CA Amiens, 4e et 5e ch. civ. réunies, 17 juin 1996, n° 2722-95
AMIENS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Daubresse
Défendeur :
Les Fils de Louis Mulliez (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Parodi
Présidents de chambre :
Velly, Mme Roussel
Conseillers :
MM. Descoubes, Roche
Avoués :
SCP Le Roy, SCP Millon & Plateau
Avocats :
Mes Durand, Gast
Courant avril 1967, Madame Daubresse a conclu avec la société " Les fils de Louis Mulliez ", laquelle exploite depuis 1955, sous l'enseigne Phildar, un réseau de distribution de franchise relatif à la commercialisation de fil à tricoter, bas-collant, chaussettes et produits annexes, un contrat dit de " client privilégié " pour le magasin qu'elle exploite à Sallaumines.
Le 29 avril 1985 Madame Daubresse a signé avec cette même société une convention intitulée " contrat de franchise Phildar " pour une durée de quatre années expirant le 31 mars 1989. Le même jour était régularisé un avenant aux termes duquel le franchisé s'engageait à réaliser, dans le délai de quatre ans, les travaux nécessaires à l'harmonisation de son point de vente avec les nouvelles normes exigées des magasins Phildar.
Les travaux correspondants ont été réalisés par Madame Daubresse pour un coût total de 200 000 F.
Cependant au cours des années 1986 à 1988, le chiffre d'affaires réalisé par le franchisé a été nettement plus faible que celui envisagé par la société " Les fils de Louis Mulliez ".
C'est pourquoi, compte tenu de ce que le contrat de franchise imposait au franchisé de ne vendre dans son magasin que des produits de marque Phildar, Madame Daubresse a sollicité de la société " Les fils de Louis Mulliez " l'autorisation de vendre d'autres produits.
Malgré le refus qui lui a été opposé, l'intéressée a décidée de créer un rayon de vêtements portant la marque " Naf Naf " ainsi que le relève un constat d'huissier établi le 16 novembre 1988.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 7 décembre 1988 le franchiseur a mis en demeure Madame Daubresse de cesser de vendre des produits concurrents des siens tout en lui rappelant la clause résolutoire contractuellement prévue.
Soutenant que la société " Les fils de Louis Mulliez " était responsable de son manque à gagner et que la chute de son chiffre d'affaires était due aux carences et erreurs du service de vente dit " marketing " du franchiseur, Madame Daubresse l'a, par acte du 11 avril 1989, assignée devant le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing afin que soit déclarée nulle la clause d'approvisionnement exclusif incluses dans le contrat litigieux, que soit, en tout état de cause, " résolu " le contrat de franchise en cause aux torts de la défenderesse, celle-ci l'ayant placée dans une situation de dépendance économique incompatible avec la nature même du contrat, et que soit réparé son préjudice.
La société " Les fils de Louis Mulliez " a conclu, pour sa part, au rejet de la demande formée à son encontre et, à titre reconventionnel, a réclamé condamnation de Madame Daubresse à lui payer le prix des fournitures non réglées ainsi qu'au versement de dommages-intérêts pour, compte tenu de la mise en œuvre de la clause résolutoire prévue au contrat, " perte anticipée ", d'une franchise et atteinte à l'image de marque.
Par jugement en date du 25 avril 1991, le Tribunal saisi a notamment :
- débouté Madame Daubresse de toutes ses demandes ;
- condamné cette dernière à payer à la société " Les fils de Louis Mulliez ", la somme de 137 351,24 F au titre des fournitures impayées avec intérêts de droit à compter du 11 avril 1989 ;
- déboute la société " Les fils de Louis Mulliez " de ses demandes reconventionnelles ;
- ordonné l'exécution provisoire de la condamnation en principal.
Madame Daubresse a interjeté appel de cette décision et a obtenu par ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Douai, en date du 26 octobre 1990, la suspension de l'exécution provisoire.
Par arrêt en date du 5 décembre 1991, la Cour d'appel de Douai a notamment :
- confirmé le jugement susvisé en ce qu'il avait condamné à Madame Daubresse à payer à la société " Les fils de Louis Mulliez ", la somme de 137 351,24 F en principal plus intérêts de droit ;
- infirmé ledit jugement en ce qu'il avait débouté la société " Les fils de Louis Mulliez " de sa demande de dommages et intérêts ;
et statuant à nouveau,
- prononcé la résiliation du contrat de franchise conclu le 29 avril 1985 aux torts de Madame Daubresse ;
- condamné cette dernière à payer à l'intimée la somme 15 000 F à titre de dommages intérêts.
Dans un arrêt en date du 10 janvier 1995, la Cour de Cassation, tout en déclarant non fondés les autres moyens a, sur le quatrième moyen, relevé que pour prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts de Madame Daubresse et la condamner à payer des dommages et intérêts à la société Phildar, la cour d'appel a énoncé que " l'obligation de fourniture exclusive imposée au franchisé Phildar est valable dans la mesure où elle est nécessaire pour préserver l'identité et la réputation du réseau de franchise Phildar ; elle relève de la nature même de la formule de distribution en cause ".
La Cour de Cassation a ainsi considéré qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à démontrer concrètement en quoi la clause litigieuse était indispensable pour préserver l'identité et la réputation du réseau de franchise, la cour d'appel avait violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile. Elle a, en conséquence, cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 5 janvier 1991 par la Cour d'appel de Douai, remis en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel d'Amiens.
Devant la Cour de renvoi, Madame Daubresse fait valoir que la clause de fourniture exclusive prévue à l'article 4-8 du contrat de franchise litigieux du 29 avril 1985 est nulle et de nul effet, et ce, sur deux fondements, l'article 85-1 du Traité de Rome et l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que sur le premier fondement, si l'article 85-3 du Traité susmentionné prévoit des possibilités d'exemption des règles imposées par son article 85-1 pour les accords et pratiques qui bien que prohibés par celui-ci " contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique et économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte ", il ressort des dispositions du règlement d'exemption n° 4087-88 en date du 30 novembre 1988 ainsi que de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes que la clause d'approvisionnement exclusif n'est valable qu'à la triple condition :
1) d'être indispensable pour la protection de l'identité commune et de la réputation du réseau,
2) de ne porter que sur les articles qui constituent l'objet essentiel de la franchise,
3) de ne pas avoir pour effet d'empêcher le franchisé de se procurer ces produits auprès d'autres franchisés.
Que ce n'est que dans l'hypothèse où ces trois conditions sont réunies que la clause bénéficie d'une présomption de validité ;
Qu'il n'existe donc pas de présomption selon laquelle toute clause d'approvisionnement exclusif insérée dans un contrat de franchise serait réputée remplir les trois conditions susvisées ;
Que la charge de la preuve de la réunion de ces trois facteurs incombe ainsi à celui qui se prévaut de la clause, en l'espèce le franchiseur ;
Que la société Les Fils de Louis Mulliez n'a jamais rapporté cette preuve ;
Que par ailleurs cette clause pour être valable n'aurait dû porter que sur les produits objets de la franchise, à savoir fil à tricoter, maille, chaussettes, bas, collants.
Que rédigée en termes trop généraux, elle est parfaitement nulle d'autant que les franchisés Phildar ne peuvent pas tous avoir accès à la totalité des produits commercialisés par le franchiseur.
Qu'en ce qui concerne la nullité fondée sur l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il convient de rappeler que cet article énonce qu'est prohibée l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solution équivalente, qu'en l'espèce, sa situation personnelle de dépendance économique se déduit de la combinaison des clauses suivantes du contrat de franchise :
- l'obligation d'approvisionnement exclusif prévue par l'article 4-8 du contrat.
- le principe de l'indépendance juridique du franchisé posée par l'article 4-1.
- La détermination unilatérale par le franchiseur des prix d'achat des marchandises, sauf recours à un système d'arbitrage en cas de modifications importantes et encore aux frais exclusifs du franchisé ". (article 3-6).
- le système des prix de revente maximum conseillés, (article 3-3-4 b), qui deviennent dans les faits des prix imposés en raison du peu de marge laissé entre les prix d'achat de marchandises fixés par le franchiseur et les prix maximum " conseillés " pour la revente, sachant que la vente à perte est interdite.
- L'engagement par le franchisé de procéder chaque année à des investissements importants, pour réaliser des travaux destinés à modifier les agencements et l'aménagement intérieur et extérieur du magasin (article 4-5).
- La clause résolutoire à sens unique prévue par l'article 10, seul le franchiseur ayant le droit de rompre le contrat en cas de non respect de ses obligations contractuelles par le franchisé.
- Le désengagement total du franchiseur dans les pertes éventuellement enregistrées par le franchisé, conséquence de l'indépendance juridique de ce dernier (article 4-1).
Que l'on comprend difficilement comment, au vu d'un tel dispositif, la société Les Fils de Louis Mulliez pourrait prétendre que ses franchisés ne sont pas économiquement dépendants de leur franchiseur ;
Qu'il résulte en effet de la combinaison des dispositions contractuelles susvisées que la situation économique, bonne ou mauvaise, du franchiseur conditionne inévitablement la situation économique des franchisés, du fait notamment de la totale dépendance commerciale de ces derniers ;
Que, par ailleurs, et alors que le marché de la laine, du fil et du textile avait considérablement chuté, la société Les Fils de Louis Mulliez n'a cherché que son propre intérêt au lieu de mettre en œuvre tous les moyens en son pouvoir pour l'aider à faire face à la crise, que cette exploitation abusive s'est, notamment, traduite par le fait de lui refuser de lui fournir les nouveaux produits Phildar, prêt-à-porter et lingerie, pourtant à la vente chez d'autres franchisés dès 1986, ou de lui refuser tous délais de paiement ou report d'échéance dans le règlement des marchandises commandées et des travaux imposés ;
Que l'exploitation abusive de la dépendance économique du cocontractant étant ainsi caractérisée au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il convient de faire application des sanctions prévues par l'article 9, à savoir la nullité des engagements souscrits par la partie abusée ;
Qu'en vertu du régime juridique des nullités, les parties doivent donc être remises dans l'état où elles se trouvaient avant de contracter l'engagement annulé, sans préjudice des indemnités dues en raison des conséquences dommageables produites par l'acte annulé pendant la période où il a reçu application ;
Que les demandes en dommages et intérêts qu'elle avait présentées devant le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing étaient donc parfaitement fondées ;
Qu'en effet, devant être replacée dans la situation où elle se trouvait avant de contracter, elle doit être remboursée du montant du prêt souscrit pour la réalisation des travaux d'agrandissement exigés par son contractant, ce qui représente, avec les intérêts du prêt et les frais, la somme de 266.366 F ;
Qu'en outre, ces travaux d'agrandissement ont généré un manque à gagner, par rapport aux résultats escomptés et en référence aux exercices passés, de 180.818 F ;
Que ces travaux ont également nuit à l'image de son magasin lequel a de ce fait subi une importante baisse de fréquentation pouvant être évaluée, sur quatre années, à une perte de 258.932 F ;
Qu'au total, c'est donc un préjudice pouvant être évalué à 706.110 F que le contrat annulé lui a fait subir ;
Que la société Les Fils de Louis Mulliez doit donc être condamnée à lui payer cette somme avec intérêts légaux à compter de la date de l'acte introductif d'instance, soit le 11 avril 1989 ;
Que subsidiairement, et à supposer même que la clause d'approvisionnement exclusif ne soit pas annulée par la Cour, sa violation était parfaitement justifiée dès lors que la société Les Fils de Louis Mulliez n'a pas respecté son " obligation essentielle d'assistance et de conseil " envers son franchisé lorsque des difficultés liées à la crise du marché se sont présentées et que, par ailleurs, elle a refusé de livrer les nouveaux produits de sa gamme en méconnaissance directe de l'article 3-4 du contrat de franchise, qu'ainsi, et au cas où le contrat de franchise conclu entre les parties le 29 avril 1985 ne serait pas annulé, il conviendrait d'en prononcer la résiliation aux torts du franchiseur, en raison des multiples violations de ses engagements contractuels par ce dernier et de condamner la société Les Fils de Louis Mulliez à réparer le préjudice qu'elle a subi et qui peut être évalué à la somme de 706,116 F.
L'appelante prie donc la Cour de :
Réformer dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing le 25 juillet 1990,
Statuant à nouveau :
Au principal :
- constater la nullité du contrat de franchise conclu entre les parties le 29 avril 1985,
- tirer toutes les conséquences de fait et de droit de ladite nullité et condamner la SA Les Fils de Louis Mulliez à lui payer la somme de 706.111 F à titre de dommages et intérêts.
Subsidiairement :
- prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts du franchiseur,
- en conséquence condamner la société Les Fils de Louis Mulliez à lui payer la somme de 706.116 F en réparation du préjudice subi,
- condamner la société Les Fils de Louis Mulliez à lui payer la somme de 25.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile,
- condamner la dite société aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP Le Roy Avoué à la Cour, aux offres de droit.
La société Les Fils de Louis Mulliez soutient, pour sa part, que la Commission des Communautés Européennes a indiqué par un règlement n° 4087/88 en date du 30 novembre 1988 dans quelles conditions, des catégories d'accords de franchise pouvaient bénéficier de l'exemption prévue par l'article 85 paragraphe 3 du traité de Rome, régissant le droit de la concurrence européen, que l'article 3-1 b du règlement d'exemption reconnaît l'importance des clauses d'approvisionnement exclusif " dans la mesure où elles sont nécessaires pour protéger les droits de propriété industrielle ou intellectuelle du franchiseur ou maintenir l'identité commune ou la réputation du réseau ", que l'article 3-1 b précise notamment que dès lors " qu'il est impossible en pratique d'appliquer des spécifications objectives de qualité ", l'obligation faite aux franchisés de vendre ou utiliser des produits fabriqués par le franchiseur ou fournisseurs désignés par lui, est valable.
Qu'en l'espèce, la clause d'approvisionnement exclusif imposée par ses soins dans ses contrats de franchise est indispensable à la préservation de la qualité, de l'identité, de l'unité ainsi que de la réputation du réseau compte tenu de l'impossibilité de trouver des spécifications objectives de qualité, que, par ailleurs, donner aux franchisés Phildar la possibilité de choisir leurs fournisseurs, tout en exploitant l'enseigne Phildar, entraînerai, pour maintenir les critères de qualité et d'identité qui font la réputation de ce réseau, le déplacement d'un tel contrôle auprès de chacun des quelques 1300 franchisés du réseau ; qu'il serait pratiquement impossible de le mettre en place, ne serait-ce que pour le coût financier qu'il engendrerait ; qu'outre des normes de qualité très élevées imposées à ses fournisseurs pour maintenir sa réputation, l'identité du réseau Phildar repose sur une politique de marketing commune et globale, sur une standardisation des points de vente ainsi que sur une politique de communication nationale axée sur la qualité des produits ; qu'à cet effet ont été consentis des efforts financiers en communication très importants afin d'établir une spécificité très forte dans un contexte concurrentiel difficile, qu'il apparaît, à ce propos, que les produits Phildar se singularisent tous par une image de qualité et de confort avec un esprit mode et qu'ils s'adressent à la femme de plus de 30 ans ; que par suite, l'introduction par l'appelante des produits de marque Naf Naf a porté atteinte à la politique de communication du réseau de franchise en cause et nui à son identité, qu'en outre, la publicité nationale organisée par la marque Phildar a perdu toute crédibilité, les produits de marque Naf Naf trouvés dans le magasin de Madame Daubresse étant en totale contradiction avec les messages publicitaires de son franchiseur ; qu'en ce qui concerne la nullité du contrat litigieux alléguée par l'appelante sur le fondement de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il convient de relever que, contrairement à ce que l'intéressée soutient, aucune des clauses du contrat de franchise dont il est excipé (approvisionnement exclusif, détermination unilatérale par le franchiseur des prix d'achat des marchandises, système des prix de revente maximum conseillés, engagement du franchisé de procéder chaque année à d'importants investissements pour l'aménagement et l'agencement du magasin, clause résolutoire à sens unique, désengagement du franchiseur dans les pertes éventuellement enregistrées par le franchisé) ne peut être regardée comme plaçant le franchisé dans une situation de dépendance économique vis à vis de son franchiseur, le franchisé demeurant en tout état de cause, un commerçant indépendant libre de sa gestion comptable et financière, qu'en tout état de cause, il n'y eut nulle exploitation abusive de cette prétendue situation de dépendance économique, que, notamment, elle n'a imposé qu'une seule fois à Madame Daubresse la réalisation de travaux de réfection de son magasin, que, de même, et alors qu'en 1987-1988 les incidents de paiement devenaient quasi-permanents avec l'appelante, elle s'est néanmoins refusée à engager à son encontre une procédure contentieuse en considération de l'ancienneté de leurs liens commerciaux, qu'enfin Madame Daubresse n'apporte aucun justificatif quant au montant du préjudice dont elle sollicité réparation.
La société Les Fils de Louis Mulliez demande, par suite, à la Cour de :
- déclarer licite et conforme au droit la clause d'approvisionnement exclusif constituant l'article 4 du contrat de franchise Phildar,
- débouter Madame Daubresse de sa demande en nullité,
- prononcer la résolution du contrat aux torts exclusifs de Madame Daubresse,
- la condamner à lui payer la somme de 137.351,24 F avec intérêts de droit à compter du 11 avril 1989, somme correspondant aux marchandises restées impayées,
- la condamner au paiement de la somme de 100.000 F au titre des dommages et intérêts,
- la condamner au paiement de la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile,
- la condamner aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de Procédure Civile dont distraction est requise au profit de la SCP Million Plateau.
Dans de dernières conclusions, Madame Daubresse sollicite que lui soit adjugé le bénéfice de ces précédentes conclusions par les mêmes moyens que ceux déjà exposés et par les moyens suivants qu'à aucun moment l'intéressée ne rapporte la preuve de la nécessité concrète de la clause d'approvisionnement exclusif litigieuse à l'époque concernée, soit entre 1985 et 1989, que tous les documents présentés à cette fin par la société les Fils de Louis Mulliez sont postérieurs à la période considérée, qu'enfin le franchiseur a exploité sa situation de dépendance économique en lui refusant, en période de crise, la possibilité de commercialiser les nouveaux produits de la gamme Phildar ainsi qu'en lui interdisant la commercialisation de produits équivalents à ceux qu'il ne pouvait pas fournir.
Sur ce :
Sur la validité du contrat de franchise conclu entre les parties le 29 avril 1985 :
Attendu que Madame Daubresse soutient, tout d'abord, que la clause d'approvisionnement exclusif insérée à l'article 4-8 du contrat susvisé serait nulle tant au regard de l'article 85 du Traité instituant la Communauté européenne que de l'article 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, et qu'ainsi le contrat en cause serait nul en son ensemble ;
En ce qui concerne la validité de la clause litigieuse au regard de l'article 85 du Traité instituant la Communauté européenne :
Attendu qu'aux termes de l'article 4-8 du contrat dont s'agit : " Le franchisé s'engage formellement à ne vendre exclusivement dans son magasin que les produits commercialisés par le franchiseur. Le franchisé s'engage expressément à ne s'approvisionner qu'auprès du franchiseur lui-même... " ;
Attendu qu'aux termes de l'article 85 susmentionné :
- sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises, et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, et notamment ceux qui consistent à :
a) Fixer de façon directe ou indirecte le prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction ;
b) Limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements ;
c) Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement ;
d) Appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ;
e) Subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.
2) Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit.
3) Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables ;
- à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises,
- à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et,
- à toute pratique concertée, qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans :
a) Imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs ;
b) Donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence ;
Attendu qu'en application du règlement n° 4087-88 du 30 novembre 1988 de la Commission des Communautés européennes relatif à l'application de l'article 85 du Traité à des catégories d'accords de franchise, sont exclues du champ d'application du paragraphe 1 de l'article précité " dans la mesure où elles sont nécessaires pour maintenir l'identité commune ou la réputation du réseau franchisé " les obligations qui imposent aux franchisés " de vendre ou d'utiliser dans le cadre de la prestation de services des produits fabriqués par le franchiseur ou par des tiers désignés par lui, lorsqu'il n'est pas possible en pratique, en raison de la nature des produits qui font l'objet de la franchise, d'appliquer des spécifications objectives de qualité " ;
Attendu qu'en l'espèce, il convient de relever que jusqu'en 1992, et à l'exclusion des bas et collants, la société " Les fils de Louis Mulliez " était le fabricant exclusif de l'intégralité des produits textiles qu'il distribuait ; que la réalisation de ces produits s'effectuait selon les procédés spécifiques ; qu'étaient ainsi mises en œuvre des procédures de référencement des fournisseurs des matières premières ainsi que de normalisation des coloris de sorte que le franchiseur disposait de la maîtrise de l'ensemble des composants du produit ; qu'en est résulté un savoir-faire dont l'intimée était seule détentrice et qui était valorisée par une campagne publicitaire axée sur la spécificité du produit " Phildar " ;
Attendu par ailleurs, que le réseau de distribution mis en place comportait plus d'un millier de franchisés et s'inscrivait dans un secteur concurrentiel ouvert avec de nombreux fournisseurs des produits similaires ou identiques ; que, par suite, et compte tenu de la gamme étendue des marchandises proposées ainsi que de l'évolution constante et rapide des techniques de fabrication de celles-ci, la formulation des spécifications objectives de qualité que les franchisés pourraient eux-mêmes appliquer s'est révélée impraticable de même que la mise en place d'un contrôle effectif organisé auprès de chacun des points de vente du réseau;
Attendu, en conséquence, que la clause précitée dit approvisionnement exclusif doit être regardée, eu égard au domaine d'activité et à la nature des produis distribués, comme indispensable à la préservation de l'identité du réseau de franchise dont il s'agit, ainsi que de l'homogénéité de l'image de marque de celui-ci ; qu'elle échappe, par suite, à l'interdiction prévue à l'article 85-1 précité ; que l'appelante n'est donc pas fondée à exciper de la nullité de ladite clause au regard des dispositions de ce texte ;
En ce qui concerne la validité de la clause litigieuse au regard de l'article 8 de l'ordonnance susmentionnée du 1er décembre 1986 :
Attendu qu'aux termes dudit article 8 : " Est prohibée dans les mêmes conditions, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises ... 2 - De l'état de dépendance économique dans lequel se trouve, à son égard, une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solution équivalente ... " ; qu'aux termes de l'article 9 du même texte : " Est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à une pratique prohibée par les articles 7 et 8 " ;
Attendu qu'à supposer même que Madame Daubresse puisse être regardée comme étant dans un situation de dépendance économique, elle ne démontre nullement que la clause dont la nullité est invoquée se rapporte à une " exploitation abusive " de cet état ainsi que l'exige l'article 8 précité alors, précisément, qu'il a été énoncé que ladite clause doit être considérée comme " nécessaire " au maintien de l'identité et de la réputation du réseau de franchise au sens des dispositions sus-appelées du règlement communautaire d'exemption n° 4087-88 ; qu'en tout état de cause, il ressort des dispositions combinées des articles 7 et 8 de l'ordonnance susvisée que " l'exploitation abusive " doit, pour être sanctionnée avoir eu pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché ; que, sur ce point, l'appelante n'établit, ni même n'allègue que ladite clause ait pu constituer une entrave à la concurrence sur le marché des produits textiles ; qu'elle ne démontre pas davantage que le comportement imputé au franchiseur ait été susceptible d'entraîner une telle violation des lois du marché ; que, dans ces conditions, la clause litigieuse ne saurait être regardée comme prohibée par l'article 8 précité et, par la suite, nulle ;
Sur la résiliation du contrat de franchise :
Attendu que Madame Daubresse sollicite, à titre subsidiaire, et au cas où la nullité du contrat susmentionné ne serait pas reconnue, que soit prononcée la résiliation de cet acte aux torts du franchiseur auquel elle reproche d'avoir méconnu son " obligation essentielle d'assistance et de conseil " et, notamment, d'avoir refusé, courant 1988, de lui livrer certains nouveaux produits de sa gamme alors qu'elle devait faire à une baisse importante de son chiffre d'affaires ; qu'elle fait également grief à l'intimée de lui avoir imposé de travaux très coûteux d'aménagement de son fonds et ce, malgré les pertes commerciales qu'elle enregistrait ;
Attendu qu'il convient, en premier lieu, d'observer que le franchiseur n'est pas garant juridiquement de la réussite de ses franchisés, lesquels demeurent des commerçants indépendants auxquels est accordé le droit d'exploiter une franchise en échange d'une compensation financière directe ou indirecte ; que Madame Daubresse ne peut donc soutenir que son échec commercial serait la preuve de la violation par la société Les fils de Louis Mulliez de son obligation d'assistance alors surtout qu'il n'est pas alléguée que cette dernière se soit immiscée de façon excessive dans l'exploitation de son fonds ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'intimée n'a commencé à procéder à la diversification des produits portant sa marque qu'en 1988 au profit de seulement certains de ses franchisés avant d'étendre progressivement l'expérience engagée ; qu'elle n'a, pu offrir l'ensemble de ses nouveaux produits à tous ses franchisés qu'en 1991 ; que, par suite, Madame Daubresse ne saurait utilement lui imputer un refus de vente des produits considérés en 1988 ; qu'en revanche, il résulte de l'instruction que l'appelante a renvoyé le 8 mai 1988 certaines des commandes précédemment passées et a, courant mars 1989 annulé des bons de commandes restés en attente ;
Attendu, en troisième lieu, que des travaux de réfection de son fonds n'ont été imposés à Madame Daubresse qu'une seule fois lors de la signature du contrat de franchise ; qu'elle a, alors, bénéficié d'un délai de deux ans pour les effectuer et a reçu à cet effet une subvention de la part de l'intimée ; que si de nouveaux travaux ont été ultérieurement exécutés, Madame Daubresse en a pris, seule la décision ;
Attendu enfin, que si l'appelante reproche à la société Les fils de Louis Mulliez de ne pas lui avoir accordé de paiement pour le règlement de ses échéances, il y a lieu de souligner que l'intimée n'a jamais engagé de procédure contentieuse à son encontre alors qu'il n'est pas contesté que les incidents de paiement se sont multipliés depuis 1988 ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que Madame Daubresse ne justifie pas de la commission par l'intimée d'une faute de nature à permettre le prononcé, aux torts de celle-ci, de la résiliation du contrat en cause ; que le jugement déféré sera confirmé de ce chef ;
Attendu, en revanche, qu'il est constant que courant 1989, l'appelante a créé, au sein de son magasin, un rayon de vêtements portant la marque "Naf Naf"; qu'elle a ainsi directement violé la clause d'approvisionnement exclusif sus-analysée, laquelle était essentielle dans l'économie du contrat de franchise conclu entre les parties ; qu'elle a donc commis une faute caractérisée autorisant la résiliation à ses torts dudit contrat; que le jugement entrepris doit être en conséquence, infirmé en ce qu'il a débouté la société " Les fils de Louis Mulliez " de sa demande à cet effet ;
Sur les demandes indemnitaires
Attendu que la résiliation du contrat litigieux ayant été prononcée au torts de Madame Daubresse, celle-ci ne saurait, en tout état de cause, solliciter l'octroi de dommages-intérêts ; que le jugement déféré sera confirmé sur ce point ;
Attendu par ailleurs, qu'il n'est pas contesté que des marchandises ont été livrées à l'appelante par son franchiseur pour un montant total de 137 351,24 F et qu'elles n'ont pas été réglées ; que c'est donc également à bon droit que les premiers juges ont condamné Madame Daubresse au paiement de ladite somme, assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 1989, date de la mise en demeure qui avait été alors vainement adressée à l'intéressée ;
Attendu que la violation sus-rappelée par Madame Daubresse de la clause d'approvisionnement exclusif susmentionné et la vente par celle-ci d'autres produits que ceux de la marque Phildar a nécessairement porté atteinte, dans l'esprit des consommateurs, à l'identité ainsi qu'à l'image du réseau dont s'agit ; que, de même, en agissant de la sorte, Madame Daubresse a, en fait, mis à la disposition d'un concurrent l'enseigne du franchiseur ainsi que la technique de vente proposée par celui-ci et pour laquelle elle avait reçu une formation spécifique ; que de tels actes ont ainsi généré pour la société Les Fils de Louis Mulliez un préjudice dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant, compte tenu des circonstances de l'espèce, à 20.000 F ; que Madame Daubresse sera, donc, condamnée à payer cette somme à l'intimée ;
Sur l'application de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile
Attendu qu'il n'y a pas lieu, pour des considérations d'équité, de faire application des dispositions de l'article susvisé en cause d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement comme Cour de renvoi en exécution de l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 10 janvier 1995 ; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Madame Daubresse de ses demandes et l'a condamnée au paiement de la somme de 137 351,24 F avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 1989 ainsi qu'aux entiers dépens ; L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau, Prononce la résiliation du contrat de franchise susvisé conclu le 29 avril 1985 aux torts de Madame Daubresse ; Condamne Madame Daubresse à payer à la société " Les fils de Louis Mulliez " la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives ; Condamne Madame Daubresse aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Million & Plateau, Avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de Procédure Civile ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile.