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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 9 avril 1990, n° ECOC9010053X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Concurrence (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hannoun (faisant fonction)

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

MM. Canivet, Bargue

Avocats :

Mes Bremond, Sitruk.

CA Paris n° ECOC9010053X

9 avril 1990

La cour est saisie, sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, d'un recours formé par la société Concurrence SA contre une décision numéro 90-MC-02, prononcée le 6 mars 1990 par le Conseil de la concurrence qui a rejeté la demande de mesures conservatoires présentée le 30 janvier 1990 par ladite société.

Référence étant faite à cette décision pour l'énoncé des faits et des demandes, il convient de rappeler les éléments essentiels suivants :

Le Conseil de la concurrence instruit actuellement trois procédures au fond, dirigées contre la société J.V.C. Vidéo France, dont il a été saisi par la société Concurrence successivement les 11 février 1987, 30 mai 1988 et 19 avril 1989.

Accessoirement à la dernière saisine, il a reçu une demande tendant au prononcé de treize mesures conservatoires qu'il a rejetée par une décision numéro 89-MC-11 prononcée le 30 mai 1989 qui n'a pas fait l'objet de recours.

La requête ayant donné lieu à la décision soumise à la cour, se rattachant aux trois saisines susvisées, reprend pour partie les demandes précédemment écartées et vise à la suspension, pendant la durée des instances au fond, de certaines clauses des conditions générales de vente de la société JVC Vidéo France ou de l'application qu'elle en fait, relatives aux remises qualitatives et quantitatives, aux achats groupés, aux remises de gammes et aux conditions de revente à d'autres distributeurs.

A l'appui de son recours, la société Concurrence réitère les prétentions et moyens déjà soumis au Conseil de la concurrence, aux termes desquels les pratiques qu'elle dénonce et qui, selon elle, entrent dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et sont manifestement illicites, portent une atteinte grave et immédiate à son entreprise par les importantes pertes d'exploitations qu'elles lui causent.

La société JVC Vidéo France conclut à l'irrecevabilité du recours qui, prétend-elle, comprend des demandes non exposées dans la requête initiale et, au fond, soutient que les conditions d'application de l'article 12 de l'ordonnance précitée ne sont pas réunies tant en ce qui concerne l'illicéité des stipulations et pratiques dénoncées que leur lien de causalité avec l'atteinte alléguée.

S'en remettant à la cour sur l'existence d'une corrélation entre l'atteinte invoquée qu'il apprécie grave et immédiate et les pratiques imputées à la société JVC Vidéo France, le ministre de l'économie, des finances et du budget estime que pourraient être suspendues les clauses des conditions générales de vente qui interdisent les remises quantitatives aux groupements de magasins sans enseigne commune ainsi que les remises qualitatives en cas de revente à d'autres distributeurs et, enfin, que pourrait être ordonnée l'interruption des pratiques consistant à supprimer les remises quantitatives, lorsque la totalité des commandes ne sont pas satisfaites pour cause de pénurie.

Sur quoi la cour :

Considérant que, bien qu'exprimées différemment que dans sa requête au conseil, les demandes faites à la cour par la requérante visent aux mêmes fins ; que dès lors le moyen d'irrecevabilité soulevé par la société JVC Vidéo France doit être rejeté ;

Considérant qu'aux termes de l'article 12, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les mesures conservatoires sollicitées ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt du consommateur ou à l'entreprise plaignante ;

Considérant que ce texte subordonne les mesures protectrices qu'il organise à la constatation de faits manifestement illicites constitutifs de pratiques prohibées par les articles 7 et 8 de l'ordonnance précitée et auxquels il faudrait mettre fin sans délai pour prévenir ou faire cesser un préjudice grave et certain;

Considérant, en outre, que les mesures demandées qui entravent la liberté du commerce et de l'industrie doivent être strictement limitées, tant dans leur objet que dans leur durée, à. ce qui est nécessaire pour corriger une atteinte manifeste et intolérable à l'exercice de la libre concurrence;

Considérant que la société Concurrence entend justifier de l'atteinte grave et immédiate qu'elle invoque, par la dégradation de ses résultats financiers qui, au cours de l'exercice 1989, ont enregistré une baisse de son chiffre d'affaires de 21 p. 100, les ventes d'appareils vidéo ayant chuté de 18,6 p- 100, et des pertes d'exploitation de 165 000 F alors que l'exercice précédent était bénéficiaire de plus de 1 200 000 F, cette régression s'étant accélérée au début de l'année 1990 ;

Qu'elle prétend imputer cette situation aux conditions générales de vente, prétendument discriminatoires et manifestement illicites, que lui impose la société J.V.C. Vidéo France, à l'égard de laquelle elle doit être en état de dépendance économique ;

Mais considérant qu'ainsi que l'a pertinemment relevé le Conseil de la concurrence, il n'est pas établi que la baisse d'activité dont se plaint la société requérante soit la conséquence directe des conditions générales de vente pratiquées par la société JVC Vidéo France;

Qu'en effet ladite société déclare ne pas s'opposer à exécuter les commandes de la société Concurrence et lui consentir les remises auxquelles elle peut légitimement prétendre mais qu'un différend les oppose sur l'usage détourné qu'entendrait faire cette dernière des dispositions de leur contrat de coopération commerciale, afin de constituer à son profit des conditions abusivement avantageuses et discriminatoires à l'égard des distributeurs concurrents ;

Qu'au surplus la part modeste des produits de marque JVC dans le chiffre d'affaires de la société requérante, antérieurement au litige, s'oppose à ce que le défaut d'approvisionnement invoqué, quelle qu'en soit la raison, puisse influer de manière significative sur les désordres commerciaux allégués ;

Qu'enfin, s'il n'est pas contestable que la marque dont il s'agit bénéficie d'une certaine notoriété, il n'est pas pour autant établi que le société Concurrence, comme de nombreux autres distributeurs de produits " vidéo", ne puisse trouver des solutions équivalentes, au moins pour sauvegarder en l'état son activité commerciale ;

Considérant que, si, ainsi que le fait observer le ministre de l'économie, des finances et du budget, certaines de ces clauses peuvent avoir un effet anticoncurrentiel, les moyens de défense sérieux invoqués par la société JVC Vidéo France sur chacun des nombreux points de contestation soulevés par son adversaire s'opposent à ce que les clauses litigieuses soient tenues pour manifestement illicites ;

Considérant que, de ce qui précède, il résulte que les conditions de mise en œuvre des dispositions de l'article 12, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne sont pas réunies et que, dès lors, il n'y a pas lieu au prononcé de mesures conservatoires ;

Par ces motifs : Rejette le recours ; Condamne la requérante aux dépens.