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Décisions

Conseil Conc., 8 juillet 1998, n° 98-PB-03

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine ministérielle concernant une opération promotionnelle portant sur des disques, réalisée par un magasin à l'enseigne E. Leclerc

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Philippe Komiha, par M. Jenny, vice-président, présidant la séance ; M. Cortesse, vice-président ; Mme Boutard-Labarde, MM. Rocca, Sloan, Thiolon, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 98-PB-03

8 juillet 1998

Le Conseil de la concurrence (section III),

Vu la lettre enregistrée le 24 octobre 1997 sous le numéro P-09, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence d'une offre promotionnelle effectuée sur des disques par l'Espace culturel E. Leclerc, sis à Gonfreville-l'Orcher (76), susceptible d'être prohibée par les dispositions de l'article 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général et le commissaire du Gouvernement entendus ; le président-directeur général de la SA Debard ayant été entendu sur le fondement de l'article 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que le magasin à l'enseigne L'Audito au Havre, détaillant indépendant spécialisé dans la distribution des disques, cassettes audio et vidéo, géré par la SA Debard et fils, a dénoncé les prix pratiqués par l'Espace culturel E. Leclerc de Gonfreville-l'Orcher, à l'est du Havre, à l'occasion de l'opération "Culturissimo" que, sous ce nom, en novembre 1996, cet Espace culturel E. Leclerc, exploité par la SARL Olmdis, a diffusé un catalogue promotionnel de trente-deux pages, concernant des livres, des disques, des cassettes vidéo et des CD-roms, dont sept pages étaient consacrées aux disques, avec huit titres et deux collections en musique classique, sept titres pour la catégorie jazz/blues/musiques du monde, quatorze titres de variétés internationales et dix-sept titres de variétés françaises ; que cette promotion couvrait une période d'un mois, du 20 novembre au 21 décembre 1996, qui est une période de fortes ventes pour les disques ;

Considérant que l'article 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe les "offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un marché ou d'empêcher d'accéder à un marché une entreprise ou l'un de ses produits..." et qu'il précise que : "Ces dispositions ne sont pas applicables en cas de revente en l'état, à l'exception des enregistrements sonores reproduits sur supports matériels" ;

Sur la délimitation du marché pertinent :

Considérant, en premier lieu, que l'Espace culturel E. Leclerc est implanté dans un centre commercial situé entre la nationale 15 et la départementale 484, à 4 kilomètres de l'entrée de la ville du Havre, à 11 kilomètres du magasin L'Audito, à proximité d'un échangeur entre l'autoroute A 29 venant de Bolbec au nord, l'autoroute A 131 venant de Tancarville à l'Est et la départementale 929 en provenance de Honfleur par le pont de Normandie ; qu'il constitue un magasin entièrement distinct de l'hypermarché, disposant d'un personnel propre et présentant, avec 15 000 références proposées, une gamme de phonogrammes plus étendue que celle offerte habituellement par la grande distribution généraliste ; que l'Audito est également un magasin spécialisé avec 19 000 références commercialisées ; que ces deux magasins s'adressent à la même clientèle en provenance du Havre et de localités situées dans un rayon de trente kilomètres, dans la mesure où l'instruction a déterminé qu'il n'existe pas dans ces localités de disquaires spécialisés ;

Considérant, en deuxième lieu, que L'Audito a subi une baisse de son chiffre d'affaires moyen mensuel qui a coïncidé avec l'ouverture de l'Espace culturel E. Leclerc qui date d'avril 1995 ; qu'en 1996 le chiffre d'affaires moyen réalisé lors des mois courants par l'Espace culturel E. Leclerc a été de 620 000 francs, alors que pour L'Audito l'écart de chiffre d'affaires mensuel par rapport à 1994 a été de - 660 000 francs ; que dès lors il peut en être inféré que l'Espace culturel E. Leclerc, situé à 10 kilomètres à l'est du centre du Havre, a bénéficié d'une partie de la clientèle de l'agglomération qui n'a plus à se déplacer nécessairement au centre-ville pour acquérir des disques, soit qu'elle vienne spécifiquement pour acheter ces produits, soit qu'elle en acquière à l'occasion de sa venue pour d'autres achats dans l'hypermarché voisin ou les autres commerces de la galerie marchande ; qu'il est ainsi constaté qu'il existe des déplacements de clientèle significatifs dans la zone incluant les distributeurs de disques en question ;

Considérant, en troisième lieu, que le catalogue promotionnel de l'Espace culturel E. Leclerc proposait des disques dans les différents genres, sans que la distinction entre les nouveautés et les fonds de catalogue soit apparente, ni que les prix pratiqués par l'Espace culturel E. Leclerc pour ces deux catégories de disques soient significativement différents ; que l'enquête a permis de constater que les titres proposés dans cette promotion étaient également commercialisés par L'Audito pour au moins quarante d'entre eux (sur cinquante) ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le marché à prendre en compte est celui de la distribution du disque dans l'agglomération havraise ;

Sur les dispositions de l'article 10-1 :

Considérant que l'Espace culturel E. Leclerc fait partie d'un groupe de la grande distribution généraliste, ce qui lui permet de bénéficier de la logistique du groupe et des conditions d'achat négociées auprès des fournisseurs par la centrale Galec ; que les tâches de direction générale et de comptabilité sont assurées par le personnel de l'hypermarché voisin ; que L'Audito est un détaillant indépendant de taille modeste par rapport à cet ensemble ; que la promotion "Culturissimo" s'est déroulée du 20 novembre au 21 décembre 1996, qui est une période de fortes ventes pour les disques, et qu'elle incluait six titres figurant au "Top 20" des meilleures ventes de novembre 1996 ; qu'en conséquence les circonstances, caractérisées par la possibilité d'une situation de déséquilibre entre les deux magasins, la durée de la pratique et l'éventualité d'un effet d'attraction des disques concernés, justifient un examen des prix de cette promotion ;

En ce qui concerne le caractère abusivement bas des prix :

Considérant qu'en ce qui concerne les coûts susceptibles de servir de référence pour apprécier le caractère abusivement bas des prix, le Conseil a indiqué, dans son avis n° 97-A-18 du 8 juillet 1997, qu'en tout état de cause seront pris en considération les coûts variables, un prix de vente inférieur au coût variable permettant de présumer un effet d'éviction; que par ailleurs le Conseil a indiqué que des prix pourraient être considérés comme abusivement bas par rapport aux coûts moyens totaux, même s'ils étaient supérieurs aux coûts variables, si la pratique de prix bas est accompagnée d'indices suffisamment sérieux, précis et concordants d'une volonté délibérée de capter la clientèle au détriment d'un concurrent;

Considérant que, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, dans l'arrêt AKZO du 3 juillet 1991, la nature fixe ou variable de certains coûts doit être appréciée au regard des circonstances de l'espèce ; qu'en effet dans cet arrêt la Cour a précisé notamment qu' : "il convient donc d'examiner si les frais de main-d'œuvre ont, en l'espèce, varié en fonction des quantités produites..." et que : "dans ces conditions, il y a lieu de retenir que les coûts variables sont ceux qui figurent dans les documents que cette entreprise a soumis à la Cour" ; que, dans sa décision n° 94-MC-10 du 14 septembre 1994 concernant le secteur du béton prêt à l'emploi dans le département du Var, le Conseil a défini le coût moyen variable de production à partir de la comptabilité analytique établie mensuellement par chacune des entreprises ; qu'il résulte des deux décisions précitées qu'il convient d'examiner, en se fondant sur la comptabilité particulière du distributeur, les coûts dont l'évolution est liée à l'évolution des quantités vendues ;

Considérant, en premier lieu, que le coût d'achat des disques constitue dans la présente espèce un coût variable; que, pour les disques de la promotion "Culturissimo", le coût d'achat global des produits s'est élevé à 221 000 francs HT, pour un chiffre d'affaires de 239 000 francs HT ; que pour trente-neuf titres sur quarante le prix de vente proposé était supérieur au prix d'achat ; que pour le seul cas où il était inférieur aucune vente n'a été réalisée car le produit commandé à l'éditeur n'a pas été livré au distributeur ; qu'ainsi il est établi que les disques de la promotion en cause ont été vendus à un niveau permettant d'assurer la couverture des coûts d'achat ;

Considérant, en deuxième lieu, que la société Olmdis qui gère l'Espace culturel E. Leclerc ne dispose pas d'une comptabilité analytique détaillée de ses activités ; qu'elle a communiqué, d'une part, un compte de résultat global du magasin où figurent les regroupements par poste des produits et des charges, tels qu'ils sont définis en comptabilité générale, d'autre part, un compte commercial, spécifique pour les disques, où figurent les ventes, les achats et ristournes, la participation publicitaire, et l'indication d'une marge brute commerciale et d'une marge semi-nette ; que l'évolution des ventes globales a été de + 25,5 % en 1996 par rapport à 1995, et de + 11 % en 1997 par rapport à 1996, tandis que celle des ventes de disques a été de + 13,6 % en 1996 et + 18,9 % en 1997 ; qu'en dehors du coût d'achat les autres charges identifiées au compte de résultat de la société Olmdis sont les charges externes, les frais de personnel, les amortissements, les impôts et taxes diverses ;

Considérant que les charges externes incluent le loyer commercial et les charges locatives, les coûts de fonctionnement et la contribution aux fonctions de direction et de comptabilité ; que le loyer et les charges locatives résultent d'une convention passée avec le bailleur et sont déterminés en fonction des données du marché de l'immobilier commercial dans la zone géographique considérée, et que la variation du poste des charges externes a été globalement de - 30 % en 1996 et de + 14,4 % en 1997 et donc sans corrélation avec l'évolution des ventes ;

Considérant que, pour les frais de personnel constitués des salaires et des charges sociales, le responsable du magasin a indiqué qu'ils n'avaient pas augmenté pendant la période de la promotion, alors que, sur cette période, les ventes de disques ont progressé, par rapport au mois précédent, de 43 % en novembre et de 119 % en décembre ; que, sur l'ensemble de l'année, la variation de ces frais a été de - 48 % en 1996 et de - 4,3 % en 1997 ;

Considérant que l'évolution du coût des amortissements est fonction du choix opéré par l'entreprise quant à leur durée, dans le cadre de la réglementation et qu'en l'espèce la société Olmdis, dont le magasin a été ouvert en avril 1995, a opté pour l'amortissement dégressif, faisant peser ainsi une plus lourde charge lors des premières annuités ;

Considérant que les impôts et taxes diverses, qui incluent notamment les taxes foncières, sont des charges dont les montants résultent des décisions prises par les pouvoirs publics dans le cadre de la réglementation fiscale ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'évolution de ces différentes catégories de coûts n'est pas directement liée à l'évolution des quantités vendues ; que, d'ailleurs, à partir de l'examen des éléments comptables communiqués, le service d'enquête avait indiqué, dans un premier temps : "Dans le cas d'une entreprise commerciale de cette nature, on peut considérer que les achats constituent le seul coût proportionnel aux unités vendues. Les autres coûts sont fixes par paliers ; une progression importante des ventes aurait évidemment des conséquences sur leur montant" ; que, dans un second temps, à l'issue d'une enquête complémentaire, le service d'enquête a indiqué que "les opérations promotionnelles en cause n'ont pas généré de coût supplémentaire en termes de frais de personnel. Ce point a été confirmé par les responsables des magasins à l'occasion des contrôles" ;

Considérant, cependant, que le commissaire du Gouvernement, dans ses observations écrites, note : "En premier lieu, le coût d'achat n'est certainement pas le seul coût proportionnel aux quantités vendues. Les charges de personnel, pour une partie au moins (personnel de caisse, personnel de gestion des rayons), certains frais logistiques ou généraux (emballage, étiquetage, stockage...) sont sans aucun doute liés au volume d'activité. Il conviendrait donc d'isoler ces postes et de trouver une clé de répartition permettant d'imputer la part supportée par le rayon disques. En second lieu, il sera relevé qu'en toute hypothèse les coûts dont il vient d'être question figurent au nombre des coûts de commercialisation. Il en est d'ailleurs d'autres, qu'il s'agisse des frais généraux imputables à due proportion au rayon disques ou de frais directement affectés à un rayon (points d'écoute, bacs de présentation, démarque inconnue...)." ;

Considérant que, si l'on intègre aux coûts variables les frais de personnel, cités par le commissaire du Gouvernement comme faisant partie de coûts de commercialisation même s'ils ne sont pas directement proportionnels aux ventes, il convient, en tout état de cause, d'imputer ces frais de personnel aux disques vendus en promotion au prorata du montant de leurs ventes dans les ventes totales de disques; qu'en l'absence de statistiques de ventes détaillées sur la période de la promotion le chiffre de ces ventes a été évalué, d'une part, en tenant compte de la répartition des ventes entre novembre et décembre pour le bimestre considéré, soit respectivement 30 % et 70 %, d'autre part, du nombre de jours ouvrables couverts par la promotion sur ces deux mois ; qu'il en résulte que le chiffre d'affaires calculé selon cette méthode réalisé sur les disques de la promotion a représenté 7,8 % des ventes de disques sur cette période ; que le coût du personnel ainsi affecté à la vente des disques en cause ressort à 2,1 % du chiffre d'affaires réalisé sur ces mêmes disques ;

Considérant que l'examen de la marge entre le prix d'achat et le prix de vente permet de constater que, pour trente-trois des quarante disques en cause, les coûts de personnel sont couverts et que, globalement, l'ensemble des coûts totaux déterminés sur les ventes des quarante disques de la promotion, soit 238 000 francs, est couvert par le chiffre d'affaires réalisé sur ces mêmes disques, soit 239 000 francs; que, en revanche, si aucun disque n'a été vendu à un prix inférieur à son coût d'achat, quinze des quarante titres ont été vendus à un prix inférieur au coût moyen total, mais couvrant les frais de personnel, soit P. Collins, C. Isaak, Jamiroquai, Midnight Oil, Président of USA, REM, Van Halen, Aznavour, Coluche, Brel, Obispo, 2 Bal 2 Neg, Sardou, Alagna et J. Cocker, et, pour sept autres disques, le prix de vente ne couvrait pas au moins les frais de personnel afférents à la vente de ces disques, soit Redman, Sanchez, Steve Vai, C. Dion, Nirvana, Derek Lee Ragin et Zawinul ;

En ce qui concerne la constatation d'une éviction du marché :

Considérant qu'une pratique de prix abusivement bas, à supposer qu'elle soit établie, ne suffit pas à justifier l'application de l'article 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'il convient d'établir si cette pratique a pour objet ou est susceptible d'avoir pour effet d'évincer du marché l'entreprise qui prétend en être victime; que, dans le cas d'espèce, le dossier d'instruction ne contient aucun indice ou document démontrant l'existence d'une volonté d'éviction de L'Audito au Havre de la part de l'Espace culturel E. Leclerc de Gonfreville-l'Orcher ; qu'en conséquence il y a lieu de vérifier si la pratique de prix de l'Espace culturel E. Leclerc n'a pas eu ou ne pouvait avoir un tel effet ;

Considérant, en premier lieu, que pour les sept disques pour lesquels le coût du personnel ne serait pas couvert par le prix de vente, dans quatre cas (Redman, Steve Vai, Sanchez, C. Dion), L'Audito a vendu des quantités supérieures à l'Espace culturel E. Leclerc, dont un cas avec un écart important(C. Dion : 365 unités pour L'Audito contre 285 pour son concurrent), dans un cas (Zawinul), il en a vendu deux et l'Espace culturel trois, dans un cas, les deux magasins n'ont réalisé aucune vente, et dans un cas seulement, les ventes de l'Espace culturel E. Leclerc ont été sensiblement supérieures à celles de L'Audito(Nirvana : 147 contre 98) ; qu'au surplus ces sept disques n'ont représenté pour l'Espace culturel E. Leclerc que 15,7 % du chiffre d'affaires de l'ensemble des disques en promotion, 1,5 % du chiffre d'affaires total de disques pendant la période de promotion et 0,9 % du chiffre d'affaires de novembre et de décembre 1996 ;

Considérant, en deuxième lieu, que globalement la promotion concernait quarante titres, sur 15 000 références commercialisées par l'Espace culturel E. Leclerc, sur 19 000 références chez L'Audito; que, pour L'Audito, la vente des disques de la promotion n'a représenté qu'une faible part de son activité, soit 7 % de son chiffre d'affaires disques de novembre et décembre 1996 et 1,1 % du chiffre d'affaires disques de l'année 1996 ; que, pour l'Espace culturel E. Leclerc, ces mêmes ventes ont représenté 10 % du chiffre d'affaires disques de novembre et décembre 1996 et 3,1 % du chiffre d'affaires disques de 1996 ; qu'il en résulte que les titres qui figuraient dans l'opération "Culturissimo" ne constituaient pas des produits porteurs à forte notoriété, qui représenteraient une part significative de la demande; que les six albums de la sélection qui figuraient au "Top 20" des meilleures ventes en novembre 1996 n'ont représenté, respectivement, sur les mois de novembre et décembre 1996, que 3,6 % des ventes de l'Espace culturel E. Leclerc et 1,5 % des ventes de L'Audito;

Considérant que si, pendant la période de la promotion, les ventes réalisées par L'Audito sur l'ensemble des disques de cette promotion ont été inférieures à celles de l'Espace culturel E. Leclerc, dans la proportion de - 33 % en quantité et de - 24 % en valeur, l'instruction n'a pas établi que sur d'autres périodes, pour les mêmes disques, L'Audito a obtenu de meilleurs résultats par rapport à son concurrent; que, par contre, malgré la promotion, les quantités vendues par L'Audito sur les disques de cette promotion ont été sensiblement plus élevées pendant la durée de cette promotion, soit 1 675 unités, qu'avant ou après, soit 850 en octobre 1996, 910 en novembre 1996 et 430 en janvier 1997; que l'examen du chiffre d'affaires journalier de L'Audito, en novembre et décembre 1996, permet de constater une hausse de son activité pendant la période de la promotion ; que, ainsi, à partir du 30 novembre, la progression est constante et sensible, d'une part, jour par jour, d'autre part, en comparant les mêmes jours d'une semaine à l'autre ; que, par exemple, le dernier samedi avant l'opération, L'Audito réalise 130 035 francs, tandis que le samedi 21 décembre, dernier jour de l'opération, il réalise 343 680 francs ; que, durant les trois jours qui suivent la fin de l'opération, et qui précèdent immédiatement Noël, L'Audito a réalisé des chiffres supérieurs à ceux constatés d'ordinaire le lundi et le mardi, avec un dimanche en sus, alors qu'habituellement il est fermé ce jour ; qu'ainsi, à supposer même que les ventes de L'Audito aient été affectées par la promotion de l'Espace culturel E. Leclerc, cet effet a été étroitement limité dans le temps;

Considérant que, si L'Audito a enregistré en novembre-décembre 1996 une baisse d'activité par rapport à la même période de l'année précédente, soit - 13 % en novembre et - 22 % en décembre, son chiffre d'affaires est en baisse constante depuis novembre 1994, avec une accélération de cette baisse depuis avril 1995, les baisses mensuelles d'une année sur l'autre ayant été de plus forte amplitude en 1995 qu'en 1996, notamment en novembre-décembre 1995 ; qu'en 1996 l'Espace culturel E. Leclerc a également subi une baisse sensible de ses ventes de disques, notamment sur les deux mois de la promotion et de plus forte amplitude que celle de L'Audito, soit - 23 % en novembre et - 34 % en décembre ; qu'en outre cette baisse, sur l'ensemble de l'année 1996, a été de - 18,4 % pour l'Espace culturel E. Leclerc, malgré trois mois d'activité en plus, contre - 10,4 % pour L'Audito ; qu'il en résulte que la baisse d'activité de L'Audito de novembre-décembre 1996 ne peut être imputée à l'opération "Culturissimo";

Considérant qu'en décembre 1996, par rapport à novembre 1996, la progression des ventes de L'Audito est de + 2 016 000 francs, soit + 140 %, meilleure que celle de l'Espace culturel E. Leclerc avec + 1 036 000 francs, soit + 110 %; que le rapport entre le chiffre d'affaires de l'Espace culturel E. Leclerc et de L'Audito est de 0.47 pendant la période de promotion, identique à celui constaté pour l'ensemble de l'année, et moins favorable pour l'Espace culturel E. Leclerc par rapport à celui constaté sur le dernier trimestre, soit 0.52, et même moindre encore comparé à novembre où il était monté à 0.58 ; qu'ainsi il n'est pas établi que les achats de disques en promotion ont eu un effet d'entraînement sur les achats d'autres disques chez l'Espace culturel E. Leclerc, au détriment de L'Audito;

Considérant que pour dix titres de la promotion "Culturissimo", sur quarante titres, malgré de très faibles écarts de prix par rapport à l'Espace culturel E. Leclerc, même lorsque l'écart est nul ou favorable à L'Audito, ses ventes sont pourtant sensiblement inférieures à celles de l'Espace culturel E. Leclerc ; que par contre, pour des écarts compris entre 5 et 10 francs, encore peu élevés, en faveur de l'Espace culturel E. Leclerc, dans trois cas sur quatre L'Audito réalise de plus fortes ventes ; que pour treize titres sur vingt-trois, où l'écart de prix est supérieur à 20 francs, L'Audito réalise un chiffre d'affaires supérieur (dix titres) ou seulement légèrement inférieur (moins de 10 % de différence, trois titres) ; que l'importance de ces écarts de prix n'a pas empêché des ventes pour L'Audito et que, pour les vingt-trois titres en question, malgré des quantités vendues inférieures de 39 % à celles de l'Espace culturel E. Leclerc, le chiffre d'affaires ne lui est inférieur que de 3 % ; qu'ainsi la perte de clients due éventuellement aux écarts de prix est compensée par les gains en valeur qui résultent précisément de ces écarts ;

Considérant qu'en ce qui concerne certains écarts de prix importants constatés entre les deux magasins, ils s'expliquent par la politique de marges de L'Audito ; qu'ainsi, pour les disques dont les écarts de prix de vente avec l'Espace culturel E. Leclerc dépassent 24 francs, soit vingt-trois titres, les marges brutes s'échelonnent de 31,8 % à 81,1 % ; qu'il est donc possible de considérer que, momentanément, pendant la période de la promotion de l'Espace culturel E. Leclerc, L'Audito était en mesure, pour ces disques, sinon de s'aligner sur les prix "Culturissimo", du moins de s'en rapprocher, de façon à limiter l'attraction de l'Espace culturel E. Leclerc en termes de prix, sachant par ailleurs qu'une marge moyenne sur prix d'achat de 21 % suffisait à L'Audito pour couvrir ses coûts totaux ; qu'au surplus l'examen des comptes de résultats de L'Audito permet de constater, pour l'exercice comptable courant du 1er avril 1996 au 30 mars 1997, que son résultat d'exploitation a été de 672 000 francs, en progression de 80 % par rapport à l'exercice précédent, que le résultat courant s'est élevé à 496 000 francs, en hausse de 116 %, et que le résultat net a été multiplié par 4,4 en se situant à 485 000 francs ;

Considérant que le responsable de L'Audito a reconnu en séance qu'une opération promotionnelle d'une durée d'un mois portant sur un nombre limité de disques telle que l'opération "Culturissimo" n'a pu avoir un effet d'éviction du marché à son encontre, d'autant que lui-même a proposé des produits en promotion à la même époque, mais que la répétition de telles opérations pourrait avoir un tel effet à long ou moyen terme; qu'en effet, pour un distributeur qui serait confronté à plusieurs reprises et à intervalles suffisamment rapprochés à des ventes à prix bas de la part d'un concurrent, alors que lui-même ne serait pas en mesure de pratiquer de tels prix aussi régulièrement sans remettre en cause l'équilibre de son entreprise, et dès lors qu'il serait établi que les prix en question constituaient des prix abusivement bas, une telle situation pourrait aboutir à son éviction du marché; que, cependant, en l'espèce, l'instruction n'a pas établi que, depuis son ouverture en avril 1995, l'Espace culturel E. Leclerc, dans la zone de chalandise du Havre, a pratiqué à plusieurs reprises des prix susceptibles d'être considérés comme abusivement bas sur des disques qui auraient représenté une part prépondérante du marché et qui auraient suscité la baisse d'activité de L'Audito constatée depuis 1994;

Considérant au surplus que, si l'Espace culturel E. Leclerc peut bénéficier des avantages liés à son appartenance au groupe E. Leclerc, il est cependant géré par la SARL Olmdis, de façon indépendante par rapport à l'hypermarché voisin, avec sa comptabilité propre ; que si les tâches de direction générale et de comptabilité sont assurées par du personnel de l'hypermarché, ces prestations sont comptabilisées dans le compte de résultat de la société Olmdis, dans le poste charges externes ; que l'activité de ces deux distributeurs est similaire et que leur personnel est équivalent ; qu'en 1996, les chiffres d'affaires TTC ont été, respectivement pour la société Olmdis et L'Audito, de 18 979 000 francs et de 22 000 000 francs pour l'ensemble du magasin, de 9 253 000 francs et de 19 671 000 francs pour les disques, soit pour la société Olmdis 49 % de son activité, contre 90 % pour L'Audito ; que sur la zone de chalandise considérée L'Audito réalise les plus fortes ventes de disques avec 34,5 % des ventes en 1996 contre 15,5 % pour la société Olmdis ; qu'en ce qui concerne les conditions qu'ils sont en mesure d'obtenir de leurs fournisseurs, l'examen des prix d'achat des disques, objets de la promotion, permet de constater que sur quarante titres dans vingt et un cas L'Audito a bénéficié d'un prix d'achat inférieur à celui de la société Olmdis, dans sept cas le prix d'achat a été le même pour les deux magasins, dans douze cas seulement la société Olmdis a obtenu un prix d'achat inférieur à celui de L'Audito, avec un écart supérieur à 10 francs dans trois cas seulement ; qu'ainsi les conditions d'achat que la société Olmdis obtient par l'intermédiaire de la centrale d'achats Galec n'apparaissent pas comme constituant un facteur de déséquilibre au détriment de L'Audito ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il n'est pas établi que les prix pratiqués sur les disques de l'opération "Culturissimo" réalisé par l'Espace culturel E. Leclerc de Gonfreville-l'Orcher ont eu pour objet ou aient pu avoir pour effet d'évincer du marché le magasin L'Audito du Havre ; qu'en conséquence cette opération n'est pas visée par les dispositions de l'article 10-1 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986,

Décide :

Article unique. - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.