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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 19 novembre 1992, n° ECOC9210198X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ambulances LC (SARL)

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Conseillers :

Mlle Aubert, M. Guérin, Mme Renard-Payen, M. Perie

Avocat :

Me Sannier.

CA Paris n° ECOC9210198X

19 novembre 1992

Par décision n° 92-D-08 du 4 février 1992, le Conseil de la concurrence a constaté que des pratiques d'entente de prix de répartition de marché et d'échanges d'informations contraires aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 avaient été commises dans le courant de l'année 1988 par des entreprises de transport sanitaire lors d'appels d'offres des Hospices civils de Lyon et prononcé à l'encontre de 24 entreprises des sanctions pécuniaires comprises entre 2 500 et 85 000 F.

Aux termes de cette décision le conseil a en particulier constaté qu'avant de répondre à un appel d'offres relatif à un marché divisé en lots concernant le transport d'usagers d'établissement dépendant des Hospices civils de Lyon l'entreprise Ambulances Constantin et celles membres du GIE ALS avaient échangé, avec d'autres, membres du GIE CAL, dont la société Centre ambulancier du Rhône, ainsi qu'avec le Groupement des ambulanciers rhodaniens et les ambulances Cornillon, des informations qui ont eu pour objet et pu avoir pour effet la couverture de l'offre faite par le GIE ALS sur un des lots, en contrepartie de l'abstention des entreprises de ce groupement de répondre à des appels d'offres concomitants portant sur d'autres lots.

Ayant notifié le grief relatif à cette pratique anticoncurrentielle à la société Ambulances LC, cessionnaire du fonds de commerce appartenant aux époux Constantin, ainsi qu'à la société Centre ambulancier du Rhône, cessionnaire de celui appartenant à Charles Lafond (entreprise membre du GIE CAL), le conseil a rejeté les demandes de mise hors de cause formées par celles-ci en estimant que les cessions intervenues n'avaient pas interrompu la continuité des entreprises ayant commis les pratiques incriminées et à l'encontre desquelles il a prononcé des sanctions pécuniaires d'un montant respectif de 35 000 F.

Ces deux sociétés ont individuellement formé des recours visant à la réformation de la décision en ce qu'elle leur a infligé des sanctions pécuniaires.

Les recours ont été joints par ordonnance du 8 juillet 1992.

La société Ambulances LC expose qu'elle s'est constituée au mois de septembre 1988, postérieurement aux pratiques examinées, pour reprendre à partir du 10 novembre suivant l'entreprise Constantin avec qui elle n'avait jusqu'alors aucun lien.

Elle en déduit que :

- nonobstant la continuité de l'activité attachée au fonds de commerce, les propriétaires et exploitants successifs de celui-ci étant des personnes juridiques totalement étrangères, l'entreprise cessionnaire ne peut être considérée comme la continuation de l'entreprise cédante ;

- que la nouvelle entreprise a commencé à fonctionner postérieurement à l'attribution des marchés en cause et que ses dirigeants n'ont pris aucune part aux pratiques incriminées commises au mois d'avril 1988 par l'intermédiaire du GIE ALS dont ils ne peuvent être tenus pour responsables ;

- qu'il n'est en outre pas démontré que ses dirigeants et associés aient eu connaissance des conditions dans lesquelles ont été obtenus les marchés litigieux.

La société Centre ambulancier du Rhône expose elle aussi qu'elle s'est constituée le 4 novembre 1988, postérieurement aux pratiques incriminées, pour l'acquisition du fonds de commerce appartenant à Charles Lafond, avec qui elle n'avait jusqu'alors aucun lien, qu'elle n'est pas membre du GIE CAL et que, de ce fait, elle n'est pas l'auteur des pratiques incriminées.

Elle soutient que, dans ces conditions, la sanction prise à son encontre est contraire aux principes fondamentaux du droit " qui exigent un fait personnel positif pour engendrer une incrimination ".

Usant de la faculté qui lui est offerte par l'article 9 du décret du 19 octobre 1987, le conseil fait observer :

- que le terme entreprise n'étant pas défini par l'ordonnance de 1986, il a déduit de la primauté du but économique sur la forme juridique le principe selon lequel l'entreprise est réputée subsister en dépit de la disparition de la personne juridique initiale dans le cas où l'activité s'exerce sous une forme juridique nouvelle ;

- que lorsque l'entreprise identifiée comme ayant commis une infraction aux dispositions du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 a disparu lors de la saisine du conseil, ce dernier recherche alors s'il existe, entre l'entreprise originaire et celle qui a repris son activité, une continuité économique et fonctionnelle ;

- qu'en l'espèce il a fait application de ce principe, en constatant que la cession des fonds de commerce au profit des sociétés requérantes n'avait pas interrompu la continuité des entreprises auteurs des pratiques examinées.

Le ministre de l'économie et des finances a produit un mémoire tendant à écarter chacun des moyens invoqués par les requérantes.

En réplique aux observations écrites susvisées la société Ambulances LC a fait valoir :

- que lorsque ne se perpétuent pas tous les éléments originaires de l'entreprise et notamment sa forme juridique, il ne peut être fait application du principe de continuité ;

- que le cessionnaire d'un fonds de commerce ne peut être tenu pour responsable de pratiques commises par le cédant dont il n'a pas été en mesure de connaître l'existence, qui constituent un risque dont il n'a pu se prémunir, alors qu'au surplus, il est dans l'impossibilité de se défendre contre les poursuites engagées sur leur fondement ;

- qu'il est enfin contraire à l'équité de rechercher la responsabilité du nouveau responsable de l'entreprise alors que le précédent, qui a commis les pratiques incriminées et contre qui des poursuites pourraient être engagées, reste à l'abri des sanctions.

A l'audience le ministère public a oralement conclu au rejet du recours.

Sur quoi, LA COUR :

Considérant que les dispositions du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 s'adressent notamment à des entreprises en tant qu'entités économiques constituées d'éléments matériels et humains pouvant concourir à la commission d'une infraction visée par ce texte;

Considérant qu'une telle entité économique, sujet du droit de la concurrence, peut faire l'objet des sanctions prévues par l'article 13 de l'ordonnance susvisée même si, comme l'indique le Conseil, entre le moment où les pratiques ont été commises et celui où elle doit en répondre, la personne physique ou morale qui en constitue le support juridique a disparu, dès lors que subsistent les éléments matériels et humains qui ont concouru à l'infraction ;

Considérant que, dans les cas particuliers exposés par les requérantes, les pratiques incriminées ont été commises par des entreprises artisanales exploitées en nom personnel par des personnes physiques qui y sont personnellement impliquées;

Considérant que, postérieurement aux ententes réalisées et à l'attribution des marchés, ces personnes ont respectivement cédé les fonds de commerce dont ils étaient individuellement propriétaires à des sociétés à qui il n'est pas reproché d'avoir, elles-mêmes ou par les personnes qu'elles associent, pris part aux pratiques examinées;

Qu'il n'est en conséquence pas établi que subsistent dans les entreprises actuellement exploitées par les sociétés ambulances LC et Centre ambulancier du Rhône, l'ensemble des éléments matériels et humains ayant constitué celles qui ont concouru à commission de l'infraction sanctionnée;

Qu'en conséquence, la décision doit être annulée en ce qu'elle prononce des sanctions à l'encontre d'entreprises à qui les pratiques qui en constituent le fondement ne sont pas imputables ;

Par ces motifs : Annule la décision n° 92-D-08 du Conseil de la concurrence en ce qu'elle a prononcé des sanctions pécuniaires à l'encontre de la SARL Ambulances LC et de la SARL Centre ambulancier du Rhône; Laisse les dépens à la charge du Trésor.