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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 18 janvier 1995, n° ECOC9510007X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ODA (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerin

Avocat général :

Mme Thin

Conseillers :

Mme Mandel, M. Cailliau

Avoué :

SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocat :

Me Saint Esteben

CA Paris n° ECOC9510007X

18 janvier 1995

LA COUR statue sur le recours formé par la société Office d'annonces (ci-après ODA) contre une décision du Conseil de la concurrence (le Conseil) n° 94-D-21 du 22 mars 1994, qui, par application de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, lui a infligé une sanction pécuniaire de 7 millions de francs et lui a enjoint ainsi qu'à France Télécom de " modifier le texte de la recommandation insérée dans les prochaines éditions des annuaires officiels à destination des annonceurs de manière que ces derniers soient informés, sans équivoque, que les agences de publicité peuvent assurer, comme l'ODA, régisseur exclusif de la publicité dans les annuaires officiels, la prospection de la publicité à paraître dans les annuaires officiels de France Télécom ".

Référence faite à cette décision pour l'exposé des faits et de la procédure initiale, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

Le 31 janvier 1991, Dominique André, agissant en qualité de propriétaire de l'agence de communication-publicité " Audace et Stratégies Genard Jacky ", et Serge Buvat, agissant en tant que vice-président national du syndicat CDCA (Confédération de défense des commerçants et artisans), ont saisi le Conseil d'une demande dirigée contre certaines pratiques d' ODA et ont sollicité en outre des mesures conservatoires.

Dans le cadre de ces instances, la cour de céans a rendu deux arrêts les 19 avril 1991 et 19 novembre 1992.

La société Arc en Ciel Diffusion qui avait également saisi le Conseil le 9 mars 1992 a déclaré se désister par lettre en date du 17 février 1993 et ce, à la suite de la signature d'une transaction intervenue sous l'égide d'un médiateur nommé par arrêt de cette cour (1re chambre A) du 28 septembre 1992 ; de même CDCA a fait connaître au Conseil par lettre en date du 13 novembre 1992 qu'il retirait sa saisine.

A la suite des saisines déposées par Audace et Stratégies, CDCA et Arc en Ciel Diffusion, des griefs ont été notifiés à ODA et à France Télécom sur le fondement des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Aux termes de la décision soumise à recours, le Conseil a estimé que :

- ODA, régisseur exclusif, détient une position dominante sur le marché de la publicité dans les annuaires de France Télécom, marché sur lequel la commercialisation des espaces publicitaires auprès des annonceurs est assurée à la fois par le canal de la propre force de vente d'ODA et par les agences de publicité ;

- ODA, en tentant par l'intermédiaire de ses représentants et par divers moyens de discréditer l'agence Audace et Stratégies auprès des annonceurs et en entravant son activité, avait commis un abus de position dominante sur le marché de référence ;

- ODA et France Télécom avaient, par le texte de mise en garde inséré dans les annuaires officiels, mis en œuvre une pratique d'exclusion des agences de publicité.

La société ODA ne conteste dans son recours que certains points de la décision.

D'une part, elle fait valoir que le Conseil a délimité le marché pertinent d'une manière erronée tant en ce qui concerne le marché du " produit "que le marché "géographique".

Selon elle, la notion de marché doit être appréhendée au regard de la demande exprimée par les agences de publicité, c'est-à-dire par des professionnels intermédiaires en publicité, puisque les abus reprochés à ODA le seraient au regard de ces opérateurs économiques et non au regard des annonceurs ; qu'elle ajoute que si l'on examine les deux pôles essentiels de l'activité d'une agence (conseil et achat d'espace), on doit constater que pour les agences le support " annuaire de France Télécom " est substituable à tout autre annuaire ou même à d'autres supports spécialement écrits.

Subsidiairement, ODA indique que même si l'on devait analyser le marché pertinent du point de vue des annonceurs eux-mêmes, ce sont les annuaires professionnels dans leur ensemble qui doivent constituer le marché pertinent.

Elle critique également la délimitation géographique opérée par le Conseil en défendant l'idée qu'il existerait un marché par département.

ODA fait valoir d'autre part que le Conseil a totalement occulté les questions relatives à sa situation juridique de régisseur exclusif de France Télécom et à la confusion qu'Audace et Stratégies a entretenue auprès des clients quant à sa fonction exacte et à ses rapports avec ODA et France Télécom.

Elle soutient en outre que le Conseil se devait de prendre en considération les fonctions et les rapports juridiques exacts des agences et de l'ODA pour déterminer les sanctions.

Elle conteste enfin le libellé de l'injonction et le montant du chiffre d'affaires pris en compte.

Dans le mémoire qu'elle a déposé, l'agence Audace et Stratégies conclut au rejet du recours formé par ODA. Faisant valoir que l'ODA persistait dans ses pratiques anticoncurrentielles pour lui empêcher tout accès au marché, elle demande en outre à la cour d'ordonner à l'ODA sur le fondement de l'article 8 de l'ordonnance susvisée de :

" - arrêter les dénigrements dans l'immédiat ;

" - prendre en compte les parutions non conformes à leur juste valeur ;

" - remettre tous les documents commerciaux en même temps que pour la force de vente ODA et les filiales PMA et Tonalité ;

" - mettre le correspondant ODA en disponibilité ou accepter que les ordres d'insertion soient transmis directement au siège de l' ODA ;

" - accorder les dates de forclusion par département, qui soient les mêmes que celles accordées à la force de vente ODA, PMA et Tonalité ;

" - accorder la date de début de prospection en même temps que celle accordée à la force de vente ODA et aux filiales PMA et Tonalité ;

" - accorder une remise professionnelle aux annonceurs passant par l'intermédiaire des agences de publicité, de 15 p. 100 sur le chiffre d'affaires hors taxes facturé, de manière identique au taux de commission accordé à Tonalité ;

" - respecter ses propres règles de paiement, envoyées à Audace et Stratégies par LRAR du 19 mars 1993 ;

" - condamner l'ODA à lui payer la somme de 3.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. "

Dans ses observations écrites, le ministre de l'économie et des finances estime que le produit en cause est constitué par l'insertion de messages publicitaires dans les annuaires officiels et que du point de vue des opérateurs, c'est-à-dire des annonceurs, ce produit n'est substituable à aucun autre compte tenu de sa spécificité.

Il ajoute que les effets sur la concurrence des conditions imposées aux agences et des pratiques de l'ODA vis-à-vis de certaines d'entre elles ne peuvent être appréciés qu'en se plaçant du point de vue des annonceurs et que l'ODA cherche à créer une confusion entre la nature de l'activité d'achat et la nature du produit acheté.

II précise que même si le marché des annuaires professionnels devait constituer le marché pertinent, ODA y occuperait une position massivement dominante. Par ailleurs, il fait valoir que c'est à bon droit que la décision attaquée définit un marché national de la publicité.

Sur le deuxième moyen soulevé par la société requérante, il fait observer que sur le marché pertinent, l'ODA et les agences de publicité sont en concurrence en tant que prestataires d'un même service, la vente d'espaces publicitaires dans les annuaires officiels, et que si l'ODA s'estimait victime de pratiques déloyales, de confusion et de parasitisme, il lui appartenait d'en obtenir réparation auprès des juridictions civiles sur la base de l'article 1382 du Code civil.

II estime enfin que la contestation de l'ODA en ce qui concerne l'injonction doit être rejetée dès lors que celle-ci ne consistait qu'à préciser l'information contenue dans l'actuelle recommandation afin de lever toute ambiguïté.

En dernier lieu, il fait valoir qu'eu égard à la gravité des faits, il y a lieu de maintenir la sanction pécuniaire dont le montant ne représente que 0,16 p. 100 du chiffre d'affaires de l'ODA.

Le Conseil n'a pas entendu user de la possibilité de présenter des observations écrites prévue par l'article 9 du décret du 19 octobre 1987.

Admises à répliquer aux observations du ministre de l'économie et des finances dans les délais prévus par l'ordonnance de procédure prise le 13 juin 1994, les parties ont précisé leur argumentation.

ODA a de plus soulevé l'irrecevabilité de la " demande reconventionnelle " figurant dans le mémoire de Audace et Stratégies du 4 juillet 1994 comme tardive et comme n'ayant pas été notifiée dans les cinq jours conformément aux dispositions réglementaires.

Le ministère public a conclu oralement à l'irrecevabilité des demandes formées par Audace et Stratégies, au rejet du recours de l'ODA sous réserve de la question du chiffre d'affaires devant servir de base au calcul de la sanction pour laquelle il s'en rapporte à l'appréciation de la cour.

L'audience de plaidoiries a été reportée du 3 au 15 novembre 1994 par ordonnance du 8 septembre 1994.

Sur ce, LA COUR :

I. - Sur la procédure :

Considérant qu'à juste titre l'ODA soulève l'irrecevabilité des demandes présentées par Audace et Stratégies dans son mémoire du 7 juillet 1994 ;

Considérant en effet qu'en sollicitant dans ses écritures que la décision du Conseil soit modifiée et complétée de manière substantielle par diverses mesures, Audace et Stratégies forme en réalité un recours incident ;

Or, considérant qu'il résulte de l'article 6 du décret du 19 octobre 1987 qu'un recours incident n'est recevable que s'il est formé dans le mois qui suit la notification du recours principal ;

Qu'en outre ce recours doit à peine d'irrecevabilité être notifié dans les cinq jours aux parties auxquelles la décision en cause a été notifiée par le Conseil ;

Considérant qu'en l'espèce le recours principal formé le 11 mai 1994 a été notifié à Audace et Stratégies le 13 mai 1994 ;

Que le 13 juin 1994 cette dernière a déposé au greffe un acte intitulé " déclaration par partie en cause " dans lequel elle déclarait " se joindre à l'instance devant la cour d'appel de Paris... et au cours de l'audience à intervenir " ;

Qu'Audace et Stratégies se contentait dans cet acte de répliquer aux moyens et arguments développés par l'ODA dans son recours ;

Qu'au demeurant, elle ne justifie avoir notifié à l'ODA ni cet acte ni le mémoire du 7 juillet 1994 comme les textes l'exigent, aucun accusé de réception n' étant produit ;

Que l'intention d'Audace et Stratégies de ne se placer qu'en simple intervenante est confirmée par la qualification même qu'elle s'attribue dans son mémoire du 7 juillet 1994 ;

Que les différentes ordonnances du conseiller chargé de l'instruction de la procédure l'ont qualifiée ainsi sans qu'elle émette la moindre protestation ;

Quedans ces conditions, le recours incident formé pour la première fois le 7 juillet 1994 soit plus d'un mois après la notification du recours principal, et non notifié à l'ODA, est irrecevable ;

II. - Sur le marché pertinent :

Considérant que pour définir le marché pertinent en cause il faut rechercher le lieu de confrontation entre l'offre et la demande de produits substituables entre eux, mais non substituables à d'autres biens ou services ;

Considérant qu'en l'espèce sont en cause les éventuelles restrictions apportées aux commandes d'annonceurs désireux d'insérer une publicité dans un annuaire officiel par l'intermédiaire des agences de publicité par rapport à celles souscrites directement auprès de l'ODA ;

Que les agissements dénoncés tendant de la part de l'ODA à apparaître auprès des annonceurs comme seule susceptible de recueillir les commandes pour son propre réseau et à détourner à son profit les commandes susceptibles d'être passées par l'intermédiaire des agences de publicité, le marché pertinent se situe donc au niveau des annonceurs et non au niveau des agences de publicité ;

Considérant que I'ODA fait encore valoir que les Pages Jaunes éditées par France Télécom ne constituent pas en elles-mêmes un marché et que, dès lors que l'édition d'annuaires professionnels a été ouverte à la concurrence, ce sont les annuaires professionnels dans leur ensemble qui constituent le marché pertinent ;

Considérant certes qu'une modification est intervenue depuis la décision 90-D-31 du 18 septembre 1990 visée par le Conseil, dès lors que désormais toute entreprise peut librement éditer un annuaire à partir des fichiers fournis par France Télécom ;

Mais considérant que les annuaires autres que ceux édités par France Télécom ne concernent qu'une ou quelques agglomérations (Téléville, Amitel, Professionnels à professionnels) ;

Que " L'Annuaire Soleil " édité par la société CMS, même s'il se présente comme un annuaire concurrent des Pages Jaunes, n'était diffusé à la date des faits que dans la région parisienne; qu'il recouvre une zone commune à plusieurs départements : (Paris 1er, 4e, 5,e 6e, 7e, 14e, 15e, Châtillon, Issy-les-Moulineaux, Malakoff, Montrouge, Vanves), alors que les annuaires officiels de France Télécom (Pages Jaunes et Pages Blanches), même s'ils sont essentiellement locaux, couvrent chacun un département français dans son intégralité et un seul et qu'il en existe selon les propres affirmations d'ODA plus de quatre-vingt-dix différents par an ;

Considérant par ailleurs qu'il ressort des déclarations faites par plusieurs annonceurs au cours de l'enquête que l'annuaire officiel demeure pour eux un outil indispensable pour se faire connaître des consommateurs et revêt à leurs yeux un prestige particulier lié à la qualité de personne publique de l'éditeur;

Qu'au demeurant dans la présentation des annuaires l'éditeur insiste sur leur caractère officiel par la présence d'un cadre portant le sigle de France Télécom et la mention " annuaire officiel " ;

Considérant enfin qu'il n'est pas contesté qu'ODA soit le seul offreur d'espaces publicitaires dans les annuaires à proposer simultanément des annonces dans chacune des éditions départementales du territoire national ;

Qu'il apparaît donc que l'offre d'insertion d'un encart publicitaire dans les annuaires de France Télécom n'est pas substituable à celle des autres annuaires et que les espaces publicitaires offerts dans lesdits annuaires constituent par les caractéristiques ci-dessus analysées un marché spécifique ;

Considérant qu'est sans fondement l'allégation d'ODA selon laquelle le marché géographique est local et non national ;

Considérant que même si le produit Pages Jaunes diffère par son contenu d'un département à un autre et même si la prospection est menée par département, il n'en demeure pas moins que les conditions d'édition des annuaires permettent d'affirmer qu'il existe un marché national ;

Considérant en effet qu'il est établi par l'enquête que certains annonceurs passent des annonces dans d'autres annuaires que celui de leur département ;

Que tous les annuaires Pages Jaunes présentent les mêmes caractéristiques d'ensemble : graphisme, impression sur quatre colonnes, mise en page dite en U des publicités hors colonnes, les plus grandes en bas et en taille décroissante vers le haut, utilisation pour ces annonces d'un format caractéristique en modules de base d'un sixième de page, utilisation d'une case de renvoi avec la mention " voir annonce même page ", noms des localités précédés d'une vignette et suivis d'un filet, ainsi que la cour a eu l'occasion de le relever dans son arrêt du 27 mai 1992 ;

QueFrance Télécom est l'éditeur unique de tous les annuaires ;

Qu'il n'est pas démontré qu'il existe des méthodes distinctes de prospection de la publicité pour chacun des départements ou que les annonceurs adoptent un comportement distinct ou ont des exigences particulières selon les départements ;

Considérant qu'il en résulte que le Conseil a exactement défini le marché pertinent, marché sur lequel ODA, régisseur exclusif de la publicité en vertu d'une convention du 30 juin 1967 et de ses avenants, ne conteste pas occuper une position dominante.

III. - Sur les relations juridiques entre ODA et les agences de publicité et sur la nature de leurs activités :

Considérant qu'ODA ne conteste pas le caractère anticoncurrentiel des pratiques pour lesquelles elle a été condamnée mais fait grief au Conseil d'avoir méconnu la différence capitale entre sa situation juridique en tant que régisseur de publicité et celle des agences de publicité ;

Qu'elle soutient que les pratiques de dénigrement considérées comme abusives par le Conseil tendaient en fait à corriger des présentations fallacieuses effectuées par Audace et Stratégies et à rétablir la réalité des rapports juridiques ;

Considérant ceci exposé que si le ministre fait justement observer que sur le marché pertinent l'ODA et les agences de publicité sont en concurrence en tant que prestataires d'un même service, la vente d'espaces publicitaires dans les annuaires officiels, il n'en demeure pas moins qu'elles n'ont pas la même qualité ;

Considérant qu'ODA en vertu de la convention du 30 juin 1967 est le régisseur exclusif en regard de France Télécom qui a succédé aux P et T pour faire assurer la prospection de la publicité à insérer dans les différents annuaires édités par cette administration ;

Qu'ODA est vendeur d'espaces publicitaires pour le compte de France Télécom et qu'en tant que régisseur exclusif elle peut seule se présenter aux annonceurs au nom de France Télécom ;

Que c'est en vain qu'elle invoque la loi du 29 janvier 1993 dite loi Sapin, dès lors que les faits poursuivis sont antérieurs à son entrée en vigueur ;

Considérant qu'elle est en revanche fondée à faire valoir que les agences de publicité telles qu'Audace et Stratégies ne sont que les mandataires des annonceurs et ne peuvent prospecter et vendre pour le compte de France Télécom ou de l'ODA ;

Qu'il en résulte que si une commande est passée par un annonceur directement auprès de l'ODA qui l'accepte, celle-ci est liée et les versements effectués sont libératoires, alors que si une annonce est passée par l'intermédiaire d'une agence, ODA n'est liée qu'à compter du moment où elle a elle-même accepté la commande de l'agence et le paiement fait par l'annonceur entre les mains de l'agence n'est pas en lui-même libératoire vis-à-vis du régisseur ;

Considérant qu'ODA est donc en droit de mettre en garde les annonceurs contre des pratiques illégales des agences se présentant faussement comme ses mandataires ;

Mais considérant qu'elle ne peut ni porter des accusations nominatives sans s'être assurée qu'elles correspondent à la réalité, ni entraver les activités d'Audace et Stratégies pour la prospection de la clientèle ;

Considérant qu'ODA soutient tout d'abord qu'Audace et Stratégies a diffusé fin 1990 une lettre circulaire à toute la clientèle de la région Sud-Est qui laissait penser qu'elle était mandatée par France Télécom ;

Mais considérant que le ministre réplique à juste titre que cette lettre n'était pas de nature à tromper les annonceurs sur la qualité d'Audace et Stratégies dès lors qu'il est précisé, d'une part qu'ODA est le régisseur de la publicité dans les annuaires de France Télécom et qu'elle commercialise les espaces publicitaires soit par ses représentants soit par l'intermédiaire des agences de publicité, d'autre part qu'Audace et Stratégies intervient en qualité d'agence de publicité conseil en communication ;

Que dès lors qu'il existe d'autres annuaires professionnels il ne peut être fait grief à Audace et Stratégies d'avoir fait référence dans cette circulaire aux annuaires officiels de France Télécom pour informer les annonceurs sur l'identité exacte du produit offert ;

Considérant que s'agissant des sept cas invoqués par l'ODA de présentation trompeuse par l'agence Audace et Stratégies de son rôle effectif, il résulte certes du témoignage de M. Bethge en date du 20 octobre 1992 que celui-ci a été trompé sur la qualité exacte d'Audace et Stratégies d'autant plus que son agent s'est présenté à lui comme chargé d'effectuer le renouvellement de son inscription publicitaire ;

Mais considérant qu'il ressort des procès-verbaux de déclarations de M. Jaffeux, de M. Clement (Ambulanciers réunis), de Mme Lindecker (l'Orangerie) que le représentant d'Audace et Stratégies qui les a visités s'est présenté comme une agence de publicité habilitée à commercialiser des annonces dans les Pages Jaunes de l'annuaire ;

Qu'il n'est pas établi que ce représentant ait cherché à faire croire à ces clients qu'Audace et Stratégies agissait pour le compte de France Télécom ;

Considérant bien plus qu'il résulte notamment des correspondances et des déclarations émanant des entreprises l'Orangerie, Voyages Gaillard, Photo Sprint, Hôtel Saint-Nicolas, Repro Pioteix, Bercovici, Constantzer que c'est à la demande ou sous la pression d'ODA qu'elles avaient rédigé les lettres invoquées par celle-ci pour démontrer que le représentant d'Audace et Stratégies s'était présenté comme mandataire ou sous-traitant de l'ODA, ce qui ne correspondait pas à la réalité ;

Qu'il apparaît, tant au vu des procès-verbaux d'audition que des correspondances analysées par le Conseil, que les interventions des agents de l'ODA visaient à dissuader ces candidats à des insertions dans les annuaires de France Télécom de s'adresser à l'agence Audace et Stratégies en leur faisant croire soit que leur annonce paraîtrait dans un autre annuaire, soit que l'agence n'était pas habilitée à commercialiser des encarts publicitaires dans les Pages Jaunes et à les inciter à annuler les commandes passées auprès de cette agence, alors qu'Audace et Stratégies inscrite depuis le 31 août 1990 était à la date de ces interventions en droit de prendre des commandes et qu'aucun fait d'escroquerie n'est établi à l'encontre de ces annonceurs ;

Qu'au surplus il résulte en particulier des déclarations de Mmes Guigues, Falli, Arnaud, Platevin Lucie, de MM. Briche, Volpe, Berge que ces pratiques de dénigrement se sont poursuivies postérieurement à l'arrêté du 19 avril 1991 qui enjoignait notamment à l'ODA d'assurer l'exécution des ordres d'insertion émanant d'Audace et Stratégies ;

Considérant en effet que,contrairement à ce que soutient ODA, ses représentants ne se sont pas contentés d'indiquer aux annonceurs qu'ils n'étaient pas certains que la publicité paraisse et d'exposer les conséquences des situations juridiques respectives de l'agence et d'ODA, mais ont, par leurs propos, semé le doute dans l'esprit des annonceurs sur la crédibilité de l'agence Audace et Stratégies, et l'ont gravement dénigrée en leur laissant croire que cette agence les escroquait ;

Que c'est donc à juste titre que le Conseil a retenu que de telles pratiques destinées à entraver les activités de l'agence Audace et Stratégies étaient constitutives d'un abus de position dominante ;

Considérant que la société requérante ne conteste pas la décision du Conseil en ce qu'il a par ailleurs retenu que la modification du système de commissionnement des agences en début d'année 1992, la politique de garantie de l'ODA et ses pratiques en ce qui concerne la désignation du correspondant commercial de l'agence Audace, la non-communication des tarifs et autres manœuvres rendant impossible l'enregistrement des commandes constituaient également des abus de position dominante ;

IV. - Sur la mise en garde effectuée dans les annuaires officiels :

Considérant qu'ODA soutient que la mise en garde critiquée ne peut être considérée comme " mensongère " alors qu'elle ne fait que réaffirmer ce que stipule la convention du 30 juin 1967 entre les P et T et la société Havas ;

Que compte tenu des fonctions exactes des agences et du régisseur exclusif, la simple affirmation que l'ODA est le régisseur exclusif et à ce titre chargé de prospecter pour le compte de France Télécom n'est que l'affirmation d'une situation avérée et incontestable ;

Que par ailleurs, elle conteste le texte de l'injonction et fait valoir qu'elle crée une ambiguïté en indiquant qu'il existe une identité de condition dans la prospection entre, d'une part, l'ODA, d'autre part les agences de publicité ;

Considérant que la recommandation insérée dans les annuaires officiels est ainsi rédigée :

" L'ODA, régisseur exclusif de la publicité dans les annuaires officiels de France Télécom, est à ce titre chargée d'assumer la prospection de la publicité à insérer dans ces annuaires. Exigez la présentation de la carte professionnelle, modèle ci-dessus, de toutes les personnes se présentant au nom de l'ODA. Pour les conseillers ODA opérant par téléphone, vous devez recevoir la facture à en-tête France Télécom - ODA " ;

Considérant qu'à juste titre le Conseil a retenu que cette information présente un caractère ambigu dans la mesure où elle tend à faire croire qu'ODA en tant que régisseur exclusif est seule habilitée par France Télécom à prospecter la clientèle en vue d'insertions publicitaires et apparaît comme un avertissement de nature à limiter l'accès du marché aux agences concernées ;

Qu'il en a conclu à juste titre que cette pratique mise en œuvre par France Télécom et ODA tombe sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui prohibe les actions concertées dès lors qu'elles tendent à limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

Considérant en revanche que la requérante est fondée à contester la nouvelle rédaction de la recommandation libellée en ces termes par la décision déférée : " les agences de publicité peuvent assurer comme l'ODA régisseur exclusif de la publicité dans les annuaires officiels la prospection de la publicité à paraître dans les annuaires officiels de France Télécom " ;

Considérant en effet qu'il a été ci-dessus démontré qu'ODA et les agences de publicité n'intervenaient pas avec la même qualité ;

Que si toutes deux démarchent la clientèle en vue d'insertions publicitaires, ODA intervient pour le compte de France Télécom et est chargée, en qualité de régisseur exclusif de la prospection et de la vente exclusive des insertions alors que les agences ne sont que les mandataires des annonceurs avec les conséquences que cela implique ;

Qu'il convient dès lors pour exclure tout risque d'assimilation au plan juridique entre les agences et l'ODA d'enjoindre à l'ODA de modifier le texte de la recommandation insérée dans les prochaines éditions des annuaires officiels à destination des annonceurs de manière que ces derniers soient informés sans équivoque de ce que, pour insérer des annonces publicitaires dans les annuaires de France Télécom, ils peuvent soit mandater une agence de publicité, soit s'adresser à l'ODA, régisseur exclusif de la publicité dans les annuaires officiels ;

V. - Sur la sanction pécuniaire :

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise sanctionnée ;

Que le montant maximum de la sanction fixé par le même article est pour une entreprise de 5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé au cours du dernier exercice clos ;

Considérant qu'ODA fait valoir que le Conseil a fait une analyse erronée de son chiffre d'affaires ;

Que selon elle, il s'élevait pour l'exercice 1992 non pas à 4.154.988.000 F, mais à 1.366.072.000 F ;

Mais considérant que le compte d'exploitation d'ODA exercice 1992 (annexe 47) fait apparaître un chiffre d'affaires de 4.154.988.000 F ;

Qu'ODA ne démontre pas facturer des commissions à France Télécom mais qu'il résulte du compte d'exploitation que c'est France Télécom qui facture sa quote-part à ODA, laquelle figure au compte d'exploitation sous l'intitulé " achats de prestations de services et sous-traitance " ;

Qu'au surplus il convient de relever que c'est ODA et non France Télécom qui facture les annonceurs et qu'elle paye la TVA sur les montants facturés aux clients et non sur la somme de 1.366.072.000 F ;

Que c'est donc à juste titre que le Conseil a retenu que le chiffre d'affaires d'ODA s'était élevé en 1992 à 4.154.988.000 F ;

Considérant sur l'importance du dommage causé à l'économie que le Conseil a relevé avec pertinence qu'il devait être tenu compte de la durée des pratiques d'exclusion à l'égard d'agences nouvellement créées, lesquelles se sont au surplus poursuivies deux mois après la décision sur les mesures conservatoires ;

Que la stratégie d'éviction d'ODA a créé artificiellement une barrière à l'entrée sur le marché d'agences de publicité et a eu une incidence sur l'intensité de la concurrence que ces agences pouvaient se faire avec ODA dans la recherche des annonceurs ;

Considérant qu'il s'ensuit que le Conseil a procédé à une exacte appréciation de la sanction pécuniaire à raison des pratiques relevant des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui justifient à elles seules le montant de la sanction ne correspondant qu'à 0,16 p. 100 du chiffre d'affaires ; qu'il n'y a donc pas lieu de la réduire,

Par ces motifs : Déclare irrecevable le recours incident formé le 7 juillet 1994 par l'agence Audace et Stratégies représentée par son propriétaire M. Dominique André ; Statuant dans les limites du recours principal et réformant partiellement la décision déférée : Fait injonction à la société anonyme Office d'annonces (ODA) de modifier le texte de la recommandation insérée dans les prochaines éditions des annuaires officiels à destination des annonceurs de manière à ce que, ces derniers soient informés sans équivoque de ce que pour insérer des annonces publicitaires dans les annuaires de France Télécom, ils peuvent soit mandater une agence de publicité, soit s'adresser à l'ODA régisseur exclusif de la publicité dans les annuaires officiels ; La confirmant pour le surplus ; Rejette le recours formé par la société anonyme Office d'annonces (ODA) et maintient le montant de la sanction prononcée contre elle ; Met à sa charge l'intégralité des dépens du présent recours.