Conseil Conc., 11 octobre 1988, n° 88-D-37
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Groupement des cartes bancaires "CB"
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré en formation plénière sur le rapport de M.A. De Malafosse dans sa séance du 11 octobre 1988, où siégeaient: M. Laurent, président, MM. Beteille, Pineau, vice-présidents, MM. Azema, Bon, Cabut, Cortesse, Flécheux, Fries, Gaillard, Mme Lorenceau, MM. Martin-Laprade, Sargos, Schmidt, Urbain, membres.
LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la lettre du 15 septembre 1986 par laquelle le Conseil national du commerce a saisi la Commission de la concurrence, d'une part, de plusieurs clauses figurant dans le protocole d'accord passé entre les membres fondateurs du Groupement des cartes bancaires "CB ", dans le contrat constitutif et le règlement intérieur de ce groupement ainsi que dans le contrat type d'adhésion des commerçants au système national de paiement par carte, d'autre part, d'une concertation qui existerait entre les membres du Groupement des cartes bancaires en vue d'imposer au commerce un seuil minimum de tarification ; Vu la lettre du 14 octobre 1986 du président de la Commission de la concurrence informant le Conseil national du commerce de la décision de la commission de ne pas mettre en œuvre la procédure d'instruction en ce qui concerne la partie de la saisine relative à une concertation sur un seuil minimum de tarification du commerce ; Vu les ordonnances n° 45-1483 et n° 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées relatives respectivement aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié ; Vu les observations présentées par les parties ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties entendus ; Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après exposées :
I. Constatations
A. Définition et caractéristiques du marché
Les cartes bancaires ne sont pas les seules cartes susceptibles de servir au paiement des achats : les cartes dites accréditives, dont les plus connues sont les cartes American Express et Diners Club, les cartes dites privatives, émises par des distributeurs, généralement en collaboration avec des établissements spécialisés dans le crédit à la consommation, permettent aussi aux consommateurs de procéder au règlement de leurs achats.
Mais ces différentes catégories de cartes n'apparaissent pas étroitement substituables entre elles, même si elles ont en commun une fonction de paiement, car chacune d'elles répond à des besoins spécifiques des consommateurs. Les cartes accréditives sont destinées à satisfaire les exigences d'une clientèle à fort pouvoir d'achat et se déplaçant fréquemment à l'étranger. Les cartes privatives ont pour objet de rendre plus fidèle la clientèle des magasins qui les diffusent ; les consommateurs voient principalement dans ces cartes le moyen de bénéficier d'un règlement à crédit de leurs achats et de profiter de promotions ou réductions réservées aux titulaires de ces cartes. Les cartes bancaires sont appréciées des consommateurs en raison des facilités qu'elles leur offrent pour obtenir des billets de banque et de leur large acceptation comme moyen de paiement dans les commerces. Les cartes proposées en France par les établissements qui font partie du Groupement des cartes bancaires permettent, en effet, aux consommateurs de retirer des billets dans 10 000 distributeurs automatiques implantés sur le territoire et de régler leurs achats dans 400 000 commerces affiliés. Aucune des autres cartes existantes n'offre un service de retrait automatique de billets comparable, aucune ne présente un tel degré d'acceptabilité comme moyen de paiement dans le commerce. Les cartes bancaires n'apparaissent donc pas, en l'état actuel des choses, remplaçables par d'autres cartes dans leurs fonctions de retrait de billets et de paiement des achats, même s'il arrive, ponctuellement, que des consommateurs détenant plusieurs sortes de cartes puissent utiliser indifféremment l'une ou l'autre d'entre elles.
La substituabilité existant entre le chèque et la carte bancaire apparaît en revanche plus étroite à condition toutefois de ne prendre en compte, parmi les fonctions de la carte, que la seule fonction de paiement à l'intérieur du territoire national. Il est certain que le développement de l'utilisation de la carte comme moyen de paiement national se fait essentiellement par substitution au paiement par chèque, beaucoup de consommateurs recourant alternativement à l'un ou l'autre de ces moyens de paiement. Mais réduire la carte bancaire à sa fonction de paiement national est certainement méconnaître ce qui explique l'attrait qu'exerce cette carte auprès des consommateurs et qui tient au fait que sa détention ouvre l'accès à d'autres services que celui du paiement en France, à savoir : celui du retrait automatique de billets en France auquel les consommateurs sont très attachés, comme l'attestent les sondages et le fait que près de 40 p. 100 des opérations effectuées au moyen de cartes bancaires sont des opérations de retrait de billets ; celui du paiement et du retrait de billets à l'étranger qui a conduit 46 p. 100 des porteurs de cartes bancaires à choisir une carte internationale. Si l'on considère l'ensemble des fonctions que cumulent les cartes bancaires, celles-ci apparaissent bien, en définitive, comme n'ayant pas actuellement de substituts étroits ; on peut donc définir le marché pertinent comme le marché des cartes bancaires.
L'offre des cartes bancaires est, aujourd'hui, en France, le fait des établissements ou institutions réunis dans un groupement d'intérêt économique constitué en novembre 1984, à la suite et en application d'un " protocole d'accord entre les banques Carte bleue, le Crédit agricole et le Crédit mutuel " datant du 31 juillet 1984. La constitution de ce groupement réunissant la totalité des émetteurs français de cartes bancaires a représenté l'aboutissement d'une tendance des établissements bancaires à regrouper leurs efforts pour la gestion de ce nouveau moyen de paiement. Cette tendance au regroupement s'est manifestée dès 1967 lorsque cinq grandes banques, le Crédit lyonnais, la Société générale, la Banque nationale de Paris, le Crédit industriel et commercial et le Crédit commercial de France, se sont rassemblées pour le lancement de la " carte bleue ". Destinée au départ à concurrencer les cartes " American Express " et " Diners Club ", cette carte, initialement réservée à une clientèle sélectionnée, se distinguait des autres cartes - y compris les cartes bancaires américaines - par le fait que le débit des paiements effectués par le titulaire était réalisé sur son compte sans que l'émission d'un moyen de paiement - chèque ou avis de prélèvement du montant de la facture envoyée périodiquement au porteur par l'émetteur de la carte - fût nécessaire. L'apparition de la technique des pistes magnétiques incorporées au dos des cartes devait ensuite permettre d'associer à la " carte bleue " une fonction de retrait de billets dans les automates bancaires ; la diffusion de cette carte s'en trouva élargie. En 1971, fut créé le Groupement d'intérêt économique "carte bleue" auquel devaient se rallier d'autres banques que les banques fondatrices et qui devint, en 1976, membre de " Visa international ", ce qui ouvrit aux porteurs de la " carte bleue" la possibilité de régler leurs achats à l'étranger. L'adhésion, en 1983, des banques populaires, des caisses d'épargne et de prévoyance et des chèques postaux au groupement " carte bleue " devait marquer une étape décisive dans cette évolution vers un rassemblement des émetteurs de cartes gestionnaires de dépôts à vue. A la veille de l'accord national de 1984 ne subsistaient plus que trois réseaux émetteurs de cartes bancaires le réseau du Crédit agricole, émetteur de la " carte verte " (7,5 millions de cartes) dont les caractéristiques s'étaient peu à peu rapprochées de celles de la " carte bleue ", celui du Crédit mutuel (1,3 million de cartes), celui de la " carte bleue " (5 millions de cartes) regroupant tous les émetteurs n'appartenant pas aux deux précédents réseaux.
En signant le protocole d'accord du 31 juillet 1984, ces trois réseaux s'engageaient à constituer en commun un groupement d'intérêt économique et à réaliser entre eux une " interbancarité " totale tant en ce qui concerne la fonction de retrait de billets qu'en ce qui concerne la fonction de paiement dans le commerce, permettant à tout porteur d'une carte entrant dans la gamme des cartes du groupement d'accéder, quel que soit l'établissement émetteur, à tous les appareils de retrait automatique de billets mis en place par les membres du groupement et de régler ses achats dans tous les commerces jusqu'alors affiliés à l'un des réseaux signataires du protocole. La mise en compatibilité des automates bancaires et du matériel de traitement en place chez les commerçants permettant la réalisation de cet objectif fut achevé le 1er juillet 1985 pour la fonction de retrait, et le 1er novembre 1985 pour la fonction de paiement.
La gamme des cartes bancaires actuellement proposées sur le marché par les membres du Groupement des cartes bancaires "CE" comprend quatre niveaux, chaque niveau contenant obligatoirement toutes les applications des niveaux qui lui sont inférieurs. Le niveau I correspond aux " cartes de retrait interbancaire" qui ne permettent pas le règlement des achats, le niveau 2 aux " cartes bancaires nationales" qui associent à la fonction de retrait d'espèces celle du paiement chez les 400 000 commerçants affiliés, le niveau 3 aux "cartes bancaires internationales" qui sont affiliées soit au réseau " Visa" soit au réseau " Eurocard/Mastercard ", le niveau 4 aux " cartes bancaires internationales de prestige" qui offrent, en sus des autres cartes, une ligne de crédit personnalisée à taux préférentiel et des services spécifiques - en matière d'assurance voyage et d'assistance plus étendus que ceux liés à la carte bancaire internationale.
Le nombre total des cartes émises sur le marché et appartenant à cette gamme - ce qui exclut les cartes qui ne permettent que d'effectuer des opérations à l'intérieur de l'établissement émetteur s'élevait à 16 300 000 à la fin de l'année 1987, contre 15 030 000 à la fin de l'année 1986 et 11 700 000 à la fin de l'année 1985, soit une augmentation, en deux ans, de plus de 39 p. 100. Cette augmentation du nombre de cartes s'accompagne d'un accroissement de l'intensité d'utilisation de celles-ci. Le nombre total de transactions par cartes bancaires est passé de 380 millions en 1985 à 868 millions en 1987, soit une augmentation de 128 p. 100 en deux ans. L'accroissement du nombre d'opérations de paiement est supérieur à celui des opérations de retrait sur la même période. Néanmoins, les cartes bancaires sont utilisées dans 38 p. 100 des cas pour effectuer des retraits d'espèces.
La carte bancaire est ainsi devenue un moyen de paiement largement répandu dans le public et couramment utilisé. Sa part dans l'ensemble des paiements donnant lieu à des échanges interbancaires est en constante augmentation de 2,1 p. 100 en 1982, elle était de 4,7 p. 100 en 1985 et de 6,5 p. 100 en 1986. Cette part demeure néanmoins modeste. Le chèque reste - si l'on excepte la monnaie fiduciaire dont la part dans le total des paiements, difficilement évaluable, est évidemment considérable - le moyen de paiement le plus utilisé en France: sa part dans les échanges interbancaires était de 71,5 p. 100 en 1986. Elle est néanmoins en voie de diminution en raison du développement de la carte bancaire.
Ce développement n'aurait pu se manifester si cette carte ne répondait pas, avant tout, à un besoin croissant des consommateurs. Ce développement suppose aussi, assurément, la participation des commerçants. Si l'usage de la carte comme moyen de paiement tend à se banaliser, - c'est parce que la plupart des commerces - exception faite de ceux pour lesquels le faible montant unitaire des transactions entraîne généralement des paiements en espèces acceptent aujourd'hui les cartes bancaires en paiement et que l'unification, en 1984, des réseaux émetteurs a ouvert l'accès des porteurs de ces cartes à tous les commerces précédemment affiliés à l'un des trois réseaux existant alors. Les raisons qui poussent les commerçants à s'affilier résident essentiellement dans le fait que les paiements par carte leur sont garantis, dans les simplifications de gestion et de traitement entraînées par ce mode de paiement - principalement lorsque les opérations peuvent être traitées par l'électronique -, dans le souci de répondre à l'attente de la clientèle qui, de plus en plus, veut avoir le choix du mode de paiement. L'adhésion d'un commerçant implique qu'il soit équipé d'un matériel approprié pour le traitement des transactions : ce matériel, souvent donné en location par l'établissement de crédit, peut consister en une simple imprimante manuelle, mais tend de plus en plus à être électronique. Les terminaux de paiement électronique (TPE), installés chez les commerçants, étaient en 1986 au nombre de 65 000 contre 25 700 en 1985. Ces terminaux peuvent, dans certains cas, être assortis de dispositifs qui permettent de vérifier la validité du code confidentiel tapé par le porteur de la carte et qui sont parfois appelés " circuits hybrides " ou décodeurs.
B. Les principes généraux d'organisation et de fonctionnement du Groupement des cartes bancaires et du système national de paiement par carte
Les principes qui régissent l'organisation et le fonctionnement du Groupement des cartes bancaires et le système de paiement par carte mis en place dans le cadre de ce groupement sont définis dans trois textes de base qui sont " le protocole d'accord entre les banques Carte bleue, le Crédit agricole et le Crédit mutuel " du 31 juillet 1984, le contrat constitutif du Groupement des cartes bancaires "CB " et le règlement intérieur de ce dernier.
Le protocole d'accord (pièce 1/6) comprend six chapitres. Le premier est intitulé " gamme de cartes et étendue des services ". Il définit la gamme des cartes du groupement, en précisant que chaque membre du groupement est libre d'émettre ou non telle ou telle carte de cette gamme et que celle-ci ne comprend pas les cartes propres à chaque membre, qui ne donnent accès qu'à des services internes à l'établissement ; il précise les règles de normalisation technique et de signalétique des cartes du groupement ; il indique que les contrats passés avec les porteurs de cartes comportent " les clauses générales nécessaires au bon fonctionnement du système national de paiement ". Le second chapitre, qui a pour thème les "relations avec le commerce ", énonce notamment les clauses communes obligatoires qui doivent figurer dans les contrats d'adhésion des commerçants et les principes généraux concernant la tarification de ceux-ci. Ce chapitre renvoie à une annexe au protocole (annexe III) qui précise les conditions exactes de tarification. Le troisième chapitre concerne " l'interbancarité technique " entre les membres du groupement ; il en fixe les objectifs généraux c'est-à-dire la recherche de la neutralité des moyens techniques permettant d'assurer aux commerçants le libre choix de leurs relations bancaires, le souci d'économies de fonctionnement, et le renforcement de la sécurité contre les fraudes, et se réfère à deux annexes qui en définissent les modalités d'application. Le quatrième chapitre est relatif aux relations entre les membres et le groupement à constituer dans les meilleurs délais et au plus tard le 31 décembre 1984. Le cinquième chapitre, consacré aux relations internationales, prévoit que tous les membres du groupement ont la possibilité d'émettre les cartes des différents systèmes internationaux existants (Visa, Eurocard/Mastercard, Eurochèque) : les détenteurs des licences de ces réseaux internationaux concèdent à tout membre du groupement qui le désire la possibilité d'émettre les cartes de ces réseaux. Enfin, le sixième chapitre traite de la période transitoire ; il précise notamment, s'agissant des conditions générales de l'interbancarité, que ne sont admises dans le système que les nouvelles cartes, normalisées et rendues payantes pour leurs porteurs.
Le contrat constitutif du groupement d'intérêt économique (pièce 73), signé le 30 novembre 1984, précise que ce dernier " a pour objet d'assurer l'étude, la normalisation et la promotion du système de paiement par cartes, telles qu'elles sont définies à l'article 1er du règlement intérieur ou agréées par le groupement, ainsi que la mise en œuvre et la gestion de tous les services communs... Toute carte émise par un membre ayant une fonction de paiement comptant, de garantie de chèques, de retrait d'espèces hors du réseau émetteur entre dans l'objet du groupement ". Ce contrat constitutif fixe les règles d'adhésion, de démission, d'exclusion ainsi que les droits et obligations des membres. En ce qui concerne l'organisation interne du groupement, un conseil de direction, composé de onze membres représentant les signataires du protocole d'accord du 31 juillet 1984, est chargé " dans le cadre de la mission qui lui est impartie par les adhérents commettants, de déterminer la politique générale suivie par le groupement et de donner, en conséquence, des directives à l'administrateur et au comité exécutif ". Composé de la même manière que le conseil de direction, le comité exécutif est chargé " d'assister l'administrateur dans l'exercice de ses fonctions et d'assurer, en liaison avec ce dernier, l'application des décisions prises par le conseil de direction ". Quant à l'administrateur, il jouit " des pouvoirs les plus étendus pour l'administration du groupement au profit de ses membres " ; dans les rapports avec les tiers, il représente seul le groupement, agit en son nom et effectue les opérations destinées à la réalisation de son objet.
Le règlement intérieur du groupement (pièce 74) traite des relations entre les membres du groupement et des relations entre ceux-ci et, d'une part, les porteurs de cartes, d'autre part, les commerçants. Il est prévu, en particulier, que tant lés porteurs que les commerçants doivent signer des contrats avec lés établissements membres du groupement de leur choix et que ces contrats contiennent des clauses obligatoires fixées par le comité exécutif.
Les droits et obligations des différentes parties prenantes dans le système de paiement par cartes bancaires - établissements de crédit, porteurs de cartes, commerçants affiliés - sont définis par ces contrats. Les interventions du législateur ont été très réduites dans ce domaine. L'article 90 de la loi du 30 décembre 1983 portant loi de finances pour 1984 se borne à mentionner la carte de paiement ou de crédit parmi les moyens de paiement autorisés pour régler les achats d'un montant supérieur à 10 000 F. L'article 22 de la loi du 11 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre économique ou financier a posé le principe de l'irrévocabilité de l'ordre de paiement donné au moyen d'une carte de paiement, sauf opposition qui ne peut être faite qu'en cas de perte ou de vol de la carte, de redressement ou de liquidation judiciaires du bénéficiaire. Mais, à ces exceptions près, le droit relatif aux cartes bancaires est un droit d'origine purement contractuelle.
C. Les faits à quaIifier
1° La fixation par le groupement des cartes bancaires des cotisations acquittées par les porteurs
Dans le protocole d'accord du 31 juillet 1984 déjà mentionné (pièce 1/6), les membres fondateurs du Groupement des cartes bancaires fixaient un " prix minimum " pour chaque catégorie de cartes, " en valeur 1984 ", soit 30 F pour la carte de retrait interbancaire, 60 F pour la carte de paiement nationale à option " débit comptant ", 80 F pour la carte de paiement nationale à " option différée " et 140 F pour les cartes Visa ou Eurocard. Ces tarifs ont été revalorisés, après concertation avec la direction du Trésor, le 1er novembre 1985, date à laquelle les cotisations des cartes susmentionnées ont été portées respectivement à 35, 75, 95 et 135 F (pièces 20 et 57). Ces prix, respectés par tous les membres du groupement, étaient encore en vigueur en septembre 1988. Pour les cartes internationales de prestige (niveau 4 de la gamme des cartes bancaires), les prix minima ont été fixés par décision du conseil de direction du 7 mars 1986 à 450 F pour les cartes personnelles et à 500 F pour les cartes professionnelles (pièce 37). A plusieurs reprises, les instances du groupement ont rappelé l'interdiction d'émettre des cartes gratuites (pièces 55 et 60) et l'obligation de respecter les tarifs commune (pièce 60).
2° La fixation concertée de la tarification applicable entre les membres du Groupement des cartes bancaires
Le traitement d'une opération de paiement par carte bancaire entraîne le plus souvent l'intervention de deux membres du groupement : d'une part, l'établissement, émetteur de la carte utilisée pour le paiement, appelé aussi " banque du porteur ", d'autre part, l'établissement auquel le commerçant remet la facture carte bancaire pour encaissement, qui est qualifié de " banque du commerçant ". Dans ce cas, une commission dite " commission d'interchange " est versée par la " banque du commerçant " à la " banque du porteur ". Elle est destinée principalement à rémunérer le coût du risque que supporte la " banque du porteur " : en effet, le coût de la garantie de paiement dont bénéficie le commerçant est en définitive supporté par la banque émettrice de la carte lorsque celle-ci ne peut, pour cause de fraude ou d'utilisation abusive de la carte, imputer le montant du paiement au débit du compte de son client.
L'article 10 du règlement intérieur du groupement prévoit que la commission d'interchange est fixée par le comité exécutif. Initialement, cette commission faisait expressément partie de la commission acquittée par le commerçant auprès de sa banque, laquelle était elle-même définie par une " grille de tarification " fixant les pourcentages à appliquer par les membres du groupement à leur clientèle de commerçants. Cette tarification uniforme devait être abandonnée le 25 octobre 1985, date à laquelle le conseil de direction du groupement adoptait une " directive relative à la garantie, au délai de règlement et aux commissions d'interchange " (pièce 34). Après un rappel de ce que "le paiement par carte est toujours garanti ", cette directive pose un principe nouveau, celui de la libre détermination, par chaque membre du groupement, de la commission à verser par les commerçants. Mais la commission d'interchange reste fixée par le groupement. La directive précise qu'elle est " indépendante de la tarification appliquée au commerçant " et qu'elle " rémunère le risque attaché à la garantie et les charges de traitement de la banque du porteur ". Son taux est fixé à 0,8 p. 100 du montant de la transaction, d'après les résultats d'une étude menée au sein du groupement (pièce 79) concernant notamment les coûts supportés par la " banque du porteur ", qui comprennent les pertes finales nettes pour utilisation frauduleuse ou pour utilisation abusive des cartes, une quote-part du coût des procédures de sécurité développées en commun par les établissements (oppositions, établissement de listes noires, contentieux et services centraux, système d'autorisation) et les frais d'imputation de l'opération de paiement au débit du compte du porteur. -Toutefois, le taux de 0,8 p. 100 n'est pas appliqué dans tous les cas. Un taux d'interchange de 0,4 p. 100 s'applique en effet lorsque le paiement a été effectué chez certains distributeurs ou prestataires dont la liste a été arrêtée le 31 janvier 1986 (pièce 75). Cette liste comprend tous les hypermarchés, des grands magasins (Galeries Lafayette, Nouvelles Galeries, Trois Quartiers, le Printemps, BHV, Samaritaine, Au Bon Marché), des grandes surfaces spécialisées (FNAC, Darty, Sparty), des sociétés de vente par correspondance (les Trois Suisses, la Redoute, Quelle, etc.), des sociétés pétrolières, des entreprises ou établissements publics du domaine des transports (SNCF, RATP, Air Inter, Air France, Aéroports de Paris, Marseille, Toulouse et Bordeaux).
En pratique, les taux de commission appliqués par les membres du groupement aux commerçants ne sont que très rarement inférieurs aux taux de la commission d'interchange. Pour les enseignes de la grande distribution figurant dans la liste susmentionnée, les taux de commission demandés par les banques s'établissent à un niveau légèrement supérieur à celui de 0,4 p. 100 pratiqué dans les relations interbancaires (pièces 12, 13, 15, 17). Des établissements de crédit font d'ailleurs expressément valoir aux commerçants qu'ils ne peuvent, sous peine de gestion déficitaire, leur consentir des taux de commission inférieurs à ceux, de l'interchange (pièce 7/2).
Cette situation a conduit les centres distributeurs Leclerc à concevoir un procédé qui permet d'éviter les relations entre la banque du porteur et la banque du commerçant, et le versement consécutif de la commission d'interchange. Ce procédé consiste pour le commerçant à trier ses factures bancaires selon l'établissement émetteur de la carte et à remettre à chaque banque de la place, pour encaissement, les seules factures engendrées par ses propres porteurs, les transferts de fonds se réalisant alors à l'intérieur de, la même banque. Selon le Conseil national du commerce (pièce D), les taux de remises négociés entre les centres Leclerc et des établissements bancaires, au niveau régional, s'échelonnaient de 0,01 à 0,07 p. 100, taux prévisible de fraude et d'impayés. Dés responsables nationaux du Crédit lyonnais, du Crédit agricole et de la Banque nationale de Paris ont diffusé des instructions aux agences ou caisses régionales afin qu'il ne soit- pas donné suite aux propositions des centres Leclerc (pièces D, annexes I à V).
Le Conseil national du commerce fait valoir que le refus des banques de négocier sur la mise en place d'un tel système s'accompagne d'autres pratiques visant à restreindre les possibilités de négociation bilatérale entre le commerçant et son banquier: en premier lieu, la garantie de base, c'est-à-dire le montant de la transaction au-delà duquel le commerçant doit obtenir l'accord du centre d'autorisation bancaire avant d'accepter le paiement, est fixée par le Groupement es cartes bancaires à un niveau qui s'impose à tous les membres du groupement sans que ceux-ci puissent le négocier avec chaque commerçant ; en second lieu, est invoqué le fait que ce groupement refuse de livrer aux centres Leclerc les "circuits hybrides" demandés par ceux-ci et qui permettraient pourtant de diminuer considérablement le taux de fraude grâce au contrôle du code confidentiel des porteurs.
3° Les clauses obligatoirement contenues dans les contrats d'adhésion des commerçants
Le Groupement des cartes bancaires a mis au point un modèle de contrat d'adhésion des commerçants au système national de paiement par carte qui comporte des clauses obligatoires. Ce contrat type comprend des conditions générales et des conditions particulières de fonctionnement (pièce 1/7).
L'article 4-3 des conditions générales prévoit que le commerçant doit accepter les cartes bancaires " CB " " pour le paiement du prix de tout achat ou service offert à sa clientèle ", c'est-à-dire quel que soit, notamment, le montant de l'achat. L'article 4-4 des mêmes conditions générales énonce que le commerçant s'engage à " appliquer aux titulaires de cartes les mêmes prix et tarifs qu'à l'ensemble de sa clientèle, même lorsqu'il s'agit d'articles vendus à titre de promotion ou de soldes ". Aux termes de l'article 8, " les banques ou organismes financiers peuvent modifier à tout moment les présentes conditions générales d'adhésion ainsi que les conditions particulières de fonctionnement convenues avec le commerçant. A défaut d'accord sur la (ou les) modification(s), le commerçant a la possibilité de résilier le contrat dans les conditions prévues à l'article suivant. Sauf exercice de la faculté de résiliation par le commerçant, les nouvelles conditions entrent en vigueur au terme d'un délai d'un mois à compter de l'envoi d'une lettre d'information s'il s'agit de modifications non spécifiques au commerçant cocontractant, au terme d'un délai de cinq jours à compter de l'envoi de la lettre s'il s'agit de modifications spécifiques au commerçant concerné ". Selon l'article 9 des conditions générales, les parties au contrat ont la faculté de mettre fin à tout moment à ce dernier, sans justification ni préavis.
4° Le contrôle par le groupement des accords entre ses membres et d'autres émetteurs de cartes
Selon le protocole d'accord du 31 juillet 1984 (pièce 1/6) "aucun membre ne peut passer d'accord, sans autorisation du groupement, avec des systèmes émetteurs de cartes français ou étrangers, extérieurs au groupement, et donnant accès aux fonctions ou services régis par le groupement ". L'article 9 du contrat constitutif (pièce 73) stipule : " Tout accord concernant des cartes entrant dans l'objet du groupement, passé par un membre avec un réseau concurrent, doit être ouvert à tous les membres qui le souhaiteraient et les conditions de l'accord soumises à l'agrément préalable du conseil de direction ". En application de ces stipulations, les instances dirigeantes du groupement se sont opposées à plusieurs reprises, les 18 et 27 septembre 1984, 11 octobre et 13 novembre 1984 ainsi que le 7 mars 1986 (pièces 45, 46, 47, 27, 37), à ce que le Crédit lyonnais signe avec American Express un accord prévoyant que les porteurs des cartes émises par cette société auraient accès au réseau de distributeurs automatiques de billets du Crédit lyonnais. Le groupement s'est également opposé en 1984 et 1985 à la signature d'accords entre certains de ses membres et des associations de commerçants visant à assurer le traitement de cartes privatives émises par ces associations (pièces 28, 49, 50, 58).
5° Les conditions d'accès au Groupement des cartes bancaires
Les conditions d'adhésion au groupement sont fixées par l'article 7 du contrat constitutif en vertu duquel " seuls les établissements de crédit, institutions financières ou organismes les représentant, peuvent demander leur adhésion au groupement. Cette demande est présentée à l'administrateur et soumise à l'agrément du conseil de direction. La décision éventuelle de rejet est notifiée au postulant par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, sans qu'elle ait besoin d'être motivée ". Les décisions par lesquelles le conseil de direction statue sur les demandes d'adhésion sont, en vertu de l'article 12 du contrat constitutif, prises à la majorité des trois quarts des voix des membres - présents ou représentés. Du 31 décembre 1984 au 31 décembre 1986 le conseil de direction s'est prononcé sur 222 candidatures qui ont toutes été accueillies. Les candidats étaient dans tous les cas proposés par l'un des membres fondateurs du groupement. Une candidature spontanée, émanant du Crédit électrique et gazier (Creg), a fait l'objet d'une décision de sursis à statuer le 10 avril 1987 (pièces 43 et 44).
6° La prohibition concertée de l'émission de la carte Eurochèque pour un usage en France
Introduit en France en 1975 par les banques populaires et le Crédit mutuel, le service Eurochèque permettait aux détenteurs de la carte portant le même nom, outre le retrait d'espèces, de procéder à des paiements chez les commerçants affiliés en France et dans treize pays européens. La carte Eurochèque ne dispense pas, toutefois, d'établir un chèque. Mais le paiement de ce dernier est garanti au commerçant, jusqu'à un certain montant, par l'établissement émetteur. Ce service est très répandu dans certains pays d'Europe (RFA, Benelux).
Lorsque les banques populaires ont adhéré en 1983 au Groupement carte bleue, cette adhésion a été soumise à la condition qu'elles cessent d'émettre des cartes Eurochèque (pièce 22). De même, l'adhésion du réseau des banques populaires et du réseau mutualiste au Groupement des cartes bancaires a été subordonnée à leur renonciation à l'utilisation en France de la garantie gratuite du chèque.
A cet effet, le protocole d'accord du 31 juillet 1984 (pièce 1/6) stipule : " En ce qui concerne la fonction garantie de chèques liée aux cartes émises par les membres signataires du protocole, elle doit à terme disparaître. En conséquence, à compter du 1er juillet 1986, l'Eurochèque uniforme ne sera plus émis pour une garantie gratuite de paiement en France ; il ne pourra continuer d'être émis que pour des utilisations à l'étranger. "
Ainsi que l'a indiqué le Groupement des cartes bancaires lui-même, au cours de la séance du Conseil, une telle interdiction est susceptible d'être remise en cause lors de l'achèvement du marché européen.
Actuellement, seules certaines fédérations du Crédit mutuel continuent à proposer à leurs clients une carte Eurochèque utilisable à l'étranger seulement. Depuis le 31 décembre 1986, ces cartes ne permettent plus de procéder à des retraits d'espèces dans, les appareils automatiques des membres du Groupement des cartes bancaires.
Au sujet de ces six catégories de fait, le commissaire du Gouvernement auprès du Conseil de la concurrence a fait connaître, au cours de la séance, que le conseil de direction du Groupement des cartes bancaires s'est engagé à modifier un certain nombre de dispositions relatives à la carte bancaire dans le sens des observations présentées par l'administration.
Il. A la lumière des constatations qui précèdent, le Conseil de la concurrence
Sur les textes applicables :
Considérant, d'une part, que le protocole d'accord entre les banques Carte bleue, le Crédit agricole et le Crédit mutuel, le contrat constitutif, le règlement intérieur du Groupement des cartes bancaires, ainsi que le modèle de contrat d'adhésion des commerçants au système national de paiement par carte ont été adoptés alors qu'étaient en vigueur les dispositions de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 ; que, dès lors, ces documents contractuels doivent être examinés au regard des articles 50 et 51 de cette ordonnance ; qu'il en est de même en ce qui concerne les autres faits constatés lorsqu'ils sont survenus avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 qui a abrogé l'ordonnance du 30 juin 1945 ;
Considérant, d'autre part, que, ces stipulations étant demeurées applicables postérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les pratiques correspondantes constatées après cette date relèvent de l'application de cette ordonnance ;
Sur l'application des articles 50 et 51 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 :
Considérant qu'il résulte des éléments de fait ci-dessus énoncés que la carte bancaire présente, par rapport aux autres moyens de paiement, une spécificité résultant des services qu'elle est seule à offrir ; que dès lors, contrairement à ce que soutient le Groupement, il existe un marché propre des cartes bancaires ;
Considérant, d'une part, que la réunion des établissements de crédit au sein d'un groupement d'intérêt économique destiné à promouvoir la carte bancaire ne saurait être considérée en soi comme une pratique relevant des dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945; que cependant il incombe au Conseil de rechercher si certaines stipulations ou certaines pratiques de ce groupement peuvent avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence et être ainsi contraires aux dispositions de l'article 50 ;
Considérant, d'autre part, que le développement de la carte bancaire et des moyens électroniques associés à celle-ci est de nature à améliorer l'efficacité, la productivité et la sécurité du système de paiement français et à contribuer ainsi au progrès économique ; qu'il n'en demeure pas moins que le Conseil doit, par application du 2° de l'article 51 de l'ordonnance, examiner si les stipulations et pratiques dont il s'agit sont strictement indispensables à la réalisation du progrès économique ;
En ce qui concerne les cotisations acquittées par les porteurs de cartes :
Considérant que les stipulations du protocole d'accord du 31 juillet 1984 fixant le montant minimum de la cotisation à verser par les porteurs de cartes et les décisions prises en novembre 1985 par le Groupement des cartes bancaires pour la détermination d'un nouveau montant de cette cotisation constituent des actions concertées ayant pour effet de faire obstacle à la concurrence par les prix entre les membres de ce groupement et sont, dès lors, susceptibles de tomber sous le coup de l'article 50 de l'ordonnance ;
Considérant que l'entrave ainsi apportée à la liberté commerciale des membres du groupement dans leurs relations avec leur clientèle de porteurs ne peut être justifiée par le souci de développer l'usage de la carte bancaire dès lors qu'au contraire elle est susceptible de renchérir le coût que supportent les consommateurs pour disposer de cette carte;
Considérant également qu'une tarification minimum du prix de délivrance des cartes n'est pas imposée par les nécessités techniques du système interbancaire mis en place ; qu'en particulier, l'inégalité des charges supportées par chaque adhérent du groupement pour l'installation et l'entretien des appareils de retrait automatique de billets qu'il met à la disposition des clients des autres adhérents n'impose nullement la fixation d'un tarif minimum des cartes par le groupement, la péréquation de ces charges pouvant être réalisée au moyen de négociations appropriées entre les établissements adhérents eux-mêmes ;
Considérant enfin que la circonstance invoquée par le groupement que certains de ses membres pourraient être tentés, à défaut d'une tarification minimum commune, de vendre leurs services à perte n'est pas avantage de nature à justifier la pratique en cause dès lors qu'il n'est pas établi qu'une telle vente à perte, qui, au demeurant n'est pas prohibée par les dispositions en vigueur, se traduirait nécessairement par une diminution de la qualité des services offerts ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 51 (2°) de l'ordonnance ne sont pas applicables à la pratique susvisée ;
En ce qui concerne la commission d'interchange :
Considérant que la Commission de la concurrence a, le 9 octobre 1986, estimé que le Conseil national du commerce n'apportait pas d'éléments suffisamment probants à l'appui de son allégation selon laquelle les établissements membres du Groupement des cartes bancaires se concertaient ou s'étaient concertés " en vue de déterminer le montant minimum des commissions réclamées aux commerçants désirant adhérer au système national de paiement par carte " ; qu'elle n'a pas, en revanche, considéré comme irrecevable le reste de la saisine qui portait sur diverses clauses contenues dans le protocole d'accord signé le 31 juillet 1984 entre " les banques Carte bleue, le Crédit agricole et le Crédit mutuel" ainsi que dans le contrat constitutif et le règlement intérieur du groupement " CB " carte bancaire ; que le Conseil de la concurrence est donc fondé a examiner la question de savoir si ces clauses et les pratiques auxquelles elles ont donné lieu ont pu avoir pour effet de limiter la concurrence vis-à-vis des commerçants ;
Considérant que la détermination, par le groupement, de la commission d'interchange, supposée couvrir notamment le coût de la garantie de paiement supportée par les banques de porteurs limite la capacité de négociation des membres du groupement vis-à-vis de leur clientèle de commerçants ; qu'en effet, les banques de commerçants sont incitées à pratiquer vis-à-vis de leur clientèle des taux de commission établis en fonction des montants qu'elles devront verser aux banques de porteurs, montants déterminés par le groupement et applicables uniformément à toutes ces banques quelle que soit la situation particulière de chacune d'elles ; qu'en outre en définissant un taux de commission d'interchange préférentiel applicable par toutes les banques du réseau dans leurs relations avec certains commerçants, le groupement a introduit une différenciation qui ne repose sur aucun critère objectif ; que ces commissions d'interchange revêtent ainsi un caractère discriminatoire et sont également de nature à fausser le jeu de la concurrence entre les commerçants ; que ces conditions de détermination de commissions d'interchange sont donc visées par les dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ;
Considérant cependant que la définition par le groupement des conditions tarifaires applicables entre les établissements qui en sont membres est nécessaire au bon fonctionnement du système interbancaire de paiement ; qu'en l'absence d'intervention du groupement, en effet, chacun de ses membres devrait négocier avec tous les autres le montant de la rémunération qu'il entend percevoir en sa qualité de banque de porteurs ; que l'efficacité et la rentabilité du réseau interbancaire de paiement par carte s'en trouveraient compromises ainsi que le progrès économique qui en découle ; que le principe selon lequel le groupement définit la tarification d'interchange relève, en conséquence, du 2° de l'article 51 ;
Maisconsidérant que les modalités retenues par le groupement, telles qu'elles sont aujourd'hui encore en vigueur, ne sont pas conformes à l'objectif de progrès économique; qu'en effet, elles ne permettent pas aux membres du groupement de consentir à leur clientèle de commerçants des taux de commission reposant sur des critères objectifs et qui soient notamment en rapport avec les efforts des commerçants en vue de réduire les risques de fraude et d'utilisation abusive; qu'ainsi les dispositions du 2° de l'article 51 de l'ordonnance ne sont pas applicables à cette tarification d'interchange ; que si le conseil de direction du groupement a posé, en mai 1988, le principe d'une révision des modalités d'interchange, cette révision n'est pas intervenue à la date de la présente décision ; que l'annonce de cette révision est sans incidence sur la qualification des pratiques constatées ;
Considérant qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que le Groupement des cartes bancaires se soit formellement opposé à ce que ses membres négocient avec des commerçants des taux de commission particuliers dits " interbancaires " dans le cas où ces commerçants se borneraient à procéder au tri de leurs factures cartes bancaires pour ne remettre aux banques, dans lesquelles ils auraient préalablement ouvert des comptes, que les factures provenant des cartes émises par chacune de ces banques ; que les règles du groupement et du système national de paiement par carte ne peuvent être regardées comme s'opposant et ne sauraient d ailleurs faire obstacle à ce que se réalisent des relations intrabancaires ainsi définies ;
Considérant qu'il n'est pas établi que l'absence de livraison aux centres Leclerc des circuits hybrides qu'ils avaient demandés a pour cause une volonté du groupement d'empêcher ces distributeurs de négocier avec chaque banque des taux de commission inférieurs aux taux pratiqués dans les relations interbancaires ;
Considérant enfin que la détermination par le groupement du montant de la garantie de base et l'obligation faite aux établissements membres du groupement de respecter le montant ainsi fixé ne portent pas atteinte au jeu concurrentiel dès lors que le dépassement de cette garantie de base a pour seul effet de déclencher l'appel, par le commerçant, du centre de traitement bancaire qui, après vérification de l'absence d'opposition au paiement, délivre une autorisation ;
En ce qui concerne les clauses du modèle de contrat d'adhésion des commerçants :
Considérant que la mise au point concertée de contrats types directement applicables dans les relations entre les entreprises qui ont participé à leur élaboration et leur clientèle peut affecter la concurrence sur le marché concerné lorsque les clauses de ces contrats sont de nature à restreindre la liberté commerciale ou la liberté de gestion des cocontractants ; que l'effet anticoncurrentiel de telles clauses est d'autant plus important que, les auteurs de ces contrats types sont les seuls fournisseurs sur le marché ;
Considérant que l'article 4-3 des conditions générales du contrat d'adhésion de commerçants au système national de paiement par carte les contraint à accepter en paiement toutes les cartes bancaires " CB ", quel que soit, notamment, le montant de l'achat ; que l'article 4-4 des mêmes conditions générales revient à interdire au commerçant de répercuter sur les clients payant par carte bancaire tout ou partie du prix qu'il doit payer à sa banque en contrepartie du service de la carte ; que l'article 8 des conditions générales, en ne laissant au commerçant qu'un délai de cinq jours pour accepter les modifications de ses conditions particulières - parmi lesquelles figurent notamment les conditions tarifaires - ou pour résilier son contrat, ne lui permet pas de négocier avec un autre établissement et altère ainsi sa capacité de changer de fournisseur ; que ces dispositions limitent la liberté de gestion des commerçants et sont restrictives de concurrence ; qu'elles sont ainsi visées par les dispositions de l'article 50 de l'ordonnance ;
Considérant toutefoisque le développement de la carte bancaire constitue une contribution au progrès économique ; que les clauses contenues dans les articles 4-3 et 4-4 des conditions générales interdisent des comportements qui, en rendant moins facile ou plus onéreuse l'utilisation de cette carte pour les porteurs, limiteraient son développement; que les dispositions du 2° de l'article 51 sont ainsi applicables à ces clauses;
Considérant, en revanche, en ce qui concerne l'article 8 des mêmes conditions générales, que le délai très court imparti au commerçant par cet article pour accepter la modification des conditions particulières de son contrat ou résilier celui-ci n'est pas indispensable au bon fonctionnement du système de paiement par carte ;
En ce qui concerne les conditions d'adhésion et le contrôle exercé par le groupement sur les accords entre ses membres et d'autres émetteurs de cartes ;
Considérant que l'appartenance au Groupement des cartes bancaires conditionne actuellement l'accès d'un établissement de crédit installé en France au marché des cartes permettant d'utiliser le réseau interbancaire de paiement et de retrait qui couvre l'ensemble du territoire ; que l'entrée de nouveaux fournisseurs sur ce marché dépend donc des possibilités d'adhérer à ce groupement ; que si ce dernier peut légitimement prétendre exercer un contrôle sur les adhésions, la faculté qui lui est ouverte par l'article 7 du contrat constitutif d'accepter ou de refuser une adhésion sans donner de motif pourrait lui permettre de mettre en œuvre des comportements discriminatoires et de limiter la concurrence entre ses membres et d'autres établissements de crédit ; que cet article constitue donc une convention visée par les dispositions de l'article 50 ;
Considérant que le droit de contrôle prévu par le protocole d'accord du 31 juillet 1984 et l'article 9 du contrat constitutif aboutit à conférer à la collectivité des établissements représentés dans le groupement un droit de regard et de veto sur la politique commerciale suivie par chacun des membres du groupement vis-à-vis d'autres émetteurs de cartes ; que ce droit limite la capacité des établissements de contracter librement avec des tiers et de différencier leurs offres, ainsi que le révèle d'ailleurs l'examen des conditions dans lesquelles il a été exercé lors des projets d'accords entre le Crédit lyonnais et American Express ou entre des banques et des unions locales de commerçants ; qu'il en résulte une limitation de la concurrence prohibée par les dispositions de l'article 50 ;
Considérant que la mise en œuvre commune de moyens appartenant aux établissements adhérents du groupement, la réciprocité des services qu'ils assurent dans l'intérêt du développement du progrès économique et la situation statutaire du groupement peuvent justifier la possibilité pour celui-ci, d'une part, de contrôler les conditions dans lesquelles un adhérent concède des droits sur ce qu'il a accepté d'apporter au profit du réseau et, d'autre part, de contrôler les nouvelles adhésions; que cependant des dispositions permettant de tels contrôles ne contribuent au progrès économique que dans la mesure où elles ne permettent pas au groupement de prendre des décisions arbitraires ; que les stipulations du protocole d'accord du 31 juillet 1984 et du contrat constitutif du groupement, d'une part, en n'exigeant pas la motivation des refus d'adhésion, d'autre part en ne prévoyant pas la motivation de l'opposition à un accord entre un membre du groupement et un émetteur de cartes extérieur à celui-ci, ne contribuent pas au développement du progrès économique ; que, dès lors, les dispositions du 2° de l'article 51 ne leur sont pas applicables ;
En ce qui concerne l'Eurochèque :
Considérant que la stipulation du protocole d'accord du 31 juillet 1984 visant à interdire à terme l'émission de l'Eurochèque uniforme pour un usage en France a eu pour effet d'éliminer un produit concurrent de la carte bancaire que cette stipulation porte atteinte à la concurrence ; qu'elle tombe sous le coup des dispositions de l'article 50 de l'ordonnance ;
Considérant que s'il est vrai, comme le fait valoir le groupement, que l'Eurochèque et la carte bancaire " CB " reposent sur des conceptions différentes, cette circonstance n'est pas de nature à justifier l'interdiction faite aux membres du groupement d'émettre l'Eurochèque pour un usage en France ; qu'il appartient à chaque établissement de déterminer, selon sa propre politique commerciale, si son appartenance au Groupement des cartes bancaires est compatible ou non avec sa qualité d'émetteur d'Eurochèque pour cet usage ; que l'interdiction faite aux membres d'exercer cette faculté n'est pas indispensable au fonctionnement du groupement ; que l'argument tiré de ce que la double qualité d'émetteur d'Eurochèque et d'émetteur de la carte bancaire " CB " risque d'entraîner un " piratage " du système carte bancaire a le caractère d'une simple allégation que ne corrobore aucun élément de fait ; qu'en conséquence la stipulation en cause ne saurait entrer dans le champ d'application du 2° de l'article 51 de l'ordonnance ;
Sur les suites à donner :
Considérant qu'en dépit des informations fournies au Conseil, dans les conditions susmentionnées, sur les décisions qu'aurait prises ou que serait prêt à prendre le Groupement des cartes bancaires, il résulte de tout ce qui précède que celles des clauses et des pratiques constatées qui tombent sous le coup des dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 sans pouvoir bénéficier de celles du 2° de son article 51, relèvent également des articles 7 et 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qu'il y a lieu de faire application des dispositions du 1er alinéa de l'article 13 de ladite ordonnance,
Décide:
Article 1er
Il est enjoint au Groupement des cartes bancaires " CB " de prendre avant le 1er décembre 1988 les dispositions nécessaires pour :
- cesser de fixer une tarification minimum des cotisations porteurs ;
- modifier l'article 8 des conditions générales du contrat d'adhésion des commerçants au système national de paiement par carte afin qu'un délai raisonnable, qui ne saurait être inférieur à un mois, soit imparti au commerçant pour accepter la modification des conditions particulières de son contrat ;
- modifier les articles 7 et 9 du contrat constitutif du groupement en y incluant l'obligation de motiver les décisions prises en application de ces articles.
Article 2
Il est enjoint audit groupement de mettre en application, au plus tard le 1er mai 1989, des modalités d'interchange fondées sur des critères objectifs tenant compte, en particulier, du degré de sécurité du paiement par carte bancaire dans les commerces.
Article 3
Il est enjoint au groupement de supprimer, avant le 31 décembre 1989, la stipulation du protocole d'accord du 31 juillet 1984 d'après laquelle l'Eurochèque uniforme ne sera plus émis pour une garantie de paiement en France et ne pourra continuer d'être émis que pour des utilisations à l'étranger.
Article 4
Le Groupement des cartes bancaires " CB " fera connaître au Conseil de la concurrence, à l'expiration de chacun des délais fixés aux articles 1er à 3 ci-dessus, les mesures qu'il aura adoptées en vue d'exécuter les injonctions contenues dans ces articles, sous peine de se voir infliger une sanction pécuniaire en application des dispositions de l'article 14 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.