CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 26 avril 1994, n° ECOC9410084X
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société pour l'administration du droit de reproduction mécanique des auteurs, compositeurs et éditeurs, Syndicat national de l'édition phonographique
Défendeur :
Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget, France Loisirs (SARL), Dial (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Montanier
Avocat général :
M. Jobard
Conseillers :
Mmes Mandel, Kamara, MM. Albertini, Bargue
Avoué :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Georges, Calvet, Lazarus, Saint-Esteben, SCP Fourgoux, associés.
LA COUR statue sur le recours de la Société pour l'administration du Droit de Reproduction Mécanique des Auteurs, Compositeurs et Editeurs (SDRM) et la demande incidente du Syndicat National de l'Edition Phonographique (SNEP) contre la décision du Conseil de la concurrence n° 93-D-26 du 22 juin 1993 qui, statuant sur l'exécution de sa décision n° 89-D-24 du 4 juillet 1989 leur ayant fait injonction de supprimer toute discrimination de traitement entre la société France Loisirs et le Club Dial dans la fixation du taux de la redevance due à la SDRM, injonction confirmée par arrêt de la cour de céans du 17 janvier 1990, leur a infligé des sanctions pécuniaires fixées à 1 200 000 F pour la première et à 100 000 F pour le second.
Référence faite à cette décision pour l'exposé des faits et de la procédure initiale, seront rappelés les éléments suivants nécessaires à l'examen du recours :
Saisi par lettre du 11 février 1987 de la société France Loisirs de certaines pratiques de la SDRM en matière de fixation du taux de la redevance due par disque ou par cassette, le Conseil de la concurrence a, aux termes de sa décision n° 89-D-24 du 4 juillet 1989, relevé qu'à la suite de la signature du protocole d'accord du 20 décembre 1976 entre la SDRM et le SNEP dont le bénéfice a été refusé à la société France Loisirs cette dernière supportait indirectement, par le biais des producteurs de phonogrammes, un taux de 9,5 p 100, tenant compte d'un rabais forfaitaire négocié dans le cadre des accords conclus entre le Bureau International des Sociétés Gérant les Droits d'Enregistrement et de Reproduction Mécanique et la Fédération Internationale des Producteurs de Phonogrammes (BIEM-IFPI), tout autre rabais consenti par le producteur étant inopposable à la SDRM, alors que le Club Dial supportait directement un taux de redevance de 7,40 p 100, en sorte que la redevance acquittée par les producteurs fournissant la société France Loisirs se situait en moyenne aux alentours de 4,03 F par phonogramme, tandis que celle acquittée par le Club Dial était de 2,74 F ; qu'il en résultait une différence de traitement quant au montant de la redevance perçue par la SDRM selon que les phonogrammes étaient commercialisés par la société France Loisirs ou le Club Dial ; qu'ainsi l'entente réalisée par la SDRM et le SNEP lors de la conclusion du protocole du 20 décembre 1976 créait une discrimination de traitement entre la société France Loisirs et le Club Dial, qui limitait la capacité concurrentielle de la société France Loisirs en renchérissant de façon artificielle le coût de la redevance payée pour les disques identiques à ceux distribués sur le même marché par le Club Dial ; que ces pratiques tombaient sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
En conséquence, le conseil a infligé une sanction pécuniaire de 200 000 F à la SDRM et de 1 000 000 F au SNEP et leur a fait injonction de supprimer, dans un délai de six mois, toute discrimination de traitement entre la société France Loisirs et le Club Dial.
Par arrêt du 17 janvier 1990, la cour de ce siège, saisie des recours formés à l'encontre de cette décision par le SNEP, la SDRM et la société France Loisirs, retenant que la discrimination issue de l'application du protocole du 20 décembre 1976 faisait supporter à France Loisirs un coût de redevance supérieur, sur les mêmes objets, à celui demandé à son concurrent le Club Dial, que l'entente avait donc bien eu un objet et un effet anticoncurrentiels, et que le traitement discriminatoire était issu seulement de l'entente entre la SDRM et le SNEP et non de l'abus par la SDRM de sa position dominante, a rejeté lesdits recours et accordé aux parties auxquelles le Conseil de la concurrence avait enjoint de supprimer toute discrimination de traitement entre la société France Loisirs et le Club Dial un délai supplémentaire de trois mois pour s'y conformer.
Aux termes d'un arrêt prononcé le 5 novembre 1991, la Cour de Cassation a rejeté les pourvois formés par la SDRM et le SNEP à l'encontre de l'arrêt précité.
Saisi par lettre du 26 septembre 1991 du ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, du dossier relatif à l'exécution de la décision n° 89-D-24 du 22 juin 1993, le Conseil de la concurrence a, par la décision n° 93-D-26 actuellement critiquée, estimé que, nonobstant la résiliation du protocole du 20 décembre 1976 avec effet au 1er avril 1990 la SDRM et le SNEP ne s'étaient pas conformés à la décision du conseil et à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris aux motifs que :
- le SNEP, en ayant dès le 16 juillet 1990 informé la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes qu'il n'avait plus l'intention de s'engager dans la discussion d'un accord avec la SDRM s'appliquant aux entreprises concernées, a refusé de prendre une part active à la cessation des discriminations en cause en dépit de la décision du Conseil de la concurrence et de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris susvisés, notamment en ne prenant aucune initiative en ce sens auprès des éditeurs de phonogrammes ;
- si la résiliation du "protocole clubs" a eu pour conséquence de rétablir une égalité juridique de traitement entre la société Dial et la société France Loisirs, du fait du retour aux accords conclus en 1975 par le Bureau international des sociétés gérant le droit d'enregistrement et de reproduction mécanique et par la Fédération internationale des producteurs de phonogrammes, une telle décision n'a pas empêché la persistance d'une situation inégalitaire sur le plan de la concurrence, en défaveur de la société France Loisirs ; qu'en effet, les sociétés Dial et France Loisirs se sont vu appliquer tout au long de l'année 1990 des régimes différents de redevance ; que la société Dial a supporté un taux de redevance de 7,40 p 100 dont l'assiette correspond au prix moyen résultant de la division du montant du chiffre d'affaires par le nombre de phonogrammes sortis des stocks, alors que la société France Loisirs, qui continuait à être regardée comme distributeur, a supporté un taux de redevance de 9,50 p 100 dont l'assiette correspondait aux prix catalogue des producteurs, quel que soit le rabais que ceux-ci accordaient à cette société ;
- la société France Loisirs a continué en 1990 de verser cette redevance par l'intermédiaire de ses fournisseurs au moment de l'achat de ses phonogrammes, alors que la société Dial s'en est acquittée directement auprès de la SDRM, comme si le "protocole clubs" n'avait pas été résilié ;
- en conséquence c'est à tort que la SDRM et le SNEP ont affirmé que la résiliation du "protocole clubs", entrée an vigueur avant l'expiration du délai prescrit, entraînait à elle seule la suppression de la discrimination de traitement mise en cause dans la décision du Conseil de la concurrence, puis par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris susvisés ; en admettant même que cette discrimination ait pris fin où doive prendre fin du fait de la signature par les sociétés Dial et France Loisirs de contrats (bipartites ou tripartites) s'appuyant sur des modèles proposés par la SDRM, cette circonstance est sans effet sur l'appréciation que doit porter le Conseil de la concurrence sur le point de savoir si l'injonction ordonnée par lui a été respectée dès lors que ces contrats n'ont pas été conclus avant l'expiration du délai fixé pour exécuter l'injonction du Conseil de la concurrence ; a fortiori, il ne saurait être tenu compte de contrats intervenus postérieurement à la saisine par le ministre du Conseil de la concurrence. "
Le conseil a en conséquence infligé des sanctions pécuniaires de 1 200 000 F à la SDRM et de 100 000 F au SNEP et ordonné la publication, dans un délai de deux mois à compter de la notification de sa décision, du texte intégral de celle-ci dans le journal Les Echos et la revue Diapason, aux frais des deux organismes précités et à proportion des sanctions pécuniaires prononcées.
Il a été procédé aux publications ordonnées dans le journal Les Echos du 13 août 1993 et la revue Diapason du mois de septembre 1993.
Par déclaration déposée au greffe de la cour le 12 août 1993, la SDRM a formé un recours tendant au principal à l'annulation de cette décision et, subsidiairement, à sa réformation en ce qu'elle lui a infligé une sanction de 1 200 000 F.
Au soutien de son recours, la SDRM prétend que la décision du conseil encourt l'annulation en ce que :
- la procédure ayant conduit à l'élaboration de la décision est viciée, le rapporteur général et le rapporteur ayant nécessairement participé au délibéré en application des dispositions de l'article 25, alinéa 4, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, alors que ces dispositions portent atteinte aux droits de la défense en violant le principe d'" égalité des armes " consacré par l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales ;
- l'injonction résultant de la décision n° 89-D-24 du Conseil et de l'arrêt de la cour d'appel du 17 juin 1990 a été respectée ; dès lors, la décision querellée est entachée d'un vice de procédure puisque le conseil, en constatant, à tort d'ailleurs, l'existence d'une discrimination en dépit de la résiliation du protocole de 1976, a nécessairement sanctionné une infraction nouvelle, distincte du non-respect de l'injonction ;
- la situation ayant prévalu entre la date de résiliation du protocole et l'entrée en vigueur, courant 1993, de contrats bipartites et tripartites instaurant un régime uniforme de redevances n'a donné lieu à aucune discrimination au détriment de France Loisirs ; en tout état de cause, l'entrée en vigueur de ces accords avec effet rétroactif au 1er avril 1990 a supprimé toute discrimination.
Subsidiairement, la SDRM allègue que la décision doit être réformée dans la mesure où la sanction qui lui a été infligée est excessive eu égard à la bonne foi manifeste dont elle a fait preuve pour la mise en place du nouveau régime de calcul du taux de la redevance applicable aux clubs de vente de phonogrammes, conforme aux exigences du droit de la concurrence.
Le SNEP, qui n'a pas formé de recours incident, demande après sa mise en cause d'office l'annulation de la décision déférée en ce qu'elle a relevé à son encontre une inexécution de l'injonction contenue à la décision n° 89-D-24 et le remboursement par l'Etat des frais de publication par lui engagés à concurrence de la somme de 13 160,77 F. Il fait valoir que seule la résiliation du protocole de 1976 lui incombait, qu'il y a procédé dans les délais impartis et qu'il ne lui appartenait pas de négocier un nouvel accord applicable aux clubs de vente de phonogrammes, une telle négociation excédant son objet statutaire limité à la défense des éditeurs de phonogrammes ainsi que de leurs distributeurs exclusifs.
La société France Loisirs, intervenante, conclut à la nullité du recours de la SDRM en ce qu'il a été déposé par Hugues Calvet, lequel n'avait pas la qualité d'associé de la SCP d'avocats Sales-Vincent-Georges à laquelle la SDRM avait donné mandat de la représenter. Subsidiairement, elle requiert la confirmation de la décision entreprise au motif que, malgré la résiliation du protocole de 1976, la SDRM a maintenu un recouvrement discriminatoire de la redevance dans son quantum et ses modalités, favorisant le Club Dial, et ce bien que France Loisirs n'ait cessé de réclamer les mêmes conditions que Dial en attendant l'hypothétique conclusion d'un contrat propre aux clubs. Elle prie enfin la cour, en cas d'annulation de la décision du conseil pour vice de procédure, d'évoquer l'examen des conditions d'exécution par la SDRM et le SNEP des injonctions prononcées à son encontre.
La société Dial, mise en cause, conteste avoir bénéficié d'un avantage discriminatoire au préjudice de France Loisirs. Elle précise que, pendant la période transitoire de mise en place des contrats tripartites, elle a payé des " à valoir " à régulariser rétroactivement au 1er avril 1990 ; que c'est à la demande de France Loisirs que la mise en place du nouveau système a du être repoussée pour des raisons techniques ; qu'enfin elle-même a fait tout ce qui était en son pouvoir pour que le nouveau régime s'instaure le plus tôt possible.
Dans ses observations écrites, le ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, estimant que l'article 25, alinéa 4, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'est pas incompatible avec la déclaration européenne des droits de l'homme, que l'abrogation du protocole de 1976 n'a nullement supprimé la discrimination de traitement entre Dial et France Loisirs, objet de l'injonction faite par le conseil et adoptée par la cour, et que le montant de la sanction est justifié à raison de la gravité attachée au refus d'exécution de l'injonction, se prononce an faveur de la confirmation de la décision.
Le Conseil de la concurrence soutient, dans ses observations écrites, que la présence du rapporteur général et du rapporteur au cours du délibéré ne rend pas la procédure irrégulière.
Le ministère public conclut à la confirmation de la décision.
Sur quoi, LA COUR :
I - Sur les moyens de procédure
A - Sur la nullité du recours de la SDRM
Considérant qu'aux termes de l'article 132 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, lorsqu'il exerce ses activités professionnelles en qualité de collaborateur, l'avocat indique, outre son propre nom, le nom de l'avocat pour le compte duquel il agit ;
Qu'en l'espèce, et alors que ni l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ni le décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 relatif aux recours exercés devant la Cour d'appel de Paris contre les décisions du Conseil de la concurrence n'exigent un pouvoir spécial du mandataire, M. Hugues Calvet, avocat au barreau de Paris, a valablement déposé, au nom de la SCP Sales-Vincent-Georges, dont il est le collaborateur et pour le compte de laquelle il a indiqué agir, le recours de la SDRM.
B - Sur la nullité de la procédure devant le conseil
Considérant que les prescriptions de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme s'appliquent aux sanctions de caractère répressif prononcées par le Conseil de la concurrence en application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Que toutefois, ainsi que l'a jugé la Cour Européenne des Droits de l'Homme, l'intervention préalable dans la procédure d'organes administratifs corporatifs ou juridictionnels ne respectant pas dans leur intégralité les prescriptions de forme du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention peut être justifiée par des impératifs de souplesse et d'efficacité, dès lors que les décisions subissent le contrôle effectif d'une juridiction d'appel répondant à toutes las exigences de la convention ;
Que, par suite, la présence au délibéré du Conseil de la concurrence sans voix délibérative du rapporteur général et du rapporteur, prévue par l'article 25, alinéa 4, de l'ordonnance précitée, à la supposer contraire aux exigences du texte européen, ne saurait entacher de nullité la décision prononcée alors qu'est ouvert à son encontre un recours de pleine juridiction devant la cour de ce siège soumise aux protections édictées par la convention, spécialement en ce qui concerne les principes de l'égalité des armes et de la participation à son délibéré des seuls magistrats du siège la composant;
II - Sur les moyens de fond
A - Sur l'exécution de l'injonction
Considérant qu'il est rappelé qu'en application du protocole conclu le 20 décembre 1976 entre la SDRM et le SNEP la société Club Dial achetait des phonogrammes hors redevance et acquittait directement cette dernière à la SDRM au taux de 7,4 p 100 sur le prix de détail, alors que la société France Loisirs, qui ne bénéficiait pas des dispositions de ce protocole, se fournissait auprès de producteurs de phonogrammes, redevance incluse, et supportait indirectement, via cas producteurs, une redevance au taux de 9,5 p 100 sur le prix catalogue de ces producteurs ;
Que par sa décision n° 89-D-24 du 4 juillet 1989, le Conseil de la concurrence a retenu que l'entente réalisée par la SDRM et le SNEP, lors de la conclusion et de l'application du protocole du 20 décembre 1976, créait une discrimination de traitement entre la société France Loisirs et le Club Dial, limitant la capacité concurrentielle de la première en renchérissant de façon artificielle le coût de la redevance payée pour les disques identiques à ceux distribués sur le même marché par le second ; qu'il a en conséquence enjoint à la SDRM et au SNEP de supprimer, dans un délai de six mois, toute discrimination de traitement entre la société France Loisirs et le Club Dial ;
Que rejetant le recours formé contre cette décision et prolongeant de trois mois, soit jusqu'au 18 avril 1990, le délai accordé pour exécuter l'injonction, la cour de céans a, aux termes de son arrêt du 17 janvier 1990, énoncé que les pratiques illicites en cause sont nées de l'application conjointe par la SDRM et le SNEP du protocole d'accord convenu entre eux et que le traitement discriminatoire est donc issu seulement de l'entente et non de l'abus par la SDRM de sa position dominante ;
Qu'en statuant ainsi le conseil puis la cour ont nécessairement ordonné à la SDRM et au SNEP non seulement de résilier juridiquement le protocole, mais encore de cesser de l'appliquer ;
Considérant que si la société d'Auteurs et le syndicat ont, à la suite de réunions et d'un échange de correspondance entre le 14 mars et le 18 avril 1990, décidé de résilier le Protocole Clubs, à compter du 1er avril 1990, les dispositions inégalitaires au regard du régime de redevance résultant des dispositions du protocole incriminé ont continué à être appliquées au cours de l'année 1990, en dépit de l'accord en vue de sa résiliation ;
Qu'en effet, ainsi que l'a exactement relevé le conseil, la société France Loisirs a été contrainte en 1990 de verser un taux de redevance de 9,50 p. 100 dont l'assiette correspondait aux prix catalogue des producteurs, quel que fût le rabais que ceux-ci lui accordaient, tandis que la société Dial a supporté un taux de redevance de 7,40 p. 100 sur la base d'une assiette égale au prix moyen résultant de la division du montant du chiffre d'affaires par le nombre de phonogrammes sortis des stocks, cette pratique s'étant d'ailleurs poursuivie jusqu'à l'entrée en vigueur en 1992 et 1993 de contrats bipartites et tripartites respectant les règles de la concurrence ;
Qu'il s'ensuit que la discrimination litigieuse a persisté, au-delà du terme fixé, dans les conditions mêmes où elle a été sanctionnée et auxquelles il devait être mis fin ;
Qu'en conséquence, en condamnant ces pratiques discriminatoires, le conseil n'a pas sanctionné une nouvelle infraction, mais le seul défaut d'exécution de l'injonction ;
Considérant que les pratiques susmentionnées d'application de taux de redevance différents à la société France Loisirs et au Club Dial ont été définitivement jugées discriminatoires par les décisions précitées du conseil, de la présente juridiction et de la Cour de cassation ; que c'est donc vainement que la SDRM tente de démontrer qu'elles ne sont pas anticoncurrentielles ;
Considérant que la mise au point par la SDRM d'un modèle de contrat bipartite signé le 19 juin 1992 par la société Dial et le 17 juillet 1992 par la société France Loisirs, puis d'un cadre de contrat tripartite la réunissant au producteur fournisseur des enregistrements et au club phonographique en tant qu'exploitant des enregistrements du producteur, à compter du 1er juillet 1993, ainsi que la régularisation rétroactive au 1er avril 1990 des redevances exactement dues, entraînant le remboursement au profit de la société France Loisirs d'environ 3 millions de francs de redevances trop-perçues, n'ont pas supprimé l'inexécution de l'injonction par la SDRM et le SNEP ; qu'en effet, au lieu d'adopter un régime transitoire non discriminatoire jusqu'à la conclusion des accords bipartites et tripartites, et de s'assurer qu'il était effectivement mis fin à l'application des règles issues du protocole du 20 décembre 1976, les deux entreprises se sont soustraites à l'ordre qui leur était donné et ont poursuivi ou permis de poursuivre l'application des dispositions du protocole anticoncurrentiel, le SNEP ayant même dès le 16 juillet 1990 informé la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes qu'il n'avait plus l'intention de s'engager dans la discussion d'un accord avec la SDRM s'appliquant aux sociétés concernées ;
Considérant, en définitive, qu'après l'annulation du protocole, l'adoption et l'application d'un régime intermédiaire non discriminatoire étaient nécessaires à l'exécution des injonctions ;
Que c'est donc à bon droit que le conseil a jugé que la SDRM et le SNEP ne s'étaient pas conformés à sa décision et à l'arrêt de la cour.
B - Sur la proportionnalité de la sanction
Considérant qu'en cas de non-respect des injonctions prévues aux articles 12 et 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné ;
Considérant qu'en l'espèce la SDRM qui, certes, a continué à appliquer postérieurement au 18 avril 1990 les dispositions du protocole illicite, l'a néanmoins résilié à effet du 1er avril 1990 et a, dès cette époque et jusqu'en 1993, multiplié les réunions et les échanges de correspondance pour parvenir à la conclusion des contrats bipartites et tripartites ainsi qu'à la régularisation rétroactive du paiement de la redevance ;
Qu'ainsi la gravité de sa faute est tempérée par les obstacles rencontrés au cours des négociations avec ses nombreux interlocuteurs, notamment les producteurs de phonogrammes ;
Qu'en ce qui le concerne, le SNEP a refusé de prendre une part active à la cessation des discriminations en cause ; que, toutefois, il n'est pas contesté qu'il n'entrait pas dans l'objet défini par ses statuts de négocier un nouvel accord avec les clubs de vente de phonogrammes ;
Que sa faute réside donc dans un défaut de vérification de la suppression des effets du protocole dont il avait été signataire ;
Considérant que le dommage causé à l'économie résulte de la permanence du régime discriminatoire qui a maintenu le renchérissement artificiel de la redevance limitant la capacité concurrentielle sur le marché des phonogrammes ;
Considérant enfin que le chiffre d'affaires hors taxes de la SDRM s'est élevé à 1 256 000 000 F en 1991, et que le montant des cotisations perçues par le SNEP s'est chiffré à 10 692 176,17 F en 1992, derniers exercices connus ;
Considérant qu'au regard de l'ensemble de ces éléments la sanction pécuniaire prononcée par le conseil apparaît disproportionnée à l'encontre de la SDRM, à l'égard de laquelle elle sera réduite à 500 000 F mais justifiée envers le SNEP ;
Considérant dès lors, en ce qui concerne le SNEP, que les demandes qu'il a formées en qualité de mis en cause et dont la recevabilité est contestable sont en tout cas mal fondées et ne peuvent être accueillies.
Par ces motifs : Confirme la décision n° 93-D-26 du 22 juin 1993 du Conseil de la concurrence, sauf en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire prononcée contre la Société pour l'administration du Droit de Reproduction Mécanique des Auteurs, Compositeurs et Editeurs (SDRM) ; Infirmant de ce chef, inflige à la SDRM une sanction pécuniaire de 500 000 F ; Rejette toutes autres demandes ; Met les dépens à la charge du Trésor public.