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Décisions

Cass. com., 30 mai 1995, n° 93-15.878

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Guyane transit (SA), Guyane déménagement (SARL), Cofranav (SARL)

Défendeur :

Juin International (Sté), AGS Paris (Sté), AGS Martinique (SARL), AGS Réunion (SARL), AGS Guadeloupe (SARL), Taieb, Cazal, Bedel (SA), Nortier (SA), Lagache et compagnie (SARL), Transit et transports Gabriel Faroult (SA), France transfert continentale (SARL), J. Antheaume-chiche (SARL), Compagnie générale de transports (SA), Péres (SARL), Déménagement Henry F (Sté), DMF Granier (Sté), Transports affrètement locations (SARL), Alain Anne (SA), Larnaudie (SARL), Ghiglion (SARL), Déménagements Davin (SA), Luc Elisabeth Martinique transit (SARL), Réunion transit (SA), Albonico, Faure déménagement (SA), Cheung Ah Seung déménagements (Sté), Colussi, Maussire et Reclus (SA), Guy Chalano transit (SARL), Société de déménagement Antilles-Guyane (SARL), Antilles déménagement (SARL), T. Tram (SA), Translame (SARL), Ocitra (SA), Haddad, Transport Bénard (SARL), Somanutrans (Sté), Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Nicot (faisant fonction)

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocats :

SCP Defrenois, Levis, SCP Rouvière, Boutet, SCP Waquet, Farge, Hazan, Me Ricard.

Cass. com. n° 93-15.878

30 mai 1995

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué, que le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office en 1988 de pratiques qu'il estimait illicites concernant le déménagement des fonctionnaires civils et des militaires à destination ou en provenance des départements d'Outre-mer (DOM), des territoires d'Outre-mer (TOM) et des pays étrangers ; que pour les premiers, le décret n° 53-711 du 21 mai 1953, applicable jusqu'à l'intervention du décret n° 89-271 du 12 avril 1989 et, pour les seconds, le décret n° 54-213 du 1er mars 1954, ont prévu selon des modalités semblables un remboursement des frais réellement engagés assortis de limitations en volume, variables selon la catégorie et la situation familiale des personnels concernés, sur la base du prix le plus bas de trois devis émanant d'entreprises différentes pour les fonctionnaires ou de deux pour les militaires ; que l'enquête ayant établi que dans le cadre de ce marché international du déménagement, où étaient spécialisées de nombreuses entreprises, certaines s'étaient livrées, selon divers procédés, soit habituellement, soit occasionnellement, à des pratiques de concertation en échangeant des papiers à en-tête vierges ou en se communiquant des informations aux fins d'établir des devis faux ou de complaisance dits de couverture, au profit de celles d'entre elles qui se réservaient d'être la moins disante pour fournir la prestation, le conseil de la concurrence a infligé des sanctions pécuniaires à soixante-dix entreprises ; que quarante-deux d'entre elles se sont pourvues devant la Cour d'appel de Paris ;

Sur le premier moyen :- Attendu que la société Guyane transit, la société Guyane déménagement et la société Cofranav font grief à l'arrêt de les avoir condamnées, alors, selon le pourvoi, qu'est ministre intéressé au sens de l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le ministre intervenu à un quelconque moment pour apprécier, favoriser ou condamner les pratiques examinées par le conseil de la concurrence, et le ministre dont la mission ministérielle comprend l'application d'un texte réglementaire auquel les pratiques sont directement liées ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, d'une part, que les pratiques litigieuses, observées dans le secteur du déménagement des fonctionnaires et agents français en provenance et à destination des DOM et des TOM, auraient consisté, pour les entreprises de déménagement, à établir des " devis de couverture ", pour faire apparaître l'une d'entre elles comme moins disante et auraient tendu à contourner les dispositions des règlements des 21 mai 1953 et 1er mars 1954, relatifs au remboursement par l'Etat des frais de déménagement, prévoyant l'établissement de plusieurs devis dans le but de favoriser une concurrence par les prix et, d'autre part, que ces pratiques avaient conduit l'administration à adopter un décret du 12 avril 1989, substituant au système d'indemnisation sur présentation de devis concurrents, un système d'indemnisation forfaitaire ; qu'en affirmant que les ministres de l'Intérieur et de la Fonction publique n'avaient pas la qualité de ministres intéressés, la Cour d'appel a refusé de tirer les conséquences légales de ses constatations et violé l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que l'arrêt relève que la réglementation administrative applicable en l'espèce visait précisément à permettre à l'administration qui supportait le prix de la prestation de s'assurer que son bénéficiaire avait fait jouer la concurrence pour les prix ; que la cour d'appel a pu en déduire qu'elle ne mettait pas en cause l'application d'un texte relevant des missions spécifiques des ministres de l'intérieur et de la fonction publique, qui ne pouvaient en conséquence être qualifiés de ministres intéressés au sens de l'article 21, 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Guyane transit, Guyane déménagement et la société Cofranav font grief à l'arrêt de les avoir condamnées, alors, selon le pourvoi, que si pour la compréhension du litige, les juges peuvent évoquer des données antérieures aux faits dont ils sont saisis, ils doivent toutefois, clairement limiter dans le temps les faits qualifiés et sanctionnés ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que la saisine étant datée du 19 octobre 1988, n'étaient soumis à examen que les faits postérieurs au 19 octobre 1985, l'arrêt retient néanmoins l'" origine ancienne " des pratiques relevées durant la période de 1986 à 1988, pour apprécier la gravité de celles-ci et fixer le montant des sanctions pécuniaires ; qu'en statuant ainsi, la cour a sanctionné des pratiques prescrites et violé l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que si l'arrêt a relevé que les pratiques incriminées étaient d'" origine ancienne ", il n'en a tiré aucune conséquence en ce qui concerne l'appréciation de la gravité des pratiques litigieuses ; qu'ayant constaté que le Conseil de la concurrence s'était saisi d'office, le 19 octobre 1988, de faits remontant jusqu'au 19 octobre 1985 et, ayant analysé ces faits durant la période non couverte par la prescription, la cour d'appel a fait une exacte application des dispositions de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que le moyen n'est pas fondé :

Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Guyane transit, la société Guyane déménagement et la société Cofranav font grief à l'arrêt de les avoir condamnées, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en se bornant à affirmer que les fonctionnaires et agents français étaient contraints de s'adresser aux entreprises de déménagement spécialisées installées à proximité de leur domicile, pour admettre l'existence de marchés limités, non seulement aux seuls déménagements des fonctionnaires et agents français, mais également à des DOM et TOM déterminés, sans rechercher pour quelles raisons cette clientèle serait dans l'impossibilité de s'adresser à l'entreprise de déménagement de son choix, locale, nationale ou internationale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors d'autre part, que la prohibition des ententes ayant un objet anticoncurrentiel suppose que les pratiques dénoncées portent atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément refusé de rechercher, par une analyse concrète des éléments de fait soumis à son examen, si les pratiques litigieuses portaient effectivement une atteinte sensible au jeu de la concurrence ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt a délimité le marché pertinent en cause en fonction des contraintes géographiques du choix des prestataires, de la spécificité réglementaire, du remboursement des frais de changement de résidence de ces personnels et de la spécialisation des entreprises offrant de tels services ; qu'ayant relevé que pour cette catégorie de déménagement, l'offre et la demande ne peuvent se rencontrer et constituer un marché au sens économique que dans une aire géographiquement délimitée par la proximité de l'entreprise avec laquelle le client entre directement en rapport pour l'évaluation du cubage du mobilier à transporter et l'établissement du devis préalable à l'exécution de la prestation, la cour d'appel n'avait pas à effectuer une recherche que ses constatations rendaient inopérante ;

Attendu, d'autre part, que c'est à l'issue d'une appréciation concrète des éléments économiques soumis à son examen que l'arrêt relève que les pratiques litigieuses ont entraîné un coût moyen pour l'Etat de 70 000 F par déménagement, le chiffre d'affaires global de ces activités étant réparti entre cinquante entreprises spécialisées ; que la cour d'appel a ainsi constaté que ces pratiques avaient porté une atteinte sensible au jeu de la concurrence ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le quatrième moyen qui concerne seulement la société Guyane Transit : - Vu l'article 1842 du Code civil, ensemble l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : - Attendu que pour condamner la société Guyane transit à une sanction pécuniaire de 100 000 F, l'arrêt relève qu'il est établi à l'encontre de la société SOGUDEM " filiale de la société Guyane transit " sa participation habituelle à une entente en vue de la fourniture de devis de complaisance à l'entreprise Guyane déménagement sur le marché de la Guyane, alors qu'elle-même n'effectue pas de déménagements ;

Attendu qu'en se déterminant pas de tels motifs, alors que la société SOGUDEM constitue une personne morale distincte de la société Guyane transit, la cour d'appel a violé les dispositions des textes susvisés ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident de la société FTC, objet d'un pourvoi n° D/93-16.383 distinct ayant donné lieu à un arrêt de ce jour ; rejette les pourvois formés par les sociétés Guyane déménagement et Cofranav ; casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Guyane transit au paiement d'une sanction pécuniaire de 100 000 francs, l'arrêt rendu le 29 avril 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris autrement composée ;