CA Paris, 5e ch. A, 15 avril 1992, n° 9885-90
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
John Meubles (SARL)
Défendeur :
Tousalon France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chavanac
Conseillers :
Mmes Briottet, Vigneron
Avoués :
Me Pamart, SCP Roblin Chaix de la Varenne
Avocats :
Mes Atdjan, Turéard.
Par jugement du 19 mars 1990, le Tribunal de Commerce de Paris a déclaré non susceptible de nullité le contrat de franchise passé entre la SA Tousalon et la SARL John Meubles, et condamné cette dernière à payer à la première 10.000 F de frais de justice.
La SARL John Meubles a interjeté appel ; Elle soutient que l'objet du contrat n'était pas déterminé en son espèce, et en sa quotité, - que spécialement le prix des produits n'était pas déterminable ; - Elle ajoute que le franchiseur tentait d'imposer les prix de revente tout en laissant croire à l'existence d'une faculté pour le franchisé de le déterminer, puisqu'aussitôt stipulée cette faculté, son exercice était précisé aux risques et périls du franchisé ; - L'appelante relève, encore, que le contrat se trouve dépourvu de cause à défaut d'une quelconque communication de savoir-faire substantiel et identifié de la part de la SA Tousalon - Enfin la SARL John Meubles invoque la nullité de la clause de non-concurrence insérée au contrat dont la durée de deux ans ne s'avérait pas indispensable à la protection d'un savoir-faire particulièrement contestable.
L'intimée observe, en préalable, que l'appelante par ses animateurs, connaissait parfaitement le fonctionnement du réseau pour y appartenir au travers d'autres sociétés et, qu'elle avait démissionné de son plein gré à l'expiration d'une première période triennale sans émettre le moindre grief ; - quant à l'essentiel elle répond qu'aucun prix de revente n'était imposé mais seulement un prix maximum conseillé, ce dans le cadre d'une pratique cohérente de la franchise, qu'en effet le contrat concernait surtout des obligations de faire et ne s'opposait pas à ce que le prix des ventes ultérieures soit librement débattu.
Elle proteste de la communication de nombreux documents d'information mis à jour en permanence.
Par ailleurs elle dénie formellement que la clause de non concurrence puisse s'assimiler à une interdiction temporaire ou constante de tout rétablissement ; - Ainsi l'intimée s'estimant abusivement poursuivie requiert 100.000 F de dommages-intérêts, ce avec la publication de l'arrêt à intervenir dans un journal professionnel et 3 000 F de frais de justice.
Reconventionnellement, elle sollicite le paiement de diverses factures en souffrance relatives à des prestations publicitaires et à des redevances se chiffrant à 544.020 F, ladite somme majorée des intérêts légaux à compter de l'assignation en référé du 30 mars 1990 ;
Elle indique à cet égard qu'une ordonnance de référé était intervenue allouant une provision, mais avait été infirmée par la suite, le 30 janvier 1991, au motif, notamment que la nullité du contrat était encourue ;
Développant plus avant son argumentation, l'appelante dénie toute valeur à la communication de pièces adverses arguant de leur date récente (1990/1991), et donc très postérieure au contrat passé en 1986 et rompu en octobre 1989 ; - Elle dénonce également avec insistance le caractère fallacieux de la clause stipulant l'indépendance du franchisé dans la fixation du prix alors que celle-ci était assortie d'un cas excepté se référant à l'obligation du franchisé " de s'approvisionner des produits figurant et décrits dans la publicité et les mettre en œuvre au prix des services éventuellement indiqués ; " - En bref, elle conclut que le contrat de franchise litigieux n'avait pour finalité que de l'assujettir à une politique de prix dispendieuse, tout en assurant à la SA Tousalon, qui était le premier fournisseur des franchisés, la distribution de ses propres produits ;
Par d'ultimes écritures, prises après le prononcé de l'ordonnance de clôture, l'intimée sollicite la révocation de celle-ci, - Elle invoque un certain dysfonctionnement du greffe, courant décembre 1991 et, déclare devoir répliquer sur l'argumentation développée par l'appelante ; - Elle affirme avoir produit non seulement " la Bible ", existant au jour de la passation du contrat, mais encore un guide promotionnel établi en janvier 1989 ; - Elle note aussi que la publicité et les campagnes promotionnelles s'inscrivaient dans la pratique normale et cohérente de la franchise, démentant une fois de plus, qu'elle ait publicité avoir la qualité de grossiste et contestant que la moindre preuve en soit rapportée ;
La SARL John Meubles s'associant à la demande de révocation de l'ordonnance de clôture soutient qu'il y a surfacturation des sommes mises en recouvrement (application d'un pourcentage erroné et de bases surestimées) à hauteur de 333.814,25 F, ce qui ramènerait le solde éventuellement dû à 210.206,70 F ; - Enfin elle fait remarquer que la clause de non concurrence n'était pas limitée territorialement ;
Sur quoi :
En la forme :
Considérant qu'il apparaît conforme aux droits de la défense que la somme sollicitée en dernier lieu puisse, en raison de circonstances nouvelles, être contradictoirement débattue et les pièces afférentes examinées ; - qu'à cet élément légitime s'ajoute le fait que l'ordonnance de clôture a été prononcée dans une période de trouble certain dû à des grèves qui ont plus ou moins affecté le service ;
Qu'il suit que l'ordonnance du 11 décembre sera révoquée et remplacée par celle rendue à l'audience du 29 janvier 1992 ;
Au fond :
Quant au contrat :
Considérant que le contrat de franchise passé le 13 octobre 1986 stipule essentiellement : - à l'article IV 2 sous le titre, Organisation Administrative... " le franchisé dispose d'une indépendance de gestion.. notamment dans la fixation de ses prix de vente à la clientèle (excepté le cas prévu au § III. 7.b) ", - au dit paragraphe sous le titre politique commerciale ". Dans tous les cas où le franchiseur effectuera une publicité nationale... le franchisé s'engage à approvisionner les produits figurant et décrits dans la publicité et les mettre en vente au prix et services éventuellement indiqués avant que le premier message ou le premier exemplaire ne soit porté à la connaissance du public. Il est précisé dans le cadre de la réglementation des prix que ce prix annoncé par le franchiseur pourrait, le cas échéant être corrigé et pratiqué en baisse par le franchisé si la réglementation s'appliquant à sa propre entreprise le lui imposait " - à l'alinéa 3 de l'article IV 2 " - les barèmes de prix que le franchiseur adressera régulièrement au franchisé n'auront aucun caractère contraignant, mais seulement celui de prix maximum conseillés ".
Considérant qu'il ressort de l'énoncé de ces stipulations qu'aucune d'elles n'est de nature à empêcher le franchisé de fixer librement le prix de revente ;- qu'il n'y a d'exception qu'en période de promotions et encore celle-ci est-elle très atténuée, les prix pouvant être alors " éventuellement indiqués, tandis que n'était pas prévue d'obligation de quantité ou de pourcentage, hormis le cas de conditions d'achat exceptionnelles faites au franchiseur, ce dans la limite annuelle de 20 % du montant HT des achats du franchisé ".
Considérant qu'il doit être encore relevé que la SARL John Meubles ne montre pas que les actions promotionnelles aient été constantes et qu'elles aient contrarié la possibilité pour elle de se défendre efficacement ;
Qu'il suit que le contrat ne contenait aucun prix ou quota imposé unilatéralement, et partant illicite ;
Considérant, pour ce qui est de l'objection portant sur l'indétermination de l'objet, qu'il convient d'observer que le contrat précisait au titre " Préalable " que l'activité du franchiseur était : - la recherche, l'édition, la négociation, la sélection, la diffusion de sièges, de canapés, fauteuils... destinés à l'aménagement de la maison ou à l'équipement des collectivités - que le franchisé, en contractant avait considéré cette réalité et l'attachement de la clientèle tant aux produits qu'aux méthodes originales spécifiques et uniformes expérimentées et constamment mises au point, de promotion et de distribution au sein des magasins à l'enseigne " Tousalon avec le slogan " Les professionnels du Siège " - qu'ainsi le contrat passé ne consistait pas en un simple approvisionnement mais tendait à organiser la distribution de produits élaborés susceptibles d'évoluer avec la mode et les techniques ; - que le contrat composite de l'espèce qui faisait prévaloir des obligations de faire ne rendait pas de rigueur l'application de l'article 1129 du Code Civil, quant à la détermination de l'objet ;
Considérant, enfin, que les documents produits, concomitants à la formation du contrat et à son exécution, attestent à suffisance la communication d'un savoir-faire substantiel et bien circonscrit en constante progression ; - que les dates récentes de certaines pièces prouvent la continuité de cette progression et ne peuvent sérieusement être arguées de fabrication pour les besoins de la cause, en raison de leur importance et de leur diversité ;
Que dès lors, il s'avère qu'en contractant le franchisé recevait une contrepartie réelle et tangible, qui ne s'est pas démentie jusqu'à son terme ;
Quant à la clause de non concurrence :
Considérant que cette clause s'énonce en ces termes :
" - le franchisé s'interdit expressément d'adhérer lui même ou par personne interposée à un autre établissement spécialisé comme Tousalon France dans l'achat, la vente ou la promotion des ventes des produits objets du présent contrat... durant deux années consécutives suivant la fin de la validité du contrat si la rupture intervient du fait du franchisé... par démission... " ... Il s'interdit également d'avoir des intérêts ou d'assurer des fonctions lui-même ou par personne interposée dans un autre magasin ou groupement, spécialisés comme Tousalon dans la vente de produits, objet du contrat, et notamment dans sa zone d'exclusivité ou dans une zone appartenant à un autre franchisé Tousalon " ;
Considérant qu'il résulte de cet énoncé qu'aucune interdiction temporaire de rétablissement n'est visée - qu'il y a par ailleurs une limite dans le temps et dans l'espace ;- qu'à l'égard de ce dernier point le contrat, art. II, définissait une zone parisienne qui comprenait les 3ème, 4, 5, 11, 12, 13, 14, 15, 20ème arrondissements ; que s'ajoutera à l'interdiction toute zone déjà concédée à un autre franchisé Tousalon ; - que la limitation territoriale est donc bien prévue et dans ces conditions la clause parfaitement valable ;
Quant à la demande de paiement :
Considérant que la SARL John Meubles a contesté poste par poste le décompte présenté par la SA Tousalon, et a fourni les éléments justificatifs de ces critiques ; - qu'elle admet ainsi devoir la somme de 210.206,70 F ;
Considérant que la SA Tousalon n'a formulé aucune observation sur les corrections apportées au décompte par la SARL John Meubles ce, alors que la révocation de l'ordonnance de clôture devait permettre aux parties, et plus précisément à elle-même de procéder aux examens qui s'imposaient ;
Qu'il suit qu'à défaut la somme de 210.206,70 F sera retenue comme montant dû par la SARL John Meubles à la SA Tousalon majorée des intérêts légaux à compter du 30 mars 1990 ;
Considérant qu'il s'avère que, pour échapper à l'application d'une clause de non-concurrence librement souscrite et parfaitement régulière, la SARL John Meubles a monté un dossier inutilement compliqué, et a persisté dans son attitude ; que sa mauvaise foi est constituée et le dommage causé à la SA Tousalon certain ; qu'il sera raisonnablement apprécié à la somme de 70.000 F étant observé que la publication requise, qui risque de maintenir la polémique, n'apparaît pas opportune ;
Considérant, enfin, que la situation de l'espèce justifie, pour des raisons d'équité, que la SA John Meubles rembourse les frais de justice adverses exposés en appel, ceux-ci évalués à 30.000 F (article 700 du NCPC) ;
Par ces motifs : Statuant contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Condamne la SARL John Meubles à payer à la SA Tousalon les sommes de : - 70.000 F à titre de dommages intérêts, - 30.000 F au titre des frais de justice ; Condamne la même à s'acquitter des entiers dépens ; - Admet Maître Pamart avoué au bénéfice de l'article 699 du NCPC.