Conseil Conc., 3 janvier 1995, n° 95-D-01
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Marché de fourniture et de montage des installations électriques du barrage de Saint-Egrève
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de M. Jean-Guirec Le Noan, par M. Jenny, vice-président, présidant, MM. Blaise, Gicquel, Pichon, Robin, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence,
Vu la lettre enregistrée le 6 décembre 1989 sous le numéro F 287, par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, a saisi le Conseil de la concurrence des modalités d'exercice de la concurrence entre les entreprises consultées par Electricité de France lors de la passation du marché dé fourniture et de montage des installations électriques du barrage de Saint-Egrève (Isère) ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu l'ordonnance du 26 octobre 1989 du Président de la Chambre commerciale de la Cour de cassation constatant le désistement de la société CGEE AIsthom d'un pourvoi en cassation formé par elle contre l'ordonnance rendue le 26 juin 1989 par le Président du tribunal de grande instance de Lyon et l'arrêt n° 66 D de la Cour de cassation en date du 22 janvier 1991 déclarant irrecevable le pourvoi formé par la société Clemessy en cassation de l'ordonnance du 26 juin 1989 précitée ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et les parties ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Cegelec, Clemessy, l'Entreprise industrielle et Spie-Trindel entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :
I. CONSTATATIONS
A. Le marché
1. L'objet de l'appel d'offres lancé par Electricité de France
Le 28 juin 1988, les services de Chambéry de la région d'équipement Alpes-Lyon d'Electricité de France ont lancé un appel d'offres pour l'installation électrique générale du barrage-usine et des locaux extérieurs du site de Saint-Egrève-Noyarey, travaux qui s'inscrivaient dans le cadre de l'aménagement de l'Isère moyenne aval.
Ces travaux comprenaient les études, la fourniture, le transport, le montage à pied d'œuvre et la mise en service :
- des auxiliaires à courant alternatif et à courant continu et ondulé ;
- des chemins de câbles ;
- des circuits de terre ;
- des câbles ;
- des liaisons 3,8 kV ;
- de tous les automatismes à base de relais ;
- de différents matériels dans les tableaux, ainsi que la fourniture des pièces de rechange et leur transport au lieu de stockage.
Les entreprises consultées devaient également remettre un prix optionnel pour des installations comparables sur le site de Voreppe-Saint-Quentin. Ce projet d'extension a été abandonné en novembre 1988, après le dépôt des offres.
2. Le choix de l'entreprise attributaire
La direction régionale d'Electricité de France a sélectionné quatre entreprises, susceptibles de répondre aux exigences du cahier des charges de ce marché : les sociétés Cegelec, Clemessy, l'Entreprise industrielle et Spie-Trindel, auxquelles elle a transmis un dossier de consultation.
La date de remise des plis, fixée au 26 août 1988, a été repoussée au 12 septembre 1988 à la demande des entreprises. Les quatre sociétés sélectionnées ont répondu à l'appel d'offres en déposant le 9 septembre 1988, complétées par leurs soins, la convention type et les annexes qui leur avaient été envoyées par Electricité de France.
En raison des indices de concertation qu'il avait relevés, le maître d'ouvrage a déclaré l'appel d'offres infructueux et le marché devait être finalement négocié en décembre 1988 avec la société Cegelec, entreprise la moins-disante lors de l'appel d'offres, et conclu le 17 février 1989 pour un montant de 15,7 millions de francs hors taxes, inférieur de 2,75 millions à celui figurant dans la soumission de cette entreprise en réponse à l'appel d'offres.
B. Les procédures judiciaires et l'instruction devant le conseil
1. Les procédures judiciaires
Par ordonnance du 26 juin 1989, le vice-président du tribunal de grande instance de Lyon a autorisé des visites et saisies de documents dans les locaux des quatre entreprises ayant participé à l'appel d'offres, qui se sont déroulées le 28 juin 1989.
Les sociétés Cegelec et Clemessy se sont pourvues en cassation contre cette ordonnance, mais le Président de la Chambre commerciale de la Cour de cassation a constaté le désistement de la première société par ordonnance du 26 octobre 1989 et la seconde n'ayant produit aucun moyen à l'appui de son pourvoi, celui-ci a été jugé irrecevable par un arrêt de la chambre commerciale du 22 juin 1991.
La direction générale de la concurrence ayant utilisé certaines des pièces saisies le 28 juin 1989, à l'appui d'une demande d'autorisation de procéder à de nouvelles visites et saisies sur le fondement de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, autorisation qui fut accordée le 9 septembre 1992 par le juge délégué du Président du tribunal de grande instance de Paris, la société Cegelec a assigné cette direction générale par actes des 3 et 23 décembre 1992 devant le président du tribunal de grande instance de Lyon, en dénonçant cette assignation aux trois autres sociétés ayant pris part à l'appel d'offres relatif aux installations électriques du barrage de Saint-Egrève, aux fins de voir communiquer certains documents et prononcer la nullité des opérations de saisie pratiquées le 28 juin 1989.
Le vice-président du tribunal de grande instance de Lyon, par deux ordonnances des 12 janvier et 5 mars 1993, a rejeté les demandes des entreprises et a confirmé la régularité des opérations de visite et de saisie.
Les entreprises se sont pourvues contre l'ordonnance du 5 mars 1993. L'appel qu'elles ont parallèlement engagé à l'encontre de cette même ordonnance a été déclaré irrecevable par un arrêt de la cour d'appel de Lyon du 3 mars 1994.
2. L'instruction devant le Conseil de la concurrence
Le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, a saisi le Conseil de la concurrence de cette affaire, par lettre du 6 décembre 1989.
Le dernier rapporteur en charge du dossier, nommé le 15 février 1993, a entendu MM. Arnaud et Jandard, d'Electricité de France, lors d'une audition qui s'est tenue le 26 mai 1993, puis une notification de griefs a été adressée aux parties le 9 septembre 1993, suivie d'un rapport le 13 septembre 1994. L'affaire a été débattue par le Conseil lors de sa séance du 3 janvier 1995.
C. Les pratiqués relevées
1. Les constatations faites à l'examen des offres
L'examen des bordereaux remplis par les soumissionnaires a permis de constater des prix supérieurs à l'estimation du maître d'ouvrage, de faibles écarts de prix entre les propositions, ainsi qu'une offre présentée de façon plus détaillée de la part de l'entreprise la moins disante.
1.1. Des prix supérieurs à l'estimation du maître d'ouvrage
Des écarts importants ont été relevés entre les estimations effectuées par Electricité de France et les prix proposés par les entreprises. Avant le lancement de l'appel d'offres, le montant total des deux barrages avait été estimé par Electricité de France à 20 millions de francs hors taxes dont 12 à 14 millions pour le seul site de Saint-Egrève, les études nécessaires à la seconde installation étant déjà faites pour la première.
Après ouverture des plis, la direction régionale d'Electricité de France a réajusté à la hausse son estimation du prix et des quantités de certaines fournitures et a transmis à sa direction centrale de l'équipement une fourchette rectificative de 15,5 à 16,5 millions de francs hors taxes qui devait servir de base de négociation pour le seul site de Saint-Egrève, l'extension de Voreppe ayant été abandonnée.
Les écarts entre les propositions et les estimations du maître d'ouvrage sont repris dans le tableau ci-après.
EMPLACEMENT TABLEAU
Malgré la rectification par le maître d'ouvrage de son estimation initiale, il est ainsi apparu que toutes les offres remises demeuraient largement supérieures à ce qui était prévisible.
M. Arnaud, ingénieur d'affaires d'Electricité de France qui a été chargé de ce marché, a déclaré aux enquêteurs de la direction nationale des enquêtes de concurrence, le 25 mai 1989 :
" L'examen comparatif et détaillé poste par poste m'a conforté dans le sentiment d'entente entre les entreprises, ce qui m'a poussé à proposer l'appel d'offres infructueux. Deux postes des bordereaux de prix paraissent particulièrement surestimés et ce, dans chacune des quatre offres : auxiliaires moyenne tension et basse tension. "
1.2. De faibles écarts de prix entre les offres
Tant en ce qui concerne les prix globaux que les prix examinés chapitre par chapitre (études, fournitures, transport et montage), les propositions présentées par les entreprises sont très proches, ce que confirme la lecture des tableaux suivants, qui reprennent, en valeur et en indice, les prix remis par ces quatre soumissionnaires.
En ce qui concerne les prix globaux :
EMPLACEMENT TABLEAU
La société Cegelec est moins disante pour les deux projets et les écarts de prix sont faibles, qu'il s'agisse du prix global de réalisation du seul barrage de Saint-Egrève ou des deux sites de Saint-Egrève et de Voreppe.
En ce qui concerne les principaux chapitres :
EMPLACEMENT TABLEAU
Lors de son audition du 25 mai 1989 précitée, M. Arnaud déclarait au sujet de ces offres :
" Les faibles écarts de prix se retrouvent dans chacun des postes, ceci après répartition identique des matériels dans les différents chapitres. "
Dans une note interne analysant comparativement les offres, qui figure à l'annexe 5.7 du rapport, M. Arnaud relevait en outre :
" Les tableaux 4 et 5 laissent apparaître une homogénéité des prix à tous les niveaux : fournisseurs/tableau 5 et installateurs/tableau 4. Cette homogénéité peut s'expliquer par une définition précise de l'appel d'offres. C'est vrai pour certains chapitres : armoires, relayage, tableaux MT, BT et CC. Ce n'est pas vrai au niveau des chemins de câbles, circuits de terre et câblage-raccordement où des plans à échelle réduite pour les cheminements et la possibilité d'effectuer des regroupements de câbles auraient dû induire des écarts de prix non négligeables sur les chapitres considérés. "
1.3. Une offre présentée de façon plus détaillée par l'entreprise moins disante
Dans le dossier d'appel d'offres, il avait été " impérativement " demandé " pour permettre une comparaison objective des offres, de coter tous les items détaillés dans les tableaux joints en annexe au projet de convention ".
L'étude poste par poste des bordereaux des prix d'ajustement permet de relever que la société Cegelec a rempli son bordereau avec davantage de précisions que les trois autres entreprises consultées, en apportant au besoin des renseignements complémentaires.
Il en est de même pour la " liste des fournisseurs et des prix de certains matériels ". Les différences constatées sont reprises dans les tableaux suivants :
EMPLACEMENT TABLEAU
2. Les documents et déclarations recueillis
Il résulte, tant des documents réunis que des procès-verbaux d'audition des responsables des sociétés concernées, que des échanges d'informations ont eu lieu, portant notamment sur les prix à proposer et que des compensations avaient été envisagées.
2.1. Les échanges d'informations entre les entreprises
Chaque société, après avoir été reçue individuellement par Electricité de France dans les jours qui ont suivi le lancement de l'appel d'offres, afin d'obtenir des précisions sur les données techniques du dossier, a réalisé sa propre étude de prix et consulté des fournisseurs à cette fin.
La lecture des agendas des responsables du marché, saisis dans deux des entreprises, a cependant révélé que des représentants des quatre sociétés s'étaient également retrouvés, hors la présence d'Electricité de France, pour traiter de ce marché. Une première rencontre a eu lieu le 5 juillet 1988, juste avant les entretiens bilatéraux avec le maître d'ouvrage, suivie de deux autres réunions les 19 juillet et 24 août 1988, avant la remise des plis.
Lors des auditions qui se sont déroulées au mois de juillet 1989, les responsables interrogés ont tous reconnu s'être en effet rencontrés à plusieurs reprises au cours de la période précédant la remise des plis et avoir échangé des estimations de prix relatives à ce marché de l'Isère moyenne aval.
Ainsi M. Baus, de la société Cegelec, a déclaré le 18 juillet 1989 :
" Nous avons cherché à prendre contact auprès de nos confrères afin de vérifier notre niveau de prix (...). On cherchait à connaître les estimations de nos concurrents, et du client (...). A aucun moment je n'ai communiqué le prix que j'allais remettre dans l'appel d'offres, nous nous communiquions uniquement des niveaux de prix par catégories. "
M. Lupy, de la société Spie-Trindel, s'est exprimé dans les termes suivants le 17 juillet 1989 :
" Nous nous sommes rencontrés (...) entre les entreprises consultées, pour analyser les estimations de chacun (...). Les rencontres ont eu lieu à plusieurs étapes de l'étude (...). Lors de la réunion à laquelle j'ai assisté, certains n'avaient pas fini leurs estimations, d'où nécessité de nouvelles rencontres. "
Pour son collègue, M. Dupré, qui a été entendu le 18 juillet 1989 :
" Il était gênant, pour Spie-Trindel, de décliner l'offre d'un tel client : EDF fait 80 p. 100 de notre chiffre d'affaires de ce secteur. A cette occasion, nous avons essayé d'estimer l'agressivité de la concurrence. "
Il ajoutait, en outre :
" En principe je ne prends pas de note au cours de ces réunions, de plus on n'aime pas que ce genre d'informations transpire. "
M. Orfèvre, de la société Clemessy, a déclaré quant à lui le 19 juillet 1989 :
" Nous nous sommes rencontrés, entre les responsables des quatre entreprises consultées, afin d'examiner le problème des prix des fournisseurs et les problèmes techniques. "
Pour M. Deborde, de cette même entreprise, entendu le 31 juillet 1989 :
" J'ai été tenu informé des réunions qu'avait M. Orfèvre, responsable du service pour EDF énergie avec ses confrères (...). Au départ de l'affaire, nous estimions notre probabilité de réussite à 10 p. 100 ; par la suite, avant la remise des plis, elle est passée à 25 p. 100. Nous sommes passés de 10 à 25 p. 100, car nous savions, suite aux réunions, que nous étions à égalité technique dans les fournitures. "
M. Bastie, de la société l'Entreprise industrielle, a déclaré pour sa part le 25 juillet 1989 :
" Compte tenu de notre charge de travail, j'avais pour objectif de connaître l'environnement de cette affaire (...) ".
2.2. Les demandes de compensations
Trois notes prises par M. Chantelot, directeur régional de la société Cegelec, témoignent en outre de ce que des compensations avaient été demandées par la société Spie-Trindel, en échange de son effacement. Elles peuvent être précisément datées, compte tenu de leur situation dans le cahier de M. Chantelot, et sont libellées de la façon suivante :
Pour la première, rédigée le jeudi 1er décembre 1988 et produite par la société Cegelec en annexe 11 à ses observations :
" M. Play ;
" Nous nous penchons sur l'analyse des prix ;
" C'est une affaire difficile ;
" Ne veux pas rentrer dans le détail ;
" Pouvez-vous faire 15,5 MF, oui ou non ;
" Souhaite régler l'affaire vite ;
" A mardi matin entre 11 heures et 12 heures ;
" (...) ;
" Ou vendredi. "
Pour la seconde datée du lendemain, vendredi 2 décembre 1988 :
" M Marnette ;
" a fait le point ;
" ne pas porter le quota à 10 MF ;
" garder le quota de départ à 4 MF ;
" rétrocession 300 au lieu de 600 ",
et pour la troisième, écrite le lundi 5 décembre 1988 :
" M. Marnette ;
" OK pour qu'on prenne la cde mais ;
" veut rediscuter des compensations. Je m'engage
" à en rediscuter mais non à donner qq chose ".
Ces lignes résument un entretien entre M. Play, chef de département à Electricité de Fiance et M. Chantelot, directeur régional de la société Cegelec, suivi de deux conversations entre ce dernier et M. Mainette, son homologue pour la société Spie-Trindel.
Par procès-verbal du 17 juillet 1989, M. Marnette a confirmé l'objet de cette discussion :
" Lors de la deuxième consultation par EDF et après, j'ai proposé à mon collègue de la CGEE une éventuelle sous-traitance de tableaux fabriqués par mon groupe (Merlin-Gérin Spie-Batignolles), afin d'obtenir une partie des fournitures. "
Pour sa part, M. Chamitelot a également reconnu lors d'une audition du 8 août 1989 que des compensations avaient été demandées :
" Lors de la deuxième discussion, de gré à gré, avec EDF, M. Marnette souhaitait obtenir des travaux ou fournitures en sous-traitance, ce qui était une compensation au fait qu'il n'avait pas l'affaire. La discussion a porté sur la part et le type de prestations que nous pourrions leur confier.
" Les 10 MF mentionnés sur la pièce n° 206, scellé n° 5, correspondent à la part exigée par Spie-Trindel sur l'ensemble des deux affaires, Saint-Egrève et Voreppe.
" M. Baus avait proposé 4 millions de francs et 300 heures d'études au lieu des 600 demandées. "
Il résulte de l'ensemble de ces notes et déclarations, que dès avant la conversation du 2 décembre 1988 et alors même que le choix du maître d'ouvrage n'était pas arrêté, il y avait eu une discussion entre le représentant de la société Spie-Trindel et M. Baus, la personne chargée du dossier au sein de la société Cegelec, prévoyant l'octroi de compensations à la société Spie-Trindel contre l'attribution du marché à la société Cegelec, sous forme d'un quota de fournitures et de la rétrocession d'heures d'études.
La société Cegelec étant informée dès le 1er décembre 1988 de l'abandon du deuxième barrage, puisque la proposition d'accord négocié formulée par M. Play portait sur 15,5 MF, montant incompatible avec la réalisation des deux projets, les conséquences en ont été tirées le lendemain lorsque " le point " a été fait avec M. Marnette, le quota n'étant pas " porté " à 10 MF, montant " exigé sur l'ensemble des deux affaires ", mais " gardé " à 4 MF.
M. Marnette, le 5 décembre 1988, a donné son accord pour que la société Cegelec " prenne la commande " lors de la seconde négociation avec le maître d'ouvrage, qui se déroulait précisément à ce moment-là ; M. Chantelot a donc " réglé l'affaire " dès le lendemain, mardi 6 décembre, comme le demandait M. Play, ce dernier ayant aussitôt écrit à la direction régionale d'Electricité de France, à Chambéry, pour l'informer du choix de la société Cegelec pour un montant de 15,7 MF (lettre du 7 décembre 1988, figurant en annexe 5.6 au rapport).
II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL
Sur la prescription :
Considérant que les représentants des sociétés Cegelec,
l'Entreprise industrielle et Spie-Trindel font valoir qu'un délai de plus de trois ans s'étant écoulé entre la saisine du Conseil de la concurrence par le ministre d'Etat, de l'économie, des finances et du budget, le 6 décembre 1989, et l'organisation d'auditions par le rapporteur, le 25 mai 1993, les faits relevés seraient prescrits ;
Mais considérant qu'aux termes de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, seul texte traitant de la prescription devant le Conseil de la concurrence, " le Conseil de la concurrence ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction " ; qu'au cas d'espèce, les faits se sont déroulés au cours des mois de juillet à décembre 1988 ; que le Conseil a été saisi en décembre 1989 ; qu'un délai inférieur à trois ans s'est donc écoulé entre ces deux dates, de telle sorte que les sociétés Cegelec, l'Entreprise industrielle et Spie-Trindel ne sont pas fondées à invoquer la prescription ;
Sur la procédure :
En ce qui concerne la demande de sursis à statuer :
Considérant que les quatre sociétés mises en cause soutiennent qu'il y a lieu pour le Conseil de la concurrence de surseoir à statuer, en raison du pourvoi en cassation formé par les sociétés Cegelec et Spie-Trindel contre une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Lyon en date du 5 mars 1993, rejetant leur demande de nullité des opérations de saisie pratiquées sur autorisation accordée par la même autorité judiciaire le 16 juin 1989 ;
Mais considérant qu'aux termes du cinquième alinéa de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " L'ordonnance mentionnée au premier alinéa du présent article n'est susceptible que d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le Code de procédure pénale. Ce pourvoi n'est pas suspensif " ; que le Conseil peut donc se prononcer en l'état, sans qu'il y ait lieu pour lui de surseoir à statuer dans l'attente d'un nouvel arrêt de la Cour de cassation relatif à ces opérations de saisie°;
En ce qui concerne la production de pièces :
Considérant, en premier lieu, que la société Cegelec fait valoir dans ses écritures que le procès-verbal de la réunion au cours de laquelle la commission des marchés d'Electricité de France s'est prononcée sur le marché de l'Isère moyenne aval ne figure pas au dossier, alors qu'il est écrit en page 3 du rapport administratif d'enquête que " la commission a constaté l'absence de concurrence entre les quatre entreprises consultées par EDF " ;
Considérant, toutefois, que le grief d'entente qui a été notifié aux parties n'est pas fondé sur l'appréciation du marché portée par la commission des marchés d'Electricité de France ; qu'au surplus, cette simple constatation de fait, selon laquelle ladite commission a déclaré l'appel infructueux, est portée sur la feuille de présentation du marché définitif au contrôleur d'Etat en date du 9 février 1989, document dont le Conseil de la concurrence a été destinataire et qui figure en annexe 5.14 au rapport ; que le procès-verbal de cette commission n'avait donc pas à figurer parmi les éléments transmis au Conseil ;
Considérant, en deuxième lieu, que les sociétés Cegelec, l'Entreprise industrielle et Spie-Trindel font valoir que trois documents, la demande d'enquête du 16 mars 1989, la demande de mise en œuvre de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et l'ordonnance du 26 juin 1989 ayant autorisé les visites et saisies dont il est fait mention dans le rapport administratif ou la notification de griefs et dont la consultation leur serait nécessaire pour assurer leur défense devant le Conseil de la concurrence ne figurent pas au dossier, ce qui constituerait une violation du principe du contradictoire ;
Considérant, toutefois, s'agissant du premier document, que si la première phrase introductive au rapport administratif transmis au Conseil de la concurrence est ainsi libellée : " Par note en date du 16 mars 1989, l'administration centrale a demandé à la direction nationale des enquêtes de concurrence de réaliser une enquête dans le secteur de la fourniture et du montage d'installations électriques destinées à Electricité de France ", aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à l'administration de justifier les raisons pour lesquelles elle a décidé de procéder à une enquête en application de l'article 47 de l'ordonnance, par la production de notes internes éventuellement échangées entre ses services extérieurs et sa direction générale préalablement au déclenchement de cette enquête, ainsi que l'a confirmé la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 16 décembre 1994°; que le document susvisé, même s'il est évoqué par le commissaire enquêteur, n'avait donc pas à être remis au Conseil de la concurrence, dès lors que toutes les pièces qui établissent les pratiques litigieuses et sur lesquelles a pu se fonder le rapporteur, ont été présentées à la consultation ;
Considérant, par ailleurs, s'agissant du second document, que le deuxième paragraphe de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dispose : " Le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui a été soumise est fondée cette demande doit comporter tous les éléments d'information de nature à justifier la visite " ; que la demande de mise en œuvre de l'article 48 précité, destinée à l'autorité judiciaire, n'avait pas à être annexée au dossier de saisine du Conseil de la concurrence, lequel n'est pas juge du contenu de cette demande et ne doit se prononcer que sur les pratiques litigieuses, confirmées le cas échéant par les procès-verbaux d'audition et par les documents saisis au cours des visites ; que si certaines pièces, dont il est allégué qu'elles auraient été jointes à ladite demande ont en revanche été transmises au Conseil, c'est parce qu'elles contenaient des indices de pratiques anticoncurrentielles et pouvaient donc relever de sa compétence ;
Considérant, enfin, s'agissant de ladite ordonnance du 26 juin 1989, troisième document réclamé par les entreprises, qu'aucune disposition de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou du décret du 29 décembre 1986, seuls textes régissant la procédure devant le Conseil de la concurrence, n'impose au ministre de joindre à sa saisine une copie de l'ordonnance du juge autorisant les opérations de visites et de saisies, même lorsque certaines pièces prélevées dans les entreprises lors de ces visites figurent en annexe à ladite saisine ; que le Conseil n'a pas compétence pour apprécier la portée ou la régularité des opérations de saisie et doit simplement prendre acte, pour la poursuite de l'instruction, d'une éventuelle annulation d'opérations ou disjonction de pièces ordonnée par les magistrats, ce qui n'est pas le cas dans la présente espèce, la Cour de cassation ayant confirmé, la validité de l'ordonnance ainsi qu'il est rappelé au paragraphe 1 du B de la première partie de la présente décision ; qu'il résulte au demeurant du dossier que les droits de la défense sont garantis par le fait que cette ordonnance a été notifiée aux sociétés mises en cause le jour même où ont été engagées les visites autorisées par le juge°;
En ce qui concerne le déroulement de l'enquête :
Considérant, en premier lieu, que les sociétés Cegelec et Spie-Trindel soutiennent que les procès-verbaux d'audition et d'inventaire des documents communiqués, établis les 12, 19 et 25 mai 1988 par la direction nationale des enquêtes de concurrence après avoir entendu MM. Play, Jandard et Arnaud d'Electricité de France, devraient être écartés en ce qu'ils ne mentionnent pas la nature du contrôle effectué et l'objet de l'enquête, ni qu'un double a été laissé aux intéressés ; qu'il en est de même des procès-verbaux d'audition de MM. Lupy et Mainette, de la société Spie-Trindel, en date du 17 juillet 1989, de M. Orfèvre, de la société Clemessy, en date du 19 juillet 1989, de MM. Midy et Bastie, de l'Entreprise industrielle, en date du 25 juillet 1989, ainsi que de ceux de MM. Deborde de la société Clemessy, en date du 31 juillet 1989 et Chantelot, de la société Cegelec, en date du 8 août 1989, lesquels comportent cependant la mention selon laquelle un double du procès-verbal leur n été laissé ;
Considérant, toutefois, qu'aux termes des articles 45, 46 et 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Art. 45. Des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l'économie peuvent procéder aux enquêtes nécessaires à l'application de la présente ordonnance. Les rapporteurs du Conseil de la concurrence disposent des mêmes pouvoirs pour les affaires dont le Conseil est saisi. Des fonctionnaires de catégorie A du ministère chargé de l'économie, spécialement habilités à cet effet par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la proposition du ministre chargé de l'économie, peuvent recevoir des juges d'instruction des commissions rogatoires. Art. 46. - Les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux et, le cas échéant, de rapports. Les procès-verbaux sont transmis à l'autorité compétente. Un double en est laissé aux parties intéressées. Ils font foi jusqu'à preuve contraire. Art. 47. - Les enquêteurs peuvent accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transports à usage professionnel, demander la communication des livres, factures et tous autres documents professionnels et en prendre copie, recueillir, sur convocation ou sur place, les renseignements et justifications. Ils peuvent demander à l'autorité dont ils dépendent de désigner un expert pour procéder à toute expertise contradictoire nécessaire " ; qu'aux termes de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 : " Les procès-verbaux prévus à l'article 46 de l'ordonnance sont rédigés dans le plus court délai ils énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués. Ils sont signés de l'enquêteur et de la personne concernée par les investigations. En cas de refus de celle-ci, mention en est faite au procès-verbal " ;
Considérant que figure en tête de chacun des procès-verbaux contestés la mention préimprimée selon laquelle l'enquêteur est " habilité à procéder aux enquêtes nécessaires à l'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, par l'arrêté du 31 décembre 1986 pris en application de l'article 45 de ladite ordonnance " ; que cette mention est différente de celle figurant sur les procès-verbaux de visite et de saisie, lesquels indiquent qu'ils sont " effectués dans le cadre de l'article 48 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 " et " après autorisation judiciaire donnée par ordonnance du président du tribunal de grande instance avec l'assistance d'un officier de police judiciaire " ; qu'aucune confusion n'est donc possible sur la nature du contrôle effectué ; qu'il ressort en outre des dispositions ci-dessus rappelées que si les enquêteurs qui mènent une enquête sur le fondement de l'article 47 de l'ordonnance doivent en indiquer l'objet aux personnes entendues, il n'est pas prescrit de porter cette mention dans le procès-verbal de déclaration ; qu'au demeurant, les procès-verbaux contestés comportent le visa de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et la mention, faisant foi jusqu'à preuve contraire, que l'enquêteur a fait connaître l'objet de l'enquête ; qu'en tout état de cause, il apparaît bien sur les procès-verbaux que les déclarations ont trait aux conditions de passation des marchés d'Electricité de France, et notamment celui de l'Isère moyenne aval, et que les pièces communiquées constituent des documents ou groupes de documents relatifs à ce marché ;
Considérant, par ailleurs, que si l'article 46 de l'ordonnance prévoit qu'un double du procès-verbal est laissé aux parties intéressées, aucune disposition de ce texte ne prescrit que la mention de cette remise doit figurer sur le procès-verbal ni ne sanctionne son absence°; que cette mention, qui ne constitue en effet qu'un élément de preuve dans le cas où l'intéressé soutiendrait qu'il ne lui a effectivement pas été remis, a cependant été explicitement portée sur les procès-verbaux d'audition de M. Jandard le 12 mai 1989 et d'inventaire de documents communiqués par M. Play le 19 mai 1989, ainsi que sur les procès-verbaux d'audition de MM. Deborde, de la société Clemessy, en date du 31 juillet 1989 et Chantelot, de la société Cegelec, en date du 8 août 1989°; qu'en ce qui concerne les autres procès-verbaux, il n'est pas contesté qu'un double a été remis aux personnes entendues ; qu'il n'y a, dès lors, pas lieu d'écarter ces actes d'instruction, sur lesquels le rapporteur a pu valablement fonder les griefs retenus contre les quatre entreprises ;
Considérant, en deuxième lieu, que les sociétés Cegelec et Spie-Trindel soutiennent dans leurs écritures que les procès-verbaux d'audition de MM. Arnaud et Jandard, d'Electricité de France, établis le 25 mai 1993 par le rapporteur, devraient être écartés en ce qu'ils n'énonceraient pas le cadre légal dans lequel ils ont été dressés ; que la société Cegelec fait valoir en outre que la lettre de convocation de ces représentants du maître d'ouvrage ne figure pas au dossier, ce qui ne permet pas de s'assurer qu'ils ont été régulièrement avisés de la possibilité qu'ils avaient d'être accompagnés d'un conseil, ni qu'ils ont eu communication de la lettre de saisine du Conseil de la concurrence par le ministre d'Etat ;
Considérant, toutefois, que figure en tête des procès-verbaux mis en cause la mention suivante : " l'an 1993, (...) nous soussigné (...), rapporteur auprès du Conseil de la concurrence, désigné par lettre du président du Conseil de la concurrence en date du 15 février 1993 pour rapporter l'affaire n° F 287 (marché EDF de l'Isère moyenne aval), entendons M. Arnaud (M. Jandard)... " ; qu'il ne pouvait dès lors y avoir aucune ambiguïté sur le cadre légal dans lequel se déroulait cette audition ; que si, comme il y est tenu aux termes de l'article 21 de l'ordonnance, dès lors qu'il citait les propos de MM. Arnaud et Jandard dans son rapport, le rapporteur a joint une copie de ces procès-verbaux en annexe audit rapport, aucune disposition légale ou réglementaire ne prescrit que devrait également être annexée la lettre de convocation aux auditions auxquelles procède le rapporteur ; qu'au demeurant, le fait que MM. Arnaud et Jandard se soient fait accompagner de M. Franchaise, chef de service à la direction centrale d'Electricité de France, qui leur a servi de conseil, et que M. Arnaud se soit exprimé dans les termes suivants : " Je ne m'explique pas que les entreprises aient été au courant d'une estimation. Je l'ai appris par la lettre de convocation et j'ai été très surpris " témoigne, d'une part, de ce qu'ils avaient été avisés de la faculté qu'ils avaient d'être accompagnés d'un conseil, d'autre part de ce qu'ils avaient été destinataires de la lettre de saisine du ministre d'Etat, ainsi libellée : " (...) ces échanges ont conduit les entreprises à adopter le même comportement à l'égard de l'acheteur, c'est-à-dire à déposer des propositions de prix d'un niveau nettement plus élevé que l'estimation faite par l'établissement public et dont elles avaient eu connaissance " ; qu'en tout état de cause il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que de telles auditions, réalisées par le rapporteur préalablement à la notification de griefs dans le cadre des pouvoirs d'enquête visés par l'article 45, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, n'imposent pas que l'intéressé soit, à cette occasion, assisté d'un conseil°; que, dans ces conditions, les procès-verbaux établis par le rapporteur doivent être considérés comme réguliers°;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les moyens tirés des irrégularités qui auraient affecté le déroulement de l'enquête, ainsi que la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence, ne sont pas fondés ;
Sur les pratiques dénoncées :
En ce qui concerne les échanges d'informations :
Considérant que les responsables du marché dans chacune des quatre sociétés reconnaissent s'être rencontrés à trois reprises entre le lancement de l'appel d'offres et la remise des plis, pour discuter du marché de l'Isère moyenne aval et échanger des estimations de prix ainsi qu'en attestent leurs témoignages, rapportés au paragraphe 2.1 du C de la première partie de la présente décision ;
Considérant que les entreprises justifient ces réunions par la nécessité d'examiner ensemble le prix des fournitures et les problèmes techniques, compte tenu de l'écart constaté entre l'estimation d'Electricité de France, dont elles avaient connaissance, et leurs propres calculs ;
Considérant, toutefois, qu'à la supposer établie, la circonstance que les soumissionnaires auraient eu connaissance de l'estimation du maître d'ouvrage ne saurait justifier que des entreprises mises en concurrence pour l'attribution d'un marché " cherchent à vérifier (leur) niveau de prix (et à) connaître les estimations de (leurs) concurrents et du client ", souhaitent " analyser les estimations de chacun " ou " estimer l'agressivité de la concurrence " ; que les responsables des entreprises se sont réunis dès le 5 juillet 1988, avant même de rencontrer individuellement Electricité de France pour préciser les données techniques ; que ces échanges d'informations entre soumissionnaires se sont déroulés à trois reprises au cours de l'appel d'offres, dès lors que " certains n'avaient pas fini leurs estimations, d'où nécessité de nouvelles rencontres " ; que, lors d'un appel d'offres, les soumissionnaires, s'ils peuvent évoquer d'éventuelles difficultés avec le donneur d'ordres, ne sauraient en revanche " examiner les problèmes des prix des fournisseurs et les problèmes techniques " avec leurs concurrents, ni vérifier s'ils sont " à égalité technique dans les fournitures " ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, durant la phase d'appel d'offres de la passation du marché de fournitures et de montage des installations électriques du barrage de Saint-Egrève, les sociétés Cegelec, Clemessy, l'Entreprise industrielle et Spie-Trindel ont échangé des informations relatives à ce marché ; que cette concertation avait pour objet et pouvait avoir pour effet de restreindre la concurrence sur ce marché ; qu'elle est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant, en outre, que les responsables d'Electricité de France ont constaté, lors de l'ouverture des plis, que les offres étaient supérieures à leur estimation ; que les quatre sociétés mises en cause justifient la différence importante relevée entre cette estimation et leurs propositions, par les erreurs qu'a commises le maître d'ouvrage dans l'appréciation du prix et des quantités nécessaires de certaines fournitures et font valoir que les montants des soumissions doivent être comparés à celui réellement atteint après l'achèvement des travaux, soit, selon un document fourni par la société Cegelec, à la somme de 17,5 MF ;
Considérant, toutefois, que si Electricité de France a reconnu que son estimation initiale de 20 MF pour les deux barrages était trop faible, ainsi qu'il est relaté au paragraphe 1.1 du C de la première partie de la présente décision, les propositions chiffrées figurant sur les soumissions n'en demeurent pas moins de 18 à 22 p. 100 supérieures au prix négocié en fin de compte de gré à gré avec la société Cegelec, ainsi que cela apparaît sur le tableau figurant au paragraphe susmentionné de la présente décision ; que si les sociétés soumissionnaires font valoir qu'il existerait un écart plus faible entre le prix réellement facturé par Cegelec et les soumissions qu'elles avaient déposées, une telle comparaison est dénuée de valeur probante ; qu'en effet rien n'indique que les aléas ou modifications qui ont justifié le surcoût payé par Electricité de France par rapport au prix négocié de gré à gré avec Cegelec n'auraient pu être également à l'origine d'un surcoût par rapport aux offres déposées à la suite de la concertation entre les soumissionnaires si l'appel d'offres n'avait pas été déclaré infructueux ;
Considérant que les entreprises soutiennent par ailleurs que le faible écart entre les offres est dû au fait qu'Electricité de France a imposé les fournisseurs le matériel, lesquels
appartenaient aux mêmes groupes que deux des entreprises commissionnaires, à la définition précise de l'appel d'offres ainsi qu'à l'expérience du personnel chargé de ces chiffrages, au sein des entreprises ;
Mais, considérant que la précision de l'appel d'offres n'impliquait pas une similitude de prix pour l'ensemble des fournitures, ainsi que cela est indiqué dans la note de M. Arnaud, chargé de l'appel d'offres au sein d'Electricité de France, citée au paragraphe 2.1 du C de la, présente décision ;
Considérant, enfin, que les sociétés Cegelec et Spie-Trindel affirment que si les trois entreprises les plus disantes ont pu remplir leurs bordereaux de façon moins précise que la société Cegelec, c'est parce qu'Electricité de France leur a remis un bordereau de prix type, dont certains " items " étaient inutiles au marché de l'Isère moyenne aval ; qu'elles ajoutent que, sur l'ensemble de ces " items ", seuls trente-deux ont été repris sur les tableaux comparatifs dressés par le rapporteur et que la demande formulée par Electricité de France auprès des entreprises à l'issue de l'appel d'offres de fournir les minutes de leur étude de prix prouve que le bordereau des prix d'ajustement était insuffisant pour juger des offres ;
Considérant, cependant, que la remise par Electricité de France d'un bordereau de prix type n'a pas empêché la société Cegelec de compléter tous les " items ", comme le demandait explicitement le maître d'ouvrage, auquel il appartenait d'apprécier si ces renseignements pouvaient être utiles ; que c'est le plus fréquemment la société Cegelec qui a rempli des rubriques que l'une, deux ou les trois autres entreprises n'ont pas complétées, ainsi qu'il apparaît sur les tableaux comparatifs figurant au paragraphe 1.3 du C de la première partie de la présente décision, dont les trente-deux " items " recensés représentent plus du tiers des cent deux " items" figurant sur le bordereau type ; qu'enfin, la demande formulée par Electricité de France après l'ouverture des plis, de communication des minutes de l'étude de prix réalisée par les entreprises, légitime de la part d'un maître d'ouvrage qui constate un écart important avec son estimation et suspecte une entente, ne saurait être interprétée comme signifiant que les renseignements figurant sur le bordereau de prix étaient insuffisants ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la concertation entre les sociétés Cegelec, Clemessy, l'Entreprise industrielle et Spie-Trindel, qui avait pour objet et pouvait avoir pour effet de restreindre la concurrence entre ces entreprises, a également eu un effet anticoncurrentiel ;
En ce qui concerne les demandes de compensations :
Considérant qu'il résulte des constatations et des déclarations mentionnées au paragraphe 2.2 du C de la première partie de la présente décision que, le vendredi 2 décembre 1988, après avoir été interrogé la veille par le chef de département d'Electricité de France sur l'éventualité d'un accord négocié sur la base de 15,5 MF, le directeur régional de la société Cegelec " fait le point " avec son homologue de la société Spie-Trindel et lui demande de réduire le " quota " de fournitures et de " rétrocession " d'heures d'études fixé antérieurement ; que la négociation se prolonge encore le 5 décembre, date à laquelle M. Marnette laisse l'affaire à M. Chantelot, " mais veut rediscuter des compensations " ;
Considérant que ces entreprises font valoir qu'il s'agissait uniquement pour la société Spie-Trindel, qui aurait été informée par Electricité de France " que son offre ne lui laissait pas beaucoup d'espoir de commande ", de " combler la sous-charge de son cahier de commandes due à la perte de ce chantier " et d'amortir le coût de ses études de prix par la vente de matériel ; que cette discussion se serait exclusivement déroulée après que le marché eut été déclaré infructueux et ne pourrait donc être qualifiée d'acte anticoncurrentiel, aucune sous-traitance n'ayant d'ailleurs été accordée in fine à Spie-Trindel ;
Considérant, toutefois, que la société Spie-Trindel ne saurait prétendre que la perte du marché pouvait provoquer une rupture de son plan de charge, dès lors que cette société n'était pas réellement intéressée par le marché, ainsi qu'il résulte des déclarations de l'un de ses salariés, M. Dupré, citées au paragraphe 2.2 du C de la première partie de la présente décision, aux termes desquelles " il était gênant, pour Spie-Trindel, de décliner l'offre d'un tel client " ; qu'au demeurant à supposer même que cette société ait été informée par Electricité de France qu'elle n'avait " pas beaucoup d'espoir ", ses chances n'étaient pas inexistantes pour autant ; qu'il est en effet établi que le choix de l'entreprise et les conditions de passation du marché n'ont été notifiés à la direction régionale d'Electricité de France que le 7 décembre 1988 et n'étaient donc pas définitivement arrêtés les 2 et 5 décembre ; qu'en décidant qui devait " prendre la commande " les sociétés Cegelec et Spie-Trindel ont démontré qu'elles continuaient ces jours-là à participer à une répartition de marchés engagée antérieurement ; que même si ces discussions n'ont pas eu de suite, ce qui n'est au demeurant pas avéré dès lors que la société Merlin-Gérin, qui appartient au même groupe que la société Spie-Trindel, a été retenue parmi les sous-traitants du marché attribué à Cegelec, elles constituent à l'encontre de ces deux entreprises un facteur aggravant de l'entente caractérisée par ailleurs entre les quatre soumissionnaires ;
Sur les sanctions :
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos... " ;
Considérant que la gravité des pratiques dénoncées, imputables aux sociétés Cégelec, Clemessy, l'Entreprise industrielle et Spie-Trindel, est caractérisée par le fait que ces entreprises de grande taille, intervenant dans de nombreux marchés publics et dont certains réalisent une part importante de leur chiffre d'affaires avec Electricité de France, ne pouvaient ignorer le caractère illicite de la concertation qu'elles ont mise en œuvre, comme en atteste notamment la déclaration précitée de M. Dupré, de la société Spie-Trindel, qui affirmait le 18 juillet 1989 : " En principe, je ne prends pas de notes au cours de ces réunions, de plus on n'aime pas que ce genre d'informations transpire " ; que la circonstance, à la supposer établie, que les entreprises avaient eu connaissance de l'estimation erronée faite par le maître d'ouvrage est sans incidence sur le bien-fondé de l'application des dispositions susvisées de l'ordonnance du 1er décembre 1986 à ces entreprises, qui contribuent par de tels comportements à faire échec au libre jeu de la concurrence, que les règles de passation de marchés par appel d'offres ont précisément pour objet d'assurer ;
Considérant, en ce qui concerne plus particulièrement les sociétés Cegelec et Spie-Trindel, que les conversations relatives à l'attribution de compensations à l'une en échange de l'effacement de l'autre revêtent une particulière gravité ; qu'elles sont en effet de nature, par le jeu des répartitions de marchés dont elles sont le corollaire, à porter atteinte au jeu de la concurrence dans la passation de tous les marchés auxquels soumissionnent côte à côte ces deux entreprises ;
Considérant que le dommage causé à l'économie ne résulte pas seulement de l'incidence potentielle de cette concertation sur le montant du marché, qui s'est finalement conclu à 15,7 millions de francs hors taxes alors qu'à l'issue de l'appel d'offres la proposition de l'entreprise moins disante s'élevait à 18,4 millions de francs, mais résulte également du retard apporté à la conclusion du marché et des conditions d'urgence dans lesquelles l'acheteur a été contraint de renégocier celui-ci afin de ne pas trop reporter la mise en service de l'ouvrage ; que de telles pratiques portent une atteinte grave à l'ordre public économique ;
Considérant que les sociétés Clemessy, l'Entreprise industrielle et Spie-Trindel soutiennent dans leurs écritures que le chiffre d'affaires à retenir pour établir le plafond des sanctions qui pourraient leur être infligées est celui de l'activité des secteurs respectivement dénommés " énergie hydraulique -centrales et barrages ", " activités postes et centrales " et " centrales EDF, hydrauliques et thermiques " de leurs entreprises ;
Considérant, toutefois, qu'il y a lieu pour le Conseil d'écarter le moyen qu'elles soulèvent, dès lors que les faits litigieux sont postérieurs à la publication de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dont les dispositions précitées de l'article 13 prévoient que le montant maximum de la sanction est fixé à 5 p. 100 de l'ensemble du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'entreprise ayant mis en œuvre les pratiques prohibées ;
Considérant que la société Cegelec fait valoir que son agence de Lyon, dont les ingénieurs ont été en contact avec le maître d'ouvrage, dont le directeur qui disposait d'une large subdélégation de pouvoirs a signé le marché et qui disposait d'un personnel et d'un matériel propres ainsi que d'une comptabilité analytique, possédait une autonomie commerciale et technique suffisante pour constituer une entreprise au sens de l'article 13 de l'ordonnance ;
Mais considérant que si le directeur de l'agence bénéficiait d'une subdélégation de pouvoirs lui permettant notamment de représenter la société, d'engager du personnel, d'acquérir du matériel, de passer tous marchés au nom de l'entreprise, il n'est pas démontré que, concrètement, cette agence jouissait d'une pleine indépendance industrielle et commerciale caractérisant une entreprise autonome ; qu'en particulier il n'est pas établi que le directeur de l'agence, cadre salarié de la société Cegelec, ait été affranchi des directives et contrôles de la société à laquelle il était subordonné ; qu'il n'est pas non plus établi que le " tableau de bord " de gestion réalisé par l'agence de Lyon ait eu d'autre objet que de permettre à la société Cegelec de contrôler les résultats de son agence, sans qu'il ait été consenti une véritable autonomie à cette agence quant à l'affectation de ses résultats ;
Considérant que le chiffre d'affaires en France de la société Cegelec pour l'année 1993 s'est élevé à 7,827 milliards de francs ; qu'eu égard à la gravité des faits qui lui sont imputables et à l'importance du dommage causé à l'économie, tels qu'ils sont appréciés ci-dessus et en tenant compte du fait que cette société a joué un rôle déterminant dans l'entente, dont elle a pris l'initiative et dont elle a été bénéficiaire, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 15 millions de francs ;
Considérant que la société Clemessy se borne à alléguer que son agence de Lyon ayant une compétence exclusive pour la France pour le suivi des marchés du type de celui de l'Isère moyenne aval, il ne devrait être tenu compte que du chiffre d'affaires de cette agence comme assiette de la sanction ;
Mais considérant que cette simple allégation n'est pas de nature à démontrer que, concrètement, cette agence jouissait de l'indépendance industrielle et commerciale caractérisant une entreprise autonome ;
Considérant que le chiffre d'affaires en France, de la société Clemessy pour l'année 1993 s'est élevé à 1,813 milliard de francs ; qu'eu égard à la gravité des faits qui lui sont imputables et à l'importance du dommage causé à l'économie, tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à cette entreprise une sanction pécuniaire de 900 000 F ;
Considérant que la société l'Entreprise industrielle soutient que sa direction régionale de Lyon possédait une totale autonomie commerciale, technique et juridique et que le chiffre d'affaires de cette direction régionale doit donc être pris en considération comme assiette de la sanction ;
Mais considérant que, si le directeur régional bénéficiait d'une délégation de pouvoirs lui conférant la possibilité de représenter la société dans la région Sud-Est et de passer tous marchés, il n'est pas démontré que, concrètement, cette direction régionale jouissait d'une pleine indépendance industrielle et commerciale caractérisant une entreprise autonome ; qu'en particulier il n'est pas établi que le directeur régional, cadre salarié de la société l'Entreprise industrielle, ait été affranchi des directives et contrôles de la société à laquelle il était subordonné ; que le " tableau des résultats par nature de travaux " produit par la société en annexe à ses observations n'avait pas d'autre objet que de permettre à la direction générale de contrôler mensuellement les résultats de sa direction régionale, sans qu'il ait été consenti une véritable autonomie à cette direction régionale quant à l'affectation de ses résultats ;
Considérant que le chiffre d'affaires en France de la société l'Entreprise industrielle pour l'année 1993 s'est élevé à 5, 478 milliards de francs ; qu'eu égard à la gravité des faits qui lui sont imputables et à l'importance du dommage causé à l'économie, tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à cette entreprise une sanction pécuniaire de 3 millions de francs ;
Considérant que la société Spie-Trindel soutient que sa fédération du Sud-Est constitue une " unité économique
autonome ", dont le chiffre d'affaires global devrait être pris en compte au cas où le Conseil de la concurrence entrerait dans la voie d'une condamnation ;
Mais considérant que, si le chef de cet établissement bénéficiait d'une délégation de pouvoir l'habilitant à représenter la société dans sa région, à engager du personnel, à acquérir du matériel, à entreprendre des travaux immobiliers ainsi qu'à passer tous marchés au nom de l'entreprise, il n'est pas démontré que, concrètement, cette fédération jouissait d'une pleine indépendance industrielle et commerciale caractérisant une entreprise autonome ; qu'en particulier il n'est pas établi que le chef d'établissement, cadre salarié de la société Spie-Trindel, ait été affranchi des directives et contrôles de la société à laquelle il était subordonné ; que la comptabilité de la fédération du Sud-Est n'avait pas d'autre objet que de permettre à la société Spie-Trindel de contrôler les résultats de sa fédération, sans qu'il ait été consenti une véritable autonomie à cet établissement quant à l'affectation de ses résultats ;
Considérant que le chiffre d'affaires en France de la société Spie-Trindel pour l'année 1993 s'est élevé à 5 716 millions de francs ; qu'eu égard à la gravité des faits qui lui sont imputables et 'n l'importance du dommage causé à l'économie, tels qu'ils sont appréciés ci-dessus et en tenant compte du fait qu'en acceptant de laisser la société Cegelec emporter le marché en échange d'une promesse de compensation sous forme de sous-traitance, elle s'est associée à une pratique particulièrement répréhensible, il y a lieu d'infliger à cette entreprise une sanction pécuniaire de 6,5 millions de francs,
Décide :
Article 1er : - Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
15 000 000 F à la SA Cegelec ;
900 000 F à la SA Clemessy ;
3 000 000 F à la SA l'Entreprise industrielle ;
6 500 000 F à la SA Spie-Trindel.
Article 2 : - Dans un délai maximum de quatre mois à compter de la date de sa notification, les entreprises visées à l'article 1er feront publier le texte intégral de la présente décision, à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires qui leur sont infligées, dans J 3 E - Le Journal de l'équipement électrique et électronique. Cette publication sera précédée de la mention : " Décision du Conseil de la concurrence en date du 3 janvier 1995 relative aux conditions de passation du marché de fourniture et de montage des installations électriques du barrage de Saint-Egrève (Isère) ".