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Décisions

Conseil Conc., 10 mai 1995, n° 95-D-35

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées dans le secteur de la distribution pharmaceutique dans la vallée de l'Arve

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. André-Paul Weber, par MM. Barbeau, président, Cortesse, Jenny, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 95-D-35

10 mai 1995

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre, enregistrée le 13 avril 1994 sous le numéro F 673, par laquelle le ministre de l'Economie n saisi le Conseil de la concurrence de pratiques concertées relevées dans le secteur de la distribution pharmaceutique dans la vallée de l'Arve°; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu le Code de la santé publique, et notamment ses articles L. 152, L. 511, L. 512 et L. 569 ; Vu la lettre en date du 20 décembre 1994 par laquelle le président du Conseil de la concurrence a décidé de porter l'affaire devant la commission permanente ; Vu les observations présentées par le conseil de l'ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes, par le syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie, par l'Union nationale des pharmacies de France, par la société en nom collectif Burnier-Patissier, par Mmes Allard, Blanc, Davoine, Sanchez, Tizané, par MM. Bedaride, Marchat, Meyer, Michellier, Zirnhelt et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants du conseil de l'ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes, du syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie, de l'Union nationale des pharmacies de France, de la société en nom collectif Burnier-Patissier, de Mmes Allard, Blanc, Davoine, Sanchez, Tizané et de MM. Bedaride, Marchat, Meyer, Michellier et Zirnhelt entendus, Mme Esfandi ayant été régulièrement convoquée ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. CONSTATATIONS

A. Les caractéristiques de l'activité

La distribution des médicaments

L'article L. 152 du Code de la santé publique réserve aux pharmaciens le monopole de la vente au détail des médicaments destinés à l'usage de la médecine humaine, tels que définis par l'article L. 511 de ce Code, et d'un certain nombre de produits non médicamenteux : objets de pansements et articles présentés comme conformes à la pharmacopée, insecticides et acaricides destinés à être appliqués sur l'homme, produits destinés à l'entretien ou à l'application de lentilles oculaires de contact, produits destinés au diagnostic médical ou à celui de la grossesse, plantes médicinales inscrites à la pharmacopée sous réserve de dérogations, aliments lactés diététiques pour nourrissons et aliments de régime destinés aux enfants du premier âge (moins de quatre mois), dont les caractéristiques sont définies par l'arrêté du 9 juin 1988. Des dispositions spéciales instituent par ailleurs un monopole de distribution pour d'autres produits, tels les médicaments vétérinaires (art. L. 511 du Code) et certaines substances vénéneuses (art. R. 5166, 5167 et 5169).

Les pharmaciens d'officine, détenteurs de ce monopole de distribution, sont chacun propriétaire de leur fonds de commerce et titulaire d'un diplôme de pharmacie. L'activité en cause est soumise à un numerus clausus. A cet égard, l'implantation des officines pharmaceutiques obéit à une loi de répartition introduite aux articles L. 570 et L. 571 du Code de la santé publique, qui a pour but de permettre une répartition harmonieuse desdites officines sur le territoire national.

Le monopole institué par l'article L. 512 n'est pas absolu. Il comporte des dérogations au profit d'autres professions. Les premières, auxquelles renvoie expressément l'article L. 512, concernent les médecins propharmaciens (art. L. 594), les droguistes d'Alsace-Lorraine (art. L. 560) et les " non-pharmaciens " de certains départements d'outre-mer (art. L. 662). Les secondes, prévues par d'autres dispositions du Code de la santé publique, visent en particulier les opticiens lunetiers pour les produits destinés à l'entretien des lentilles oculaires de contact, les herboristes diplômés à la date de la publication de la loi du 11 septembre 1941 pour les plantes visées aux alinéas 2 et 3 de l'article L. 659 du Code.

Le rôle de pharmacien d'officine dans la vente des autres produits

L'article L. 569 du Code de la santé publique autorise les pharmaciens à vendre d'autres produits que ceux visés par l'article L. 512. Un arrêté du 19 mars 1990, pris en application du premier des textes précités, énumère les catégories de produits correspondant au champ d'activité du pharmacien d'officine.

Outre les produits soumis à monopole, les pharmaciens peuvent vendre les médicaments et produits à usage vétérinaire, les produits cosmétiques et d'hygiène corporelle, les produits, articles et appareils utilisés dans les soins et l'hygiène bucco-dentaire, les produits diététiques de régime et la confiserie pharmaceutique, les produits, articles et appareils d'optique et d'acoustique médicales, les articles d'orthopédie et de grand appareillage, les articles nécessaires à l'hospitalisation à domicile, les produits, articles et appareils utilisés dans l'art de l'oenologie, les produits de désinsectisation et de dératisation ainsi que les produits phytosanitaires.

Les modes de détermination des prix de vente au public

Par application de la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987, le ministre chargé de l'économie et le ministre chargé de la santé et de la sécurité sociale fixent par voie d'arrêtés les prix et marges des produits et des prestations de services pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale. Ainsi, la détermination des prix des médicaments remboursés par les caisses de sécurité sociale échappe à l'initiative du pharmacien.

En revanche, les prix des médicaments " grand public " et " conseil ", qui ne sont pas remboursés par les régimes obligatoires de sécurité sociale et qui, respectivement, se caractérisent par le fait qu'ils peuvent ou non faire l'objet d'une publicité tournée vers le public, et ceux des autres produits vendus en pharmacie qui ne sont pas davantage remboursés résultent du libre jeu de l'offre et de la demande. Tandis que les pharmaciens d'officine peuvent se concurrencer par le moyen des prix sur les médicaments " conseil " et " grand public ", une concurrence de même nature est possible sur les produits de parapharmacie tant entre pharmacies qu'entre pharmacies et le secteur de la grande distribution.

L'organisation de la profession officinale et les règles déontologiques

Les pharmaciens sont régis par un ordre professionnel, conformément aux articles L. 520 à L. 548 du Code de la santé publique. L'Ordre national des pharmaciens a pour objet d'assurer le respect des devoirs professionnels et la défense de l'honneur et de l'indépendance de la profession. Dans chaque région sanitaire, un conseil régional des pharmaciens exerce, à l'égard de ceux-ci, la police des inscriptions au tableau de l'ordre et le respect des règles professionnelles propres à la pharmacie d'officine.

Les dispositions du Code de déontologie des pharmaciens résultent du décret n° 95-284 du 14 mars 1995. Elles ont été introduites aux articles R. 5015-1 à 5015-77 du Code de la santé publique.

Les infractions aux dispositions du Code de déontologie des pharmaciens relèvent de la juridiction disciplinaire de l'ordre, sans préjudice, pour certaines d'entre elles, des poursuites pénales qu'elles sont susceptibles d'entraîner. Les chambres de discipline des conseils régionaux et des conseils centraux de l'ordre prononcent des peines disciplinaires en première instance. Le conseil national constitué en chambre de discipline est la juridiction d'appel des conseils centraux et des conseils régionaux. Le Conseil d'Etat est juge de cassation du contentieux disciplinaire.

Les articles R. 5015-21 et R. 5015-22, R. 5015-34 et R. 5015-40 du Code de la santé publique mettent l'accent sur la loyauté, la solidarité et la confraternité que se doivent les pharmaciens.

Les deux principales organisations syndicales de pharmaciens sont la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France et l'Union nationale des pharmaciens de France. La première regroupe 80 p. 100 environ des pharmaciens d'officine français au sein des syndicats locaux dans chacun des départements métropolitains. La seconde regroupe 7 p. 100 des officines par le biais de syndicats régionaux.

B. Les faits à qualifier

Dans la vallée de l'Arve, les communes dé Sallanches, Plateau-d'Assy, Passy, Combloux, Le Fayet, Saint-Gervais-les-Bains, Magland et Les Contamines-Montjoie constituent une zone de chalandise sur laquelle opèrent quinze pharmacies d'officine. On en dénombre cinq à Sallanches, elles sont la propriété de Mme Allard, Mmes Burnier et Patissier (SNC Burnier-Patissier), M. Marchat, M. Meyer, Mme Esfandi ; quatre sur l'ensemble que constituent les communes de Passy et du Plateau-d'Assy, elles sont détenues par Mme Blanc, M. Michellier, Mme Sanchez, Mme Tizané les deux officines, de Saint-Gervais-les-Bains sont respectivement la propriété de M. Bedaride et de Mme Petit ; les quatre dernières officines sont situées à Magland (M. Zirnhelt), à Combloux (M. Dupré), aux Contamines-Montjoie (Mme Mure) et au Fayet (Mme Davoine).

En mars 1993, plusieurs pharmaciens localisés sur la zone de chalandise considérée reconnaissent que, pour déterminer les prix de vente des produits de parapharmacie et des médicaments non remboursables, ils ont, particulièrement en 191 et 1992, appliqué des coefficients multiplicateurs, sur le prix d'achat hors taxes catalogue, identiques, de 1,87 pour les produits de parapharmacie et de 1,66 pour les médicaments. Tel est le sens des déclarations qui ont été recueillies auprès de Mmes Allard, Mure, Patissier, Blanc, Sanchez, Tizané, Petit et de MM. Zirnhelt et Marchat. Pour sa part, M. Meyer a soutenu retenir une politique de prix " orthodoxe ". En 1991 et 1992, une politique de prix différente a été adoptée par Mme Esfandi. Ses prix de vente sur les produits de parapharmacie et les médicaments non remboursés sont alors de 25 à 30 p. 100 inférieurs aux prix usuellement retenus sur ce marché.

Soumis à la pression de la concurrence exercée par Mme Esfandi, enregistrant la stagnation de leur chiffre d'affaires, les pharmaciens concernés ont réagi. Certains d'entre eux ont procédé à des ajustements de prix. Cette politique se révélant à leurs yeux inadaptée, ils ont entrepris des actions collectives.

En premier lieu, au cours de réunions tenues en 1992, certains pharmaciens de la vallée de l'Arve se sont mis d'accord pour soumettre à boycott les laboratoires qui continueraient d'approvisionner la pharmacie de Mme Esfandi. Les pharmaciens en cause souhaitaient que la pharmacie Esfandi retienne une politique commerciale conforme aux marges habituelles appliquées par les confrères. Dans leurs dépositions, Mmes Tizané, Patissier, Allard et MM. Meyer et Zirnhelt ont reconnu avoir opéré, courant 1992, des démarches auprès de représentants de laboratoires en les menaçant de cesser leurs approvisionnements s'ils continuaient à livrer Mme Esfandi.

L'échec de la politique de boycott, échec reconnu tant par ses auteurs que par Mme Esfandi, a, en deuxième lieu, conduit en 1992, à la suite de nouvelles réunions, à la rédaction d'une plainte collective adressée au président du conseil de l'Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes. Signée Blanc, Zirnhelt, Marchat, Allard, Davoine, Petit, Dupré Meyer, Tizané, Burnier-Patissier, Michellier, Mure et Sanchez, cette plainte dénonce la politique de prix adoptée par Mme Esfandi qui, " depuis plusieurs années ", pratique des ristournes de " 30 à 45 p. 100 " sur les prix retenus " par la grande majorité des pharmaciens, et ce non seulement sur les produits de parapharmacie, mais aussi sur les produits de médication familiale grand public et conseil ". Il y est également soutenu que la pratique en cause " non expressément prohibée par la législation provoque l'incompréhension de la population de la région... est de nature à déconsidérer la profession aux yeux du public... (qu'enfin) la vente de médicaments à prix cassés ne peut avoir comme seul objectif que de s'attaquer aux autres confrères en sollicitant et en détournant leur clientèle par des procédés peu compatibles avec la dignité professionnelle ".

Sur convocation du conseil régional de l'Ordre des pharmaciens du 28 novembre 1992, une réunion s'est tenue au Fayet, le 6 décembre 1992. Elle a rassemblé M. Cornet, vice-président du conseil de l'Ordre de la région Rhône-Alpes, M. Rochet, rapporteur du dossier nommé par le conseil de l'Ordre, MM. Masson et Destouches en tant que, respectivement, président du syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie et représentant départemental de Haute-Savoie de l'Union nationale des pharmacies de France, ainsi que les pharmaciens ci-après désignés : Mmes Sanchez, Tizané, Patissier, Blanc, Allard, et MM. Marchat, Meyer, Michellier, Zirnhelt, Bedaride. Ce dernier, non signataire de la plainte, a représenté Mme Petit. Etaient également présents Mme Esfandi et M. Coudert, pharmacien chargé par le conseil de l'Ordre d'assister cette dernière. Il n'est pas établi que les pharmaciens Davoine, Dupré et Mure aient participé à la réunion.

Il résulte des différents procès-verbaux, et particulièrement des dépositions de Mmes Sanchez, Tizané, Patissier, Blanc et de MM. Bedaride, Michellier, Meyer, Masson, Destouches et Rocher, que la réunion a abouti à un accord, Mme Esfandi acceptant de revenir à " des marges plus correctes " (déposition de Mme Tizané). Selon la déposition de Mme Blanc, Mme Esfandi, percevant " qu'elle mettait l'ensemble de la profession en difficulté,... a... sous la pression de l'ensemble de ses collègues... consenti à revenir à une politique commerciale plus conforme à celle permise par la profession s'est engagée à revenir à des prix plus cohérents ". Mme Patissier et M. Bedaride précisent que Mme Esfandi a accepté de relever ses marges par paliers ; d'ici au 1er avril 1994, elle devait remonter ses marges de 15 p. 100 pour, après le 1er avril, appliquer " les marges habituelles ".

L'instruction a révélé que les ajustements tarifaires envisagés par Mme Esfandi ont été la conséquence des pressions exercées lors de la réunion du 6 décembre 1992 par les représentants du conseil de l'Ordre, les représentants des deux syndicats et les confrères présents. Tel est le sens des déclarations concordantes de M. Michellier selon lesquelles " Mme Esfandi avait l'air d'accord pour suivre les limites que lui conseillaient les représentants du conseil de l'Ordre " (procès-verbal d'audition du 19 mars 1993) et de Mme Patissier qui a soutenu que " finalement, la réunion s'est bien passée. Les représentants de l'Ordre et des deux syndicats ont pesé de tout leur poids pour que... (Mme Esfandi) accepte de relever ses prix de vente " (procès-verbal d'audition du 19 mars 1993). Le rôle joué par le conseil de l'Ordre et les représentants syndicaux est également attesté par les déclarations de Mme Tizané selon lesquelles " devant l'ensemble de ses confrères, des membres importants du conseil de l'Ordre et des deux syndicats, elle (Mme Esfandi) s'est vue contrainte de modifier sa politique de prix " (procès-verbal d'audition du 12 mars 1993), de M. Rocher (rapporteur du dossier), qui a soutenu que " les deux représentants syndicaux sont allés dans notre sens, en rappelant les impératifs de la profession et les inconvénients économiques que peut engendrer une politique de prix agressive " (procès-verbal d'audition du 13 avril 1993) et de Mme Sanchez, qui a reconnu que " face à toute notre profession, Mme Esfandi... s'est engagée à ne plus appliquer de promotions importantes de façon continuelle ", (procès-verbal d'audition du 12 mars 1993).

Mme Esfandi a confirmé les faits ci-dessus rappelés. Toutefois, parce que le premier relèvement de prix a entraîné une contraction de la demande, elle a pris la décision " de ne pas aller plus loin dans (la) voie (de la hausse des prix) ".

II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL

Sur la procédure :

Considérant qu'il est soutenu par le conseil de l'Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes que les procès-verbaux visés à la notification de griefs doivent être écartés au motif que les enquêteurs n'ont pas indiqué aux pharmaciens interrogés l'objet de leur enquête ; que les enquêteurs se sont abstenus de les informer du fait que les dépositions recueillies pourraient déboucher sur des " motifs d'incrimination sur le fondement de l'article 7 " de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; que la " forme directrice " des questions posées " ne pouvait que conduire les pharmaciens à faire des déclarations dont ils ignoraient le sens comme la portée juridique " ; que la méthode de " l'auto-accusation " retenue par les enquêteurs est contraire aux principes posés tant par la convention européenne des droits de l'homme que par le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Considérant qu'aux termes de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Les enquêteurs peuvent accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transport à usage professionnel, demander la communication des livres, factures et tous autres documents professionnels et en prendre copie, recueillir sur convocation ou sur place les renseignements et justifications "; qu'aux termes de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 : " Les procès-verbaux prévus à l'article 46 de l'ordonnance sont rédigés dans le plus court délai. Ils énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués. Ils sont signés de l'enquêteur et de la personne concernée par les investigations. En cas de refus de celle-ci, mention en est faite au procès-verbal ";

Considérant,en premier lieu, qu'il ressort des dispositions ci-dessus citées que, dans le cadre d'une enquête diligentée sur le fondement de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, si les enquêteurs doivent indiquer aux personnes interrogées l'objet de l'enquête à laquelle ils procèdent, il n'est pas prescrit de porter cette mention dans le procès-verbal de déclaration ; qu'en tout état de cause les procès-verbaux d'audition font état d'une enquête portant sur la distribution en officine°; que, d'ailleurs, les enquêteurs ont informé les parties qu'ils intervenaient en application de l'article 45 de l'ordonnance précitée dans le cadre d'une enquête relative à la situation de la concurrence dans le secteur de la distribution en officine de médicaments " conseil " et " grand public " et de produits de parapharmacie ; qu'en outre les mentions portées sur les procès-verbaux, comportant le visa de l'ordonnance du 1er décembre 1986, sont suffisamment claires et précises pour que les personnes entendues n'aient pu se méprendre sur la portée de leurs réponses et aient été en mesure de préserver leurs droits ; qu'il n'y a dès lors pas lieu d'écarter ces actes d'instruction, sur lesquels le rapporteur a pu valablement fonder les griefs qu'il a retenus contre certaines parties ;

Considérant, en second lieu, que les parties visées par la présente procédure reconnaissent les faits qui leur sont reprochés ; qu'elles s'efforcent d'ailleurs de les justifier en invoquant la nécessité qu'il y avait de faire cesser la politique de prix trop agressive de Mme Esfandi et le fait que les actions engagées étaient justifiées par le souci d'assurer le maintien du service de distribution pharmaceutique dans les conditions imposées par le législateur ;

Sur le fond :

Considérant que la politique de boycott à l'encontre de laboratoires persistant à approvisionner la pharmacie Esfandi engagée, courant 1992, par Mmes Tizané, Allard, la SNC Burnier-Patissier et par MM. Meyer et Zirnhelt était destinée à contrarier la stratégie commerciale de Mme Esfandi ; qu'il résulte de procès-verbaux de déclarations que cette politique a été le résultat de concertations ; que ces concertations avaient pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché entre les pharmaciens localisés sur la zone de chalandise considérée ; qu'ainsi les pharmaciens Tizané, Allard, Meyer, Zirnhelt et la SNC Burnier-Patissier ont contrevenu aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986;

Considérant que, s'il était loisible aux pharmaciens localisés sur la zone de chalandise considérée de formuler une plainte collective auprès du président du conseil de l'Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes dénonçant les éventuelles infractions au Code de la santé publique commises par Mme Esfandi et s'il était légitime qu'un rapporteur soit nommé, il n'appartenait pas à l'instance ordinale de susciter, sous son autorité, l'organisation d'une réunion conduisant Mme Esfandi à participer à une entente de prix ;

Considérant qu'il résulte de dépositions concordantes que, lors de la réunion litigieuse, Mme Esfandi " s'est engagée à ne plus appliquer de promotions importantes de façon continuelle " (procès-verbal d'audition de M. Bedaride du 11 mars 1993) et a accepté " d'entendre raison... (pour) revenir à des marges plus correctes " (procès-verbal d'audition de MmeTizané du 12 mars 1993) ; qu'il résulte d'autres dépositions que les ajustements tarifaires envisagés par Maie Esfandi ont été la conséquence des pressions exercées lors de la réunion du 6 décembre 1992 par les représentants du conseil de l'Ordre, des représentants syndicaux et les confrères présents ; qu'ainsi le conseil de l'Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes, le syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie, l'Union nationale des pharmacies de France ainsi que Mmes et MM. Sanchez, Tizané, Blanc, Allard, Marchat, Meyer, Michellier, Zimbelt et Bedaride, la SNC Burnier-Patissier de même que Mme Esfandi, qui ont participé à la réunion du 6 décembre 1992, ont contrevenu aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

Considérant que, si les dispositions du Code de déontologie invoquées par le conseil de l'Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes concernant en particulier les devoirs de confraternité (art. R. 5015-34 du Code de la santé publique) restreignent les conditions dans lesquelles les pharmaciens peuvent se concurrencer, elles n'impliquent nullement l'absence de toute forme de concurrence entre ceux-ci sur les produits de parapharmacie et les médicaments non remboursables ; que l'exercice de la concurrence sur ces produits et médicaments n'est nullement contraire aux dispositions de l'article R. 5015-22 du Code de la santé publique dès lors qu'elle s'exerce par des moyens et procédés conformes à la dignité de la profession ; que, si l'article R. 5015-40 de ce Code invite les pharmaciens à tenter de résoudre leurs éventuels différends par voie de conciliation et préconise, en cas d'échec, d'en aviser le président du conseil régional ou national compétent de l'Ordre, le président du conseil de l'Ordre des pharmacies de la région Rhône-Alpes ne pouvait nullement organiser une réunion tendant à conclure une entente de prix ; que, dès lors, les recommandations du conseil de l'Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes invitant Mme Esfandi à procéder à des ajustements de prix dans les secteurs de la parapharmacie et du médicament non remboursable sont dépourvues de tout fondement tiré d'un texte législatif ou réglementaire ;

Considérant que le syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie n'est pas fondé à soutenir que son intervention lors de la réunion du 6 décembre 1992 s'est inscrite dans le cadre de la procédure de conciliation autorisée par les règles déontologiques régissant la profession dès lors que cette réunion avait pour objet et pouvait avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence ; qu'il ne peut pas davantage s'exonérer de sa responsabilité au motif qu'il n'a diffusé aucune consigne écrite en ce qui concerne les prix à adopter ;

Considérant que Mmes et MM. Allard, Blanc, Davoine, Sanchez, Tizané, Bedaride, Marchat, Meyer, Michellier, Zirnhelt et la SNC Burnier-Patissier ne peuvent pas soutenir que les pratiques dénoncées visaient à remédier aux risques économiques que la politique commerciale de Mme Esfandi faisait courir ; que, si les parties en cause avancent que cette politique était de nature à entraîner la disparition de certaines officines et à faire échec à la répartition harmonieuse des officines sur le territoire, elles ne pouvaient toutefois faire échec au libre jeu de la concurrence dès lors qu'aucune des dispositions du Code de la santé publique et du Code de déontologie ne les autorisait à conclure une entente générale sur les prix des médicaments non remboursables et des produits de parapharmacie ;

Sur les suites à donner :

Considérant que M. Destouches, convié par le conseil de l'Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes à la réunion du 6 décembre 1992 en tant que " représentant de l'Union nationale des pharmacies de France ", n'était nullement mandaté pour représenter l'instance syndicale ; que l'Union nationale des pharmacies de France n'avait aucune raison de participer à une telle réunion dès lors qu'elle ne comptait aucun adhérent parmi les pharmaciens concernés par le présent dossier ; que le représentant régional de ce syndicat n'avait d'ailleurs pas été convoqué à la réunion litigieuse ; que, dès lors, cette union doit être mise hors de cause ;

Considérant que Mmes Blanc et Tizané ont cédé leur pharmacie en 1993 et que c'est à tort qu'une notification de griefs leur a été adressée ;

Considérant que la procédure contradictoire a révélé, que Mme Davoine n'avait pas participé à la réunion du 6 décembre 1992 ; que c'est donc également à tort qu'un grief lui a été notifié ;

Considérant enfin que si Mme Esfandi a dû, sous la pression exercée par le conseil de l'Ordre de la région Rhône-Alpes, du syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie et de confrères, accepter de remonter ses prix lors de la réunion du 6 décembre 1992, elle a ensuite, et très rapidement, repris sa liberté commerciale ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos " ; qu'en application de l'article 22, alinéa 2, de la même ordonnance, la commission permanente peut prononcer les mesures prévues à l'article 13, les sanctions infligées ne pouvant, toutefois, excéder 500 000 F pour chacun des auteurs des pratiques prohibées;

Considérant que la mise en œuvre d'une pratique concertée de boycott et d'actions conjointes visant à limiter la liberté commerciale d'un distributeur entendant retenir une politique de marge commerciale autonome est d'une particulière gravité ; que le dommage à l'économie est demeuré limité dès lors qu'en particulier la politique de boycott n'a pas été suivie d'effet ; que Mme Esfandi est revenue sur les engagements auxquels elle avait souscrits ; qu'enfin les engagements portant sur les produits parapharmaceutiques et les médicaments non remboursables ne concernaient que 20 à 25 p. 100 du chiffre d'affaires des officines concernées ;

En ce qui concerne le conseil de l'Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes :

Considérant que le conseil de l'Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes a organisé une réunion de concertation anticoncurrentielle entre des pharmaciens de la vallée de l'Arve ; qu'au cours de cette réunion les représentants du conseil de l'Ordre ont exercé des pressions sur Mme Esfandi et formulé, en dehors de tout fondement législatif ou réglementaire, des recommandations l'invitant à majorer ses prix ;

Considérant que le montant des ressources du conseil de l'Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes s'est élevé au cours de l'exercice clos le 31 mars 1995 à 1120000 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 300 000 F ;

En ce qui concerne le syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie :

Considérant que le syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie a participé à une réunion de concertation entre des pharmaciens de la vallée de l'Arve ; qu'au cours de cette réunion le représentant du syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie a exercé des pressions sur Mme Esfandi en l'invitant à majorer ses prix ;

Considérant que le montant des ressources du syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie s'est élevé au cours de l'exercice 1994 à 3 763 725 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 200 000 F ;

En ce qui concerne la pharmacie Allard :

Considérant que la pharmacie Allard a participé à des réunions de concertation entre des pharmaciens de la vallée de l'Arve ; qu'elle a engagé des actions de boycott et exercé des pressions sur Mme Esfandi afin de la conduire à majorer ses prix ;

Considérant que cette pharmacie a réalisé au cours de l'exercice clos le 31 août 1994, dernier exercice connu, un chiffre d'affaires de 5 759 961 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 60 000 F ;

En ce qui concerne la pharmacie Meyer :

Considérant que la pharmacie Meyer a participé à des réunions de concertation entre des pharmaciens de la vallée de l'Arve ; qu'elle a engagé des actions de boycott et exercé des pressions sur Mme Esfandi afin de la conduire à majorer ses prix ;

Considérant que cette pharmacie a réalisé au cours de l'exercice clos le 31 mars 1994, dernier exercice connu, un chiffre d'affaires de 5 147 823 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 50 000 F ;

En ce qui concerne la pharmacie Zirnhelt :

Considérant que la pharmacie Zirnhelt a participé à des réunions de concertation entre des pharmaciens de la vallée de l'Arve ; qu'elle a engagé des actions de boycott et exercé des pressions sur Mme Esfandi afin de la conduire à majorer ses prix ;

Considérant que cette pharmacie a réalisé au cours de l'exercice clos le 30 septembre 1994, dernier exercice connu, un chiffre d'affaire de 3 902 465 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 40 000 F ;

En ce qui concerne la société Burnier-Patissier :

Considérant que la société Burnier-Patissier a participé à des réunions de concertation entre des pharmaciens de la vallée de l'Arve ; qu'elle a engagé des actions de boycott et exercé des pressions sur Mme Esfandi afin de la conduire à majorer ses prix ;

Considérant que cette société a réalisé au cours de l'exercice clos le 30 janvier 1994, dernier exercice connu, un chiffre d'affaires de 4 673 884 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 45 000 F ;

En ce qui concerne la pharmacie Michellier :

Considérant que la pharmacie Michellier a participé à une réunion de concertation entre des pharmaciens de la vallée de l'Arve ; qu'elle a exercé des pressions sur Mme Esfandi afin de la conduire à majorer ses prix ;

Considérant que cette pharmacie a réalisé au cours de l'exercice clos le 30 septembre 1994, dernier exercice connu, un chiffre d'affaires de 7 512 598 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 35 000 F ;

En ce qui concerne la pharmacie Marchat :

Considérant que la pharmacie Marchat a participé à une réunion de concertation entre des pharmaciens de la vallée de l'Arve ; qu'elle a exercé des pressions sur Mme Esfandi afin de la conduire à majorer ses prix ;

Considérant que cette pharmacie a réalisé au cours de l'exercice clos le 31 mai 1994, dernier exercice connu, un chiffre d'affaires de 5 929 016 F ; qu'en fonction des éléments, généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 30 000 F ;

En ce qui concerne la pharmacie Bedaride :

Considérant que la pharmacie Bedaride a participé à une réunion de concertation entre des pharmaciens de la vallée de l'Arve ; qu'elle a exercé des pressions sur Mme Esfandi afin de la conduire à majorer ses prix ;

Considérant que, cette pharmacie a réalisé au cours de l'exercice clos le 30 septembre 1994, dernier exercice connu, un chiffre d'affaires de 3 482 594 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus il y a lieu de lui infliger une Sanction pécuniaire de 20 000 F ;

En ce qui concerne la pharmacie Sanchez :

Considérant que la pharmacie Sanchez a participé à une réunion de concertation entre des pharmaciens de la vallée de l'Arve ; qu'elle a exercé des pressions sur Mme Esfandi afin de la conduire à majorer ses prix ;

Considérant que cette pharmacie a réalisé au cours de l'exercice clos le 30 juin 1994, dernier exercice connu, un chiffre d'affaires de 2 202 537 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 000 F,

Décide :

Article 1er : - Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

300 000 F au conseil de l'Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes ;

200 000 F au syndicat des pharmaciens de Haute-Savoie ;

60 000 F à Mme Allard (pharmacie Allard) ;

50 000 F à M. Meyer (pharmacie Meyer) ;

40 000 F à M. Zirnhelt (pharmacie Zirnhelt) ;

45 000 F à la SNC Burnier-Patissier ;

35 000 F à M. Michellier (pharmacie Michellier) ;

30 000 F à M. Marchat (pharmacie Marchat) ;

20 000 F à M. Bedaride (pharmacie Bedaride) ;

10 000 F à MmeSanchez (pharmacie Sanchez).

Article 2 : - Dans un délai maximum de trois mois suivant sa notification, le texte intégral de la présente décision sera publié aux frais du conseil de l'Ordre des pharmaciens de la région Rhône-Alpes dans le journal Le Dauphiné libéré (édition de Haute-Savoie) et dans Le Moniteur des pharmaciens. Ces publications seront précédées de la mention°: " Décision du Conseil de la concurrence du 10 mai 1995 relative à des pratiques relevées dans la distribution pharmaceutique dans la vallée de l'Arve. "