Conseil Conc., 3 mai 2000, n° 00-D-14
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre dans le secteur des briques plâtrières dans le grand Ouest de la France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de Mme Bleys, par M. Cortesse, vice-président, présidant la séance, Mmes Mader-Saussaye, Perrot, MM. Bidaud, Piot, Sloan, membres.
Le conseil de la concurrence (section I),
Vu la lettre enregistrée le 13 mars 1996 sous le numéro F 857, par laquelle le ministre délégué aux finances et au commerce extérieur a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre sur le marché des briques plâtrières dans le grand Ouest de la France ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par la Société industrielle des briqueteries de l'Ouest (SIBO), les sociétés Bouyer-Leroux SCOP, Produits rouges de Vendée SA, Jean Rivereau SA, Marcel Rivereau SA et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la Société industrielle des briqueteries de l'Ouest (SIBO), des sociétés Bouyer-Leroux SCOP, Produits rouges de Vendée SA, Jean Rivereau SA et Marcel Rivereau SA entendus au cours de la séance du 7 mars 2000 ; Après avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général adjoint ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :
I. - CONSTATATIONS
A. - le secteur concerné
1. Le marché
Selon les informations fournies par la Fédération française des tuiles et briques, la production de briques plâtrières s'élevait à 1 610 061 tonnes pour l'ensemble du territoire national en 1982, alors qu'en 1991, elle se situait à seulement 687 210 tonnes, soit une baisse de près de 57 % en neuf ans. Beaucoup d'industriels de ce secteur ont essayé de compenser cette baisse d'activité par la fabrication de tuiles qui fait appel à des techniques de production similaires.
La brique plâtrière est un produit traditionnel qui sert à la confection de cloisons, de doublages de cloisons et de plafonds dont la pose exige une main d'œuvre qualifiée. Les caractéristiques particulières de ce produit ne permettent pas de dire que les plaques et carreaux de plâtre lui sont substituables car, bien que leur destination soit identique, ces produits ne présentent pas les mêmes qualités de solidité et ne jouissent pas du prestige de la tradition.
Les principales unités de production de briques plâtrières en France sont :
- le groupe Industrie régionale du bâtiment (IRB) dont le siège social est en Isère et qui est une filiale de la société Imétal ;
- le groupe Migeon, dont le siège social est dans le département de l'Ain.
Ces sociétés commercialisent leurs produits dans les régions situées dans l'est de la France.
- les groupes Guiraud et Gélis, qui appartiennent également au groupe Imétal.
Leur zone de commercialisation se situe dans le sud-ouest de la France.
- la société SIBO qui est une société commune de commercialisation des sociétés Bouyer-Leroux SCOP, Produits rouges de Vendée SA, Jean Rivereau SA et Marcel Rivereau SA dont les unités de production sont situées dans un périmètre restreint en Vendée, dans le Maine-et-Loire et en Loire-Atlantique.
Cette société couvre le reste du territoire français, dénommé " grand Ouest de la France ", soit environ 50 départements situés à l'Ouest d'une ligne brisée reliant Charleville-Mézières, Troyes et Biscarosse, qui constituent sa zone de commercialisation.
Dans cette dernière région, outre la SIBO, qui a commercialisé une moyenne annuelle de 200 000 à 250 000 tonnes de briques plâtrières au cours des années 1991 à 1993, intervenaient, au cours de la même période, quatre briquetiers d'importance moyenne :
- la SA Ducher, à Saint-Léonard-de-Noblat (Haute-Vienne), qui a produit en 1993 environ 7 000 tonnes de briques plâtrières, ainsi que des tuiles, céramiques et accessoires divers ;
- la SA Malmanche, à Chardat d'Abzac Confolens (Charente), qui a produit annuellement, des années 1990 à 1993, environ 9 000 à 10 000 tonnes de briques plâtrières ainsi qu'un tonnage sensiblement équivalent de tuiles et qui parvient à maintenir une production constante alors que celle-ci, sur le plan national, est en diminution ;
- la SA Tuilerie du Chambon, à Saint-Maurice-des-Lions Confolens (Charente) qui, bien que plus orientée vers la production de tuiles, a commercialisé jusqu'à l'année 1993 environ 4 500 tonnes de briques plâtrières par an ;
- la SARL Carrières et briqueterie Lafon, à Saint-Agnant (Charente-Maritime), qui produisait environ 22 000 à 25 000 tonnes de briques (briques plâtrières et briques de murs), les briques plâtrières constituant la majorité de sa fabrication. Cette société a été rachetée, en juillet 1994, par les quatre sociétés actionnaires de la société SIBO.
Par ailleurs, du fait de la survivance de la tradition en Vendée, une dizaine de briquetiers artisanaux produisent de petites quantités de briques plâtrières, de l'ordre de 2 à 4 tonnes par jour et écoulent leur production auprès de plâtriers locaux. Leur production peut être estimée à environ 12 000 tonnes par an.
Ainsi, selon les éléments qui précèdent, dans le grand Ouest de la France, la SIBO réalise, à l'époque des faits, plus de 75 % des ventes de briques plâtrières, alors que la SARL Carrières et briqueterie Lafon, qui vient en deuxième position, n'en réalise qu'environ 10 %.
La brique plâtrière est un produit pondéreux de faible valeur unitaire et les frais de transport affectent fortement son prix.
2. La société industrielle des briqueteries de l'Ouest
La société SIBO a été créée en 1968, sous la forme d'une société anonyme coopérative à capital variable, détenue par la SCOP Bouyer Leroux pour 18,06 %, la SA Produits rouges de Vendée pour 32,84%, la SA Jean Rivereau pour 22,60 % et la SA Marcel Rivereau pour 26,20 %. Le solde est détenu par des personnes physiques ayant un lien avec ces sociétés.
L'article 2 des statuts définit l'objet de cette société : " La coopérative a pour objet de réduire, au bénéfice de ses membres, les frais d'organisation et de réalisation de la vente des produits fabriqués par eux. Et d'une façon générale, de rendre plus rationnelle la distribution de ces produits.
Ainsi la coopérative procédera à la prospection des marchés et à la promotion des ventes des produits de ses adhérents.
Elle assurera l'adaptation de ces produits aux conditions nouvelles des marchés.
Elle a également pour but l'octroi de garanties de qualité et l'amélioration des méthodes de gestion.
Elle achètera tout ou partie desdits produits et les revendra aux consommateurs ou utilisateurs en organisant toute publicité et tous réseaux de vente en France et en tous territoires ou Etats ".
Le règlement intérieur, rédigé en date du 9 septembre 1988, reprend quelques principes fondamentaux qui régissent la SIBO :
" a) La SIBO doit être appréciée comme un organe commun de réflexion et de décision, dont l'objectif est de réaliser une adaptation permanente de moyens de commercialisation des briques plâtrières à la réalité économique et au marché.
b) Les directives, actions ou décisions, que la SIBO est amenée à entreprendre, doivent faire prévaloir en permanence l'intérêt commun et général sur les intérêts particuliers.
c) L'accord de distribution exclusive consenti par chacun de ses membres à la SIBO constitue l'adaptation individuelle nécessaire aux règles communes et s'inscrit dans le respect du présent règlement intérieur ".
Ensuite l'article 1er présente les principes de fonctionnement : " La SIBO s'oblige à acheter ferme, en vue de leur revente, les produits fabriqués par ses membres, ainsi définis - briques plâtrières - et sur la base de quanta fixés à l'article 2. L'introduction de nouveaux produits pourra être réalisée sur décision du conseil d'administration de la SIBO, aux conditions prévues à l'article 14 des statuts.
De même, l'achat ou la vente à la commission ou autrement de produits non fabriqués par les membres, pourra être réalisée sur décision du conseil d'administration.
Cette dernière forme d'activité doit toutefois rester exceptionnelle, l'objectif et la vocation exclusive de la SIBO demeurant la commercialisation des produits fabriqués par ses membres ".
L'article 2 détermine les quotas attribués à chaque membre de la SIBO : " Les quanta sont fixés par le conseil d'administration de SIBO [...]. Ils pourront être révisés dans les conditions suivantes : le 30 septembre de chaque année, le conseil d'administration fait le point de la situation et décide une éventuelle révision des quanta, en s'appuyant essentiellement sur la sanction naturelle du marché, constatée au cours des 12 mois précédents, quant à la quantité et à la qualité des productions de chaque usine ".
Les articles suivants précisent les conditions de fixation des prix : " [...] Ces prix seront révisés dans les conditions suivantes : le conseil d'administration décide de relever le niveau des prix en fonction de l'évolution des charges de production et des possibilités du marché [...] " ainsi que les conditions de fabrication, de stockage, de qualité des produits et le montant des droits d'entrée pour les nouveaux membres éventuels.
L'article 7 prévoit l'établissement d'un contrat d'exclusivité de vente définissant les relations commerciales entre les entreprises adhérentes et la SIBO, et comportant les dispositions suivantes :
" Article 1er: Exclusivité - Le fabricant concède, [...], à la société coopérative qui accepte, l'exclusivité de vente des briques plâtrières dont il assure la fabrication et répondant aux normes déterminées à l'article 5 du règlement intérieur.
En contrepartie, la société coopérative s'oblige à n'avoir pour fournisseurs que ses membres, sauf dérogation exceptionnelle, décidée par le conseil d'administration, conformément à l'article 1 du règlement intérieur.
Article 2: Liberté de vente - La société coopérative demeure libre de vendre où bon lui semble, sans limite territoriale d'aucune sorte, les produits achetés au fabricant.
Ce dernier conserve toutefois la faculté de livrer aux clients s'adressant directement à lui, à condition d'en informer la société coopérative, qui débitera son quantum, tel qu'il est fixé à l'article 2 du règlement intérieur, du montant de ces ventes directes.
Article 3: Production - En matière de production, le fabricant s'engage à suivre les directives qui lui sont données par la société coopérative.
De son côté, la société coopérative s'efforce de vendre l'intégralité des productions ci-avant visées, du fabricant.
Article 4: Force de vente - L'objet de la société coopérative tendant essentiellement à la rationalisation de la distribution, avec pour corollaire l'exclusivité de vente qui lui est consentie, le fabricant s'interdit de recourir à tout commercial de son choix (agent, VRP, etc...) pour la vente des productions visées, et d'une manière générale de vendre directement de telles productions, hors exceptions visées à l'article 2.
Article 5: Prix - La société coopérative est libre de ses prix de vente aux clients, des produits du fabricant, aucun prix minimum de revente ne pouvant lui être imposé.
Elle s'oblige toutefois à établir ses prix compte tenu du marché, de manière à ce que ceux-ci restent en permanence fiables et compétitifs.
Article 7: Obligations des parties - La société coopérative s'interdit de s'approvisionner, dans les produits visés, auprès d'autres fournisseurs que ses adhérents.
Elle s'interdit également de vendre ou faire vendre lesdits produits aux concurrents du fabricant, non adhérents à la société coopérative, que ce soit de manière directe ou indirecte.
En contrepartie, et en raison de l'exclusivité concédée à la société coopérative, le fabricant s'interdit de commercialiser directement ou par l'intermédiaire de toute entreprise qui se livrerait de façon continue ou intermittente à la fabrication ou à la vente des produits commercialisés par la société coopérative, sauf accord unanime des associés.
Article 9: Durée - Le présent contrat [...] est conclu pour une durée de cinq ans.
Il pourra être reconduit tacitement par périodes quinquennales, sauf dénonciation par l'une ou l'autre parties, un an avant l'expiration de la période initiale ou de chacune des périodes quinquennales de reconduction. [...]
Article 11: Rupture anticipée - Clause compromissoire - En cas de rupture anticipée du présent contrat avant son terme, pour quelque cause qu'elle intervienne, et notamment en cas de retrait ou d'exclusion prononcée conformément à l'article 7 des statuts, et sauf cas de force majeure déterminé selon les critères jurisprudentiels en vigueur, le fabricant serait redevable envers la société coopérative d'une indemnité de rupture fixée à dire d'expert. [...]
Article 12: non-respect de l'exclusivité - En cas de non-respect par le fabricant de l'exclusivité de vente, telle que définie au présent contrat, et pendant le cours de celui-ci, ce dernier serait redevable envers la société coopérative de dommages et intérêts, évalués à raison de 30 % du montant TTC des ventes réalisées en infraction de cette obligation, sans préjudice pour la société coopérative de faire cesser l'infraction sous astreinte ou par tout autre moyen.
Article 13: Interdiction de concurrence - En cas de rupture anticipée du présent contrat avant son terme, pour quelque cause qu'elle intervienne, et sauf cas de force majeure, le fabricant s'interdit de s'intéresser directement ou indirectement à la clientèle de la société coopérative, et ce, pendant une durée de trois ans à compter de la rupture.
Cette interdiction sera limitée à la zone d'activité de la société coopérative à ce moment ".
Le tableau suivant indique l'activité de la SIBO en matière de vente de briques plâtrières :
EMPLACEMENT TABLEAU
Le chiffre d'affaires annuel de la SIBO, pour les années 1990 à 1994, dépasse 100 millions de francs et est constitué à hauteur d'environ 80 % de l'activité de commercialisation des briques plâtrières.
B - Les pratiques relevées
En ce qui concerne le fonctionnement de la SIBO:
a) L'exclusivité
Les termes du contrat d'exclusivité ôtent aux entreprises adhérentes toute possibilité d'action individuelle, puisqu'en acceptant ses dispositions elles renoncent à toute démarche commerciale, ainsi que le stipule l'article 4 de ce contrat. En outre, si l'article 2 dispose que le fabricant " conserve toutefois la faculté de livrer aux clients s'adressant directement à lui ", il précise ensuite " à condition d'en informer la société coopérative, qui débitera son quantum ". Cette contrainte fait obstacle au développement individuel de chaque entreprise adhérente puisque, de ce fait, sa production se trouve plafonnée au tonnage fixé par la SIBO.
b) La répartition de la production
En 1993 et 1994, les quotas prévus dans la convention étaient les suivants :
- pour la SCOP Bouyer Leroux: 18,06 %;
- pour la SA Produits rouges de Vendée: 32,84 %;
- pour la SA Marcel Rivereau: 26,50 %;
- pour la SA Jean Yves Rivereau: 22,60 %.
Cette répartition est comparable à celle des parts de capital de la SIBO détenues par chaque entreprise adhérente, indépendamment des capacités de production de celles-ci. Par ailleurs, les pièces du dossier attestent que le conseil d'administration exerce une surveillance mensuelle du respect, par chaque usine, des quotas attribués.
c) La fixation des prix
Concernant les prix d'achat de la production aux entreprises adhérentes par la SIBO, l'article 3 du règlement intérieur stipule que : " Les prix des produits achetés aux membres par la SIBO [...] seront révisés dans les conditions suivantes :
Le conseil d'administration décide de relever le niveau des prix en fonction de l'évolution des charges de production et des possibilités du marché ".
Il résulte de ces dispositions et des déclarations des responsables que le prix de vente à la SIBO est établi en commun entre les entreprises adhérentes.
S'agissant des prix de vente aux clients de la SIBO, l'article 5 du contrat d'exclusivité dispose que " La société coopérative est libre de ses prix de vente aux clients des produits du fabricant [...]. Elle s'oblige toutefois à établir ses prix compte tenu du marché, de manière à ce que ceux-ci restent en permanence fiables et compétitifs ".
Du fait de ces dispositions, l'ensemble de la production des quatre entreprises adhérentes à la SIBO se trouve vendue à un prix commun, fixé selon la situation de la concurrence extérieure et non pas en fonction des coûts de production réels de chaque fabricant.
d) La clause d'interdiction de concurrence
L'article 13 du contrat d'exclusivité dispose qu'en cas de rupture anticipée du contrat, quelle qu'en soit la cause, le fabricant " s'interdit de s'intéresser directement ou indirectement à la clientèle de la société coopérative, et ce pendant une durée de trois ans. Cette interdiction sera limitée à la zone d'activité de la société coopérative à ce moment ".
Par ailleurs, l'article 2 du même contrat disposant que " La société coopérative demeure libre de vendre où bon lui semble, sans limite territoriale d'aucune sorte, les produits achetés au fabricant ".
e) La répartition géographique du marché
Les responsables de chacune des sociétés adhérentes à la SIBO ont indiqué que leur production de briques plâtrières est vendue dans une zone géographique déterminée, ainsi, l'un deux a précisé : " Il existe une répartition de la clientèle par unité de production en fonction des critères géographiques : ainsi, la zone approvisionnée par la société Jean Rivereau est plus particulièrement située en région parisienne et le Val-de-Loire. "
De ce fait, une organisation géographique du marché est mise en place par la SIBO.
En ce qui concerne les pratiques d'éviction :
Le 12 octobre 1992, le président-directeur général de la SARL Carrières et briqueterie Lafon, qui commercialisait sa production de briques plâtrières en Charente-Maritime, a saisi la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à La Rochelle (17) pour signaler les pratiques de la SIBO en matière de prix et de remises.
A la suite de difficultés financières et après des contacts infructueux avec la SIBO dans le cadre d'un projet de rachat avorté, la SARL Carrières et briqueterie Lafon avait conclu un accord avec le groupe Transminéral. En application de cet accord, ce groupe a acheté 50,40 % des parts du capital détenu par M. Lafon et a déclaré avoir investi 3 millions de francs dans cette société.
Des actions commerciales avaient alors été mises en œuvre pour améliorer la situation financière de la société. Les dirigeants ont déclaré : " Notre point d'équilibre se situe à 100 tonnes par jour. Au mois de mai 1992, notre production était de 65 tonnes par jour. [...] Ainsi nous avons fait des propositions de prix à divers négociants importants implantés sur Caen, Evreux, Paris, Tours et Chartres, ainsi qu'en Bretagne. Vu le niveau élevé des prix pratiqués dans ces régions, nous avons rencontré un certain succès [...] nous étions environ 12 % moins chers sur la région parisienne, alors même que nos prix ne faisaient que correspondre à ceux que nous pratiquions habituellement, majorés des frais de transport. Grâce à cette action commerciale, nous produisons actuellement entre 90 et 95 tonnes par jour. Début juillet 1992, nous avons eu connaissance par l'intermédiaire de certains de nos clients que la SIBO se livrait à une importante campagne de démarchage commercial s'accompagnant d'un dénigrement systématique à notre égard.
Dans ce contexte, le 22 juillet 1992, une nouvelle réunion a été organisée.[...] La SIBO [...] nous a invité à rester dans notre zone habituelle sans chercher à l'élargir. [...]
Dans le but de poursuivre la politique commerciale [...] nous avons adressé des propositions de prix à des revendeurs situés en région parisienne.
La réplique a été très rapide et début septembre 1992, moi, Bertrand Arcadias, j'ai reçu un appel téléphonique de M. Leroux. Celui-ci me fixait un ultimatum dans les termes suivants : nous disposions d'un délai de 8 jours pour retirer les prix envoyés aux revendeurs de la région parisienne et dans le cas contraire, il allait se passer quelque chose.
J'ai attendu une quinzaine de jours et j'ai rappelé M. Leroux pour lui indiquer que nous restions sur nos positions et refusions de donner suite à sa demande.
Début octobre 1992, nous avons appris par l'un de nos clients de la Charente-Maritime que la SIBO avait adressé une proposition de prix avec une baisse de 15 % sur le tarif habituel.
Nous avons été obligé de répliquer à cette manœuvre et nous l'avons fait en proposant 8 palettes pour le prix de 7, ce qui équivaut à 12,5 % de remise ".
Cette déclaration des dirigeants de la SARL Carrières et briqueterie Lafon, concernant les remises pratiquées par la société SIBO, n'a pas été contestée par cette dernière et a été confirmée par celles des négociants de matériaux clients de cette société et de la SIBO, ainsi que par l'examen des factures recueillies au cours de l'instruction, sur lesquelles figurent ces conditions particulières, accordées aux seuls clients résidant en Charente-Maritime.
La SIBO, qui avait appliqué une hausse de ses tarifs de 3 % à compter du 1er octobre 1992, ainsi que l'indique un courrier daté du 1er septembre 1992, adressé à ses clients, a effectivement consenti spontanément une remise de 15 % sur factures à ses clients résidant en Charente-Maritime, en les informant que cette mesure était en rapport avec le différend qui l'opposait à la SARL Lafon, ainsi que l'ont confirmé les responsables des entreprises clientes. Ces remises ont été consenties jusqu'au début de 1994. Puis, la SIBO a procédé à une hausse de ses tarifs et à une suppression de la remise de 15 % applicable à compter du mois de février 1994. Devant le mécontentement de ses clients, ces mesures se traduisant par une hausse des prix de l'ordre de 20 %, elle a alors accordé une remise de 5 % " conjoncturelle et temporaire " cette remise pouvant atteindre ponctuellement jusqu'à 8 %.
L'instruction a également porté sur l'analyse des prix de la brique plâtrière et des prix pratiqués par la SIBO dans les départements extérieurs à la Charente-Maritime (17) où la société Carrières et briqueterie Lafon n'intervenait pas. Trois départements ont fait l'objet d'une enquête sur les prix pratiqués par la SIBO sur la période allant du mois de juin 1992 au mois de juin 1994, à savoir la Vendée (85), la Loire-Atlantique (44) et la Charente (16).
Dans aucun de ces départements la SIBO n'a accordé la remise exceptionnelle de 15 % appliquée en Charente-Maritime.
La société Carrières et briqueterie Lafon a cessé son activité au mois de juin 1994 : les annonces légales publiées dans le journal " Littoral de Charente-Maritime " indiquent que la cession des éléments du fonds de commerce de la société des Carrières et briqueterie Lafon a pris effet au 27 juin 1994 et que ce sont les quatre sociétés adhérentes à la SIBO qui les ont acquises selon la répartition suivante : la société Bouyer Leroux pour 402 000 F, la société des Produits rouges de Vendée pour 400 000 F, la société Jean Rivereau pour 342 000 F et la société Marcel Rivereau pour 306 000 F.
Sur la base des constatations qui précèdent, les griefs suivants ont été notifiés :
Un grief d'entente anticoncurrentielle, prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a été notifié à la SCOP Bouyer Leroux, à la SA Produits rouges de Vendée, à la SA Jean Rivereau et à la SA Marcel Rivereau pour avoir, lors de la constitution de la société coopérative anonyme SIBO, adopté les stipulations :
- de l'article 1er du règlement intérieur (principes de fonctionnement) : clauses d'exclusivité d'achat et d'exclusivité de vente faisant obstacle à la libre concurrence entre les entreprises adhérentes ;
- de l'article 2 du règlement intérieur : clause fixant des quotas de vente pour chacun des fabricants, membres de la SIBO, cette clause fixant un principe de répartition de la production ;
- et de l'article 7 du règlement intérieur dont les dispositions sont reprises à l'article 13 du contrat d'exclusivité : l'interdiction de concurrence de trois ans, sur un territoire non réellement défini, mais couvrant au minimum les départements dans lesquels la SIBO a des clients, à l'encontre des sociétés qui souhaiteraient quitter la SIBO, cette pratique tendant à limiter l'accès au marché par une entreprise qui reprendrait son autonomie, du fait de sa durée et de l'étendue de la zone géographique concernée.
Un grief a été également notifié à la Société industrielle des briqueteries de l'Ouest " SIBO " sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance précitée :
- d'avoir organisé une répartition de marché, en limitant les possibilités de livraison des différentes usines de la SIBO ;
- et d'avoir empêché le maintien de son principal concurrent sur le marché de la brique plâtrière, en diminuant ses prix de manière sélective, par la pratique de remises de nature discriminatoire, auprès des clients de ce concurrent.
En outre, mise en œuvre par une entreprise commune en position dominante sur le marché de la brique plâtrière dans le grand Ouest de la France, cette pratique est également prohibée par les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance : un grief a donc été notifié sur ce fondement.
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,
Sur la procédure:
En ce qui concerne le respect du contradictoire dans la fixation des sanctions:
Considérant que les parties soutiennent qu'il incombe au Conseil de la concurrence de faire connaître aux entreprises poursuivies le montant du chiffre d'affaires qu'il entend prendre en compte pour la détermination de l'assiette des sanctions, afin de leur permettre de présenter, le cas échéant, toutes observations à ce sujet ; qu'elles observent qu'aucun élément ne figure sur ce point ni dans la notification de griefs ni dans le rapport ; qu'elles prétendent que, dans ces conditions, le principe du contradictoire n'est pas respecté ;
Mais considérant, en premier lieu, que la notification de griefs et le rapport établis par le rapporteur ont pour objet de décrire, d'analyser et de qualifier sur le fondement des articles 7, 8, 10 et 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les pratiques dont le conseil est saisi, et le cas échéant, de mentionner les sanctions auxquelles les parties auraient été antérieurement condamnées par le conseil pour les mêmes pratiques ; que ces dernières précisions ont pour objet de permettre aux parties de présenter à ce sujet toutes observations qu'elles estiment utiles dans leurs mémoires en défense et qu'elles sont, par conséquent, sans objet lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, les parties en cause n'ont pas fait l'objet d'une condamnation antérieure pour les mêmes pratiques ;
Considérant, en deuxième lieu, que la fixation du montant des sanctions est de la compétence exclusive du conseil, qui se détermine dans les conditions et dans les limites fixées par l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant, en troisième lieu, que s'agissant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos, qui constitue, aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'assiette servant au calcul du montant maximum de la sanction pécuniaire applicable à une entreprise, cette information doit être communiquée au conseil par l'entreprise ; qu'au cas d'espèce, les entreprises Bouyer-Leroux SCOP, Produits rouges de Vendée SA, Jean Rivereau SA, Marcel Rivereau SA et SIBO ont communiqué au Conseil de la concurrence leur chiffre d'affaires en France pour l'exercice 1998, selon les cas les 23 ou 24 décembre 1999 ; que les parties n'ont ultérieurement ni contesté, ni rectifié ces informations et qu'elles les ont confirmées en séance ; qu'ainsi le moyen tiré de l'absence de respect du contradictoire doit être écarté ;
Sur la régularité des procès-verbaux:
Considérant que les sociétés en cause contestent la régularité des procès-verbaux de déclaration de M. Leroux, président de la SIBO, en date des 3 février 1993 et 30 novembre 1994, le procès-verbal d'audition de M. Dupont, président la SA Marcel Rivereau du 1er décembre 1994, le procès-verbal d'audition de M. Jean-Yves Rivereau, président de la SA Jean Rivereau, du 22 janvier 1994, et les procès-verbaux de communication des pièces des 3 février 1993, 28 septembre, 25 novembre et 16 décembre 1994, au motif que les personnes entendues n'auraient pas été clairement informées de l'objet de l'enquête ; qu'elles invoquent, notamment, la lettre, portant sur l'application du titre IV de l'ordonnance, du directeur régional de la concurrence, de la consommation et de la répression de fraudes de la Loire-Atlantique en date du 6 juillet 1993, adressée à M. Leroux, président-directeur général de la SIBO, lui demandant de rendre compte, dans un délai de trois mois, de la mise en application des injonctions qui lui avaient été faites en matière de conditions tarifaires relevant du titre IV de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'elles en tirent argument pour soutenir que M. Leroux a pu se méprendre sur l'objet de l'enquête à défaut de savoir si elle portait sur des pratiques relevant du titre III ou du titre IV de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant, en premier lieu, que les procès-verbaux de déclarations de MM. Leroux, Dupont, et Rivereau, précités, comportent la mention pré-imprimée selon laquelle les enquêteurs, " habilités en application de l'article 45 de l'ordonnance n° 1243 du 1er décembre 1986 ", les ont informés de l'objet de l'enquête; que les intéressés ont signé ces procès-verbaux sans réserve ; que les déclarations de M. Leroux, en date du 3 février 1993, portent, pour l'essentiel, sur le marché des briques plâtrières sur lequel la SIBO se situe et sur les conditions d'exercice de la concurrence avec la société Lafon ; que, dans son attestation du 15 mars 1999, M. Leroux, sans prétendre que les enquêteurs ne lui avaient pas indiqué mener une enquête en application de l'ordonnance du 1er décembre 1986, précise que " MM. Boutbien et Thomas m'ont indiqué, de façon générale, qu'ils procédaient à une enquête sur la SIBO et la brique dans l'Ouest, sans aucun mode de précision " ; qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que les intéressés ne pouvaient se méprendre sur le fait que l'enquête menée par la DGCCRF, dans le cadre de laquelle ils étaient entendus, portait sur la situation de la concurrence sur le marché de la brique plâtrière;
Considérant, en second lieu, s'agissant des procès-verbaux de déclaration des personnes n'ayant pas fait l'objet d'une notification de griefs et entendues comme témoins, que, par un arrêt du 1er juin 1999, la Cour de cassation, chambre commerciale, saisie d'un pourvoi formé contre la décision rendue par le président d'un tribunal en application de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a écarté le grief pris de l'absence de recherche sur le point de savoir si l'objet de l'enquête avait été porté à la connaissance des déclarants, en retenant que les procès-verbaux litigieux relataient les déclarations de personnes entendues comme témoins et non comme accusées d'une infraction; que doivent, en conséquence, être maintenus au dossier les procès-verbaux d'audition de MM. Lafon, Arcadias, Bouillet, Fettig, Huet et de Mme Rabeau;
Sur le marché pertinent:
Sur la délimitation du marché:
Considérant que, pour définir le marché pertinent, il convient de prendre en considération les caractéristiques intrinsèques du produit et les conditions de formation ou de la demande; que la brique plâtrière possède des qualités propres de solidité, d'esthétique, d'isolation acoustique; qu'elle est perçue par les utilisateurs comme un matériau auquel est attaché le prestige de la tradition; qu'en raison de leur prix et de leur facilité d'emploi, les carreaux de plâtre ou les plaques de plâtre sont utilisés dans les constructions de bas de gamme et dans la plupart des immeubles collectifs ; que si, comme le soutiennent les parties, il existe une certaine substituabilité entre les différents matériaux, il est constant que la brique plâtrière fait l'objet d'une demande spécifique, qui ne peut être satisfaite par d'autres matériaux, en particulier dans la restauration des immeubles anciens et la construction traditionnelle, comme l'ont reconnu en séance les parties ; qu'indépendamment des différences correspondant aux conditions d'emploi (mise en œuvre par des spécialistes et durée de séchage), le coût total de mise en œuvre (prix du produit et coût de la pose) de la brique plâtrière demeure dans les immeubles d'habitation sensiblement plus élevé que celui des deux autres matériaux ; qu'en conséquence, l'ensemble de ces éléments conduit à considérer qu'à l'époque des faits il existait un marché spécifique de la brique plâtrière ;
Considérant, par ailleurs, que le coût du transport étant élevé par rapport à la valeur unitaire du produit, la délimitation géographique du marché est, en grande partie, fonction de l'implantation des unités de production ; que les demandeurs ne peuvent, en effet, s'adresser à des fournisseurs dont les sites de production sont trop éloignés ; que, selon les déclarations de son président, la SIBO commercialise des briques dans une zone dénommée " Grand Ouest " et composée des cinquante départements situés à l'Ouest d'une ligne brisée reliant Charleville-Mézières à Biscarosse en passant par Troyes ; que cette zone constitue pour la SIBO un marché pertinent ;
Sur la position dominante de la SIBO:
Considérant que, dans le " Grand Ouest ", la SIBO commercialisait en 1993 environ 230 000 tonnes de briques plâtrières, alors que les autres briqueteries présentes dans cette zone avaient une capacité de production d'environ 60 à 70 000 tonnes de briques (en majorité plâtrières) ; que la part de marché de la SIBO était donc supérieure à 75 % ; que le deuxième producteur dans cette zone était la SARL Carrières et briqueterie Lafon qui produisait environ 22 à 25 000 tonnes ; que trois autres briqueteries produisaient chacune moins de 10 000 tonnes par an, le reste de la production étant effectué par des briqueteries de petite dimension écoulant leur production auprès des plâtriers locaux ; que, malgré une baisse continue et sensible du tonnage vendu dans un marché en régression, la SIBO a pu augmenter, chaque année, le prix de vente unitaire des briques ; qu'ainsi, selon les données qu'elle a produites, de 1992 à 1994, les quantités vendues ont diminué de 23% et les prix de vente ont augmenté de 16 % ; qu'il résulte de ce qui précède que la SIBO détenait une position dominante sur le marché de la brique plâtrière dans le " Grand Ouest ";
Sur les pratiques constatées:
En ce qui concerne l'entente entre les entreprises adhérentes à la SIBO:
Considérant que la constitution d'une société coopérative par des entreprises indépendantes et concurrentes ne constitue pas, en soi, une entente prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, à condition que les clauses des statuts et l'application qui est faite n'aient pas pour objet et ne soient pas de nature à empêcher ou fausser le jeu de la concurrence entre les entreprises adhérentes;
Considérant, en premier lieu, que le contrat d'exclusivité, décrit au A 2 ci-dessus, prévoit la fixation de quotas de production pour chacune des entreprises associées dans la SIBO, un prix d'achat uniforme de la production de briques plâtrières par la SIBO ainsi qu'une clause d'exclusivité réciproque ; que ces clauses ont été effectivement appliquées ; que la clause d'exclusivité est assortie d'une forte pénalité en cas d'infraction ; que les quotas attribués à chaque entreprise, égaux à la part qu'elles détiennent dans le capital de la coopérative, n'ont été modifiés ni en 1993, ni en 1994 ; que les résultats bénéficiaires des quatre entreprises se sont maintenus malgré la chute des ventes ; que, dans une telle configuration, les entreprises n'avaient aucune incitation à chercher à obtenir des gains de productivité dès lors que ces gains de productivité seraient conditionnés par une augmentation de la production; que cet ensemble de dispositions est constitutif d'une pratique de répartition de marché, qui a eu pour objet et pour effet de supprimer toute concurrence entre les entreprises associées dans la SIBO, pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Considérant, en second lieu, que les articles 11 et 13 du contrat d'exclusivité disposent " qu'en cas de rupture anticipée de contrat avant son terme pour quelque cause qui intervienne, et sauf cas de force majeure, le fabricant s'abstient de s'intéresser directement ou indirectement à la clientèle de la société coopérative pendant une durée de trois ans à compter de la rupture " ;
Considérant que le coût élevé du transport des briques par rapport à leur valeur unitaire interdit aux adhérents de la coopérative de prospecter des marchés extérieurs au Grand Ouest ; que dans le Grand Ouest, comme l'ont indiqué en séance les représentants des sociétés en cause, la plus grande partie des achats de briques est effectuée par un petit nombre de très grands acheteurs ; que l'obligation de non-concurrence stipulée revient, en pratique, à interdire à l'entreprise qui quitte la coopérative d'exercer une activité sur le marché des briques plâtrières pendant trois ans ; que, s'il est légitime pour un groupement d'entreprises de se protéger contre la concurrence déloyale qui consisterait, pour un de ses anciens membres, à continuer d'utiliser à son profit les relations commerciales nouées et entretenues par le groupement sans en supporter les charges correspondantes, l'application dans le cas d'espèce, pendant trois ans, de la clause de non-concurrence ne peut que dissuader l'adhérent de quitter la coopérative pendant la durée du contrat, quelles que soient les circonstances, et conduit à protéger la coopérative contre toute concurrence potentielle de la part de ses membres; qu'elle est manifestement excessive au regard de l'objectif poursuivi; qu'une telle pratique, ayant pour effet de restreindre la concurrence potentielle entre les membres de la société coopérative, est contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que la circonstance que la clause n'aurait pas été appliquée lorsque certains adhérents ont quitté la coopérative est sans incidence sur la qualification de la pratique ;
Considérant que les adhérents de la SIBO ont adopté les dispositions du règlement intérieur avec les statuts de cette société ; qu'ils ont signé les contrats d'exclusivité les liant à la SIBO ; qu'ils ne contestent pas cette situation ; qu'en conséquence les pratiques ci-dessus leur sont imputables ;
En ce qui concerne les pratiques d'éviction de la société Carrières et briqueterie Lafon:
Considérant que la SIBO commercialisait annuellement environ 200 000 à 250 000 tonnes de briques plâtrières, dans 50 départements, face à son concurrent la société Carrières et briqueterie Lafon qui, au deuxième rang, commercialisait environ 25 000 tonnes par an ; que cette dernière, à la suite des difficultés financières et après l'échec des négociations avec la société SIBO pour un projet de rachat par celle-ci, a conclu un accord avec le groupe Transminéral qui a acheté 50,4 % du capital détenu par M. Lafon et a entrepris d'étendre sa zone d'activité aux régions de Caen, Evreux, Paris, Tours, Chartres et de Bretagne ; qu'ainsi que l'ont déclaré les dirigeants de la société Carrières et briqueterie Lafon, leurs prix dans la région parisienne, bien qu'établis sur un tarif habituel majoré des frais de transport, étaient d'environ 12 % moins élevés que le prix moyen sur ce marché ; que la société SIBO s'est alors livrée à une campagne de dénigrement et a exercé des pressions sur la société Carrières et briqueterie Lafon pour que cette dernière abandonne sa nouvelle politique commerciale ; que la société Carrières et briqueterie Lafon ayant refusé d'obtempérer, la société SIBO a mis en œuvre à partir du 1er octobre 1992 et jusqu'à fin janvier 1994, une politique de remises de 15 % au bénéfice des seuls clients résidant en Charente-Maritime, département où la société Lafon réalisait la plus grande part de son chiffre d'affaires ; qu'en réponse à cette baisse de prix, la société Carrières et briqueterie Lafon a alors offert aux clients de ce département de leur livrer huit palettes pour le prix de sept ;
Considérant qu'il est loisible à une entreprise, pour défendre sa part de marché, même lorsqu'elle détient une position dominante, de répondre à une politique de baisse de prix d'un ou de plusieurs de ses concurrents par l'octroi de remises; que cette compétition par les prix participe au fonctionnement concurrentiel du marché ; qu'en revanche, au cas d'espèce, la remise de 15 % que la SIBO a consentie sur ses tarifs pratiqués à partir de l'automne 1993 dans le seul département de la Charente-Maritime, qui faisait suite aux pressions qu'elle avait vainement exercées sur la société Lafon pour qu'elle renonce aux baisses de prix qu'elle consentait dans les départements et la région susvisés et au dénigrement de son concurrent auprès de la clientèle, n'avait pas pour objet de développer la concurrence entre les deux entreprises, mais au contraire d'obtenir le rétablissement des prix à leur niveau antérieur; que, du reste, plusieurs négociants qui avaient obtenu cette remise ont déclaré qu'ils avaient considéré qu'elle n'était qu'une manifestation temporaire de la rivalité qui opposait la SIBO à l'entreprise Lafon et qu'ils avaient renoncé à en faire bénéficier leurs propres clients ; que la SIBO n'a pas modifié ses prix dans les départements du Centre et de l'Ouest ; que, lorsque la société Lafon s'est trouvée dans l'incapacité de poursuivre son activité, la SIBO non seulement a cessé de consentir la remise de 15 % dont bénéficiaient ses clients depuis octobre 1992, mais a augmenté son tarif dans le département de la Charente-Maritime en sorte que la hausse supportée par les clients a été supérieure à 20 % ;
Considérant qu'il ressort des faits exposés ci-dessus que la SIBO a mené une politique commerciale destinée principalement à protéger son marché et le niveau des prix qu'elle pratiquait; qu'elle a employé, à cette fin, des moyens incompatibles avec ceux qui gouvernent une compétition normale ; que ces pratiques ont eu pour effet de faire obstacle à l'exercice de la concurrence ; que la SIBO a exploité de manière abusive sa position dominante sur les marchés régionaux de la brique plâtrière dans le Grand Ouest de la France ; qu'elle a ainsi contrevenu aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Sur l'application de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986:
Considérant, en premier lieu, que les sociétés en cause font valoir que les pratiques dénoncées contribuent au progrès économique par les économies d'échelle et les mesures de rationalisation qu'elles entraînent pour la commercialisation des briques ainsi que par les progrès techniques qu'elles suscitent et encouragent, et qu'elles devraient, en conséquence, bénéficier des dispositions de l'article 10-2 de l'ordonnance susvisée ;
Mais considérant que, si la création d'une société coopérative de vente est de nature à favoriser une rationalisation des opérations liées à la commercialisation et à stimuler l'innovation technique, il n'est, en revanche, pas démontré en quoi les clauses restrictives de concurrence seraient nécessaires pour obtenir un tel résultat ; que les parties se bornent, pour ce point, à affirmer que la SIBO a invité ses adhérents à s'adapter aux exigences de plus en plus grandes des utilisateurs de briques et à souligner que ses adhérents ont procédé à des investissements d'adaptation, mais qu'elles n'ont fourni aucune démonstration d'un lien pouvant exister entre les clauses prohibées et les résultats obtenus ;
Considérant, en second lieu, que la société d'exploitation des établissements Jean Rivereau, se référant à une décision du Conseil de la concurrence concernant le marché du sel, (88-D-30 du 3 mai 1988), observe qu'il " a été admis que des entreprises confrontées à des graves difficultés conjoncturelles peuvent rechercher la survie au moyen de pratiques affectant la concurrence " ;
Mais considérant que, dans l'avis précité, le conseil a estimé que " la nécessité d'assurer la survie d'exploitations soumises à d'importantes et imprévisibles variations de production justifie le regroupement des producteurs dans un organisme commun " ; que la situation sur le marché de la brique, qui connaît un déclin continu, pour l'essentiel lié à des causes structurelles résultant de la réduction de l'utilisation des briques plâtrières dans le bâtiment, n'est en rien comparable ;
Considérant qu'enfin, si la société SIBO allègue qu'une part équitable du profit a été reversée à l'utilisateur, en prétendant, notamment, que les prix de commercialisation pratiqués par la SIBO étaient restés très stables, elle fait état elle-même d'une augmentation continue des prix entre 1990 et 1998, le prix de la tonne de briques passant, au cours de cette période de 226,97 F à 315,18 F, soit une hausse de 38 % en huit ans, et une hausse moyenne de 4,85 % par an ; qu'elle ne peut valablement prétendre que le consommateur a bénéficié d'une partie du profit résultant des pratiques susvisées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 10-2 ne sont pas applicables ;
Sur les sanctions:
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence peut " ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est pour une entreprise de 5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs " ;
En ce qui concerne les injonctions:
Considérant qu'il convient de mettre fin aux pratiques susvisées en enjoignant aux sociétés adhérentes à la SIBO d'aménager les dispositions des statuts du règlement intérieur et du contrat d'exclusivité relatives à l'exclusivité et au prix d'achat par la SIBO des briques plâtrières, ainsi qu'à la fixation de quotas de manière à rétablir l'exercice de la concurrence entre les coopérateurs et de réduire la portée dans le temps et dans l'espace de la clause de non-concurrence ;
En ce qui concerne les sanctions pécuniaires:
En ce qui concerne la SCOP Bouyer-Leroux, la SA Produits rouges de Vendée, la SA Jean Rivereau et la SA Marcel Rivereau:
Considérant que la gravité des pratiques doit s'apprécier en tenant compte du fait que des dispositions des statuts de la SIBO, de son règlement intérieur et du contrat d'exclusivité ont pour objet de restreindre le jeu de la concurrence entre ses membres en fixant pour chacun d'entre eux les quantités produites et les prix pratiqués ; que la SIBO a dissuadé son principal concurrent de procéder à des baisses de prix ; que le dommage à l'économie résulte du niveau des prix artificiellement élevé que la SIBO a pu maintenir sur certains marchés régionaux et du fait que les consommateurs ont été privés de tout ou partie de l'amélioration du rapport qualité prix qui aurait dû résulter de la combinaison des gains de productivité dus au progrès technique dont font état les entreprises et du jeu de la concurrence sur un marché en récession ;
Considérant que, le chiffre d'affaires de la société SCOP Bouyer-Leroux s'étant élevé à 76 936 762 F au cours de l'exercice clos le 30 septembre 1998, il y a lieu de lui infliger une sanction de 650 000 F ;
Considérant que, le chiffre d'affaires de la société SA Produits rouges de Vendée s'étant élevé à 58 009 575 F au cours de l'exercice clos le 30 septembre 1998, il y a lieu de lui infliger une sanction de 450 000 F ;
Considérant que, le chiffre d'affaires de la société SA Jean Rivereau s'étant élevé à 21 822 208 F au cours de l'exercice clos le 30 septembre 1998, il y a lieu de lui infliger une sanction de 200 000 F ;
Considérant que, le chiffre d'affaires de la société SA Marcel Rivereau s'étant élevé à 836 184 F au cours de l'exercice clos le 31 août 1999, il y a lieu de lui infliger une sanction de 8 000 F ;
Considérant que, le chiffre d'affaires de la SIBO s'étant élevé à 134 815 167 F au cours de l'exercice clos le 31 mars 1999, il y a lieu de lui infliger une sanction de 2 000 000 F,
Décide :
Article 1er : Il est établi que les sociétés Bouyer-Leroux, Produits rouges de Vendée, Jean Rivereau, Marcel Rivereau ont enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Article 2 : Il est établi que la Société industrielle des briqueteries de l'Ouest (SIBO) a enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Article 3 : Il est enjoint aux entreprises adhérentes et à la SIBO, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, de supprimer des statuts et du règlement intérieur de la SIBO ainsi que des contrats d'exclusivité conclu entre ces entreprises toutes clauses et dispositions contraires à l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en particulier de supprimer les articles 2 et 3 du règlement intérieur de la SIBO et de rédiger les articles 11 et 13 du contrat d'exclusivité entre la SIBO et ses membres de telle sorte qu'une entreprise quittant la SIBO puisse continuer à développer son activité, dans le temps et dans l'espace, dans des conditions normales de concurrence.
Article 4 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
2 000 000 F à la Société industrielle des briqueteries de l'Ouest (SIBO) ;
650 000 F à la SCOP Bouyer-Leroux ;
450 000 F à la SA Produits rouges de Vendée ;
200 000 F à la SA Jean Rivereau ;
8 000 F à la SA Marcel Rivereau.