CA Rennes, 2e ch., 13 mai 1992, n° 757-89
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Centre de beauté du Faucigny (SARL)
Défendeur :
Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Duclos
Conseillers :
MM. Roy, Froment
Avoués :
Mes Bazille, Brebion
Avocats :
Me Rebut, SCP Peignard de Chanterac.
Par jugement du 26 mai 1989, intervenu entre la SARL Centre de beauté du Faucigny, liée en tant que franchisé à la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher, et cette dernière société, le Tribunal de commerce de Vannes, statuant sur la demande du franchisé, tendant à obtenir des dommages et intérêts pour refus et retards de livraison en cours de contrat, a condamné le franchiseur à lui payer la somme de 33 000 F en réparation d'un préjudice d'exploitation ainsi que la somme de 7 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et a débouté le franchisé au titre d'un refus abusif de renouvellement de ce contrat.
Appel de ce jugement a été interjeté par le franchisé, lequel, dans ses écritures d'appel, soutient qu'à bon droit les premiers juges auraient retenu que le franchiseur avait abusé de la dépendance économique du franchisé
- en réclamant une participation financière pour les ventes de produits à la clientèle à prix promotionnel et en excluant le franchisé de certaines opérations promotionnelles ou en contingentant ses achats à ce titre, sans d'ailleurs justifier d'un prétendu détournement par le franchisé des techniques promotionnelles, alors que la réduction de la marge de celui-ci était susceptible de mettre en péril l'équilibre financier de son entreprise,
- en imposant le principe d'expériences définies unilatéralement, auquel il se réservait de donner la suite qu'il croirait bonne.
Cet appelant soutient aussi qu'à bon droit le jugement aurait retenu que le refus par le franchisé d'accepter les propositions du franchiseur ne pouvait justifier les suspensions et retards de livraison des fournitures promotionnelles au cours du 2ème trimestre 1988 et au-delà.
Il observe que le franchiseur propose en vente par correspondance, avec des avantages divers, les produits litigieux à des prix très inférieurs à ceux qu'il applique aux franchisés pour le calcul de la remise prévue au contrat de franchise.
Il soutient également avoir été tenu à l'écart des manifestations organisées par le franchiseur.
Il critique le jugement déféré en ce qu'il n'a pas retenu, dans ce contexte, que le refus de renouveler le contrat à son expiration, décidé par le franchiseur, juste après une lettre de menace du 28 juin 1988, était abusif, alors que ce refus n'était en fait motivé que par l'attitude légitime du franchisé de ne pas se soumettre à des conditions nouvelles, qui lui étaient imposées arbitrairement, ce qui, de plus, constituerait un comportement prohibé selon les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Il prétend au paiement, en sus des sommes allouées par le jugement déféré et sauf à ce que soit ordonnée une mesure d'instruction, d'une somme de 10 000 F, au titre de la réparation du préjudice supporté en cours de contrat pour sa mise à l'écart des réunions organisées par le franchiseur, et d'une somme de 2 000 000 F, pour le préjudice résultant du non renouvellement abusif du contrat.
Il prétend également au paiement d'une somme de 15 000 F, pour frais non taxables.
La SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher a formé appel incident.
Elle soutient avoir constaté qu'à l'époque où elle pratiquait, sur tous les produits qu'elle mettait en vente à des prix promotionnels, une remise à ses franchisés sur ces prix, selon le taux contractuel stipulé pour ses tarifs normaux, certains d'entre eux procédaient à un approvisionnement pendant la période de prix promotionnels pour ne vendre qu'après, confisquant la remise destinée à la clientèle.
Elle ne discute pas avoir suspendu ses livraisons pendant deux ou trois semaines, lorsqu'elle a constaté ces faits, et avoir demandé restitution aux franchisés de sommes qu'elle estimait irrégulièrement perçues par eux, mais soutient qu'après une analyse nouvelle du problème elle a repris les livraisons et a renoncé à exiger des franchisés qu'ils satisfassent à une restitution sous quelque forme que ce soit.
Elle prétend avoir été en droit, ultérieurement, de décider, à titre expérimental et temporaire, que, pour les promotions les plus coûteuses, seuls les franchisés qui accepteraient une remise, égale à celle définie dans le contrat de franchise diminuée de 5 %, bénéficieraient de celle-ci sur le prix promotionnel, les autres bénéficiant de la remise contractuellement prévue sur le prix normal.
Elle observe, à cet égard, que le contrat de franchise laissait à son appréciation les techniques promotionnelles à mettre en œuvre, que la technique expérimentée était justifiée par les errements antérieurs et qu'elle avait déjà été conduite, dans le passé, à demander une participation aux franchisés notamment en ce qui concerne certains mailings ou la distribution de cadeaux.
Elle observe également que, le franchisé pouvant s'approvisionner auprès d'autres franchisés, il disposait d'une solution équivalente, excluant l'application de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Elle critique ainsi le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à payer des dommages et intérêts au franchisé pour les pratiques mises en place en 1988.
Elle demande confirmation du jugement en ce qu'il a débouté le franchisé de sa demande au titre d'un refus abusif de renouveler le contrat, dès lors que, d'une part, l'attitude négative de ce franchisé a affecté les relations de confiance devant présider aux rapports contractuels, que le non renouvellement d'un contrat n'a pas à être justifié par celui qui le décide et que le cocontractant a été prévenu très longtemps à l'avance.
Elle prétend au paiement d'une somme de 100 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Sur quoi
Considérant que la validité du contrat de franchise n'est pas discutée ;
Considérant que le franchiseur reconnaît avoir suspendu l'approvisionnement de la SARL Centre de beauté du Faucigny pendant quelques semaines, en raison du fait qu'il estimait que ce franchisé avait procédé, pendant l'année 1987 et une partie de l'année 1988, à des achats sur la base d'un prix promotionnel et avait revendu à la clientèle les produits ainsi achetés sans la faire bénéficier à proportion du prix promotionnel d'acquisition ; que cette allégation ne constitue pas une cause légitime de suspension de l'approvisionnement, alors, de surcroît, qu'il n'est établi ni que le franchisé se soit obligé, pour les produits achetés en promotion, à vendre avec une marge limitée ni, d'ailleurs, qu'il ait effectué de telles opérations, l'allégation n'étant fondée que sur sa marge globale et non sur l'évolution de ses achats au franchiseur ;
Considérant qu'en outre le franchiseur, qui démarche lui-même par correspondance les clients du réseau de commercialisation intégrée constitué avec les franchisés, s'est obligé, par l'article 5-4 du contrat de franchise litigieux, à vendre, pour satisfaire la clientèle se fournissant et utilisant les services de la SARL Centre de beauté du Faucigny, les produits Yves Rocher avec une remise de 31 % sur les prix de vente unitaires HT à la clientèle, tel que ces prix ressortent des documents intitulés " Livres verts de la beauté " et des tarifs de mise à jour qu'il édite, en se réservant le droit de pratiquer, à sa seule initiative, sur ces tarifs de référence, des " remises promotionnelles " plus élevées, pour certains produits et pendant certaines périodes par lui fixés, sans que les parties aient expressément et clairement convenu du taux de remise applicable lorsque le franchiseur décide, pour son compte, une vente promotionnelle à la clientèle, sur certains produits et pour une certaine période ; que cependant, jusqu'en 1987, le franchiseur a assis, dans ce cas, la remise stipulée à l'égard des franchisés non sur les tarifs normaux mais sur les prix promotionnels qu'il accordait régulièrement à la clientèle ;
Considérant que le franchiseur a estimé nécessaire, en 1988, de demander aux franchisés et notamment à la SARL Centre de beauté du Faucigny une contribution temporaire aux opérations promotionnelles destinées à la clientèle, contribution qui s'analyse en une réduction des remises jusqu'alors pratiquées ; que le refus de certains des franchisés et l'acceptation d'autres devaient conduire le franchiseur, en toute hypothèse, à adopter pour le réseau une solution compatible avec les règles de concurrence sur le marché intérieur, étant observé que les contrats de franchise mettent les franchisés en situation de dépendance économique, caractérisée notamment, d'une part, par le fait que le franchiseur fixe, par des remises sur son prix de vente à la clientèle et ainsi sans autre contrainte que celle du marché intérieur des cosmétiques vendus par les franchisés, ceux-ci ne pouvant s'approvisionner qu'auprès de lui ou d'autres franchisés pour ces produits, et d'autre part, par le fait qu'il peut concurrencer les franchisés sur leur secteur par des ventes par correspondance qu'il annonce à la clientèle par l'envoi postal de ses tarifs, portant très régulièrement des prix promotionnels, unilatéralement décidés par lui, valables pour une période de temps déterminée et ne constituant qu'une technique de vente ;
Considérant que la SARL Centre de beauté du Faucigny ayant refusé la contribution ainsi demandée, le franchiseur lui a appliqué, pour les opérations de promotion pour lesquelles il demandait une telle contribution, une remise de 31 % non sur le prix de vente à la clientèle, comme auparavant, mais sur le prix qui aurait été celui appliqué s'il n'y avait pas eu promotion; qu'un tel agissement caractérise un abus de dépendance économique du franchisé, au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, pour les motifs suivants :
- le contrat de franchise laisse subsister des relations de concurrence entre le franchiseur et le franchisé sur le secteur de celui-ci,
- les promotions à la clientèle décidées unilatéralement, systématiquement et fréquemment par le franchiseur sur les produits les plus variés ont obligé, en fait, le franchisé à s'aligner sur l'ensemble des prix de vente effectifs de celui-là, en raison de la désorganisation de sa politique commerciale du fait que les remises pratiquées n'étaient plus nécessairement assises sur les prix de vente annoncés par le franchiseur à la clientèle,
- le franchisé ne pouvait recourir, pour son approvisionnement, à une solution équivalente du fait de la fréquence des opérations promotionnelles du franchiseur, de la variété des produits qu'elles concernaient périodiquement, du caractère tardif de leur annonce et de l'obligation contractuelle du franchisé de détenir un stock répondant aux demandes de la clientèle, ce dont il ressort qu'est inopérant le fait que son contrat lui ait permis de se fournir également auprès des autres franchisés, y compris auprès de ceux établis hors du marché intérieur, sans qu'il y ait lieu de rechercher si cette solution aurait été économiquement supportable par lui, dès lors qu'en toute hypothèse elle ne pouvait être effectivement exercée,
- enfin ces pratiques ont eu pour effet, sinon pour objet, de fausser le jeu de la concurrence des produits Yves Rocher sur le secteur du franchisé, où opère également le franchiseur, en laissant celui-ci seul maître de l'ensemble des prix;
Considérant qu'ainsi à bon droit le jugement déféré a accordé des dommages et intérêts au franchisé pour un abus, par le franchiseur, de la dépendance économique de celui-là;
Considérant qu'à bon droit le préjudice en cours de contrat à la date du jugement déféré a été évalué, pour l'ensemble de ces manquements, à la somme de 33 000 F, somme qui n'est pas discutée par le franchisé ; qu'il n'apparaît pas, en outre, que celui-ci ait été intentionnellement écarté des réunions d'information et de concertation du franchiseur avec les franchisés, même s'il n'a pas reçu en 1990 une invitation pour une de ces réunions, dont il a par contre, reçu la cassette vidéo réalisée à cette occasion et destinée à ceux qui n'avaient pas pu y participer ; que la demande en réparation pour un préjudice de ce chef n'est pas justifiée ;
Considérant qu'il n'est pas discuté que le contrat de franchise liant les parties vient à expiration le 24 mai 1992, pour avoir été convenu pour 5 ans le 24 mai 1987 ;
Considérant que par lettre du 30 juin 1988 la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher a fait connaître au franchisé qu'elle ne renouvellerait pas le contrat à la date de son expiration ;
Considérant que le non renouvellement d'un contrat, convenu pour un durée déterminée et par lequel les relations commerciales se sont établies pendant cette période, ne constitue pas, au sens de l'article 8 dernier alinéa de l'ordonnance du 1er décembre 1986, une rupture des relations commerciales ainsi établies, lesquelles ont normalement pris fin en application de la convention, ce qui exclut qu'il y ait rupture ; qu'en outre, bien qu'il n'ait pu l'imposer à l'ensemble des franchisés, il n'apparaît pas que la contribution aux actions de promotion, demandée par le franchiseur et acceptée par un grand nombre de franchisés, ait été commercialement injustifiée pour ne pas correspondre à l'intérêt du réseau, étant observé que l'abus de dépendance économique, retenu par le présent arrêt, siège dans les conséquences que le franchiseur a cru devoir tirer du refus par le franchisé de contribuer, quant au calcul de ses remises sur certaines opérations promotionnelles ; qu'enfin le franchisé ne justifie pas que, du fait de l'activité déployée et des dépenses faites par lui en exécution du contrat expiré, le refus de renouvellement de ce contrat par le franchiseur ait présenté, en raison des circonstances l'ayant précédé, le caractère d'un abus de droit par l'intention de nuire ou la malveillance de son auteur ; qu'il s'ensuit qu'à bon droit le jugement déféré a débouté la SARL Centre de beauté du Faucigny de sa demande de dommages et intérêts au titre du refus du renouvellement, par ailleurs notifié au franchisé plusieurs années avant l'expiration du contrat ;
Considérant qu'ainsi le jugement doit être confirmé dans toutes ses dispositions ;
Considérant que l'abus de procédure de la SARL Centre de beauté du Faucigny n'est pas caractérisé ; que l'équité commande l'octroi à son adversaire d'une indemnité de 7 000 F pour les frais non taxables qu'il a exposés en appel ; que les dépens d'appel incombent à la SARL Centre de beauté du Faucigny qui succombe ;
Par ces motifs : Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Déboute la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher de sa demande du dommages et intérêts pour procédure abusive ; Condamne la SARL Centre de beauté du Faucigny à payer à la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher une indemnité de 7 000 F pour les frais non taxables exposés par celle-ci en appel ; Condamne la SARL Centre de beauté du Faucigny aux dépens d'appel, avec pour l'avoué adverse le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.