Conseil Conc., 24 mars 1992, n° 92-D-23
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre par la société Mobilier Européen
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré en section, sur le rapport oral de M. Rois, dans sa séance du 24 mars 1992 où siégeaient : M. Pineau, vice-président ; MM. Blaise, Cabut, Cortesse, Gaillard, Sargos, Urabin, membres.
Le Conseil de la concurrence,
Vu la lettre enregistrée le 14 février 1992 sous les numéros F 481 et M 98 par laquelle la société Espace Meubles a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques qu'elle estime anticoncurrentielles, mises en œuvre par la société Mobilier Européen, et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires en application de l'article 12; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application; Vu les observations présentées par la société Mobilier Européen et par le commissaire du Gouvernement; Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties entendus;
Considérant que la société Espace Meubles qui a pour activité la commercialisation de meubles sous l'enseigne "Crozatier" se plaint d'être victime de pratiques qu'elle estime anticoncurrentielles de la part de la société Mobilier Européen par l'intermédiaire de laquelle elle achète chaque année environ 50 p. 100 de ses approvisionnements; qu'elle fait valoir que cette société aurait abusé de la position dominante que lui donne sa qualité de centrale d'achats, propriétaire de la marque "Crozatier", pour mettre un terme à leurs relations commerciales sans respecter les dispositions prévues aux conventions qui les lient;
Considérant que la société requérante demande au Conseil de la concurrence de prendre des mesures conservatoires sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance de 1986 susvisée, tendant à ce que la centrale d'achats enjoigne aux fournisseurs référencés dans ses registres de satisfaire aux commandes passées par Espace Meubles aux mêmes conditions de prix, de délais de paiement et de livraison que celles consenties au profit de ses membres, et lui laisse, au moins jusqu'au 30 mars 1992, la libre disposition de l'enseigne "Crozatier";
Considérant qu'en vertu des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée, le Conseil de la concurrence ne peut être saisi que de pratiques portant atteinte au fonctionnement normal d'un marché; qu'aux termes de l'article 19, il peut déclarer la saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence ou ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier qu'à compter du 15 juillet 1991 Mobilier Européen a rompu toute relation commerciale avec Espace Meubles, l'a mise en demeure de déposer l'enseigne "Crozatier" dans un délai de huit jours, et a informé les fournisseurs de cette situation;
Considérant que, si la rupture unilatérale des relations commerciales par un fournisseur peut engager la responsabilité de son auteur devant le juge civil ou commercial sur le fondement de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, un tel comportement ne relève de l'examen du Conseil de la concurrence que s'il se rattache à des pratiques affectant le jeu de la concurrence sur un marché;
Considérant qu'il ne ressort pas du dossier que les agissements imputés à la centrale d'achats Mobilier Européen puissent porter atteinte au libre jeu de la concurrence sur le marché du mobilier domestique; que dès lors, il appartient à Espace Meubles de saisir, le cas échéant, la juridiction compétente pour statuer sur ce litige commercial opposant deux entreprises;
Considérant qu'au surplus les éléments produits par Espace Meubles et notamment les correspondances émanant de Mobilier Européen ne permettent pas d'établir que la rupture des relations commerciales procède d'une entente entre les différents acteurs du secteur de la commercialisation des meubles;
Considérant qu'il n'est pas davantage établi que la centrale d'achats dispose d'une position dominante sur le marché des meubles, qu'elle ait fait pression sur les fournisseurs référencés pour qu'ils cessent de livrer l'entreprise plaignante et que celle-ci ne puisse trouver de solution équivalente dans ses approvisionnements auprès d'autres que Mobilier Européen;
Considérant que dès lors, Espace Meubles n'est pas fondée à soutenir que les pratiques commerciales reprochées à la centrale d'achats Mobilier Européen seraient contraires aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la demande au fond n'est pas recevable et qu'il y a lieu, par voie de conséquence de rejeter la demande de mesures conservatoires,
Décide :
Article 1er
La saisine, présentée par la SARL Espace Meubles, enregistrée sous le numéro F 481 est déclarée irrecevable.
Article 2
La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 98 est rejetée.