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Décisions

Conseil Conc., 21 février 1995, n° 95-D-17

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques constatées lors de marchés de travaux forestiers et d'aménagements hydrauliques dans le département des Bouches-du-Rhône

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en rapport oral de M. Jean-Pierre Bonthoux, par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 95-D-17

21 février 1995

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 19 octobre 1992 sous le numéro F 544 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et du budget a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées à l'occasion de marchés de travaux forestiers et d'aménagement hydraulique dans le département des Bouches-du-Rhône ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par l'entreprise Blasquez, par les sociétés EDEA, Satrap et SEVE et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés EDEA, SEVE et Satrap entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. CONSTATATIONS

A. Le secteur concerné

Le département des Bouches-du-Rhône fait partie des départements sensibles aux risques d'incendie. De ce fait, les travaux forestiers, qui consistent à élaguer et débroussailler pour entretenir, réhabiliter, nettoyer les zones sensibles au feu (forêts, voies de passage, bordures d'eau ou ripisylves) tout en sauvegardant l'aspect esthétique des sites, y prennent une importance particulière et donnent lieu à d'importants programmes d'investissements publics.

Vingt-trois entreprises du département des Bouches-du-Rhône possèdent les qualifications d'entreprise paysagiste ou d'entreprise de reboisement prévues par un arrêté du ministre de l'agriculture du 6 octobre 1970 modifié. Cinq d'entre elles détiennent les deux qualifications. Bien que la présentation des titres de qualification soit souvent exigée lors des appels d'offres, d'autres petites et moyennes entreprises soumissionnent, notamment certaines entreprises de travaux publics qui ont diversifié leurs activités dans ce secteur.

De 1989 à 1992, de nombreux chantiers de débroussaillage et de curage ont été lancés dans le cadre de la prévention contre les risques d'incendies par l'office national des forêts, les collectivités locales (communes et département), la direction départementale de l'équipement, le syndicat d'aménagement du bassin de l'Arc et la société du canal de Provence.

B. Les pratiques relevées

1. Pratiques relevées à l'occasion de marchés publics

a) Travaux sur mémoires et achats sur factures

1° Marché de travaux de débroussaillement sur les communes d'Aubagne et de Carnoux.

Maître d'ouvrage : conseil général.

Maître d'œuvre : Office national des forêts.

Date : juin 1991.

Des devis compris entre 7 500 à 9 500 F l'hectare sur quatre hectares ont été fournis par cinq entreprises locales. Au siège de l'une d'elles, la SA Joly, les enquêteurs trouvaient dans le dossier d'étude du marché un double de son offre comportant la mention manuscrite " devis pour couvrir SEVE ".

Le président-directeur général de la SA Joly déclarait : " En ce qui concerne le devis estimatif de l'Office national des forêts, ma soeur Josiane Deval a reçu un appel téléphonique de la société SEVE, il lui a semblé que c'était M. Bruno, qui a demandé que ma société réponde au devis en question pour le couvrir sur ce marché. J'ai répondu à l'Office national des forêts à un prix suffisamment élevé (9 300 F l'hectare) pour ne pas obtenir le marché que je n'ai pas eu et que SEVE, à mon avis, n'a pas eu non plus. " Le gérant de la SARL SEVE contestait toute concertation avec la SA Joly sur ce marché, pour lequel il avait déposé un devis sur la base de 8 000 F l'hectare. Les travaux n'ont pas été réalisés par manque de crédits.

2° Marchés de travaux d'amélioration sylvicole pour le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres sur la commune du Rove, au lieu dit " Les Héritages ".

Maître d'ouvrage : conseil général.

Maître d'œuvre : Office national des forêts.

Date : août 1990.

Des devis, compris entre 30 000 et 22 200 F, ont été fournis par six entreprises, dont l'entreprise Gerbaud et la SA Joly, société la moins-disante, qui a eu à réaliser le marché.

Au siège de la SA Joly, les enquêteurs trouvaient dans le dossier d'étude du marché le cahier des charges de cette consultation ainsi que deux devis dactylographiés, datés mais non signés, le premier, d'un montant de 22 200 F, portant la mention manuscrite " Joly " et le second, d'un montant de 23 000 F, portant la mention manuscrite " Gerbaud ". Ces deux devis correspondent exactement aux offres déposées par les deux entreprises.

Au sujet de ces documents, le président-directeur général de la SA Joly déclarait : " En ce qui concerne les travaux d'amélioration sylvicole sur 4,8 hectares pour le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, j'ai envoyé un bordereau des prix avec un prix unitaire de 22 200 F et j'ai rédigé le même document avec un prix de 23 000 F au nom de Gerbaud pour qu'il me couvre. J'ai eu à réaliser ce chantier ; "

M. Gerbaud précisait qu'il travaillait en sous-traitance de l'entreprise Joly de manière permanente et que cette société assurait son secrétariat. S'agissant du marché en question, il indiquait que M. Joly lui avait conseillé de faire un devis au brouillon et de le lui envoyer pour qu'il soit dactylographié. Il indiquait n'avoir plus eu d'autres nouvelles sur ce chantier.

b) Marché négocié

Marché de travaux de nettoyage et de curage des cours d'eau en bordure de la voirie départementale.

Maître d'ouvrage : conseil général.

Maître d'œuvre : direction départementale de l'équipement.

Date : avril 1990.

Enveloppe initiale : 350 000 F.

Le marché était divisé en douze lots correspondant à diverses communes du département. Le règlement du marché prévoyait qu'une entreprise ne pouvait se voir attribuer plus de six lots. Dix entreprises ont déposé des offres,

Au siège de la SARL Dolza, les enquêteurs trouvaient dans le dossier d'étude de ce marché un tableau comportant les douze lots, les noms des entreprises Blasquez, Dolza, EDEA et Grosso ainsi que le montant des soumissions de ces entreprises à certains lots. Certains chiffres étaient entourés.

Ces chiffres sont reportés dans le tableau ci-après en caractères gras, s'agissant des chiffres entourés sur le document manuscrit, en caractères normaux pour le reste. Sont indiquées en italique les offres finalement déposées.

EMPLACEMENT TABLEAU

Les SARL Dolza et Grosso ont déposé des offres pour des montants strictement identiques à ceux figurant sur le tableau manuscrit. La SARL Dolza obtenait le lot n° 10. La SARL Grosso n'obtenait aucun lot.

La SA EDEA avait soumissionné pour les lots 2, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 12. Le tableau manuscrit ne comportait des prix, pour ce qui la concernait, que pour les lots 6, 7 et 12. Ces prix étaient légèrement différents de ceux du devis pour les lots 6 et 7 (98 000 F hors taxes sur le manuscrit, 97 000 F hors taxes sur le devis pour le lot 6, 56 874 F hors taxes sur le manuscrit, 56 000 F hors taxes sur le devis pour le lot 7). Le prix du lot 12 sur le tableau manuscrit était identique à l'offre réelle. La SA EDEA n'a obtenu aucun lot.

Enfin, l'entreprise Blasquez avait soumissionné pour les lots 2 et 3. Le tableau manuscrit comportait des prix pour les lots 1, 2, 3 et 6. Le prix du lot 2 était identique à l'offre réelle. Le prix du lot 3 était différent sur le manuscrit (48 000 F) et sur le devis (40 000 F), ce dernier chiffre paraissant avoir été surchargé pour recouvrir 48 000. L'entreprise Blasquez obtenait effectivement le lot n° 3.

Le gérant de la SARL Dolza déclarait au sujet de ce document : " II correspondait à une répartition envisagée avec les entreprises Blasquez, BDEA et Grosso. En effet, comme il était prévu qu'une entreprise ne pouvait emporter plus de six lots, il était inutile de perdre du temps à répondre sur l'ensemble des lots ".

Le responsable de l'entreprise Blasquez déclarait : " Ce marché comportait douze lots et chaque lot nécessitait une étude assez longue. J'ai été contacté par une personne de l'entreprise Dolza afin d'essayer de ne pas étudier les mêmes lots et de ne pas perdre de temps. J'ai étudié pour ma part trois lots et en ai obtenu un d'un montant de 48 000 F seulement ".

Le gérant de la SARL Grosso et le président-directeur général de la SA EDEA niaient toute concertation sur ce marché.

c) Marché sur appel d'offres

Marché de travaux d'aménagement hydraulique de l'Arc et d'entretien de la ripisylve.

Maître d'ouvrage : Syndicat d'aménagement du bassin de l'Arc.

Maîtres d'œuvre : Société du canal de Provence, direction départementale de l'équipement.

Date : 1989.

Enveloppe initiale : 350 000 F.

La procédure choisie était celle de l'appel d'offres restreint, le marché étant découpé en cinq lots correspondant chacun à un tronçon géographique. L'examen des candidatures permettait de retenir douze entreprises, mais la commission d'ouverture des plis décidait, compte tenu de l'écart existant entre les offres, comprises entre 1 063 842 F et 1 601 100 F et l'estimation initiale de 350 000 F, de relancer l'appel d'offres après modification du dossier. Les nouvelles propositions, comprises entre 687 880 F et 1 509 066 F, restant encore trop élevées, l'appel d'offres était de nouveau déclaré infructueux. Le syndicat décidait de passer un marché négocié. Neuf entreprises étaient consultées. La SA EDEA a été la moins-disante et les travaux lui ont été confiés pour un montant de 349 993,34 F.

Au siège de la SARL Dolza, les enquêteurs trouvaient, dans le dossier d'étude de ce marché, deux documents manuscrits. Le premier comportait les mentions manuscrites " Joly Entretien ", les montants de l'offre de Joly pour chacun des lots et pour l'ensemble des travaux lors du premier appel d'offres et la mention : " Liliane. Prix pour Joly. Nous, on répond pas. C'est Rolland qui a fait les prix. " Liliane est le prénom de Mme Barouhmy, née Dolza, secrétaire de la SARL Dolza. Rolland est le nom du président-directeur général de la SA EDEA Concernant ce document, le gérant de la SARL Dolza déclarait que certaines des mentions figurant sur le document étaient de sa main. Il indiquait " se souvenir d'un essai de groupement avec les SA Joly et EDEA afin de pouvoir lutter contre la concurrence des nombreuses autres entreprises ".

Le président-directeur général de la SA EDEA déclarait aux enquêteurs qu'il ne le reconnaissait pas comme émanant de lui, mais admettait devant le rapporteur qu'à l'exception des mentions " Liliane... C'est Rolland qui fait les prix " et des chiffres (64 000... 110 000) figurant en face des différents tronçons, ce document était de sa main. Il indiquait " qu'il s'agissait d'un marché complexe. Il y avait donc eu tentative de groupement de nos entreprises pour répondre à cet appel d'offres en raison de cette complexité technique. En effet, il était nécessaire de disposer de différents matériels pour des travaux dans l'eau. La complémentarité des moyens matériels et humains de nos entreprises nous permettait de soumissionner efficacement. "

Le deuxième document comportait les mentions suivantes :

EMPLACEMENT TABLEAU

Ces mentions concernent le deuxième appel d'offres. Elles indiquent la façon dont la SARL Dolza a calculé ses prix par rapport à son offre initiale, ainsi que le montant total de son offre (866 400 F hors taxes).

Le gérant de la SARL Dolza déclarait que " ce document n'avait pas été écrit par lui et qu'il supposait, qu'il s'agissait également de renseignements concernant cette tentative de groupement ".

Le président-directeur général de la SA EDEA déclarait devant le rapporteur que la partie haute du document avait été écrite par lui jusqu'au trait séparatif du milieu de la feuille et que ce document s'inscrivait dans le cadre de la tentative de groupement précédemment évoquée.

Le président-directeur général de la SA Joly indiquait devant le rapporteur : " Au début, on a essayé de faire un groupement pour avoir chacun un lot car le chantier était trop important pour nos entreprises, en tout cas pour la mienne. Nous avons fait les prix ensemble avec Dolza. Je pensais que nous étions seulement tous les deux dans ce groupement ".

Dans le dossier d'étude de la SARL Dolza, les enquêteurs trouvaient une copie du devis de la SA Joly déposé au deuxième appel d'offres. Le président-directeur général de la SA Joly déclarait que la présence de ce document au siège de la SARL Dolza était directement liée à la tentative de groupement.

2. Pratiques relevées à l'occasion d'un marché privé

Marché de travaux forestiers pour le compte des associations syndicales autorisées d'Aurons-Basse Durance.

Maître d'ouvrage délégué par les associations syndicales autorisées et maître d'œuvre : société du canal de Provence.

Date : mars 1992.

Estimation initiale : 478 921 F.

Le maître d'ouvrage délégué avait consulté neuf entreprises de travaux forestiers afin qu'elles lui remettent un devis. Le marché portait sur six lots correspondant à des travaux à effectuer dans des zones géographiques différentes.

Au siège de la SARL Dolza, les enquêteurs trouvaient un document figurant dans le dossier d'étude relatif à ce marché à en-tête imprimé des établissements Dolza, comportant les mentions manuscrites " Objet : ASL Aurons SCP ", " Entreprise Michel ", " Prix à faire " ainsi qu'une liste de prix unitaires hors taxes correspondant aux prix du bordereau déposé par la SARL Michel lors de la consultation lancée par la Société du canal de Provence.

Le gérant de la SARL Dolza déclarait qu'au sujet du marché ASL Aurons, la SARL Michel l'avait contacté car elle souhaitait répondre à cet appel d'offres qui ne correspondait pas exactement à sa spécialité afin de ne pas être oubliée par la Société du canal Provence lors de futurs appels d'offres. Cette société lui avait donc demandé de lui fournir des prix pour pouvoir soumissionner.

Le gérant de la SARL Michel déclarait pour sa part : " J'avais assisté à la réunion de chantier avant remise des offres et me suis aperçu que ces travaux ne convenaient pas à mon entreprise. Cependant, je réalise parfois des travaux pour la société du canal de Provence et souhaitais ne pas être oublié lors de futurs appels d'offres. Aussi, j'ai demandé à l'entreprise Dolza, qui voulait soumissionner, de me communiquer des prix afin de pouvoir déposer une offre. Dolza m'a envoyé des prix par fax pour faire ma soumission ".

Le marché a été finalement attribué à une entreprise tierce moins-disante pour un montant de 473 242 F.

II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÉDENT, LE CONSEIL

En ce qui concerne le marché de travaux de débroussaillement sur les communes d'Aubagne et de Camoux :

Considérant que la SARL SEVE conteste toute participation à une concertation préalable en faisant valoir que la preuve de l'identification du responsable de la SARL SEVE comme auteur de la demande de devis de couverture n'est pas rapportée ;

Considérant qu'en matière de marchés publics ou privés, une entente anticoncurrentielle peut prendre la forme, notamment, d'une coordination des offres ou d'échanges d'informations entre entreprises antérieurs à la remise des offres, qu'il s'agisse de l'existence de compétiteurs, de leur nom, de leur importance, de leur disponibilité en matériel ou en personnel, de leur intérêt ou de leur absence d'intérêt pour le marché considéré, ou des prix qu'ils envisagent de proposer ; que la preuve de l'existence de telles pratiques, qui sont de nature à limiter l'indépendance des offres, condition du jeu normal de la concurrence, peut résulter en particulier d'un faisceau d'indices constitué par le rapprochement de divers éléments recueillis au cours de l'instruction, même si chacun de ces éléments pris isolément n'a pas un caractère suffisamment probant ;

Considérant en l'espèce que l'existence de la mention " devis pour couvrir SEVE " sur une offre de prix trouvée dans les documents de la SA Joly, la déclaration du gérant de la SA Joly, selon laquelle sa société a reçu un appel de la SARL SEVE pour lui demander de faire un devis de couverture dans cet appel d'offres et le dépôt effectif par la SA Joly d'une offre à un prix suffisamment élevé pour ne pas obtenir ce marché, constituent des indices graves, précis et concordants pour faire la preuve d'une concertation entre les sociétés Joly et SEVE préalable au dépôt de leurs offres relatives à ce marché ;

Considérant que cette pratique, qui a eu pour objet et pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché considéré, est par suite prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

En ce qui concerne le marché de travaux d'amélioration sylvicole pour le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres sur la commune du Rove au lieudit " Les Héritages " :

Considérant qu'il est établi par les documents retrouvés au siège de la SA Joly et les déclarations des responsables des entreprises Joly et Gerbaud qu'une concertation a eu lieu entre ces sociétés, préalablement au dépôt de leurs offres, à l'occasion du marché public d'amélioration sylvicole sur la commune du Rove, au lieudit " Les Héritages " ;

Considérant que cette pratique a eu pour but de tromper le maître de l'ouvrage sur la réalité de la concurrence et qu'elle a donc eu pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré ; que par suite, cette concertation est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

En ce qui concerne le marché de travaux de nettoyage et de curage des cours d'eau en bordure de la voirie départementale :

Considérant qu'une concertation préalable au dépôt des offres des entreprises Blasquez, Dolza, EDEA et Grosso a eu lieu à l'occasion du marché de travaux de nettoyage et de curage des cours d'eau en bordure de la voirie départementale ; que cette concertation est établie à la fois par les documents retrouvés au siège de la SARL Dolza et par les déclarations des responsables des entreprises Blasquez et Dolza reconnaissant qu'un échange d'informations sur les offres a eu lieu antérieurement au dépôt de celles-ci entre les entreprises précitées par l'intermédiaire de la SARL Dolza ; que ces entreprises ont présenté des offres apparemment concurrentes et n'ont aucunement informé le maître de l'ouvrage de ce projet de groupement ;

Considérant que la SA EDEA fait valoir qu'aucun élément du dossier ne permettrait de conclure à la participation de la SA EDEA à un échange d'informations sur les prix que le tableau manuscrit retrouvé au siège de la SARL Dolza a été conçu par les représentants de cette société ; qu'aucun élément ne permettrait de penser qu'il ait été rédigé par la SARL Dolza après avoir obtenu des informations de la SA EDEA ; qu'en outre il n'y aurait pas de correspondance entre le tableau manuscrit et la remise des offres, tant en ce qui concerne le nombre de lots auxquels la SA EDEA a soumissionné qu'en ce qui concerne le montant de ces offres, à l'exception du lot n° 12 ; qu'enfin, la concertation entre les entreprises ne serait pas la seule explication possible à la présence du tableau manuscrit au siège de la SARL Dolza et à certaines correspondances entre ledit tableau et les offres proposées par les entreprises au maître de l'ouvrage ;

Considérant cependant que le document retrouvé au siège de la SARL Dolza fait apparaître que cette société était informée des prix de la SA EDEA de manière exacte sur un lot et à 1 000 F près sur deux lots de 57 000 et 98 000 F ; que le fait que trois lots seulement figurent pour EDEA au tableau manuscrit alors que celle-ci a effectivement soumissionné pour neuf lots est sans incidence sur la réalité de l'information sur les trois lots en question ; que les trois autres entreprises, ayant participé à la concertation n'ont pas présenté d'offres concurrentes à celles de la SA EDEA sur les trois lots mentionnés au tableau manuscrit ; que l'argument selon lequel la correspondance entre les prix du tableau manuscrit et des offres réelles résulterait du fait que le coût des travaux en question serait essentiellement constitué par de la main-d'œuvre n'est pas pertinent au regard de la disparité des offres réelles de l'ensemble des entreprises ayant participé à l'appel d'offres sur les lots en question (64 044 à 115 042 F pour le lot 6, 49 812 à 66 416 F pour le lot 7, 39 138 à 94 287 F pour le lot 12) et de la difficulté du chiffrage des devis attestée par les déclarations de M. Blasquez ;

Considérant enfin qu'il ressort du tableau manuscrit, reproduit dans la première partie de la présente décision, que les quatre entreprises visées n'ont pas présenté d'offres concurrentes entre elles sur les lots qui leur étaient attribués (lots n° 1 et 5) ou ont présenté des offres de couverture identiques à celles mentionnées au tableau, dont elles n'étaient pas attributaires selon la répartition prévue (lots n° 2, 3 pour Blasquez, 4) ou ont présenté des offres de couverture, sans que cela ait été prévu au tableau (lots n° 3 pour EDEA, 4, 8, 9, 10, 11) ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les informations ainsi échangées ont pu avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché considéré ; que, par suite, cette concertation' est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

En ce qui concerne le marché de travaux d'aménagement hydraulique de l'Arc et d'entretien de la ripisylve :

Considérant qu'il est établi, à la fois par les documents retrouvés au siège de la SARL Dolza et par les déclarations des responsables des sociétés Dolza, EDEA et Joly, qu'un échange d'informations entre ces sociétés sur les offres qu'elles ont proposées à l'occasion du marché de travaux d'aménagement hydrau lique de l'Arc et d'entretien de la ripisylve a eu lieu antérieurement au dépôt de leurs offres ;

Considérant que ces entreprises soutiennent que la concertation est justifiée par une tentative de groupement en raison de la complexité du chantier et par la nécessaire mise en commun des moyens matériels et humains des entreprises visées ;

Considérant qu'hormis le cas où ils se traduisent par le dépôt d'offres conjointes et solidaires, les échanges d'informations entre entreprises soumissionnaires à un même marché préalablement au dépôt effectif sont de nature à limiter l'intensité de la concurrence entre les entreprises en cause ; qu'en l'espèce, les trois entreprises concernées ont présenté des offres concurrentes et n'ont aucunement informé le maître de l'ouvrage de ce projet de groupement ; qu'enfin la complexité technique du marché ne peut justifier la tentative de groupement entre ces trois entreprises pour mettre en commun leurs moyens alors même que le responsable de la SA Joly a déclaré : " Je pensais que nous étions seulement tous les deux (avec Dolza) dans ce groupement " ;

Considérant que les informations ainsi échangées ont pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré ; que, par suite, cette concertation est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

En ce qui concerne le marché privé de travaux forestiers pour le compte des associations syndicales autorisées d'Aurons-Basse Durance :

Considérant qu'il est établi à la fois par les documents retrouvés au siège de la SARL Dolza et par les déclarations des responsables des SARL Dolza et Michel qui ont reconnu qu'un échange d'informations sur les offres à l'occasion du marché privé de travaux forestiers pour le compte des associations syndicale à autorisées d'Aurons-Basse Durance a eu lieu antérieurement au dépôt de celles-ci entre les SARL Dolza et Michel ; que ces entreprises ont néanmoins présenté des offres concurrentes et n'ont aucunement avisé le maître de l'ouvrage de l'échange d'informations intervenu entre elles ;

Considérant que la SARL Satrap, intervenante aux droits de la SARL Michel dissoute sans liquidation le 31 décembre 1994, fait valoir qu'il s'agissait d'un marché de faible importance, attribué finalement à une entreprise tierce moins-disante pour un montant inférieur à l'estimation du maître de l'ouvrage et donc sans préjudice dû à la concertation pour ce dernier ; qu'en conséquence, ces pratiques n'auraient pu porter atteinte de manière sensible au jeu de la concurrence ; que, par ailleurs, la SARL Michel avait pour seul objectif, en sollicitant de la SARL Dolza une information sur ses prix, de présenter une offre " carte c de visite " afin d'être contactée par la suite pour des travaux entrant plus directement dans son champ de compétence ;

Considérant toutefois que l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe les actions concertées, conventions ententes expresses ou tacites ou coalitions, dès lors qu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ; qu'entre ainsi dans le champ d'application de ces dispositions toute pratique, même si elle n'a aucun effet, dès lors qu'elle a un objet ou peut avoir un effet anticoncurrentiel sur un marché, quelle qu'en soit la taille; qu'à cet égard, le fait que l'attributaire final soit une entreprise tierce à l'entente est sans incidence sur l'existence de celle-ci et sa qualification au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant par ailleurs que si le fait, pour une entreprise, de déposer unilatéralement une offre de principe dite offre " carte de visite " ne constitue pas en soi une pratique anticoncurrentielle, constitue au contraire une telle pratique le fait de se concerter avec une ou plusieurs entreprises concurrentes pour présenter une telle offre ;

Considérant, en conséquence, que la concertation intervenue entre les SARL Dolza et Michel, à l'occasion du marché privé de travaux forestiers pour le compte des associations syndicales autorisées d'Aurons-Basse Durance, est prohibée, par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos... "

Considérant que le département des Bouches-du-Rhône fait partie d'une région touristique sensible aux risques d'incendie ; que de ce fait, les travaux forestiers qui consistent à élaguer et débroussailler pour entretenir, réhabiliter, nettoyer les zones sensibles au feu tout en sauvegardant l'aspect esthétique des sites, y prennent une importance particulière et donnent lieu à d'importants programmes d'investissements publics ; qu'en conséquence les pratiques mises en œuvre dans ce secteur ont conduit à dés retards dans la mise en place de ces programmes et à des surcoûts préjudiciables aux maîtres d'ouvrage publics et privés concernés ;

En ce qui concerne l'entreprise Blasquez :

Considérant que l'entreprise Blasquez s'est livrée à des

pratiques anticoncurrentielles prohibées avec les sociétés Dolza, EDEA et Grosso sur le marché de travaux de nettoyage et de curage des cours d'eau en bordure de la voirie départementale, pour lequel elle a effectivement obtenu un lot pour un montant de 47 440 F ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1993, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires de 854 305 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 3 500 F ;

En ce qui concerne la SARL Dolza :

Considérant que la SARL Dolza s'est livrée à des pratiques anticoncurrentielles prohibées avec les entreprises Blasquez, EDEA et Grosso, sur le marché de travaux de nettoyage et de curage des cours d'eau en bordure de la voirie départementale, avec les SA EDEA et Joly, sur le marché de travaux d'aménagement hydraulique de l'Arc et d'entretien de la ripisylve et avec la SARL Michel sur le marché de travaux forestiers pour le compte des associations syndicales autorisées d'Aurons-Basse Durance ; que pour ces trois marchés concernant différents endroits du département, les documents relatifs aux concertations établies ont été retrouvés à son siège et démontrent sa participation active aux ententes avec des entreprises pour partie différentes d'un marché à l'autre ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1993, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires de 19 343 997 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 300 000 F ;

En ce qui concerne la SA EDEA :

Considérant que la SA EDEA s'est livrée à des pratiques anticoncurrentielles prohibées avec les entreprises Blasquez, Dolza et Grosso sur le marché de travaux de nettoyage et de curage des cours d'eau en bordure de la voirie départementale et avec les sociétés Dolza et Joly sur le marché de travaux d'aménagement hydraulique de l'Arc qui lui a été effectivement attribué pour un montant de 349 993,34 F ; que certains documents établissant les ententes ont été établis, au moins partiellement, par son dirigeant et démontrent sa participation active à ces concertations avec des entreprises pour partie différentes d'un marché à l'autre ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1994, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires de 15 217 427 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 250 000 F ;

En ce qui concerne la SA Joly :

Considérant que la SA Joly s'est livrée à des pratiques anticoncurrentielles prohibées avec les sociétés Dolza et EDEA sur le marché de travaux d'aménagement hydraulique de l'Arc, avec l'entreprise Gerbaud sur le marché d'amélioration sylvicole pour le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, commune du Rove au lieudit " Les Héritages ", et avec la SARL SEVE sur le marché de travaux de débroussaillement sur les communes d'Aubagne et de Carnoux ; qu'elle a effectivement été attributaire du marché de travaux hydrauliques de l'Arc et d'entretien de la ripisylve ; qu'elle est donc concernée au titre de deux marchés mettant en cause trois entreprises différentes ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1993, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires de 8 669 028 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 120 000 F ;

En ce qui concerne l'entreprise Gerbaud :

Considérant que l'entreprise Gerbaud s'est livrée à des pratiques anticoncurrentielles prohibées avec la SA Joly sur le marché d'amélioration sylvicole pour le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres sur la commune du Rove au lieudit " Les Héritages " ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1993, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires de 201 600 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 1 000 F ;

En ce qui concerne la SARL Grosso :

Considérant que la SARL Grosso s'est livrée à des pratiques anti-concurrentielles prohibées avec les entreprises Blasquez, Dolza et EDEA sur le marché de travaux de nettoyage et de curage des cours d'eau en bordure, de la voirie départementale. ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1993, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires de 2 726 792 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 000 F ;

En ce qui concerne la SARL Michel :

Considérant que la SARL Michel s'est livrée à des pratiques anti-concurrentielles prohibées avec la SARL Dolza sur le marché de travaux forestiers pour le compte des associations syndicales autorisées d'Aurons-Basse Durance ;

Considérant que cette entreprise a été dissoute sans liquidation et son patrimoine transmis à la SARL Satrap le 31 décembre 1993 ; que les derniers chiffres d'affaires clos disponibles de la SARL Michel et de la SARL Satrap portent sur l'exercice 1993 ;

Considérant que la SARL Michel a réalisé en 1993 un chiffre d'affaires de 3 115 573 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 15 000 F.

En ce qui concerne la SARL SEVE :

Considérant que la SARL SEVE s'est livrée à des pratiques anticoncurrentielles prohibées avec la SA Joly sur le marché de travaux de débroussaillement sur les communes d'Aubagne et Carnoux ;

Considérant que la SARL SEVE a réalisé en 1993, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires de 8 662 220 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 25 000 F,

Décide :

Article unique : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

3 500 F à l'entreprise Blasquez ;

300 000 F à la SARL Dolza ;

250 000 F à la SA EDEA ;

120 000 F à la SA Joly ;

1 000 F à L'Entreprise Gerbaud ;

10 000 F à la SARL Grosso ;

15 000 F à la SARL Satrap ;

25 000 F à la SARL SEVE.