Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 5 juillet 1991, n° ECOC9110099X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Concurrence (SA), Jean Chapelle (SA), Semavem (SA), Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

Défendeur :

Sony France (SA), CAMIF

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schoux

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

MM. Collomb-Clerc, Launay, Canivet, Betch

Avoués :

SCP Dauthy Naboudet, SCP Jobin

Avocats :

Mes de Mello, Lucas de Leyssac

CA Paris n° ECOC9110099X

5 juillet 1991

Saisi par les sociétés Concurrence (lettres des 14 avril 1987, 20 juin et 18 octobre 1988), Jean Chapelle (lettres des 16 mars 1987, et 13 mars 1989) et Semavem (lettres des 16 juin 1987, 14 octobre 1988 et 23 janvier 1989) de pratiques reprochées à la société Sony France dans la distribution des produits dits d'électronique de divertissement, le Conseil de la concurrence a, par décision du 6 novembre 1990:

- infligé à ladite société une sanction pécuniaire d'un million de francs;

- lui a enjoint de mettre fin à l'utilisation de critères non objectifs et discriminatoires dans l'application de ses conditions générales de vente, de ses accords de coopération et de ses promotions;

- et a ordonné la publication de sa décision.

Après avoir analysé la situation de la société Sony France sur les marchés spécifiques des caméscopes, des platines laser, des baladeurs, des téléviseurs, des chaînes hi-fi et des magnétoscopes, défini les rapports existant entre cette société et les sociétés Concurrence, Jean Chapelle et Semavem puis, examiné les pratiques dénoncées portant sur le contenu et la mise en œuvre des conditions générales de vente et des accords de coopération successivement appliqués par là société en cause, de la réalisation de ses programmes de promotion, de son système de répartition des commandes en cas de pénurie et de la diffusion de prix conseillés, le conseil a estimé:

D'une part, sur le fondement de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986:

- que les sociétés requérantes ne sont pas dépendantes de la société Sony France en ce qui concerne les téléviseurs;

- qu'il n'est pas établi que les discriminations alléguées dans l'application du système de répartition des produits en cas de pénurie ont créé une cristallisation des parts de marché des entreprises de distribution;

- que les quelques incidents de livraison dont se plaignent les requérantes n'ont eu pour objet ou pu avoir pour effet de restreindre la concurrence sur le marché de ces produits;

D'autre part, sur le fondement de l'article 7 de ladite ordonnance:

- que le fait, pour un distributeur de produits de marque, d'accorder des ristournes qualitatives, en sus des remises quantitatives, à ceux des distributeurs offrant certains services prévus dans les conditions générales de vente, n'est pas en soi prohibé;

- mais que les régimes dérogatoires consentis à la Camif et aux comités d'entreprise, qui bénéficient de réductions tarifaires sans fournir les services qui en sont la contrepartie, tombent sous le coup du texte susvisé;

- qu'il n'est pas établi que la société Sony France ait fait une application discriminatoire des engagements semestriels d'achats programmés compris dans ses conditions générales de vente;

- qu'en revanche, sont prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les irrégularités constatées, au cours du second semestre de 1988 et du premier semestre de 1989, dans l'application des accords de coopération signés par la société Sony;

- que ladite société a également toléré des dérogations aux conditions de vente définies lors de sa campagne de promotion d'avril à mai 1988.

Enfin, le conseil a décidé qu'aucune des autres multiples pratiques dénoncées par les sociétés requérantes ne pouvait être sanctionnée sur le fondement de l'une ou l'autre des dispositions susvisées du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Les sociétés Concurrence, Jean Chapelle et Semavem ont ensemble formé un recours contre cette décision au soutien duquel elles invoquent:

- que le conseil n'a pas discuté leurs moyens démontrant que les faits dénoncés, antérieurs au 1er décembre 1986, étaient visés par les dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et ceux compris entre cette date et le 1er avril 1987 par celles de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

- qu'à tort, il n'a pas estimé contraires aux dispositions des articles 7 et 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre de nombreuses pratiques discriminatoires dont elles l'ont saisi;

- qu'il aurait également dû retenir les griefs examinés dans le rapport établi sur la seconde série de saisines (enregistrées entre le 20 juin 1988 et le 13 mars 1989) sur le fondement des articles 7 et 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et concernant particulièrement: les remises qualitatives, la prise en compte pour les remises quantitatives des commandes émanant de groupements de distributeurs mettant en œuvre une politique commerciale commune sous une enseigne unique, les seuils et conditions fixés pour l'accès aux accords de coopération proposés en 1988 et 1989, les avantages accordés aux revendeurs acceptant de programmer des commandes et la méthode de répartition des produits en cas de difficultés d'approvisionnement;

- qu'en outre, selon elles, le conseil a omis de discuter les moyens par elles développés visant à démontrer que certaines pratiques, non examinées dans le rapport susvisé, sont néanmoins anticoncurrentielles, s'agissant notamment: des impositions de marges résultant du caractère aléatoire et différé d'importantes ristournes qualitatives et quantitatives, du respect par les grands distributeurs des prix conseillés par la société Sony France, de la rémunération non justifiée des services d'exposition, de prestations après-vente et de démonstration, des refus de livrer faussement justifiés par une pénurie alléguée sans preuves, des critères de répartition des produits en cas de pénurie et de leur application, enfin du contrat de distribution sélective proposé par la société visée;

- qu'enfin, les conditions de vente faites aux grossistes et aux distributeurs pratiquant la vente par correspondance étaient inaccessibles aux revendeurs indépendants et discriminatoires dans leur application.

Aux termes de leur mémoire, les sociétés requérantes demandent à la cour de réformer la décision déférée en ce qu'elle écarte certains des griefs susénoncés et de renvoyer le conseil à se prononcer sur les autres, qu'il a omis dans sa décision.

La société Sony France conclut à l'irrecevabilité partielle et au rejet du recours principal tout en formant incidemment un recours en réformation contre la décision déférée:

- en ce qu'elle a retenu comme prohibée, par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance susvisée, l'application de ses conditions générales de vente faites aux comités d'entreprise et aux entreprises de vente par correspondance, alors qu'elle n'a fait qu'adapter, sans discrimination, ses barèmes à des systèmes de vente spécifiques dont au surplus, pour les premiers, les parts de marché sont trop faibles pour que la concurrence ait été faussée;

- en ce que les autres faits retenus, d'importance mineure et sans effets restrictifs de concurrence, ne constituent que des pratiques individuelles échappant à la compétence du conseil.

Intervenant volontairement au soutien du recours de la société Sony France, la Camif demande à la cour de constater que les ristournes octroyées par cette société l'ont été sur le fondement d'un barème propre à la vente par correspondance dont l'application n'introduit pas de discrimination à l'égard d'opérateurs pratiquant d'autres modes de distribution.

Les sociétés Concurrence, Jean Chapelle et Semavem concluent enfin au rejet du recours incident de la société Sony France comme de l'intervention de la Camif et demandent, au surplus, qu'à cette dernière soit infligée une sanction pécuniaire sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Sur quoi, LA COUR:

I. En ce qui concerne les demandes de renvoi de certaines pratiques à l'examen du conseil:

Considérant que, saisi par application de l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le conseil était tenu de se prononcer sur toutes les pratiques dénoncées par les sociétés requérantes dans les lettres successives ci-dessus visées, au regard des dispositions de son titre III et conformément à la procédure prévue par les articles 18 à 26 de l'ordonnance précitée et 15 à 22 du décret du 29 décembre 1986;

Considérant que, au stade de l'instruction, les enquêtes relatives aux pratiques visées dans les huit saisines successives ont été réparties entre deux rapporteurs, le premier étant chargé des requêtes enregistrées sous les numéros F 59, 69 et 87 (procédure n° 1), le second de celles portant les numéros F 167, 190, 193, 220, 231 (procédure n° 2);

Considérant que certains des faits antérieurs au 1er décembre 1986, dénoncés par les sociétés requérantes, sont fondés sur les éléments d'une procédure pénale suivie par le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Nanterre, saisi d'une plainte avec constitution de partie civile déposée par Jean Chapelle du chef d'infractions aux articles 37-l et 4 de l'ordonnance de 1945, 37-l et 2 de la loi du 27 décembre 1973 et 419 du code pénal, cette instruction ayant été clôturée par abrogation de la loi pénale;

Que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les pièces de cette procédure, qu'elles-mêmes ont produites au conseil, ont été jointes au dossier (cote C.14, pièces n° 85 à 127, cote C.17, pièces n° 355 à 684), certaines étant annexées au rapport (procédure n° 1, documents n° 538 à 608) et transmises au greffe de la cour conformément à l'article 5, alinéa 2, du décret du 19 octobre 1987;

Que les faits visés par l'instruction, compris entre les mois de novembre 1984 et avril 1986, ont été examinés, tant dans la notification des griefs (page 50) que dans le rapport (pages 6 et 7), par le rapporteur qui a estimé à bon droit, ainsi que l'a fait ensuite le conseil, que, commis avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ils ne peuvent être qualifiés sur le fondement de l'article 8 alinéa 2 de ce texte;

Que, en outre, s'il résulte desdites pièces que, notamment par des refus et des retards de livraison, la société Sony France a tenté de faire échec à la politique de " discount " pratiquée par les sociétés SEDA (devenue Concurrence) et Jean Chapelle, elles ne suffisent pas à prouver que ces manœuvres, indépendantes du contenu et de l'application des conditions générales de vente, ont été concertées entre le fournisseur et certains de ses distributeurs; que, par suite, les pratiques critiquées n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 50 alinéa 1er de l'ordonnance du 30 juin 1945 repris par l'article 7 de celle du 1er décembre 1986;

Qu'il n'est par ailleurs ni allégué ni démontré que la société Sony France ait été, sur le marché dont il s'agit, en position dominante au sens de l'article 50 dernier alinéa de l'ordonnance du 30 juin 1945 repris par l'article 8-l de celle du 1er décembre 1986;

Que, en outre, les autres faits antérieurs au 1er décembre 1986, qui ont été constatés dans un rapport de l'administration daté du 12 novembre 1986, sont examinés par la décision déférée (page 6, A, a, § 1);

Qu'il en est de même du système de remises appliqué par la société Sony France avant le 1er avril 1987, étudié dans la notification des griefs de la première procédure (page 50) et dans le rapport (pages 9 à 11) et estimé par le rapporteur, ainsi qu'ensuite par le conseil, comme dépourvu de caractère restrictif de concurrence;

Considérant que toutes les autres pratiques dont les requérantes ont saisi le conseil ont été discutées quant à leur existence et la qualification qui pouvait leur être donnée, dans le cadre de la procédure contradictoire suivie devant les rapporteurs, et que la décision soumise à recours se prononce sur leur ensemble, même si elle ne répond pas explicitement et individuellement à chacun des multiples moyens et arguments successivement développés et réitérés sous diverses formes dans les écritures conjointes des sociétés Concurrence, Jean Chapelle et Semavem;

Considérant en conséquence qu'il n'y a lieu de renvoyer à l'examen du conseil des pratiques sur lesquelles il s'est complètement prononcé;

II. En ce qui concerne les moyens tirés de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986:

Considérant que l'état de dépendance économique caractérise une situation dans laquelle une entreprise est obligée de poursuivre des relations commerciales avec une autre lorsqu'il lui est impossible de s'approvisionner en produits substituables dans des conditions équivalentes;

Considérant que la prohibition de l'exploitation abusive d'un tel état n'a été introduite que par la loi [sic] du 1er décembre 1986, entrée en vigueur à compter du 11 décembre suivant;

Considérant que,quelle que soit la notoriété de la marque Sony, il ne résulte ni des études relatives à sa perception par les consommateurs (étude IPSOS), ni des spécificités techniques, dont le caractère novateur n'est pas démontré, des produits qui en sont le support, que la poursuite de l'activité de distributeur d'électronique " grand public " soit subordonnée à la possibilité de les offrir à la vente; qu'il ne peut par conséquent être soutenu, pour aucune des catégories d'appareils en cause, qu'il existait pour les requérantes une dépendance absolue d'assortiment à l'égard du fournisseur concerné;

Qu'il ne peut davantage être affirmé que, dans les gammes d'articles offerts par les nombreux autres producteurs de matériels électroniques, ne se trouvaient pas de produits techniquement interchangeables;

Que,pouvant intervenir sans délais, ni coûts ni aménagements particuliers, les mutations d'approvisionnement pour cette catégorie de marchandises ne sont pas susceptibles d'entraîner d'irrémédiables perturbations dans le fonctionnement des sociétés requérantes;

Que,quant aux parts de marché détenues durant la période considérée, pour aucune des familles desdits produits, même pour les caméscopes, pour lesquels elle occupait le premier rang, la société Sony France ne se détachait, de manière significative et durable, d'autres producteurs occupant des positions voisines; qued'une année sur l'autre la répartition du marché, où les types d'appareils de cette marque se classaient respectivement entre la première et la douzième place, a connu, en ses divers segments, des fluctuations importantes;

Qu'en outre, si les chiffres d'affaires réalisés par les trois sociétés en cause en matériels de marque Sony sont importants, notamment en ce qui concerne la société Semavem et principalement pour les téléviseurs, une telle situation, hors de proportion avec les positions respectives des produits de cette marque sur le marché, ne peut résulter que d'une politique commerciale délibérée des trois distributeurs concernés qui pouvaient librement opter pour une meilleure diversification de leurs sources d'approvisionnement;

Considérant en conséquence que,ni en raison de la notoriété de la marque ou des caractéristiques des produits en cause, ni du fait de leur position sur le marché ou de l'incidence qu'ils ont sur leurs chiffres d'affaires, les sociétés Concurrence, Jean Chapelle et Semavem n'ont été, durant la période de référence, en état de dépendance économique à l'égard de la société Sony France de sorte qu'aucun des faits dénoncés ne peut être sanctionné comme l'exploitation abusive d'un tel état;

III. En ce qui concerne les moyens tirés de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986:

A. Sur le contenu des accords de distribution:

Considérant que la société Sony France prétend que le texte susvisé n'est pas applicable aux accords de distribution qui, par nature, ne visent pas à exclure de revendeurs;

Mais considérant que les conditions générales de vente et les barèmes de promotions temporaires proposés par un fournisseur à ses distributeurs, ainsi que les accords de coopération qu'il conclut avec eux, explicitement ou tacitement acceptés par ceux-ci, constituent des conventions au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'il s'ensuit que les clauses desdits contrats et leur application sont prohibées par ce texte, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché;

Considérant que les sociétés requérantes soutiennent d'abord que les conditions générales de vente successivement proposées par la société Sony France depuis l'année 1984, les contrats annexes, et notamment de grossiste et les accords de coopération, comprennent des remises qualitatives injustifiées et des rabais quantitatifs qui, individuellement et par leur cumul visent à exclure du marché certaines catégories de distributeurs;

Considérant qu'après avoir examiné en détail dans les notifications de griefs et les rapports, puis dans sa décision, chacune des clauses contestées, dans les états successifs des instruments contractuels proposés par la société Sony France, le conseil a estimé, par une exacte analyse des rapports de distribution, qu'individuellement, ou dans leurs effets cumulés, les remises qualitatives et quantitatives et autres avantages prévus dans lesdites clauses n'étaient pas restrictifs de concurrence;

Qu'à juste titre, il énonce que le fait pour un fournisseur de produits de marque d'accorder des ristournes qualitatives ajoutées aux remises quantitatives à ceux de ses distributeurs qui offrent des services n'est pas en soi une pratique prohibée par l'ordonnance du 1er décembre 1986 si les conditions d'obtention de ces ristournes qualitatives n'excluent pas des entreprises qui seraient prêtes à fournir les services requis, si elles sont définies de façon objective, ne sont pas appliquées de façon discriminatoire et n'ont ni pour objet ni pour effet de limiter la liberté des commerçants de déterminer de façon autonome leur politique de prix de revente;

Considérant en particulier quel'octroi différé desdites remises n'est pas restrictif de concurrence lorsque, comme le stipulent les clauses discutées, le principe et le montant en sont acquis de manière certaine, pour les unes sur la base du chiffre d'affaires réalisé, pour les autres par la prestation effective des services prévus, et que de ce fait elles peuvent, sans aléas, contestations ni restrictions être immédiatement répercutées par les distributeurs dans leurs prix de vente;

Considérant en outre qu'il était loisible à la société en cause de fixer les conditions auxquelles les grossistes, dont elle attendait un service spécifique de prospection des revendeurs, d'extension de son réseau, de développement des ventes et de réduction des coûts de distribution, pouvaient bénéficier d'avantages tarifaires, alors que les critères d'attribution de ces remises étaient objectivement déterminés et qu'il n'est nullement allégué qu'elles aient été refusées à des entreprises aptes à y prétendre;

Considérant par ailleurs que, pour la vente de magnétoscopes, notamment pour les nouveaux modèles et ceux dont la technicité nécessite une présentation appropriée à la clientèle, la société Sony France a pu adopter un mode de distribution limité à des revendeurs sélectionnés et qu'il n'apparaît pas des éléments recueillis que le " contrat de distribution sélective vidéo ", par lequel elle a organisé son réseau ou que la mise en œuvre de cet accord ait eu un objet ou pu avoir un effet restrictif de concurrence;

Considérant que les sociétés requérantes critiquent encore les remises contractuellement accordées aux distributeurs regroupés sous une enseigne commune;

Que sans contester que l'enseigne puisse apporter un service au fournisseur, elles font valoir qu'une telle exigence ne doit pas conduire à des réductions de prix injustifiées dont l'importance exclut du marché ceux qui souhaitent grouper leurs commandes sans aliéner leur liberté commerciale;

Considérant que le barème des remises et ristournes applicables à compter du 1er janvier 1989 à l'ensemble des revendeurs, exceptés les grossistes, prévoit que le montant des chiffres d'affaires facturés par Sony France au cours de l'année précédente détermine les remises sur facture selon les taux compris entre 11 p. 100 pour un chiffre d'affaires annuel supérieur à 300 000 F et 17 p. 100 lorsqu'il dépasse 100 millions de francs et que le montant pris en compte est celui de chaque point de facturation ou celui d'un groupement mettant en œuvre une politique commerciale commune sous une enseigne commerciale unique;

Considérant qu'une telle enseigne détermine en elle-même un ensemble de services spécifiques, matériels et immatériels, que des revendeurs réunis sous la même dénomination qui les identifie dans l'esprit des consommateurs s'engagent mutuellement à fournir pour mettre en œuvre une politique commerciale collective valorisant leur propre réseau de distribution et par répercussion l'image de marque des produits qu'ils offrent à la vente;

Qu'elle constitue en outre un élément incorporel de leurs fonds de commerce respectifs dont la valeur est fonction de l'importance et de la pertinence des investissements auxquels ils procèdent et des soins qu'ils apportent collectivement pour imposer leur notoriété;

Considérant que bien que les services qui y sont attachés puissent prendre de multiples formes et que, l'image de l'enseigne soit directement perçue, l'adoption d'un signe distinctif commun à une chaîne de magasins est une condition objective et vérifiable de l'attribution de remises par lesquelles un producteur peut choisir de rémunérer les prestations et les avantages commerciaux qui lui sont ainsi fournis;

Qu'en l'espèce,l'agrégation des chiffres d'affaires, permise aux distributeurs ainsi liés entre eux, pour le calcul des remises quantitatives, correspond à la volonté de la société Sony France de n'accorder un tel avantage qu'à des groupements de points de vente collectivement identifiés dans l'esprit des consommateurs et dont la politique commune de distribution est effective, ce que refusent précisément, pour des raisons qui leur sont propres, les trois sociétés requérantes; qu'un tel mode de rétribution n'est pas, en soi restrictif de concurrence, dès lors qu'il est la contrepartie de réelles prestations que tous les distributeurs qui le souhaitent peuvent fournir en groupant leurs commandes sous une même enseigne pour la mise en œuvre d'une politique commerciale commune;

Qu'il ne peut davantage être soutenu que le montant des ristournes afférentes à la condition litigieuse visait à exclure par nature une catégorie de distributeurs ou une forme de distribution, puisque les clauses qui les prévoient ne fixent aucun seuil quantitatif propre à chacun des points de vente réunis sous la même dénomination, ni n'impose, hormis leur caractère commun, aucune restriction quant à leurs méthodes de vente;

Considérant qu'il ne résulte au demeurant ni des allégations des requérantes, ni des observations du ministre chargé de l'économie, ni des vérifications auxquelles a procédé le conseil, que la société Sony France a fait un usage incertain ou discriminatoire de l'obligation contractuelle litigieuse en accordant les avantages tarifaires prévus à des entreprises réunies sous une enseigne inconsistante n'impliquant pas l'exercice commun d'une même politique de distribution;

Considérant en conséquence que le conseil a pu estimer, par une pertinente analyse, que la pratique contestée n'avait aucun caractère anticoncurrentiel, en observant que les distributeurs regroupés ont le choix d'adopter une enseigne commune et restent libres de suivre des politiques de prix autonomes, alors qu'au surplus il n'est pas même allégué que la formulation de ladite clause permette une attribution arbitraire des remises qu'elle commande;

B. Sur l'application des accords de distribution:

Considérant que le conseil a relevé que la société Sony France a fait une application discriminatoire des conventions qui la lient à son réseau de distributeurs notamment:

- en accordant à la Camif et aux comités d'entreprises des ristournes correspondant à des services qu'ils ne fournissaient pas;

- en tolérant en faveur du groupe Carrefour des dérogations aux accords de coopération en ce qui concerne les seuils de chiffres d'affaires contractuellement exigés;

- en faisant exception aux mêmes accords au profit des groupes Carrefour, Auchan et Connexion relativement à l'obligation de centraliser les livraisons;

- en prolongeant de manière discrétionnaire au bénéfice du groupe Darty le délai fixé pour l'obtention des remises accordées lors de la campagne de promotion programmée au second trimestre de l'année 1988;

Considérant que la société Sony France, qui ne conteste pas la réalité des pratiques litigieuses, prétend que, n'ayant aucun caractère restrictif de concurrence, elles ne peuvent être sanctionnées sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 alors qu'au surplus les différences de traitement relevées sont justifiées, qu'elles n'ont eu aucun effet sensible sur le marché et qu'enfin elles ne pourraient être examinées qu'au regard des dispositions de l'article 36 de l'ordonnance précitée dont l'application échappe au conseil ;

Mais considérant que les dérogations tarifaires consenties, sans conditions préalablement définies, au bénéfice des comités d'entreprise, qui, rétrocédant à titre onéreux les produits qu'ils commandent, sont assimilables à des revendeurs, ont nécessairement un objet restrictif de concurrence en ce qu'elles visent à favoriser sans contrepartie un mode particulier de distribution;

Considérant que s'il peut être admis, en raison des services spécifiques fournis, que des barèmes particuliers soient applicables aux entreprises qui, comme la Camif, pratiquent la vente par correspondance, encore faut-il, même si cette coopérative est le seul revendeur de cette nature approvisionné par la société Sony France, que l'attribution de ces avantages repose sur des conditions objectivement définies permettant à toute entreprise qui les réunit d'y accéder, ce qui, après l'année 1987, n'était plus le cas;

Considérant en conséquence que les régimes tarifaires discriminatoires accordés aux organismes précités constituent des pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Qu'il en est de même des dérogations que la société Sony France a consenties, sans la moindre justification, à de grands groupes de distributeurs dans la mise en œuvre de ses accords de coopération et des conditions de vente spécifiques aux campagnes de promotions;

Considérant que les sociétés Concurrence, Jean Chapelle et Semavem reprochent encore à la décision attaquée de n'avoir pas sanctionné d'autres pratiques illicites dont elles avaient saisi le conseil;

Considérant qu'elles soutiennent d'abord que la société Sony France a réparti ses produits de manière discrétionnaire et refusé des commandes en invoquant des situations de pénurie non prouvées;

Mais considérant que le système de répartition des produits en cas de pénurie, qui ne suppose aucune adhésion des distributeurs auxquels il est imposé, ne pourrait entrer dans le champ d'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que si les pratiques dénoncées procédaient d'une concertation de la société en cause avec certains de ses revendeurs, ce qui n'est nullement prouvé en l'espèce;

Considérant qu'elles prétendent ensuite qu'après avoir constaté, dans l'examen des pratiques en cause, des discriminations opérées par la société Sony France dans l'application de ses conditions générales de vente et des contrats annexes, avant le 1er avril 1987 puis entre cette date et le 30 juin 1988, le conseil n'en a pas tiré les conséquences nécessaires au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Qu'en effet, procédant à l'examen des griefs retenus dans le second rapport (page 13), le conseil relève que, selon une enquête de l'administration achevée le 12 novembre 1986, la société Sony n'avait pas strictement respecté ses propres conditions de vente en n'appliquant pas rigoureusement à tous ses revendeurs les conditions d'octroi des remises et des ristournes de nature qualitative alors qu'elle l'avait fait pour les sociétés SEDA (Concurrence) et Jean Chapelle;

Qu'il est également noté en référence au même rapport (page 14) que, postérieurement au 1er avril 1987, avaient été constatés de nombreux aménagements discrétionnaires aux remises et ristournes quantitatives et qualitatives consenties à certains distributeurs parmi lesquels le groupe Darty, la FNAC, le BHV et les Galeries Lafayette;

Considérant que pour les raisons sus-indiquées les dérogations ainsi constatées dans la mise en œuvre des documents contractuels organisant le réseau de distribution de la société Sony France caractérisent une entente prohibée; que, toutefois, il n'y a pas lieu de réformer sur ce point la décision du conseil dont l'injonction comprend, dans sa formulation générale, la cessation des pratiques ci-dessus visées;

C. Sur les ententes en matière de prix:

Considérant que les sociétés requérantes reprochent enfin au conseil de ne pas avoir tiré les conséquences de ses constatations quant à l'alignement de certains grands distributeurs sur les prix conseillés par la société Sony France;

Qu'il est indiqué dans la décision que les relevés effectués et les catalogues des sociétés Auchan, GITEM et Euromarché versés au dossier établissent que les prix publics conseillés par la société Sony France ont été ponctuellement appliqués par ces entreprises;

Mais attendu que les constatations faites à ce sujet par le rapporteur (notification des griefs, procédure n° 2, pages 31 à 36), qui ne portent que sur une brève période (octobre à décembre 1988) et quelques articles, ne suffisent pas à apporter la preuve d'une concertation tarifaire entre la société en cause et les distributeurs susvisés;

Considérant que la Camif, intervenante volontaire devant la cour, sans avoir été partie en cause devant le conseil, ne peut se voir infliger de sanction pécuniaire;

Par ces motifs: Rejette le recours principal; Laisse à la charge des sociétés Concurrence et Jean Chapelle les dépens qui s'y rapportent; Rejette le recours incident; Laisse à la charge de la société Sony France les dépens qui s'y rapportent; Laisse à la Camif la charge des dépens de son intervention.