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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 23 mai 1995, n° ECOC9510123S

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société française de transports Gondrand Frères (SA), Déménagements Hubert Fraissex (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bargue

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

Mmes Nerondat, Penichon

Avoué :

SCP Teytaud

Avocat :

Me Genty

CA Paris n° ECOC9510123S

23 mai 1995

Par décision 94-D-51 du 4 octobre 1994 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du déménagement, le Conseil de la concurrence (le conseil) a :

Enjoint au GTE Interdem de cesser d'établir et de diffuser auprès de ses membres les barèmes de prix " de base " ou " minimum conseillés "des déménagements effectués dans le cadre de la sous-traitance ainsi que toute référence à un prix minimum pour la répartition entre le preneur d'ordre et le sous-traitant du prix effectivement perçu par le client ;

Infligé des sanctions pécuniaires d'un montant de :

48 000 F à la SARL AMDT ;

48 000 F à la SA Hubert Fraisseix ;

500 000 F à la SA SFT Gondrand Frères ;

53 000 F à la SARL société d'exploitation Lavai et Fils ;

24 000 F à la SARL Maussire et Reclus ;

14 000 F à la SARL Philippon Transports ;

11 000 F à la SARL Rigal-SDEC ;

53 000 F à la SA Rousseau Père et Fils ;

20 000 F à la SARL Sanzberro ;

24 000 F à la SARL Vachal ;

38 000 F au GIE Interdem ;

7 000 F à la société Marestin ;

Ordonné une mesure de publication.

Au motif de sa décision, le conseil, saisi le 11 juillet 1989 par le ministre de l'économie, a retenu l'existence de pratiques d'ententes illicites, notamment de devis de couverture établis par des entreprises au nom de sociétés concurrentes afin de produire les deux devis exigés par l'administration pour le déménagement des militaires de la gendarmerie.

La société Gondrand Frères et la société Déménagements Hubert Fraisseix ont formé un recours en annulation et en réformation contre cette décision à l'appui duquel elles font chacune valoir un certain nombre de moyens.

La société Fraisseix conteste qu'ait été rapportée la preuve de l'existence de concertations et de pratiques de devis de couverture entre elle-même et la société Bardon dès lors qu'il n'a été retrouvé chez celle-ci aucun document ou papier à en-tête, que certaines mentions manuscrites découvertes sur des devis résultent seulement d'indications livrées oralement par des clients et que, enfin, quatre devis sur cinq sont moins-disants que ceux de l'entreprise Bardon.

Au soutien de son recours qu'elle forme en son nom propre et aux lieu et place des sociétés Bardon et Devaut qu'elle a absorbées le 14 décembre 1991, la société Gondrand invoque une absence de preuve de toute concertation et de toute pratique de devis de couverture.

Elle expose que les entreprises incriminées disposent d'une autonomie commerciale complète et qu'elles ne sauraient se trouver en position d'entente. Elle conteste l'existence d'un préjudice vis-à-vis de l'administration ainsi que, subsidiairement, le montant de la sanction qui n'aurait dû prendre en compte que le chiffre d'affaires de la branche d'activité de déménagement du seul établissement de Limoges et non pas le chiffre d'affaires global de la société.

Aux termes de ses observations écrites qu'il a développées oralement à l'audience, le ministre de l'économie relève que la participation à l'entente de la société Fraisseix ne paraît pas suffisamment établie et conclut en revanche au rejet du recours formé par la société Gondrand.

A l'audience, le représentant du ministère public a oralement développé des conclusions visant au rejet du recours formé par la société Gondrand et à la mise hors de cause de la société Fraisseix.

Sur quoi, LA COUR :

Sur le recours formé par la société Fraisseix :

Considérant que, dans quatre des cinq documents saisis au siège de la société Bardon, les sommes apparaissant au nom de la société Fraisseix sont inférieures aux devis correspondants de la société Bardon ; qu'en l'absence d'éléments suffisamment probants de l'établissement de devis de couverture de la société Bardon au nom de la société Fraisseix pour caractériser une action concertée illicite, il y a lieu d'infirmer la décision en ce qui concerne cette dernière ;

Sur le recours formé par la société Gondrand :

Considérant que la société Gondrand fait d'abord valoir que la découverte de divers documents au sein du groupe Cotrafi s'explique par les différentes fonctions occupées dans ce groupe par M. Laville, qui était à la fois gérant des sociétés Bardon et Devaut et directeur de SFT Gondrand Limoges, ainsi que par l'identité des locaux occupés par les sociétés Bardon et Gondrand ;

Mais considérant que des exemplaires vierges de devis à en-tête de la société Gondrand ont été saisis au siège de l'entreprise Devaut, que les devis établis par ces deux sociétés comportaient tous des abréviations identiques et que les formulaires de notes de frais saisis au siège de l'entreprise Devaut, tous prêts à l'emploi, portaient le cachet humide de l'entreprise Gondrand ;

Considérant que parmi les dossiers saisis au siège des deux entreprises certains concernaient des devis Gondrand de montants inférieurs à ceux de la société Bardon ; que, bien que les deux dossiers concernant chaque client aient chacun mentionné une visite à ce client, seuls ceux détenus par la société Gondrand, moins-disante, comportaient un inventaire détaillé et une base tarifaire identifiable ayant permis d'élaborer le devis ; que pour les dossiers dans lesquels la société Bardon était moins-disante par rapport à la société Gondrand, la situation se trouvait inversée, aucun inventaire ni étude ne figurant alors dans le dossier détenu par la société Gondrand ;

Que ces éléments constituant des présomptions de concertation sont corroborés par les déclarations faites par M. Laville lui-même, qui a reconnu que " pour les militaires qui ont besoin de deux devis, il nous arrive de faire un devis Gondrand et un devis Bardon ; dans ces cas-là nous n'effectuons qu'une seule visite " ;

Considérant qu'invoquant l'autonomie commerciale et financière des sociétés, l'entreprise Gondrand fait valoir que le jeu de la concurrence n'a pas été faussé ;

Mais considérant qu'il convient de rappeler l'étroite imbrication des trois sociétés caractérisée par une identité de leur dirigeant, par une identité des locaux de leurs sièges sociaux et par le fait que le groupe Cotrafi détient à 99 p. 100 la société Bardon, qu'il détient également la société Devaut, laquelle possède une participation dans la société Bardon, et qu'il détient enfin la société SFT Gondrand, qui détient elle-même à 99 p. 100 la société Gondrand Limoges ;

Quel'existence de ces liens juridiques et financiers contredit d'autant plus l'affirmation par la requérante de l'autonomie commerciale, qu'ils ont précisément permis la mise en œuvre des pratiques ci-dessus rappelées ;

Que les trois sociétés choisissant de travailler en émettant des devis distincts et de se présenter comme des entreprises autonomes et concurrentes étaient tenues de respecter les règles de la concurrence excluant qu'elles présentent des soumissions dont l'indépendance n'était qu'apparente ;

Considérant que la requérante, soulignant la vétusté du dispositif réglementaire et la tolérance des services de l'armée vis-à-vis des concertations, fait encore valoir que le déménageur serait amené à établir un devis non pas à partir de critères objectifs, mais à partir de bases de calculs émises par l'instruction interarmées, et ce afin d'éviter soit un surcoût qui resterait à la charge du bénéficiaire du déménagement, soit l'application d'une règle proportionnelle en cas de dépassement du volume ou du poids ;

Mais considérant que ce dispositif réglementaire visant expressément à permettre à l'administration, qui supporte le prix de la prestation, de s'assurer que son bénéficiaire a fait jouer la concurrence par les prix entre un nombre minimum d'offreurs possibles, les entreprises ne peuvent en tout état de cause se prévaloir de l'inefficacité et de la désuétude dudit dispositif, dont elles ont contribué à ruiner les effets par leurs pratiques ;

Que la circonstance que l'administration ait fixé un montant plafond aux remboursements des frais auxquels elle procède est sans influence sur le fait que la concurrence entre les déménageurs ait été faussée par les pratiques incriminées ;

Sur les sanctions :

Considérant que, subsidiairement, la requérante expose que l'assiette de la sanction pécuniaire pouvant être prononcée à son encontre doit reposer sur le seul chiffre d'affaires du secteur du déménagement qui constitue de 1 à 2 p. 100 de son activité, laquelle porte pour l'essentiel sur l'import-export, le transit en douanes et le transport routier ; qu'elle considère en outre que le calcul fait sur cette base ne doit prendre en compte que le chiffre d'affaires du seul établissement de Limoges, lieu des pratiques en cause ;

Mais considérant quel'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui dispose que " le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos " n'opère aucune distinction en ce qui concerne les secteurs d'activité de l'entreprise ;

Que ni ce texte ni le principe de proportionnalité de la sanction ne conduisent à limiter le chiffre d'affaires de référence pour la détermination du maximum de la sanction aux prestations dédiées à une catégorie de clientèle, même si la réglementation spécifique qui s'y rapporte caractérise un marché ;

Que les activités de transport routier, d'import-export, de transit en douanes et de déménagements constituent des activités liées pour certaines telles que le déménagement et le transport routier, et, en tout cas, très voisines les unes des autres ; qu'elles doivent être considérées comme, une même activité, eu égard à la mise en œuvre de techniques et de matériels identiques, voisins ou complémentaires par des personnels de même qualification ;

Considérant que la requérante ne produisant aucun élément de nature à établir que l'établissement Gondrand de Limoges jouirait d'une autonomie technique et commerciale de nature à constituer une entreprise distincte des autres établissements de la société Gondrand, il n'y a pas lieu de limiter l'assiette de la sanction au chiffre d'affaires réalisé par cet établissement ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la société Hubert Fraisseix,

Par ces motifs : Rejette le recours formé par la Société française de transports Gondrand Frères contre la décision n° 94-D-51 du Conseil de la concurrence en date du 4 octobre 1994 ; Réformant la décision attaquée dans ses dispositions concernant la société anonyme Déménagements Hubert Fraisseix, décharge cette société de toute sanction pécuniaire et accessoire ; Rejette la demande formée par la société des Déménagements Hubert Fraisseix sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la Société française de transports Gondrand Frères aux dépens.