Livv
Décisions

Cass. crim., 22 février 2001, n° 00-30.031

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Samuel

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

Mes Vuitton, Ricard.

TGI Nîmes, prés., du 29 nov. 1999

29 novembre 1999

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par la société W, la société X, la société Y, la société Z contre l'ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Nîmes, en date du 29 novembre 1999, qui a autorisé l'administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer une visite et des saisies de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles et a donné commission rogatoire au président du Tribunal de grande instance d'Alès pour qu'il contrôle les opérations devant se dérouler dans le ressort de sa juridction ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits, les moyens contenus dans les mémoires ampliatifs étant annexés au présent arrêt ; - Sur le premier moyen commun aux sociétés Méridionale du Bâtiment et Bernard Brignon : - Attendu que les sociétés W et X font grief à l'ordonnance d'avoir ainsi statué alors, selon le moyen, que les motifs et le dispositif de l'ordonnance sont réputés établis par le juge qui l'a rendue et signée ; qu'en l'espèce, si l'ordonnance indique avoir été rendue par Mme Entiope, président du Tribunal de grande instance de Nîmes, elle comporte une signature illisible qui n'est pas accompagnée du cachet de l'auteur de cette signature ; qu'ainsi, l'ordonnance attaquée ne fait pas la preuve par elle-même de sa régularité au regard de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu que, à défaut d'inscription de faux, l'ordonnance est réputée signée par le magistrat dont le nom figure en tête de la décision ;d'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Sur le deuxième moyen commun aux sociétés W et X : - Attendu que les sociétés W et X reprochent aussi à l'ordonnance d'avoir statué comme elle l'a fait alors, selon le moyen, que si les visites et saisies ne peuvent être autorisées que dans le cadre d'une enquête demandée par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, le ministre a toutefois la possibilité de déléguer ses pouvoirs ; qu'ainsi la délégation de signature du ministre donnée par un arrêté publié au Journal officiel au profit du directeur général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes permet à ce dernier de signer la demande d'enquête et d'agir en son nom ; que toutefois, le juge doit vérifier dans quelles conditions le texte autorise la délégation ; qu'en l'espèce, l'ordonnance n'a nullement examiné les conditions de la délégation de pouvoirs du ministre à M. Gallot, directeur général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, signataire de la demande d'enquête ; qu'ainsi, l'autorisation du juge ne fait pas la preuve de sa régularité au regard de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et l'arrêté du 30 juin 1997 portant délégation de signature ;

Attendu que l'ordonnance vise l'arrêté du 26 mars 1997 portant délégation de signature au profit de M. Jérôme Gallot, directeur général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors qu'il n'est pas allégué que cet arrêté soit assorti de restrictions, l'ordonnance attaquée n'encourt pas le grief invoqué au moyen, lequel ne saurait être admis ;

Sur le troisième moyen commun aux sociétés W et X : - Attendu que les sociétés Méridionale du bâtiment et Bernard Brignon font encore grief à l'ordonnance d'avoir statué ainsi qu'elle a fait alors, selon le moyen : 1°) que le juge ne peut se référer qu'aux documents produits par l'administration demanderesse et détenus par celle-ci de manière licite ; qu'en ne s'assurant pas si les documents produits en l'espèce étaient détenus de manière licite, l'ordonnance attaquée n'est pas légalement justifiée au regard de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 2°) qu'en ne mentionnant pas l'origine du procès-verbal de communication daté du 15 décembre 1998, relatif aux cinq marchés lancés par le Conseil général du Gard, l'ordonnance attaquée n'établit pas la régularité de la procédure autorisée à l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu, d'une part, que, faute de préciser les documents dont l'origine ne serait pas mentionnée, le premier grief n'est pas recevable ;

Attendu, d'autre part, que l'ordonnance mentionne que trois procès-verbaux et un rapport de commission d'appel d'offres ont fait l'objet d'un procès-verbal de communication de documents du 15 décembre 1998 et rappelle par ailleurs que l'ensemble des documents communiqués par l'Administration ont été obtenus dans le cadre des articles 45, 47 et 51 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou à l'occasion de la procédure prévue à l'article 279 du Code des marchés publics qui autorise la présence du représentant de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que le président a vérifié l'origine apparemment licite des documents produits, et dès lors que toute contestation au fond quant à la licéité de la détention de ces pièces relève du contentieux dont peut être saisie l'autorité de décision éventuellement appelée à statuer sur les résultats de la mesure autorisée, l'ordonnance attaquée n'encourt pas le second grief allégué ;que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le quatrième moyen, commun aux sociétés W et X : - Attendu que les sociétés W et X reprochent au surplus à l'ordonnance d'avoir statué ainsi qu'elle a fait alors, selon le moyen : 1°) que le comportement des entreprises doit être analysé sur un marché déterminé ; qu'en l'espèce, le juge n'a pas délimité sur quel marché précis le comportement des entreprises devait être examiné alors que deux marchés distincts se présentaient : celui de la construction de collèges par le Conseil général du Gard, celui de la construction de logements par l'office HLM du Gard ; qu'en analysant le comportement des entreprises sur un seul marché unique regroupant ces deux marchés distincts sans même vérifier si ces entreprises étaient ou non candidates sur les deux marchés, l'ordonnance attaquée a violé les articles 7, points 1, 2 et 4, et 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 2°) que le juge doit vérifier si la demande de l'Administration est fondée ; qu'il doit pour ce faire, se référer en les analysant à tous les éléments d'information fournis par l'Administration, que son examen ne saurait porter sur une partie de ces documents ; qu'en l'espèce, le juge n'a pas pris en compte tous les documents présentés par l'Administration ; qu'ainsi rendue, l'ordonnance attaquée n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu que le juge, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'Administration, a souverainement apprécié l'existence des présomptions d'agissements justifiant la mesure autorisée; d'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en cause cette appréciation souveraine, ne saurait être admis ;

Sur le premier moyen proposé pour la société Y : - Attendu que la société Y fait grief à l'ordonnance d'avoir accordé l'autorisation demandée alors, selon le moyen : 1°) que, lorsque le juge se réfère à des pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il doit préciser la portée des présomptions qu'il retient au regard des qualifications alternatives prévues à cet article ; qu'il lui appartient donc de caractériser les pratiques anticoncurrentielles présumées; que sont prohibées en application de l'article 7 point 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu'elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; qu'en l'espèce, en se bornant à constater, dans le cadre du marché de la résidence Le Teillet à Nîmes et de celui de la résidence Lulli, qu'au moment du premier appel d'offres, les offres étaient toutes supérieures à l'estimation de l'Administration et que lors de l'appel d'offres qui a suivi, la SNC Y attributaire a remis une offre inférieure à l'estimation, pour en déduire une présomption de pratique prohibée au sens de l'article 7-2 de l'ordonnance à l'encontre de cette société, le juge a privé sa décision de base légale au regard de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 2°) qu'en tirant de la seule erreur d'addition dont était assortie l'offre de l'entreprise A la présomption d'une offre de couverture prohibée par l'article 7-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le juge n'a pas caractérisé la présomption d'entente prohibée et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 48 de l'ordonnance susvisée ; 3°) que sont prohibées les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu'elles tendent à répartir les marchés ; qu'en tirant du fait que la SNC Y ait obtenu seule le marché pour la résidence le Teillet et en groupement avec la société W le marché pour la résidence Lulli, sa participation à l'action concertée ayant pour objet la répartition des neuf marchés litigieux, le juge a privé sa décision de base légale au regard de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu que le juge, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'Administration, a souverainement apprécié l'existence des présomptions d'agissements justifiant la mesure autorisée; d'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en cause cette appréciation souveraine, ne saurait être admis ;

Sur le second moyen proposé pour la société Y et le deuxième moyen proposé pour la société Z : - Attendu que les sociétés Y et Z reprochent à l'ordonnance d'avoir accordé l'autorisation demandée alors, selon le moyen, que la mission du président chargé de contrôler le déroulement d'une visite domiciliaire prend fin avec les opérations, lors de la remise de la copie du procès-verbal et de l'inventaire à l'occupant des lieux ou à son représentant et qu'il ne peut être saisi a posteriori d'une éventuelle irrégularité entachant ces opérations, une telle contestation relevant du contentieux dont peuvent être saisies les autorités de décision appelées à statuer sur les poursuites éventuellement engagées sur le fondement des documents ainsi appréhendés ; qu'en énonçant que la société Y pouvait le saisir, par voie de requête, de toute contestation relative au déroulement des opérations et de l'adéquation des pièces saisies au champ de l'autorisation, le juge a violé l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu qu'il ne saurait être reproché au juge, qui a avisé les personnes concernées par les visites et saisies autorisées de leur droit de le saisir de toute contestation relative au déroulement des opérations et à l'adéquation des pièces saisies au champ de l'autorisation, de n'avoir pas précisé que sa mission prenait fin avec les opérations, dès lors qu'aucun texte ne lui en fait obligation à peine de nullité de l'ordonnance ;que le moyen ne peut, dès lors, qu'être écarté ;

Sur le premier moyen proposé pour la société Z : - Attendu que la société Z reproche aussi à l'ordonnance d'avoir statué comme elle a fait alors, selon le moyen, qu'en déduisant l'existence de présomptions d'entente pour l'attribution du marché de la résidence le Teillet à Nîmes de ce que le résultat de la procédure d'appels d'offres faite par l'OPHLM démontrait que les entreprises s'étaient prétendument entendues pour laisser ce marché à l'entreprise Y, laquelle l'avait effectivement obtenu en qualité d'entreprise moins disante le 6 août 1997, quand il résultait d'autres documents, non fournis au juge par l'Administration et qu'elle ne pouvait ignorer, que ce marché avait fait l'objet d'une nouvelle procédure d'appel d'offres par la suite et avait finalement été attribué à la société Z suivant un marché négocié du 15 avril 1999, le président du Tribunal de grande instance qui s'est fondé sur des éléments que l'Administration lui avait présentés de façon tronquée ou incomplète, a violé l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu qu'il n'est pas démontré que l'absence de production des documents invoqués au moyen était de nature à remettre en cause l'appréciation du juge sur les éléments retenus à titre de présomptions de pratiques anticoncurrentielles ; qu'ainsi, le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen de cassation proposé pour la société Z : - Attendu que la société Z fait enfin grief à l'ordonnance d'avoir statué ainsi qu'elle a fait, alors, selon le moyen, qu'en donnant commission rogatoire au président du Tribunal de grande instance d'Alès, tout en constatant qu'aucune des six entreprises suspectées par son ordonnance n'avait son siège ou même un simple établissement dans le ressort de cette juridiction, le président du tribunal de grande instance a commis un excès de pouvoir et violé l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu que l'ordonnance a autorisé une visite dans les locaux de la société X à Brignon, commune située dans le ressort du Tribunal de grande instance d'Alès ; qu'ainsi, le moyen, qui manque en fait, ne saurait être admis ;

Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;

Rejette les pourvois.