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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 14 mai 1992, n° 8734-90

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hélène Parfums (SARL)

Défendeur :

Chanel (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Belleau

Conseillers :

M. Frank, M. Assie

Avoués :

SCP Merle Carena Doron, Me Robert

Avocats :

Mes Bollet, Severe.

T. com. Nanterre, du 5 juin 1990

5 juin 1990

LA COUR

Statuant sur l'appel interjeté par la SARL Hélène Parfums à l'encontre du jugement contradictoirement rendu le 5 juin 1990 par le Tribunal de commerce de Nanterre :

Considérant qu'à la suite de la découverte, en septembre 1986, chez Edmond Hermann, commerçant à Sarreguemines exploitant sous l'enseigne Maed Distribution, de 45 articles de parfumerie Chanel facturés à Maed Distribution par la SARL Hélène Parfums et qui étaient sur le point d'être exportés vers l'Autriche, la société Chanel par lettre du 8 novembre 1988 a résilié son contrat de distribution avec cette société et l'a assigné devant le Tribunal de commerce ;

Considérant qu'aux termes de la décision qui s'en est suivie présentement soumise à l'appréciation de la Cour, le Tribunal de commerce a notamment :

- Donné acte à la société Chanel de ce qu'elle a résilié le contrat de distribution convenu avec la société Hélène Parfums et ce à compter du 8 novembre 1988,

- Ordonné la restitution par la société Hélène Parfums :

1°) du stock de produits Chanel en sa possession contre remboursement du prix de la livraison,

2°) du matériel de promotion appartenant à Chanel, et ce sous astreinte de 1.000 F par jour de retard, passé au delà de 15 jours à compter de la signification du jugement,

- Interdit sous la même astreinte et dans le même délai à la société Hélène Parfums de vendre des produits Chanel,

- Condamné la société Hélène Parfums à verser 30.000 F de dommages et intérêts à la société Chanel,

- Condamné la société Hélène Parfums aux dépens outre 10.000 F en vertu de l'article 700 du NCPC ;

Considérant que la société Hélène Parfums, appelante, poursuit l'annulation de la clause du contrat de distribution Chanel aux termes de laquelle le distributeur s'engage à ne commercialiser les produits Chanel qu'au détail, à des " consommateurs directs " qu'elle soutient qu'une telle clause porte atteinte au libre jeu de la concurrence, qu'elle souhaite voir annuler la résiliation selon elle abusive du contrat de distribution ; qu'elle demande que la société CHANEL soit condamnée à honorer le contrat sous astreinte de 1.000 F par jour de retard ; qu'elle réclame l'allocation de 300.000 F à titre de dommages et intérêts, outre 100.000 F en vertu de l'article 700 du NCPC ;

Considérant que la société Chanel, intimée, conclut à la validité de la clause litigieuse du contrat de distribution et à la régularité de la résiliation ; que par voie d'appel incident ou de demande incidente elle demande que soient portés à 100.000 F en dommages et intérêts qui lui ont été alloués ; qu'elle souhaite que les astreintes prononcées soient définitives ; qu'elle réclame enfin l'allocation complémentaire de 20.000 F en application de l'article 700 du NCPC, au titre des frais non taxables par elle exposés en cause d'appel ;

Considérant qu'aux termes de l'article 4 du contrat de distributeur agréé souscrit le 29 avril 1988 par la société Hélène Parfums et par la société Chanel, il est stipulé que le distributeur agréé s'engage à ne vendre les produits de marque Chanel que " sur le marché français, au détail, à des consommateurs directs ";

Que c'est sur le fondement de la violation de cette disposition contractuelle que la société Chanel, par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 novembre 1988, a notifié à la société Hélène Parfums, la cessation immédiate de toutes relations commerciales ;

Considérant qu'en effet un lot d'une cinquantaine de produits Chanel ont été placés sous séquestre le 14 septembre 1988 par procès-verbal de Jacobs Huissier de justice à Forbach, ainsi que la facture correspondante établie par Hélène Parfums à l'ordre de Maed Distribution à Farschviller ;

Considérant que la matérialité de cette vente n'est pas contestée ;

Considérant que pour conclure à l'annulation de la résiliation du contrat de distribution la société Hélène Parfums soutient que l'article 4 de ce contrat doit être annulé en application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 85 paragraphe 1 du traité de Rome ;

Mais considérant qu'il peut être dérogé à ces textes en vertu de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et de l'article 85 paragraphe 3 du traité de Rome, lorsque les limitations à la liberté de la concurrence ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause;

Considérant que tel est bien le cas en l'espèce, s'agissant de produits de luxe pour lesquels le fournisseur est en droit d'exiger que leur commercialisation réponde à des directives correspondant à la qualité même du produit;

Considérant que la société Hélène Parfums soutient encore que sa bonne foi a été surprise ; qu'elle observe que le contrat qu'elle a souscrit lui réserve la possibilité d'accorder des conditions spéciales à des collectivités ou à des comités d'entreprise ;

Mais considérant que la vente consentie à Maed Distribution, qui est une société de commerce, ne répond à l'évidence en aucune façon à la dérogation ainsi évoquée ; qu'il n'est ni établi ni même allégué que la société Maed Distribution se soit présentée comme représentant une collectivité ou un comité d'entreprise ;

Considérant que l'appelante allègue encore que la société Chanel ne l'a pas suffisamment mis en garde contre les agissements des personnes qui cherchent à commercialiser à la sauvette les produits Chanel, en vue de les exporter ;

Mais considérant que la société Hélène Parfums savait qu'elle ne pouvait vendre les produits Chanel qu'au détail ; que cette seule circonstance était suffisante pour la mettre en garde ;

Considérant qu'il s'en suit que le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que les dommages et intérêts alloués à la société Chanel ont été fixés à un juste niveau que la Cour maintiendra ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu à astreinte définitive ;

Considérant qu'il convient en équité d'allouer à la société Chanel une somme complémentaire de 5.000 F au titre des frais non taxables par elle exposés en cause d'appel ;

Considérant que la société Hélène Parfums qui succombe en la cause et sera condamnée en tous les dépens ne peut invoquer le bénéfice des dispositions de l'article 700 du NCPC ;

Par ces motifs, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Rejette le surplus des demandes, Condamne la société Hélène Parfums à payer à la société Chanel la somme complémentaire de 5.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La condamne encore aux dépens d'appel ; Admet Me Robert au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.