Conseil Conc., 15 septembre 1998, n° 98-D-56
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques relevées dans le secteur des officines de pharmaciens du Val d'Yerres dans l'Essonne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de M. Alain Guedj, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence, (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 15 décembre 1997, par laquelle Mme Salomon-Evrard, pharmacienne à Epinay-sous-Sénart, a saisi le Conseil de la Concurrence de pratiques mises en œuvre par ses confrère du secteur du Val d'Yerres dans le département de l'Essonne et par le Syndicat des pharmaciens de l'Essonne, qu'elle estime anticoncurrentielles ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des, prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu le Code de la santé publique; Vu les observations présentées par Mme Hervé, Mme Abisror, M. Aiby, Mme Davidovici, Mme Hiel, Mme Luong, Mme Nguyen Van Co, Mme Bessis Ducor, Mme N'Guyen, Mme Berenguer, M. Pham, Mme Bouchon, Mme Paris, M. Petit et M. Porret, pharmaciens, par le Syndicat des pharmaciens de l'Essonne et par le commissaire du Gouvernement; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne, de Mme Paris et de MM. Porret et Petit ainsi que Mme Abisror, M. Aiby, Mme Davidovici, Mme Hiel, Mme Luong, Mme Nguyen Van Co, Mme Priollaud, de Mme Bessis Ducor, Mme N'Guyen, Mme Berenguer, M. Pham, Mme Bouchon et de Mme Hervé entendus; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs ci-après exposés:
I. CONSTATATIONS
A. Le secteur et son cadre juridique
1. La vente de médicaments
2. En raison de leurs particularités, et sauf exceptions, les médicaments ne sont vendus en France que par des pharmaciens. Les pharmaciens d'officine peuvent en outre vendre les produits de parapharmacie. L'article L. 571 du Code de la santé publique détermine les conditions dans lesquelles sont accordées les créations d'officine, en fonction du nombre d'habitants des communes concernées.
Les règles de déontologie applicables à la profession résultent des articles R. 5015-1 à 5015-77 du Code de la santé publique. Les articles R. 5015-31 et R. 5015-40 du Code de la santé publique, notamment, érigent en obligation professionnelle la loyauté, la solidarité et la confraternité que se doivent les pharmaciens. Sans préjudice, pour certaines d'entre elles, des poursuites pénales distinctes qu'elles peuvent entraîner, les infractions à ces règles relèvent de la compétence disciplinaire du Conseil régional de l'Ordre. Ces sanctions sont susceptibles d'un appel suspensif devant le Conseil national.
2. Les services de garde et d'urgence
a) Réglementation
En contrepartie du monopole de vente qui leur est accordé, diverses obligations ont été mises à la charge des pharmaciens, parmi lesquelles la participation aux services de garde et d'urgence, dont la mise en place a été confiée par l'article L. 588-1 du Code de la santé publique aux organisations représentatives de la profession. Ces obligations ont un caractère de service public.
L'article L. 588-1 du Code de la santé publique dispose :
" Un service de garde est organisé pour répondre aux besoins du public en dehors des jours d'ouverture généralement pratiqués par les officines dans une zone déterminée. Un service d'urgence est organisé pour répondre aux demandes urgentes en dehors des heures d'ouverture généralement pratiquées par ces officines.
" Toutes les officines de la zone, à l'exception de celles mentionnées à l'article L. 577, sont tenues de participer à ces services, sauf décision contraire prise par arrêté du préfet après avis des organisations représentatives de la profession dans le département, en cas de circonstances ou de particularités locales rendant impraticable ou non nécessaire la participation de l'ensemble des officines.
" L'organisation des services de garde et d'urgence est réglée par les organisations et la profession dans le département. A défaut d'accord entre elles, en cas de désaccord de l'un des pharmaciens titulaires d'une licence d'officine intéressés ou si l'organisation retenue ne permet pas de satisfaire les besoins de la santé publique, un arrêté préfectoral règle lesdits services après avis des organisations professionnelles précitées, du pharmacien inspecteur régional et du conseil régional de l'Ordre des pharmaciens.
" Un pharmacien qui œuvre son officine pendant un service de garde et d'urgence, alors qu'il n'est pas lui-même de service, doit la tenir ouverte durant tout le service considéré. "
La concurrence à laquelle peuvent se livrer les pharmaciens, qui exercent à la fois une activité libérale et une activité commerciale, est réduite. Elle ne peut porter que sur les gammes et les prix des produits de parapharmacie et sur certains services, notamment l'accueil, le conseil et la durée d'ouverture des officines.
b) Organisation dans le secteur considéré du Val d'Yerres
Dans le secteur du Val d'Yerres, c'est au Syndicat des pharmaciens de l'Essonne qu'incombe la responsabilité de l'organisation des services de garde et d'urgence, par l'intermédiaire de trois délégués : M. Petit, Mme Paris et M. Porret.
Traditionnellement, dans ce secteur, le service de garde destiné à répondre aux besoins du public en dehors des jours d'ouverture généralement pratiqués et le service d'urgence, qui doit permettre de répondre aux urgences en dehors des heures d'ouverture, sont couplés. Cependant, il avait été admis par le président du syndicat, lors de la séance du Conseil du 4 février 1998 consacrée à l'examen de la demande de mesures conservatoires présentée par Mme Salomon-Evrard, que des dérogations étaient accordées pour tenir compte des horaires d'ouverture et de fermeture des centres commerciaux dans lesquels se situent des pharmacies. Une circulaire du syndicat accompagnant une lettre de M. Petit du 3 mars 1997 prévoit d'ailleurs expressément de telles dérogations. La Direction départementale des affaires sanitaires et sociales de l'Essonne a confirmé, de son côté, que " ... En principe, les officines de pharmacies, situées dans un centre commercial, ont les mêmes horaires de fermeture que les autres commerces installés dans ce centre commercial. Le Syndicat des pharmacies de l'Essonne, organisation représentative de la profession dans le département chargée de l'organisation du service de garde et d'urgence, a toujours accordé une certaine souplesse dans les horaires d'ouverture et de fermeture des pharmaciens en veillant, cependant, à ne pas perturber le bon fonctionnement de la pharmacie de garde ". Enfin, il apparaît à la lecture du tableau définitif des gardes (du dimanche) et des urgences (des nuitées du dimanche au lundi), pour 1997, communiqué par lettre du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne du 27 décembre 1996, que le dimanche 14 et le dimanche 21 décembre des pharmaciens qui étaient de garde le jour n'étaient pas d'astreinte de nuit.
B. - Les pratiques relevées
Mme Salomon-Evrard a acquis en septembre 1996 le fonds de commerce d'une officine située à Epinay-sous-Sénart, qui avait été mise en liquidation judiciaire et avait cessé toute activité pendant dix mois. Tant pour des raisons de sécurité, l'officine étant située dans un endroit isolé, que pour des raisons de rentabilité économique, Mme Salomon-Evrard a décidé d'ouvrir son officine du mardi matin au dimanche à treize heures, aux mêmes heures d'ouverture que celles du magasin à l'enseigne " Leader Price ", seul magasin situé à proximité.
A l'occasion de la mise au point du tableau des gardes de 1997 pour le secteur du Val d'Yerres, les trois responsables de l'organisation du " service de garde ", M. Petit, qui est l'un des plus proches concurrents de la pharmacie de Mme Salomon-Evrard, Mme Paris et M. Porret, ont indiqué, au nom du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne, par lettre du 14 novembre 1996 adressée à Mme Salomon-Evrard, qu'ils attendaient ses propositions de dates de garde de dimanche ou jours fériés " sachant que le maximum de garde ne dépasse pas un nombre de 5 par an " et lui ont rappelé les dispositions de l'article L. 588-1 du Code de la santé publique en ce qui concerne l'ouverture de son officine le dimanche matin.
En réponse, par lettre en date du 17 octobre 1996 (en fait le 17 novembre 1996), Mme Salomon-Evrard a fait part de la nécessité dans laquelle elle se trouvait d'ouvrir le dimanche matin pour des raisons économiques et de sécurité et elle a proposé d'assurer la garde tous les dimanches matin non fériés jusqu'à 13 heures ainsi que trois autres dimanches pour la journée entière et deux jours fériés. Elle a rappelé, enfin, que l'article L. 588-1 du Code de la santé publique nécessitait un accord des pharmaciens pour l'établissement des services de garde et d'urgence.
Le 9 décembre 1996, les responsables de l'organisation des services de garde et d'urgence ont fait parvenir à leurs confrères, par l'intermédiaire du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne, le tableau provisoire des services couplés de garde et d'urgence pour 1997. Ce tableau prévoyait une garde systématique tous les dimanches pour la journée entière et toutes les nuitées du dimanche au lundi pour Mme Salomon-Evrard.
Le " service de garde des pharmaciens du Val d'Yerres " a, alors, consulté les pharmaciens de secteur par un questionnaire, qui leur a été adressé par l'intermédiaire du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne, comme l'a indiqué M. Petit lors de son audition du 12 mars 1998 : " Je suis l'auteur de la circulaire et du questionnaire, lequel était accompagné de la proposition de Mme Salomon-Evrard en date du 17 octobre 1986. L'ensemble a été adressé aux confrères par le biais du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne qui assure le secrétariat du service de garde ".
Ce questionnaire, qui devait être renvoyé avant le 18 décembre 1996, donnait aux pharmaciens le choix entre deux réponses :
" Je me déclare attaché au service de garde tel que nous le pratiquons et je déclare mon attachement au respect de l'article L. 588-1 du CSP.
" J'accepte les conditions fixées par Mme Salomon-Evrard et je déclare être informé sur le fait que le service de garde n'en sera plus un et que je risque, en cas de défaillance du système tel que présenté par notre consoeur, une réquisition du préfet ".
Sur les 31 pharmaciens du secteur, 28, dont les trois responsables du service de garde, ont choisi la première réponse et renvoyé le questionnaire entre le 12 et le 18 décembre 1996, soit postérieurement à la notification par les organisateurs du service de garde du tableau provisoire des services couplés de garde et d'urgence pour 1997.
M. Chavenon, président du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne, a déclaré lors de son audition le 10 mars 1998 :
" Mme Salomon-Evrard a fait savoir au Syndicat par écrit qu'elle avait décidé d'ouvrir pendant une partie du tour de garde. Dès lors, au nom de l'information du public, il convenait de l'inscrire au tableau ".
Mme Paris, lors de son audition le 11 mars 1998, a indiqué :
" Etant donné que Mme Salomon-Evrard avait décidé d'ouvrir le dimanche matin pendant une période de garde, il en découlait qu'elle était tenue de garde toute la journée du dimanche et la nuit du dimanche au lundi, conformément aux usages dans le secteur et à l'article L. 588-1 du Code de la santé publique ".
M. Porret a déclaré lors de son audition le 11 mars 1998 :
" A partir du moment où Mme Salomon-Evrard avait décidé d'ouvrir le dimanche matin, il fallait, conformément à l'article L. 588-1 du Code de la santé publique, la placer sur le tabelau de garde le dimanche et la nuitée du dimanche au lundi de façon à ce que les malades puissent s'approvisionner à son officine. "
Enfin, M. Petit a déclaré lors de son audition le 12 mars 1998 :
"... Comme Mme Salomon-Evrard émettait le souhait d'assurer la garde tous les dimanches matins non fériés elle a donc, en application de l'article L. 588-1 du Code de la santé publique, été placée sur le tableau de garde.. ". (...). " Je souhaite préciser, en second lieu, que la plainte que j'ai déposée devant le Conseil régional visait à obliger Mme Salomon-Evrard à ouvrir son officine pendant la garde et à l'amener à renoncer à ses comportements anticoncurrentiels et anticonfraternels, à savoir l'usurpation du nom et le démarchage des clients. Sur le plan commercial, Mme Salomon-Evrard n'a eu de cesse, depuis son installation, d'avoir des attitudes en contradiction avec un esprit confraternel normal et il faut noter que sa pharmacie s'appuie, pour son fonctionnement, sur l'existence d'une grosse pharmacie appartenant à son mari et située à Aulnay-sous-Bois. "
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,
Sur la procédure,
Considérant que plusieurs des pharmaciens mis en cause relèvent que le représentant du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne, Mme Paris, M. Porret et M. Petit ont seuls été entendus par le rapporteur font valoir que, n'ayant pas été auditionnés lors de l'instruction, le principe du contradictoire aurait été méconnu à leur égard ;
Mais considérant qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'oblige le rapporteur à auditionner lors de l'instruction l'ensemble des entreprises susceptibles d'être mises en cause ; que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Sur le marché pertinent,
Considérant que les mêmes pharmaciens contestent l'existence d'un marché de la distribution du médicament et donc d'une possibilité d'entrer en concurrence avec l'officine de Mme Salomon-Evrard en faisant valoir, d'une part, que " seuls M. Alby, Mme Nguyen, M. Pham sont installés dans la même ville que Mme Salomon-Evrard et que les autres pharmacies sont installés dans des communes limitrophes comme Quincy-sous-Sénart, Yerres, Brunoy ", et, d'autre part, qu'il existe un régime de " répartition des officines au sein d'un territoire donné " ;
Mais considérant, d'une part, que le caractère réglementé de l'activité de distribution des médicaments n'empêche pas que des officines puissent se trouver en situation de concurrence ; que cette concurrence peut s'exercer notamment, compte tenu des habitudes des consommateurs, entre les pharmacies situées à proximité de leur résidence et celles qui sont installées dans les grandes surfaces commerciales ou à proximité d'équipements de transport en commun ; que, d'autre part, l'ensemble des pharmacies mises en cause en l'espèce sont situées dans un même secteur géographique et participent donc aux services de garde et d'urgence qui y sont organisés, répondant ainsi à la demande de la clientèle de l'ensemble du secteur ; que, par suite, le moyen doit être écarté :
Sur les pratiques constatées,
Considérant que les horaires pratiqués par Mme Salomon-Evrard ne correspondaient pas à ceux habituellement constatés dans le secteur du Val d'Yerres ; que, lors de l'établissement du tableau de gardes et d'urgences pour l'année 1997, Mme Salomon-Evrard, interrogée par les délégués du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne en charge de l'organisation des services de garde et d'urgence " sur (ses) préférences dans le choix des jours de garde de dimanche ou jour férié ", a fait savoir par lettre en date du 17 novembre 1996 qu'elle proposait " à tous les pharmaciens concernés de leur prendre la garde de tous les dimanches matins non fériés jusqu'à 13 heures " ainsi que les dimanches 16 février, 29 juin, 21 décembre, jeudi 8 mai et samedi 1er novembre ; que, malgré l'existence d'un désaccord qu'impliquait le contenu des propositions de Mme Salomon-Evrard, un tableau provisoire des gardes et urgences a été notifié à l'ensemble des pharmaciens du secteur le 9 décembre 1996, dans lequel la pharmacie de Mme Salomon-Evrard était inscrite tous les dimanches de l'année pour la journée entière et pour toutes les nuitées du dimanche au lundi ; que, par ailleurs, les pharmaciens organisateurs des services de garde et d'urgence ont envoyé à tous les pharmaciens du secteur, par l'intermédiaire du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne, un questionnaire, dont le contenu est cité au I de la présente décision et qui était accompagné d'une copie de la lettre de Mme Salomon-Evrard du 17 novembre 1996 ; que, sur les trente et un pharmaciens du secteur, vingt-huit ont renvoyé ce questionnaire en cochant la première réponse, se déclarant " attaché au service de garde tel que nous le pratiquons " et " au respect de l'article L. 588-1 du CSP " ;
Considérant que les sujétions résultant du tableau des gardes et urgences ainsi imposées à Mme Salomon-Evrard, qui se voyait contrainte d'ouvrir son officine tous les dimanches de l'année pendant toute la journée ainsi que toutes les nuitées du dimanche au lundi, avaient pour objet de la décourager de maintenir son officine ouverte le dimanche matin, ce qui devait permettre de rétablir le régime de fermeture des officines le dimanche toute la journée résultant d'un large consensus entre les pharmaciens du secteur du Val d'Yerres ; que de telles pressions, exercées par l'intermédiaire du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne, avaient pour objet et pouvaient avoir pour effet de limiter le jeu de la concurrence entre les officines de ce secteur;
Considérant, en premier lieu, que les pharmaciens concernés et le Syndicat des pharmaciens de l'Essonne soutiennent que la concertation mise en œuvre est intervenue aux fins d'organiser les services de garde et d'urgence conformément aux dispositions de l'article L. 588-1 du Code de la santé publique et ne saurait, par conséquent, être qualifiée sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'ils font valoir que, " le dimanche ne constituant pas un jour d'ouverture habituel pour les officines, il devait nécessairement être compris dans le tour de garde ", que l'arrêté préfectoral du 12 février 1948 fixe la fermeture des pharmacies le dimanche et que l'arrêté préfectoral n° 80-372 du 24 juin 1980 instituant le tour de garde des officines du département de l'Essonne prévoit en son article 2 : " En application des dispositions de la loi susvisée, le service de garde des nuits, dimanches, jours fériés est obligatoire pour tous les pharmaciens d'officine (...) " ;
Mais considérant, d'une part, que les parties en cause ne peuvent utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 588-1 du Code de la santé publique pour justifier les pressions exercées sur Mme Salomon-Evrard ; qu'il résulte, en effet, de ce texte que les pharmacies qui ne sont pas de garde ou d'urgence peuvent ouvrir pendant ces services ; que ces dispositions n'imposent pas non plus l'inscription d'office d'un pharmacien qui ouvre son officine pendant les horaires des services de garde ou d'urgence au tableau des services de garde et d'urgence ; qu'en outre, ces dispositions distinguent entre les services de garde d'une part, et d'urgence d'autre part, et prévoient seulement que le pharmacien, qui n'est pas lui-même de service et qui ouvre son officine pendant un de ces services, doit la tenir ouverte pour toute la période du service considéré; qu'ainsi ces dispositions n'imposent nullement qu'un pharmacien qui assure le service de garde doive également assurer le service d'urgence; qu'enfin, le moyen tiré de l'application des dispositions des arrêtés préfectoraux précités prévoyant la fermeture des pharmacies tous les dimanches et jours fériés est inopérant dès lors que ces dispositions ont été implicitement mais nécessairement abrogées par la loi du 18 janvier 1994 modifiant l'article L. 588-1 du Code de la santé publique ; que, d'autre part, s'il incombe aux organisations professionnelles d'organiser le services de garde et d'urgence, il résulte des éléments soumis au Conseil qu'en l'espèce, sous couvert de mettre en place ces services, la concertation organisée par l'intermédiaire du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne avait, en réalité, pour objet, ainsi que cela ressort du questionnaire adressé aux pharmaciens du secteur du Val d'Yerres, de maintenir le statu quo en matière d'horaires dans ce secteur et de dissuader Mme Salomon-Evrard d'ouvrir son officine le dimanche matin ;
Considérant, en deuxième lieu, que le Syndicat des pharmaciens de l'Essonne fait valoir que les pratiques qui lui sont reprochées ne sauraient être qualifiées de pressions, dès lors qu'il n'existerait d'autre possibilité, si Mme Salomon-Evrard maintenait son souhait d'ouvrir son officine le dimanche, que de l'inscrire au tableau des services des gardes et d'urgence pour tous les dimanches de l'année " dans la mesure (...) où le dimanche ne constitue pas un jour généralement ouvert pour les pharmacies du secteur " ainsi que pour les nuitées du dimanche au lundi, dès lors que, dans ce secteur, les services de garde et d'urgence sont couplés ;
Mais considérant que, comme cela a déjà été indiqué ci-dessus, l'inscription de Mme Salomon-Evrard au tableau des services de garde et d'urgence dans les conditions ci-dessus rappelées ne peut se justifier par aucune disposition légale ou réglementaire ; que, par ailleurs, certaines adaptations dans la mise en œuvre du tableau des services de garde et d'urgence ont été décidées au bénéfice d'autres pharmaciens, comme il résulte de la lettre de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales en date du 23 avril 1998 ; qu'il ressort des déclarations même du président du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne que c'est en raison du souhait de Mme Salomon-Evrard d'ouvrir son officine le dimanche matin qu'il lui a été imposé une astreinte pour tous les dimanches au lundi ; que les modalités ainsi retenues par les organisateurs du service de garde, au nom du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne et avalisées par les pharmaciens qui ont répondu au questionnaire envoyé sous couvert de ce même syndicat, visaient, en fait, à décourager cette pharmacienne d'ouvrir son officine un jour où les autres étaient généralement fermées ;
Considérant, en troisième lieu, que le Syndicat des pharmaciens de l'Essonne et les pharmaciens mis en cause font encore valoir que cette organisation professionnelle était habilitée à arrêter le tableau de garde pour l'année 1997, dès lors que le préfet n'avait pas été saisi d'un désaccord dans les conditions prévues à l'article L. 588-1 du Code de la santé publique et que ce n'est que postérieurement à la diffusion du tableau que Mme Salomon-Evrard a présenté une demande de dérogation ;
Mais considérant qu'il est constant qu'à la suite de la lettre de Mme Salomon-Evrard en date du 17 novembre 1996 contenant ses propositions pour les services de garde et d'urgence pour l'année 1997, les organisateurs de ces services ont procédé à une consultation de l'ensemble des pharmaciens du secteur, aux termes de laquelle " les conditions fixées par Mme Salomon-Evrard " ont été rejetées ; que la circonstance que, malgré le désaccord de ce pharmacien, le tableau provisoire des gardes et urgences ait été considéré comme adopté, sans que le préfet soit saisi de ce désaccord, corrobore le fait que la concertation visait au maintien du statu quo en ce qui concerne la fermeture des officines le dimanche ;
Considérant, en quatrième lieu, que Mme Paris, M. Petit et M. Porret soutiennent que c'est à tort que la partie saisissante s'appuie sur la décision n° 90-D-08 du Conseil de la concurrence, suivant laquelle l'article L. 588-1 du Code de la santé publique n'oblige pas les pharmaciens à fermer leur officine les dimanches et jours fériés ainsi que la nuit, dès lors que cette décision est antérieure aux modifications de ces dispositions, introduites par la loi du 18 janvier 1994 ;
Mais considérant, en tout état de cause, que l'obligation d'ouverture qui résulte des dispositions de ce texte pour le pharmacien qui, n'étant pas de service, ouvre pendant les services d'urgence ou de garde, ne saurait justifier les pressions exercées en concertation par les pharmaciens du secteur pour obtenir, par le biais de sujétions difficilement supportables, la fermeture effective d'une officine toute la journée du dimanche ;
Considérant, enfin, que le Syndicat des pharmaciens de l'Essonne relève que Mme Salomon-Evrard a, elle-même proposé d'assurer le service de garde tous les dimanches jusqu'à 13 heures ;
Mais considérant que les propositions de Mme Salomon-Evrard présentées aux organisateurs des services de garde dans sa lettre du 17 novembre 1996 ne sauraient être assimilées à l'offre d'une garde systématique pour tous les dimanches de l'année, couplée avec toutes les nuitées du dimanche au lundi, telle qu'elle résultait du tableau ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les pratiques mises en œuvre par le Syndicat des pharmaciens de l'Essonne, par l'intermédiaire des pharmaciens de l'Essonne, par l'intermédiaire des pharmaciens délégués pour l'organisation des services de garde et d'urgence dans le secteur du Val d'Yerres, tendaient à décourager Mme Salomon-Evrard d'ouvrir son officine le dimanche matin afin d'obtenir le maintien du statu quo en ce qui concerne les horaires d'ouverture des officines du secteur, traditionnellement fermées le dimanche ; que ces pratiques, mises en œuvre au sein d'une organisation professionnelle, ont eu pour objet et pu avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché local de la distribution de produits en pharmacie ; qu'elles sont, par suite, prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant en revanche, qu'il n'est pas établi par leur seule réponse au questionnaire qui leur avait été envoyé par les organisateurs des services de garde et d'urgence, sous couvert du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne, afin de connaître leur position à l'égard des propositions de Mme Salomon-Evrard , que les pharmaciens du secteur puissent être considérés comme ayant adhéré aux pratiques mise en œuvres par ce syndicat : que Mme Paris, M. Porret et M. Petit ont agi non pas à titre personnel mais au nom de cette organisation professionnelle ; que l'ensemble des pratiques étant ainsi imputables au Syndicat des pharmaciens de l'Essonne, il y a lieu de mettre hors de cause les pharmaciens auxquels ont été notifiés un grief d'entente ;
Sur les sanctions,
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs " ;
Considérant que, pour apprécier le dommage à l'économie, il y a lieu de relever que le service de garde et d'urgence pour 1997 dans le secteur du Val d'Yerres a été effectivement appliqué et que même si Mme Salomon-Evrard ne l'a pas intégralement respecté, les pratiques mises en œuvre ont eu pour objet ou pu avoir pour effet de limiter la concurrence, en dissuadant toute volonté d'ouverture pendant les services de garde ou d'urgence, dans un secteur dans lequel la concurrence, eu égard à la réglementation, est déjà fortement limitée ;
Considérant que, pour apprécier la gravité des pratiques constatées, il convient de tenir compte du rôle du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne dans l'organisation des services de garde et d'urgence ainsi que du fait que ces pratiques pouvaient conduire à empêcher le maintien sur le marché d'un opérateur souhaitant développer une politique commerciale dynamique ;
Considérant que le montant des ressources du Syndicat des pharmaciens de l'Essonne s'est élevé au cours de l'exercice clos le 30 septembre 1997 à 464 365 francs ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels que ci-dessus appréciés, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 150 000 francs ;
Décide :
Art. 1er . - Il est établi que le Syndicat des pharmaciens de l'Essonne a enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Art. 2. - Il est infligé une sanction pécuniaire de 150 000 francs au Syndicat des pharmaciens de l'Essonne.