Conseil Conc., 29 novembre 1994, n° 94-D-61
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Secteur de la production et de la commercialisation du veau
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de Mme Marie Picard, par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents, MM. Blaise, Robin, Rocca, Sloan, Thiolon, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence (section III),
Vu la lettre enregistrée le 30 mai 1990 sous le numéro F 320, par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation du veau; Vu les ordonnances n° 45-1483 et n° 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées, relatives respectivement aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application; Vu la loi n° 64-678 du 6 juillet 1964 modifiée, tendant à définir les principes et les modalités du régime contractuel en agriculture; Vu les observations présentées par les sociétés Denkavit, Sodiavit Vals, Bridel, Voréal, Collet, Trouw, Etablissements Guindé, La Prospérité Fermière, établissements Chapin, Mamellor, Société Vitréenne d'Abattage (SVA), Etablissements Guérin, par L'Union de coopératives agricoles Union Laitière Normande (ULN), par l'Union des coopératives agricoles Union Univor, par la SICA Ouest Elevage, par le syndicat des producteurs de veaux de boucherie (Carnisvo), par l'Intersyndicale des Fabricants d'Allaitement (IFAA), par la Fédération de la Vitellerie Française (FDVF) et par le commissaire du Gouvernement; Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Denkavit, Vals, Besnier industrie pour Bridel, Voréal, Etablissements Collet, Trouw, Etablissements Guindé, La Prospérité Fermière, Etablissements Chapin, Mamellor, Société Vitréenne d'Abattage (SVA), Etablissements Guérin, Veau du Limousin, de l'Union de coopératives agricoles Union laitière normande (ULN), de l'Union des coopératives Union Univor, de la SICA Ouest Elevage, du syndicat des producteurs de veaux de boucherie (Carnisvo), de l'intersyndicale des Fabricants d'Allaitement (IFAA) et de la Fédération de la Vitellerie Française (FDVF) entendus, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (Il) ci-après exposés :
I. - CONSTATATIONS
A. - Les caractéristiques du secteur
1. La filière de production du veau
La production de veau a connu une évolution radicale à partir des années 60, l'élevage traditionnel "sous la mère" ayant laissé la place à un type d'élevage industriel "en batterie", qui concerne aujourd'hui 90 p. 100 de la production de veau de boucherie.
Le cycle de production des veaux de batterie, qui s'étale sur 120 jours environ, met en œuvre un processus complexe qui comporte plusieurs phases : le vêlage, la mise en place du veau nourrisson et son élevage en batterie et, enfin, l'abattage.
Les différentes phases de la production des veaux de batterie sont, sauf pour ce qui concerne la production et la commercialisation des veaux nourrissons, intégrées.
a) L'offre et la demande de veaux nourrissons
Les veaux nourrissons qui sont mis en batterie proviennent du troupeau laitier et sont constitués par les animaux qui n'ont pas été sélectionnés pour le renouvellement du cheptel ou pour la production de viande rouge et qui ne sont pas exportés. Un peu plus d'un tiers des jeunes veaux sont mis on batterie.
Le veau nourrisson est un produit lié au cycle du lait. Les coûts de production étant moindres au printemps, les vêlages sont plus nombreux à cette période. La saisonnalité des vêlages a une influence sur les prix des veaux nourrissons. Ainsi, pour un prix moyen de 1 558 F en 1988, le veau nourrisson était acheté 1 400 F entre les semaines 9 à 15 (mars-avril), mais plus de 1 900 F entre les semaines 30 à 32 (août).
La production de veaux nourrissons en France a été affectée par la politique communautaire de réduction des excédents laitiers. Ainsi, la production de veaux nourrissons destinés à l'engraissement, qui avait atteint environ 3 400 000 têtes en 1986, ne représentait plus que 3 200 000 têtes en 1987 et 2 960 000 têtes en 1988. Cette politique a eu des répercussions tant sur les échanges extérieurs que sur les prix, qui ont connu des augmentations moyennes importantes entre 1987 et 1988.
L'offre de veaux nourrissons apparaît atomisée. Il existe des centres d'allaitement qui collectent les veaux à la ferme, ainsi que des ramasseurs indépendants qui achètent les veaux nourrissons et les revendent sur les marchés. La demande intérieure résulte des besoins de renouvellement du cheptel laitier, de l'élevage pour la viande rouge et, enfin, pour les bêtes les moins cotées, de l'élevage de veaux de batterie. Dans ce dernier cas, la demande qui émane, pour la quasi-totalité, des fabricants d'aliments d'allaitement-intégrateurs et des abatteurs-intégrateurs, est, en revanche, relativement concentrée.
b) Les aliments d'allaitement
Le principal débouché pour la partie excédentaire de la production de lait est l'aliment d'allaitement pour les veaux de batterie. En France, 85 p. 100 de la poudre de lait écrémé (PLE) sont utilisés par le secteur de l'alimentation pour veaux.
A partir de 1964, les autorités de la Communauté européenne ont encouragé la transformation des excédents laitiers en "produits d'intervention", en les faisant bénéficier d'une aide, dite prime de dénaturation, dès lors que ceux-ci incorporaient :
60 à 62 p. 100 de PLE;
10 à l2 p. 100 de lactosérum;
19 à 20 p. 100 de suif.
Le taux d'incorporation minimum a été supprimé en 1988. Depuis 1987, le montant de la prime de dénaturation a diminué pour atteindre 4,70 F par kilogramme aujourd'hui.
Les stocks de produits de transformation des excédents laitiers sont devenus quasi nuls en France à partir de 1987, en raison de la mise en œuvre de la politique communautaire des quotas laitiers. Le prix de la PLE a fortement augmenté à partir de 1988, en même temps que la production nationale diminuait fortement. De puis 1984, celle-ci a diminué d'un tiers selon des sources professionnelles.
La moitié de la production est assurée par les industriels les plus importants du secteur du lait, qu'il s'agisse de coopératives, comme l'Union laitière normande (ULN), Union Univor ou Ploudaniel, ou de sociétés commerciales, comme Bridel. Le reste de la production est le fait des industriels non laitiers, tels que Sanders, par l'intermédiaire de sa filiale Vals, Voréal, filiale de la société UFAC appartenant au groupe Hendrix, Serval et Denkavit France, filiale de la société néerlandaise Denkavit.
Une grande part de la PLE est autoconsommée, dès lors que l'élevage de veaux de batterie est intégré par les industriels du lait. Pour le reste, le cours de la PLE résulte de contrats passés par les fabricants d'aliments qui ne sont pas des producteurs de lait. Ces contrats à terme sont à quantités fixées et à prix déterminés dans la dernière semaine précédant le mois de référence.
c) Le marché du veau de boucherie
Depuis 1988, le marché du veau de boucherie est affecté par les tensions existant sur les marchés amont comme par les changements de la réglementation sanitaire.
Dans un contexte de récession de la demande, la hausse du prix des veaux nourrissons et l'interdiction de l'emploi de substances anabolisantes, qui a entraîné une perte de poids des bêtes, ont conduit les éleveurs d'une part à se désengager et d'autre part à allonger la durée d'engraissement des bêtes pour amener celles-ci à un poids sensiblement égal à leur poids antérieur. Au cours des trois premiers trimestres de 1988, les abattages ont été très inférieurs au niveau habituel, la raréfaction de l'offre ayant engendré une hausse importante des prix sur le veau de boucherie. Celle-ci n'a toutefois pu couvrir l'augmentation des coûts de production provenant de la dégradation de l'indice de consommation liée à un moindre rendement en viande, de l'augmentation des frais vétérinaires nécessitée par la fragilité des bêtes moins cotées et non protégées par des antibiotiques et, enfin, de l'allongement de la durée d'engraissement nécessaire pour atteindre le même poids.
2. L'organisation de la filière de production de veaux de batterie
La production de veaux de batterie fait intervenir différents intermédiaires, éleveurs, fabricants d'aliments, abatteurs. Le système dominant des relations entre ces professionnels est celui de l'intégration, qui concerne aujourd'hui 85 p. 100 de la production de viande de veau.
Le processus d'intégration peut prendre deux formes :
- verticale, par intégration sous l'autorité d'un centre décisionnel unique d'activités qui se situent à des stades successifs de la production;
- horizontale, par concentration d'agents économiques intervenant à un même stade de production.
Sur le plan juridique l'intégration s'appuie sur une contractualisation des relations entre les agents économiques, développée notamment sur la base des contrats d'intégration définis par l'article 17-I bis de la loi du 6 juillet 1964, dans sa rédaction issue de la loi n° 80-502 du 4 juillet 1980, dont les dispositions prévoient : "Dans le domaine de l'élevage, sont réputés contrats d'intégration les contrats par lesquels le producteur s'engage envers une ou plusieurs entreprises à élever ou à engraisser des animaux, ou à produire des denrées d'origine animale, et à se conformer à des règles concernant la conduite de l'élevage, l'approvisionnement en moyens de production ou l'écoulement des produits finis".
Dans ce type de contrat, le maître d'œuvre fournit des veaux nourrissons et l'alimentation nécessaire à un éleveur, qui apporte son travail et ses installations, en échange d'une rémunération fixe ou calculée on fonction des résultats de l'élevage.
L'intégration verticale prend deux formes principales, selon qu'elle est le fait des fabricants d'allaitement ou celui des abattoirs.
Depuis les années 60, les plus grands producteurs de veaux de boucherie en France sont les fabricants d'aliments d'allaitement, parmi lesquels figurent les grandes coopératives laitières et les industriels du lait. Ces intégrateurs-fabricants d'aliments sont regroupés au sein de l'IFAA.
Se situant en aval de la filière, les abatteurs ont également intégré les activités de production amont, essentiellement pour assurer la rentabilité de l'investissement très élevé que constitue un abattoir moderne. Les abatteurs-intégrateurs dans l'élevage de veaux de boucherie ont vu leur nombre diminuer de façon importante au cours des dix dernières années. On n'en compte plus aujourd'hui qu'une dizaine de taille significative. Le syndicat CARNISVO a été créé pour rassembler ces entreprises en aval de la filière; il compte aujourd'hui onze membres et son activité est très réduite depuis 1989. Les abatteurs-intégrateurs qui sont aussi fabricants d'aliments sont également membres de l'IFAA.
La Fédération de la Vitellerie Française (FDVF), créée en octobre 1987, regroupe les membres de I'IFAA et de CARNISVO.
3. L'organisation des marchés
La production de veau est régie par le règlement du Conseil de la Communauté européenne n° 805-68 du 27 juin 1968 portant organisation commune de marché dans le secteur de la viande bovine, plusieurs fois modifié.
Mais, seuls les gros bovins bénéficient des mesures d'intervention prévues par ce règlement. Le veau, contrairement à son marché amont, celui du lait, et à son marché aval, celui des gros bovins, ne bénéficie donc d'aucun soutien actif communautaire.
Au niveau national, l'Office interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (Ofival) n'a qu'un rôle très général relatif à l'efficacité économique de la filière et à l'application des mesures communautaires. L'Ofival peut conclure des conventions avec les groupements de producteurs reconnus ou avec les comités économiques agréés.
L'organisation interprofessionnelle du secteur, Interbev, ne joue, d'après les professionnels, qu'un rôle limité : sa section Interveaux réalise des opérations de promotion, d'étude et de gestion des marchés.
B. - Les pratiques relevées
1. - Sur le marché des aliments d'allaitement
Au cours des années 1987 et 1988, I'IFAA a établi et diffusé un indicateur de prix de revient des aliments d'allaitement dénommé "indicateur d'évolution théorique".
Cet indicateur comporte les postes suivants :
- coût d'achat des matières premières (PLE, suif, coprah, etc.) sur la base des cours des principaux éléments entrant dans la composition de 100 kilogrammes d'aliment comprenant 60 p. 100 de PLE;
- coût départ usine, hors marge et hors frais commerciaux, incluant les frais de réengraissement et de mélange, les frais administratifs, les impôts, les frais généraux et la sacherie;
- prix départ usine, incluant la "marge" fixée à 20 F sur toute la période et un montant de frais commerciaux;
- prix départ à 90 jours, incluant les frais financiers;
- prix rendu éleveur à 90 jours, incluant les frais de transport.
Des fiches de calcul de cet indicateur ont été établies les 18 février, 1er mai et 1er août 1987 ainsi que les 1er juin et 1er octobre1988 et le 1er janvier 1989. Au-delà de cette dernière date, dès lors que le versement de la prime de dénaturation était acquise, quel que soit le pourcentage de PLE incorporé et faute d'un produit de référence homogène, l'indicateur a cessé d'être calculé.
Des réunions ayant pour objet le suivi de l'évolution de cet indicateur ont conduit à arrêter des positions communes entre fabricants tant quant à la date à laquelle il convenait de mettre en œuvre des hausses de prix sur les produits d'allaitement qu'en ce qui concerne le montant de celles-ci, eu égard à l'évolution des matières premières.
Selon les déclarations du secrétaire généraI de l'IFAA alors en fonctions :
"Ces réunions avaient plusieurs motivations : déterminer les périodes d'augmentation, chaque société subissant des pressions comparables mais craignant, faute d'harmonisation, de ne pouvoir les répercuter. Déterminer en second lieu sur la base de la hausse de l'indicateur théorique et des positions des sociétés une position commune chiffrée... Cette hausse était ensuite généralement pondérée au sein de chaque société du fait des caractéristiques de la production de chacun. Le télex de M. Dullieux en juillet 1987 rend toutefois compte des limites d'une telle politique, tous les fabricants n'étant pas adhérents à l'IFAA"
Dans un télex du 31 juillet 1987, adressé à M. Berthelot (Daniel), M. Dullieux, président de la société Denkavit et président de I'IFAA, déclare : "Je ne suis pas prêt à augmenter de 35 F au 1er août. Il est nécessaire de connaître les montants des hausses appliquées par UCALM au Mans et par Colarena et leurs dates d'application. On parle d'une augmentation de 20 centimes du kilo pour Colarena. Inutile de vous préciser qu'avec de tels chiffres nous n'irons pas à l'abattoir en augmentant de 35 F." Dans un télex du 27 août 1987, M. Dullieux rappelle au secrétaire général de l'IFAA sa "demande de détermination du prix de l'aliment en fonction du prix des matières premières et de votre prix de référence poudre de lait notamment ".
De la même façon, M. Dullieux demande dans un télex du 12 octobre 1987 "de faire une enquête sur les hausses envisagées par nos collègues, application 1er novembre. Je souhaite avoir vos conclusions pour la fin de cette semaine, mais il faudra avoir le courage de m'indiquer leur hausse pour des produits à 60 p. 100 et leur hausse pour des produits à zéro. Vous connaissez la technique : Serval augmente de 40 F et on se retrouve à 15 F sur le marché, car on ne sait jamais de quoi on parle. Alors, il faut parler programme et il faut parler vérité, sinon on ne cause pas (chacun pour soi)".
Dans un télex du 26 mai 1988, M. Berthelot (Thierry) indique à M. Rocher, président de la société laitière de Saint-Denis d'Augeron : "Cher Monsieur, suite à notre réunion de début de semaine, nous vous signalons que la position concernant l'aliment élevage a évolué. L'objectif restant à 90 minimum avec une étape à 50 (au lieu de 30) au 1er juin. Merci de bien vouloir nous contacter pour plus d'information".
MM. Morisse et Maroy, respectivement président-directeur général et directeur de la société Voréal, en fonctions lors de l'enquête administrative, ont déclaré : "En ce qui concerne les aliments d'allaitement, nous nous rencontrions moins fréquemment, surtout en période d'extrême tension notamment à l'automne 1987 et été 1988. Ces réunions trouvaient leur motivation, pour ma part, en ce que je ne pouvais pas augmenter seul mes tarifs. Elles étaient l'occasion de discussions entre professionnels, afin de fixer un niveau d'augmentation des aliments en fonction de l'évolution des cours des matières premières".
Le secrétaire général de I'IFAA a indiqué que "ces réunions avaient également pour objet de permettre de prendre en compte les impératifs liés à la nature des intervenants", en soulignant que : "en effet, la politique des fabricants d'aliments qui sont par ailleurs industriels laitiers est dépendante des variations du prix du lait alors que celle des indépendants est dépendante du cours de la PLE. En conséquence, ces réunions donnaient lieu à la prise en compte par chacun des impératifs de l'autre partie, les indépendants acceptant d'augmenter avec les laitiers en hiver, les laitiers d'augmenter avec les indépendants au printemps voire plus tard comme en 1987 ".
Cet objectif est énoncé par M. Dullieux dans un télex adressé le 15 novembre 1987 à M. Berthelot (Daniel) : "Pouvez-vous me transmettre l'état des prix des matières premières et des prix de revient des aliments, comme habituellement situation arrêtée, disons à ce jour, avec un prix de poudre à 14 F ? Il est certain que les indépendants ont une position très différente des laitiers. Il faudrait profiter de notre réunion de la fin du mois pour motiver ces amis laitiers qui auront besoin de notre prise de position dans deux mois ou dans trois mois".
M. Le Baron, président-directeur général de la société Bridel, confirme cet objectif dans ses déclarations lors de l'enquête administrative : "La fiche de suivi des prix de l'IFAA n'est d'aucune utilité pour Bridel en ce qui concerne la partie non liée aux matières premières. L'intérêt en est de suivre l'évolution du coût matière première et de la prime de dénaturation qui sont largement fonction des décisions communautaires. C'est la raison pour laquelle je ne nie ni l'existence de ces réunions, ni le fait qu'elles aient conduit à la détermination d'un niveau de hausse et d'une date d'application de cette hausse. Ces décisions auraient, de toute façon, dû être prises par chaque entreprise du fait des modifications de l'environnement réglementaire communautaire. En ce qui concerne les concertations relatives aux périodes d'augmentation selon que les intervenants sont laitiers ou non, le débat qu'évoque M. Berthelot... a effectivement eu lieu. Il ne concerne pas notre société qui s'approvisionne en PLE pour moitié de sa production d'aliment sur le marché et qui pratique le stockage de la poudre qu'elle produit avec le lait de printemps".
L'application des décisions prises lors des réunions organisées par l'IFAA au cours desquelles a été diffusé l'indicateur théorique d'évolution est difficile à appréhender, les prix étant négociés client par client. Des éléments recueillis auprès de quelques acheteurs, il ressort que certaines hausses ont été appliquées de manière concomitante, comme il ressort du tableau suivant :
EMPLACEMENT TABLEAU
S'agissant de la hausse décidée en juin 1988, les éléments suivants ont pu être recueillis :
EMPLACEMENT TABLEAU
2. Sur le marché des veaux nourrissons
A partir de 1986, une pénurie de veaux nourrissons (V 8) a été constatée sur ce marché; il en est résulté des tensions importantes sur les prix. Les organisations professionnelles d'intégrateurs ont alors engagé une politique visant à infléchir les tendances des prix sur ce marché. Selon les déclarations de M. Berthelot (Daniel), l'objectif poursuivi était de "limiter la hausse des cours du veau nourrisson" et "d'organiser de manière concertée la récession afin de préserver le nombre d'intervenants sur le marché, en conservant, dans la mesure du possible, les parts de marché".
Le 23 octobre 1986, les conseils d'administration de l'IFAA et de Carnisvo approuvent un plan de régulation de la production, qui préconise une diminution des mises en place de 10 p. 100 (indice 90) et de reporter des abattages sur janvier-février. Une note adressée par Carnisvo à ses adhérents ainsi qu'à ceux de l'IFAA souligne : "La première phase du plan (réduction des mises en place à compter de la semaine 44) aurait en outre l'avantage de ramener les prix de revient à des niveaux plus acceptables, grâce à la baisse du prix du veau nourrisson que devrait engendrer la baisse des mises en place."
La même politique a été poursuivie en 1987, avec des objectifs moins ambitieux, selon les déclarations de M. Berthelot (Daniel) : "Nous nous sommes orientés vers des actions ponctuelles sur la base de deux critères conduisant à choisir deux périodes d'action : la première, juste après les vêlages de printemps, avait pour objet de freiner la hausse naturelle du V 8 entre les semaines 13 à 15 et 30 à 35; la deuxième, aux vêlages d'automne, de ne pas remplir les étables malgré une baisse des prix, les veaux gras ne devant pas être en nombre trop important du 15 décembre à la fin janvier afin de favoriser une bonne tenue des cours".
Le compte rendu de l'assemblée générale de l'IFAA tenue le 27 janvier 1987 fait état d'un document intitulé "Lignes politiques de mises en production pour 1987", préconisant un niveau de mises en place correspondant au niveau constaté l'année précédente (indice 100 à 103).
Le 16 mai 1987, le secrétaire général de l'IFAA envoie un télex à tous les adhérents ainsi qu'à ceux de Carnisvo pour "savoir quelles mesures ils seraient prêts à accepter". Dans un télex envoyé dans les mêmes conditions et intitulé "Consignes concernant la mise en production pour les semaines à venir", il est indiqué : "Aujourd'hui, nous devons constater que des consignes de réduction strictes ont été imposées par plusieurs sociétés et il est prévu que celles-ci durent trois semaines. (...) Ce n'est que tous ensemble que vous parviendrez à infléchir la courbe des prix, d'autant qu'il n'est pas exclu que cette période de sorties se traduise par des pertes, avec plus de 33 F de prix de revient".
Différents télex envoyés à l'IFAA par les sociétés Voréal, Denkavit et La Prospérité Fermière indiquent que les réductions de mises en place se sont concrétisées entre les semaines 32 et 34, ce qui est également le cas des sociétés Bridel et de l'Union Laitière Normande.
L'assemblée générale de la FDVF du 30 septembre 1987 décide d'engager une réduction des mises en place, assortie d'un prix plafond pour le V 8. Deux télex seront envoyés aux adhérents les 7 octobre et 20 octobre 1987 par le secrétaire général de l'IFAA, le niveau de mises en place de 100/105 apparaissant dépassé. Seules les sociétés Vals (en semaine 38), Voréal, Denkavit et ULN dans une moindre mesure (en semaine 39) ont réduit leurs mises en place.
De nouvelles consignes sont diffusées par télex du 13 novembre 1987 à l'ensemble des adhérents : "Il est impératif de maintenir les MEP à - 10 p. 100". Les sociétés ou coopératives Vals, ULN, La Prospérité fermière et Trouw font part de leur accord.
Lors de l'assemblée générale du 3 décembre 1987 est diffusé un document intitulé "Opération baisse du prix du V 8. - Objectif baisse de 300 à 400 F par tête", qui préconise deux scénarios : soit une opération courte supposant une baisse drastique des mises en place (60 à 80 p. 100), soit une opération longue se poursuivant sur trois à quatre semaines avec une réduction de 20 à 30 p. 100.
La politique menée en 1988 se situe dans la ligne de celle mise en œuvre au cours des années précédentes. Le 24 mai 1988, la FDVF tient une assemblée générale au cours de laquelle ont été données des consignes de mises en place, selon les déclarations de M. Berthelot (Daniel). Une consultation de ses membres est engagée par télex dans l'optique d'adapter les mises en place à la baisse des disponibilités en V 8. La FDVF indique à ses adhérents : "Nous pensons que si cette diminution est effective dès cette semaine et dure pendant le mois de juin, nous devrions assister à un retour au calme sur les prix du jeune veau. Mais est-ce suffisant ? "
Des télex de réponses des sociétés ou coopératives Vals, Bridel, Guindé, Mamellor, Guérin, La Prospérité Fermière, ULN, Sol, Collet, Chapin et Trouw, il ressort que les intentions de mises en place des adhérents se situent entre 20 et 40 p. 100 en dessous du niveau atteint l'année précédente.
Le 9 juin 1988, l'assemblée générale de la FDVF adopte une motion qui prévoit une: "Action immédiate pour une baisse minimale dans une première étape de 300 F par tête du veau nourrisson afin d'endiguer les hausses de prix de revient découlant des décisions de Bruxelles et de la situation des approvisionnements en matières premières ".
On constate qu'en semaine 24 d'importantes réductions sont opérées dans les mises en place.
Le compte rendu de l'assemblée générale de la FDVF du 2 novembre 1988 fait état de la nécessité de parvenir à un prix de 1 000 F maximum pour un veau nourrisson mâle rendu étable d'engraissement et de parvenir à une décote de 300 F sur les femelles.
Pour cette période également, d'importantes baisses dans les mises en place peuvent être constatées. Par rapport à la même semaine de l'année 1987, ces baisses se situent autour de 40 p. 100, contre 15 p. 100 pour l'année entière.
3. Sur le marché du veau gras
Lors de l'assemblée générale de Carnisvo du 21 janvier 1988, après avoir constaté que les prix de revient dépassaient les cours du veau gras, les participants ont défini les objectifs de prix de vente et les moyens d'atteindre ceux-ci ainsi que le rôle du syndicat dans cette action, comme il ressort du procès-verbal de cette réunion : "Pour faciliter la tenue des cours durant cette période difficile, MM. Collet et Gargaud suggèrent que les veaux soient vieillis progressivement pour effectuer un report sur fin février et courant mars, où les premiers veaux sans anabolisant sortiront. L'ensemble des participants partage cette position, car l'intérêt des professionnels de Carnisvo, compte tenu de leur intégration, n'est pas de cautionner un mouvement de baisse. M. Renan propose que cette position soit exprimée, l'après-midi, à l'assemblée de la fédération, en signalant que Camisvo souhaite défendre les prix sur les bases constatées cette semaine (28,50 F) pendant la période difficile jusqu'au 15 février. Au-delà de cette date, MM. Renan et Sol signalent qu'il faudra tout entreprendre pour enclencher le mouvement de hausse; pour cela, M. Renan propose que Carnisvo se réunisse le 9 février pour examiner la situation. Pour clore ce point, M. Renan souhaite que des consignes précises soient données aux commerciaux des abattoirs afin que ces derniers intègrent bien la politique qui vient d'être évoquée".
L'analyse des cours du veau gras sur cette période montre que les cours se sont stabilisés entre 28 et 28,50 F jusqu'en semaine 7, pour croître ensuite d' 1 F par kilo en semaines 8, 9 et 10.
M. Le Baron, directeur général de la production de la société Bridel et président de la FDVF alors en fonctions, a déclaré : "En ce qui concerne la viande de veau, toutes les démarches entreprises au sein de l'organisation avaient pour objectif, en ce qui concerne Bridel et sa position dans le métier de la viande, d'éviter au maximum les écarts spéculatifs. Il n'existe pas d'intervention CEE sur la viande de veau, contrairement à ce qui se passe pour les autres bovins, et pourtant cette production est très saisonnalisée. L'action des trois organisations syndicales n'a pas eu d'autre but que d'obtenir une organisation de marché analogue à celle dont disposent légalement d'autres productions agricoles".
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,
Sur la prescription :
Considérant qu'aux termes de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Le Conseil de la concurrence ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction";
Considérant qu'il résulte du dossier que le procès-verbal de remise de pièces en date du 7 juillet 1989 constitue le premier acte tendant à la recherche et à la constatation des faits qui ont fait l'objet de la saisine ministérielle; que, dans ces conditions, seuls les faits postérieurs au 7 juillet 1986 peuvent être qualifiés sur le fondement des articles 50 et 51 de l'ordonnance du 30 juin 1945, qui demeurent applicables en l'espèce, et des articles 7 et 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Sur la procédure :
Considérant que I'IFAA, Carnisvo et la FDVF, d'une part, et les sociétés ou coopératives ULN, Mamellor et Denkavit, d'autre part, soutiennent que les procès-verbaux recueillis au cours de l'enquête administrative seraient entachés de nullité, dès lors qu'ils ne remplissent pas l'ensemble des conditions fixées par l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, notamment en ne précisant pas l'objet de l'enquête; que ces mêmes organisations ainsi que l'ULN et la société Vals font au surplus valoir que l'enquête administrative aurait méconnu l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques publié le 1er février 1981 et aurait ce cour effet de compromettre irrémédiablement les droits de la défense; Considérant qu'aux termes de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Les enquêteurs peuvent accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transport à usage professionnel, demander la communication des livres, factures et tous autres documents professionnels et en prendre copie, recueillir sur convocation ou sur place les renseignements et justifications"; qu'aux termes de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 : "Les procès-verbaux prévus à l'article 46 de l'ordonnance sont rédigés dans le plus court délai. Ils énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués. Ils sont signés de l'enquêteur et de la personne concernée par les investigations. En cas de refus de celle-ci, mention en est faite au procès-verbal";
Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des dispositions ci-dessus citées que,dans le cadre d'une enquête diligentée sur le fondement de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, si les enquêteurs doivent indiquer aux personnes interrogées l'objet de l'enquête à laquelle ils procèdent, il n'est pas prescrit de porter cette mention dans le procès-verbal de déclaration; qu'en tout état de cause, les procès-verbaux d'audition et de remise de pièces recueillis auprès des représentants de l'IFAA, de Carnisvo et de la FDVF les 7 juillet, 18 juillet, 21 juillet et 8 septembre 1989 portent sur l'activité de ces organisations professionnelles ainsi que sur les caractéristiques juridiques et économiques du secteur de la production et de la commercialisation du veau, le fonctionnement des marchés, et les difficultés conjoncturelles ou structurelles rencontrées par les intervenants sur ces derniers ainsi que sur les réunions de ses membres et les actions qui ont pu y être décidées; qu'en outre, les procès-verbaux de remise de pièces des 7 et 18 juillet 1989 ainsi que les procès-verbaux de déclaration des 8 et 21 juillet 1989 comportant le visa de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et la mention, faisant foi jusqu'à preuve contraire, que l'enquêteur a fait connaître l'objet de l'enquête, sont suffisamment clairs et précis pour que les personnes entendues n'aient pu se méprendre quant à la portée de leurs réponses et aient été en mesure de préserver leurs droits; que si le procès-verbal de déclaration du 7 juillet 1989 ne comporte pas mention que l'objet a été indiqué, il est constant que cet acte d'enquête ne figure pas dans les pièces jointes au rapport sur lesquelles le rapporteur s'est fondé; que les prescriptions ci-dessus rappelées ayant été également respectées s'agissant des procès-verbaux de déclaration et de remise de pièces recueillis auprès de l'ULN en date du 31 juillet 1989, des sociétés Denkavit en date du 1er août 1989, Voréal en date du 2 août 1989, Vals en date du 21 juillet 1989, Bridel en date du 9 septembre 1989, VDL, en date du 3 octobre 1989 et d'Union Univor en date du 14 novembre 1989, il n'y a pas lieu d'écarter ces actes d'instruction, sur lesquels le rapporteur a pu valablement fonder les griefs qu'il a retenus contre certaines entreprises; Considérant, an second lieu, que I'IFAA ne peut utilement soutenir que l'enquêteur se serait fait remettre des dossiers, en prenant copie de toutes les pièces et notamment de notes manuscrites en violation de la limitation prévue à l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors que les dispositions de ce texte prévoient expressément que les enquêteurs peuvent se faire communiquer et prendre copie des livres, factures et tous autres documents professionnels, sans exclure, ceux qui ont un caractère manuscrit;
Considérant, en troisième lieu, que si la société Vals soutient que les réponses du secrétaire général de I'IFAA, auxquelles elle ne saurait souscrire, apparaissent avoir été "largement suggérées par les questions pour le moins tendancieuses de l'enquêteur, qui ne sont d'ailleurs pas retranscrites dans les procès-verbaux d'audition", il est constant que les procès-verbaux ne doivent pas à peine de nullité comporter la transcription des questions posées par l'enquêteur, dont il n'est pas apporté le moindre commencement de preuve qu'elles auraient revêtu un caractère déloyal;
Considérant, en quatrième lieu, que si la société Denkavit soutient que "figurent en annexe divers documents réunis au cours de l'enquête dans des conditions qui restent parfaitement mystérieuses dans la mesure où aucun procès-verbal de remise de pièces n'a été joint audit rapport", il est constant que le rapporteur a joint au rapport les pièces sur lesquelles les griefs définitivement retenus trouvent leur fondement; que l'ensemble de ces pièces, et notamment les procès-verbaux de communication de pièces, ont été recueillis au cours de l'enquête administrative ou lors de l'instruction menée à l'initiative du rapporteur, mention en étant portée sur les procès-verbaux de déclaration, d'audition ou de remise de pièces, établis dans les conditions rappelées ci-dessus et dont le représentant de la société Denkavit a pu prendre connaissance lors de la consultation du dossier, conformément aux dispositions de l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Sur l'imputabilité des pratiques :
Considérant que l'augmentation concertée des prix de l'aliment d'allaitement imputée à l'union de coopératives Union Univor est, en fait, imputable à Tempé-Lait, coopérative adhérente disposant de la personnalité juridique; que, par suite, le grief retenu à l'encontre de l'union de coopératives Union Univor pour avoir appliqué des hausses de prix arrêtées en concertation doit être abandonné;
Sur les pratiques constatées :
En ce qui concerne "l'indicateur d'évolution théorique":
Considérant que,s'il entre dans les missions d'un syndicat professionnel de fournir à ses membres une aide à la gestion, celle-ci ne doit, de quelque manière que ce soit, exercer d'influence directe ou indirecte, sur le jeu de la concurrence à l'intérieur de la profession;
Considérant que "l'indicateur d'évolution théorique" calculé par I'IFAA et actualisé au cours des années 1987 et 1988 en fonction de l'évolution des prix des matières premières entrant dans la composition de l'aliment comportant 60 p. 100 de PLE (poudre de lait écrémé) a été diffusé à l'ensemble de ses membres lors de plusieurs réunions;
Considérant qu'il est constant que cet indicateur correspondait à une analyse du prix de "l'aliment à 60 p. 100 rendu éleveur", incluant, au-delà du seul suivi de l'évolution des cours des matières premières entrant dans la composition de ce produit, les frais de structure et la marge commerciale; que si le caractère intégré de la filière de production du veau de boucherie peut limiter l'impact de la diffusion d'un tel indicateur, il n'en reste pas moins que les intégrateurs pouvaient ainsi, d'une part, échanger en permanence des informations sur l'évolution du coût moyen de l'aliment dans le prix de revient total du veau de boucherie par rapport à leur propre structure de coûts, d'autre part, fixer en concertation les augmentations de prix pour la part de la production commercialisée et, enfin, harmoniser les augmentations de prix entre industriels laitiers et non laitiers au cours de l'année; que selon les déclarations des représentants des sociétés Voréal et Bridel, les réunions au cours desquelles était présenté l'indicateur d'évolution théorique avaient pour objet de déterminer un taux de hausse des prix des aliments d'allaitement et une date d'application de celle-ci; que l'établissement et la diffusion de cet indicateur, correspondant à un prix moyen de l'aliment d'allaitement à 60 p. 100, marge commerciale comprise, avaient pour objet et ont pu avoir pour effet d'inciter les adhérents de l'IFAA à adopter un comportement tarifaire concerté tant en ce qui concerne le niveau d'augmentation des prix des aliments d'allaitement que les périodes d'augmentation;
Considérant, dès lors, que les organisations professionnelles et la société Voréal ne sont pas fondées à soutenir que "l'indicateur d'évolution théorique" ne comportant que des informations sur l'évolution des différents coûts de production, telles que recueillies auprès des adhérents sur la base de leurs achats de matières premières et n'ayant pour objet que de mettre en évidence l'évolution du coût de revient du poste "aliment", ne constitue pas un indicateur de prix de vente susceptible de fausser le jeu de la concurrence, alors qu'au surplus la production de poudre de lait est largement autoconsommée; Considérant que les sociétés Denkavit, Vals, Bridel et Voréal ainsi que les coopératives ULN et Union Univor ont participé à la concertation ainsi organisée par l'IFAA; qu'au surplus l'examen de la comptabilité de certains acheteurs d'aliments d'allaitement a permis de constater que les sociétés Denkavit, Vals et Bridel et l'ULN avaient augmenté les tarifs de certains aliments d'allaitement qu'elles commercialisent dans des conditions comparables à des dates communes ou voisines suivant les réunions lors desquelles était examinée l'évolution de "l'indicateur théorique";
Considérant quel'établissement au sein d'une organisation professionnelle d'un indicateur et sa diffusion à ses adhérents constituent des pratiques concertées qui avaient pour objet et ont pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence en faisant obstacle à la libre fixation des prix par le jeu du marché; que celles-ci, qui ont impliqué tout à la fois l'organisation professionnelle qui en est le support et les entreprises qui y ont participé ainsi que celles qui les ont mises en œuvre, sont contraires aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
En ce qui concerne les pratiques relevées sur le marché des veaux nourrissons :
Considérant que l'IFAA et Carnisvo, puis, à partir de la fin de l'année 1987, la FDVF ont défini une politique de régulation concertée des mises en place de veaux de huit jours lors d'assemblées générales ou de réunions du conseil d'administration de ces organisations professionnelles, notamment celles tenues les 23 octobre 1986, 27 janvier, 30 septembre et 3 décembre 1987, 16 mai, 9 juin et 2 novembre 1988; que les notes adressées par ces organisations professionnelles à leurs adhérents au cours de ces années ont préconisé à plusieurs reprises de restreindre les mises en place de veaux nourrissons, afin d'infléchir l'évolution des prix sur ce marché, soit pour retarder les hausses, soit pour accentuer les baisses saisonnières;
Considérant que ces actions, en incitant les adhérents de ces organisations professionnelles à adapter leurs achats de veaux nourrissons non à leurs propres perspectives de vente, mais en fonction de directives concertées, avaient pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché; que si les effets des actions concertées ainsi entreprises ne peuvent que difficilement être mesurés sur le marché des veaux nourrissons, il est constant que celles-ci ont eu pour objet et pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur ce marché; que, par suite, de telles pratiques sont prohibées, tant par les dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 pour celles qui ont été mises en œuvre avant l'entrée en application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, pour celles qui ont été mises en œuvre après l'entrée en vigueur de ce texte;
En ce qui concerne les pratiques relevées sur le marché du veau de boucherie :
Considérant que l'action décidée lors de l'assemblée générale de Carnisvo en date du 21 janvier 1988 avait pour objectif, en incitant les intégrateurs à reporter sur les semaines 8 et suivantes une partie des abattages prévus pour les semaines précédentes, de soutenir les cours du veau de boucherie, de telle sorte qu'il s'établisse à 28,50 F/kg jusqu'au 15 février 1988, avec une augmentation échelonnée jusqu'en semaine 10; que les prix constatés sur le marché ont été de 28 F et 28,50 F jusqu'en semaine 7 et ont augmenté de 1 F/kg au cours des semaines 8, 9 et 10; que cette pratique de régulation concertée des mises sur le marché de veaux gras a eu pour objet de limiter artificiellement le jeu de la concurrence par les prix sur le marché du veau de boucherie et a eu pour effet d'en provoquer la hausse pendant quelques semaines; que, par suite, une telle pratique est contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Sur l'application de l'article 10 de I'ordonnance du 1er décembre 1986 :
Considérant que l'IFAA, Carnisvo et la FDVF ainsi que les sociétés ou coopératives ULN, Denkavit et Trouw font valoir que les pratiques en cause apparaissent largement justifiées au regard des dispositions du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qu'ayant été mises en œuvre pour faire face à une situation de crise, elles ont permis de sauvegarder cette filière; que la société Collet soutient que les pratiques incriminées ont eu pour effet de "réguler le prix du veau à la consommation afin d'éviter des tensions à la hausse en période de forte demande du marché"; que la coopérative La Prospérité fermière fait valoir que la réduction des frais généraux et l'adaptation de l'offre à la demande obtenues par la concertation constituent des éléments de progrès économique;
Considérant, toutefois, ques'il est constant que le secteur de la production et de la commercialisation du veau de boucherie a connu notamment au cours des années 1987 et 1988 des perturbations liées à la réduction du cheptel laitier et aux modifications de la réglementation sanitaire nationale, qui peuvent expliquer, dans une certaine mesure, le comportement des organisations professionnelles du secteur, ces difficultés conjoncturelles ne peuvent être assimilées à des contributions au progrès économique au sens du 2 de l'article 10; qu'en effetces organisations, qui ne représentent pas l'ensemble des intervenants sur les différents marchés concernés, se sont limitées à tenter d'infléchir l'évolution des cours, sans assortir ces mesures de dispositions tendant à une meilleure organisation de la production et à un meilleur fonctionnement du marché en fonction de considérations structurelles; qu'au surplus,la pérennité des entreprises ou le maintien de leur part de marché ne peuvent être assimilés à un progrès économique pour la collectivité; qu'à supposer, enfin, qu'au cas d'espèce, la régulation de la production de la viande de veau puisse être considérée comme un élément de progrès économique, il n'est pas établi que la mise en œuvre des pratiques ci-dessus décrites aurait été indispensable pour atteindre cet objectif; qu'en tout état de cause, il n'est pas démontré que les actions entreprises auraient réservé aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en aurait résulté, alors que le prix de la viande de veau à la consommation apparaît avoir enregistré de fortes hausses pendant cette période;
Sur les suites à donner:
Considérant que si la SICA Ouest-Elevage, la coopérative La Prospérité fermière et l'union de coopératives Union Univor, les sociétés Mamellor, Collet, Trouw, Voréal, Etablissements Guindé, Guérin, aux droits de laquelle vient la Société Vitréenne d'Abattage (SVA), et Etablissements Chapin ont participé aux échanges d'informations organisés au sein de l'IFAA de Carnisvo ou de la FDVF relatifs aux prix de l'aliment d'allaitement à 60 p. 100 ou aux mises en place des veaux nourrissons au cours des années 1986, 1987 et 1988, il n'est pas établi que ces entreprises aient appliqué les directives diffusées par ces organisations professionnelles à cet égard et, par là, renoncé à l'autonomie de leur action commerciale, qui devait prendre en compte la récession touchant ce secteur; qu'il n'y a, dès lors, pas lieu au prononcé de sanctions à l'égard de ces entreprises;
Sur les sanctions :
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, seul applicable en l'espèce dès lors que les pratiques se sont poursuivies au-delà de l'entrée en vigueur de ce texte : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de 10 millions de francs. ";
Considérant que le dommage à l'économie est d'autant plus important que les pratiques en cause ont concerné les différents stades de la production des veaux de boucherie, en associant les principaux opérateurs de cette filière intégrée; que deux de ces pratiques sont d'autant plus graves qu'elles se sont poursuivies pendant au moins deux années;
Considérant que la gravité des faits imputés à l'IFAA, Carnisvo puis la FDVF est caractérisée par le fait que ces organisations professionnelles ont conçu et ont constamment soutenu au cours des années 1987 et 1988 les actions prohibées, d'autant plus qu'elles ne pouvaient ignorer qu'elles auraient dû s'abstenir de toute action susceptible de porter atteinte au jeu de la concurrence dans ce secteur, compte tenu de l'avis rendu le 28 avril 1987 par le Conseil de la concurrence à la demande du Tribunal de grande instance de Paris pour des pratiques similaires; qu'il doit toutefois être tenu compte de la situation difficile constatée dans ce secteur à la suite de modifications de la réglementation tant communautaire que nationale ainsi qu'en raison de l'évolution défavorable de la demande intérieure; que, pour l'année 1993, les ressources de l'IFAA se sont élevées à 2 460 880 F et celles de Carnisvo à 424 554 F, la FDVF ne disposant pas pour sa part d'un budget propre; qu'il y a lieu, en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, d'infliger une sanction pécuniaire de 1 500 000 F à l'IFAA, de 200000 F à Carnisvo et de 100 000 F à la FDVF;
Considérant que la société Denkavit a participé aux échanges d'informations relatifs à l'évolution des prix de l'aliment d'allaitement et qu'à deux reprises elle a appliqué des hausses décidées en concertation à des produits qu'elle commercialise; que la société Denkavit a réalisé en France au cours de l'année 1993, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires de 697 655 975 F; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à la société Denkavit une sanction pécuniaire de 700 000 F; Considérant que la société Vals a participé aux échanges d'information relatifs à l'évolution des prix de l'aliment d'allaitement; qu'elle a appliqué à l'automne 1987 des hausses arrêtées en concertation à des produits qu'elle commercialise; que le chiffre d'affaires réalisé par la société Vals au cours de l'exercice 1993, dernier exercice clos disponible, s'est élevé à 898 640 387 F; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à la société Vals une sanction pécuniaire de 900 000 F;
Considérant que l'ULN a participé aux échanges d'information relatifs à l'évolution des prix de l'aliment d'allaitement; qu'elle a appliqué à l'automne 1987 des hausses arrêtées en concertation à des produits qu'elle commercialise; que le chiffre d'affaires réalisé par l'ULN au cours de l'exercice 1993, dernier exercice clos disponible, s'est élevé à 2453 594 954 F; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à l'ULN une sanction pécuniaire de 2 000 000 F;
Considérant que la société Bridel a participé aux échanges d'information relatifs à l'évolution des prix de l'aliment d'allaitement, comme l'a reconnu un de ses dirigeants, et qu'à deux reprises elle a appliqué des hausses décidées en concertation sur les aliments d'allaitement qu'elle commercialise; qu'il a été répondu au nom de la société SA Bridel à la notification de griefs par observations enregistrées le 15 décembre 1993; que, toutefois, cette société avait fait l'objet d'une fusion-absorption par acte du 27 décembre 1991 par la Compagnie européenne de recherche et d'études de participation, devenue Laiteries Emile Bridel; que cette dernière société a elle-même fait l'objet d'une fusion-absorption le 28 décembre 1993 par la société Besnier-Industrie; que les éléments produits au dossier ne permettent pas de connaître l'entreprise dans laquelle a pu se poursuivre l'activité de l'ensemble des moyens matériels et humains qui ont concouru aux pratiques prohibées ci-dessus décrites; qu'il y a donc lieu, pour déterminer le montant de la sanction, d'ordonner un supplément d'instruction sur ce point;
Sur la demande tendant à l'application de l'article 700 du NCPC :
Considérant que ces dispositions ne trouvant pas application devant le Conseil de la concurrence, la société Etablissements Guindé n'est pas fondée à demander une indemnité de 35 000 F de ce chef; que cette demande doit, par suite, être écartée,
Décide:
Article 1er : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes:
- 1 500 000 F à l'intersyndicale des fabricants d'aliments d'allaitement (IFAA);
- 200 000 F au syndicat des abatteurs intégrateurs (Carnisvo);
- 100 000 F à la Fédération de la Vitellerie Française (FDVF);
- 2 000 000 F à l'union de coopératives agricoles Union laitière normande (ULN);
- 900 000 F à la société Vals;
- 700 000 F à la société Denkavit.
Article 2 : Il sera procédé à un complément d'instruction aux fins de déterminer l'entreprise venant aux droits et obligations de la société Bridel.