et d'assainissement fait valoir, à l'appui de son recours, que le destinataire de l'offre de prix présentée par la SDEI n'est pas la commune mais l'usager du service d'assainissement qui, lié contractuellement au fermier, aura à s'acquitter du prix stipulé au contrat d'affermage ; qu'il en déduit que même si la SDEI a contracté avec une personne publique, son offre, contenant un prix de vente aux consommateurs, entre bien dans le champ d'application des dispositions précitées ;

Mais considérant que, conformément aux dispositions des articles 1411-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales, la collectivité publique délégante négocie librement les offres formulées par les entreprises préalablement admises à présenter de telles offres et se prononce, à l'issue de ces négociations, sur le choix du délégataire du service public ; qu'en l'espèce, la commune de Sainte Colombe a négocié les termes de la convention portant délégation de l'exploitation du service d'assainissement, laquelle convention détermine les éléments de la redevance d'assainissement perçue auprès de l'usager, incluant la rémunération du fermier fixée par le contrat d'affermage ;

Considérant, dès lors, que le destinataire de l'offre de prix présentée par la SDEI n'était pas le consommateur usager du service mais la commune délégante, investie d'un pouvoir propre de décision quant au choix de son co-contractant et quant au contenu de la convention de délégation de service public;

Qu'il y a lieu, en conséquence, de rejeter le recours, lequel ne saurait cependant être qualifié d'abusif ;

Considérant qu'il convient d'allouer à la SDEI la somme de 5 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Par ces motifs, Rejette le recours, Condamne le syndicat des exploitants indépendants des réseaux d'eau et d'assainissement à payer à la société de distributions d'eau intercommunales la somme de 5 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne le syndicat des exploitants indépendants des réseaux d'eau et d'assainissement aux dépens.