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Décisions

Cass. com., 24 octobre 2000, n° 99-30.316

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Delattre-Levivier (SA), Entrepose (SA), Suburbaine de canalisations et de grands travaux (SA)

Défendeur :

Directeur général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocat général :

M. Feuillard

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Le Prado, Me Ricard.

TGI Evry, prés., du 17 févr. 1999

17 février 1999

LA COUR : - Vu leur connexité, joint les pourvois n° 99-30.316, 99-30.317 et 99-30.318, qui attaquent la même ordonnance ; - Attendu que, par ordonnance du 17 février 1999, le président du Tribunal de grande instance d'Evry a, en vertu de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, autorisé des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer une visite et des saisies de documents dans les locaux de 6 entreprises, parmi lesquelles les sociétés Delattre-Levivier, Entrepose et Suburbaine de canalisations et de grands travaux, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles prohibées par les points 2 et 4 de l'article 7 de l'ordonnance précitée, dans le secteur des marchés de tuyauteries de Gaz de France, et a donné commission rogatoire aux présidents des tribunaux de Nanterre, Montargis, Aix-en-Provence, Meaux, Grenoble, Dôle et Lyon pour qu'ils contrôlent les opérations devant se dérouler dans le ressort de leurs juridictions respectives ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 99-30.318 : - Attendu que la société suburbaine de canalisations et de grands travaux fait grief à l'ordonnance, d'avoir ainsi statué alors, selon le pourvoi, que tous les documents sur la considération desquels l'ordonnance attaquée s'est fondée pour retenir l'existence de présomptions de pratiques prohibées, ont été recueillis par l'administration dans les circonstances constatées par trois des quatre procès-verbaux visés par la décision attaquée, par lesquels est constatée la communication de ces documents, le quatrième consignant des déclarations ; que les trois procès-verbaux énumérant les documents recueillis, datés des 15 et 20 octobre 1998, et 7 janvier 1999, sont, comme d'ailleurs le quatrième (daté du 10 janvier 1998, et qui consigne des déclarations), antérieurs à la demande ministérielle d'enquête, du 10 février 1999 ; qu ils ont donc nécessairement été établis dans le cadre d'une enquête antérieure à la demande ministérielle, et dont l'objet est inconnu ; que faute de constater que l'enquête préalable à la demande ministérielle avait le même objet que l'enquête demandée par le ministre, ou, dans la négative, d'indiquer au moyen de quelle procédure l'administration les avait distraits des documents recueillis dans le cadre d'une enquête antérieure, la décision attaquée n'a pu juger licitement détenus les documents invoqués par l'administration à l'appui de la requête aux fins d'autorisation de visites et saisies, sans entacher sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 48 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 exige seulement que la requête en autorisation de visite domiciliaire soit présentée dans le cadre d'une enquête demandée, soit par le ministre chargé de l'économie, soit par le Conseil de la concurrence ; que, par ailleurs, les fonctionnaires habilités tiennent des articles 45 et suivants de l'ordonnance précitée le pouvoir de procéder à des enquêtes d'initiative ; qu'ayant constaté que certains procès-verbaux avaient été établis dans les conditions prévues aux articles 46, 47 et 51 de l'ordonnance et que la demande de visite domiciliaire s'inscrivait dans le cadre d'une enquête prescrite par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, le président du tribunal s'est assuré de la régularité de la procédure suivie et de la licéité apparente des pièces qui lui étaient soumises ;que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen commun aux pourvois n° 99-30.316 et 99-30.317 : - Attendu que les sociétés Delattre-Levivier et Entrepose reprochent aussi à l'ordonnance d'avoir accordé l'autorisation demandée alors, selon les pourvois, que l' autorisation de procéder à des perquisitions résultant d'une simple ordonnance rendue sur une requête, c'est-à-dire sans respect du contradictoire, il appartient au juge d'analyser tous les documents en possession de l'administration et que celle-ci est tenue de lui remettre, afin d'apprécier celles d'entre elles qui sont de nature à établir la preuve des pratiques illicites alléguées et celles qui, à l'inverse, sont de nature à exclure de telles pratiques, de sorte qu'en écartant a priori, et sans la moindre analyse, 61 pièces que détenait l'administration et qu'elle produisait à l'appui de sa requête, le président du tribunal de grande instance a privé sa décision de base légale au regard de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu qu'ayant estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain, et en se référant à ceux des éléments d'information fournis par l'administration qu'il a retenus, qu'il existait des présomptions d'agissements visés par la loi justifiant la recherche de la preuve de ces agissements au moyen d'une visite et de saisie de documents s'y rapportant, le président du tribunal a satisfait aux exigences de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et il ne peut lui être fait grief d'avoir délaissé certaines pièces qu'il n'a pas jugées utiles à son raisonnement ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches, et sur le troisième moyen, communs aux pourvois n° 99-30.316 et 99-30.317, les moyens étant réunis : - Attendu que les sociétés Delattre-Levivier et Entrepose font encore grief à l'ordonnance d'avoir statué comme elle a fait alors, selon les pourvois, d'une part, que le juge ne peut autoriser des visites et saisies dont l'objet n'est assorti de limitation ni quant aux marchés concernés, ni quant aux périodes auxquelles ils ont été passés, de sorte qu'en autorisant les enquêteurs à rapporter la preuve de pratiques "relevées dans le secteur des marchés de tuyauterie", sans autre précision, le président du tribunal de grande instance, qui a autorisé ainsi ces agents à étendre leurs investigations à tout type de marché passé avec Gaz de France en quelque lieu du territoire national et à quelque époque que ce fût, a excédé ses pouvoirs et a violé l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, qu'il en est d'autant plus ainsi que l'ordonnance vise les pièces produites concernant les marchés de tuyauterie concernant les stations de compression de Palleau, de Taisnières-sur-Hon, de Cherre, de Saint-Martin de Crau et de l'interconnexion d'Arleux en Gohellet ; que l'ordonnance, après avoir analysé et retenu des pièces concernant seulement les marchés relatifs aux sites de Palleau, Taisnières-sur-Hon et Saint-Martin de Crau, mentionne encore le marché de l'interconnexion de Cuvilly au titre de laquelle aucune pièce n'est produite (v. tableau p.15) ; que, par ailleurs, les motifs de l'ordonnance relatifs à la qualification des faits au regard de l' article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ne mentionnent plus que les marchés de Palleau et de Taisnières-sur-Hon ; qu'en ce qui concerne les agissements retenus au titre du point 4 de l'article 7 précité, l'ordonnance ne fait plus référence qu'aux sites de Palleau et de Saint-Martin de Crau et qu'enfin, l'ordonnancene fait référence à aucun marché particulier en ce qui concerne le point 2 de l'article 7 précité ; qu'en l'état de ces constatations qui ne permettent pas de déterminer les marchés sur lesquels pouvaient porter les recherches, de telle sorte que l'ordonnance a un objet général, le président du tribunal de grande instance a violé ainsi l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, en outre, qu'en autorisant ainsi des visites et saisies ayant un objet général en ce qui concerne les appels d'offres sur lesquels pouvaient porter les recherches, cependant qu'il retenait des présomptions circonscrites à certains appels d'offres seulement et à certains agissements, le président du tribunal de grande instance a excédé ses pouvoirs et violé l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, au surplus, que l'ordonnance ne peut autoriser les enquêteurs à effectuer des perquisitions sans qualifier concrètement les pratiques poursuivies au regard des qualifications alternatives de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que l'ordonnance attaquée a autorisé les enquêteurs à se livrer à des perquisitions pour rechercher notamment la preuve d'agissements supposés contraires au point 4 de l'article 7 précité, sans indiquer lequel des marchés visés à l'ordonnance serait susceptible d'être concerné ; qu'il s'ensuit que l'ordonnance est privée de motifs sur ce point et viole donc l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que l'existence de présomptions de pratiques illicites ne peut se déduire que de constatations objectives et non contradictoires ; que s'agissant des deux marchés concernant le site de Palleau, l'ordonnance a constaté l'existence d'une vive concurrence puisque, d'une part, la société Entrepose a obtenu le marché de tuyauteries principales et que, d'autre part, la société Ponticelli a obtenu le marché de tuyauteries auxiliaires ; que le président du tribunal ne pouvait sans arbitraire ou contradiction affirmer purement et simplement que cette situation caractérisait l'absence de concurrence, sans priver sa décision de base légale au regard de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il en est d'autant plus ainsi, que l'ordonnance a relevé que sur divers appels d'offres, il existait à chaque fois une offre moins disante et que l'auteur de cette offre était dans tous les cas attributaire du marché ; que cette situation est normale et insusceptible à elle seule de caractériser une présomption d'entente ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'en autorisant des visites domiciliaires en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles prohibées par les points 2 et 4 de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans le secteur des marchés de tuyauteries de Gaz de France, telles qu'il les avait décrites et analysées précisément dans le corps de son ordonnance, le président du tribunal, qui n'a pas délivré une autorisation indéterminée, a respecté les prescriptions de l'article 48 de l'ordonnance précitée et les intéressés ont été informés de l'objet des mesures autorisées, des pratiques anticoncurrentielles présumées et du secteur sur lequel elles auraient été commises ;

Attendu en second lieu que, sous le couvert des griefs infondés de défaut de motifs, manque de base légale et violation de la loi, les moyens reviennent à discuter la valeur des éléments retenus par le juge, parmi ceux présentés par l'Administration, pour fonder son appréciation selon laquelle il existait des présomptions d'agissements visés par la loi justifiant la recherche de la preuve de ces agissements, au moyen d'une visite en tous lieux, même privés, et d'une saisie de documents s'y rapportant ;d'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois.