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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 30 mars 2000, n° ECOC0100089X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France Télécom (SA)

Défendeur :

9 Télécom (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Conseillers :

Mmes Pinot, Bregeon

Avoués :

SCP Jobin, Me Huyghe

Avocats :

Mes Lucas de Leyssac, Morgan de Rivery.

CA Paris n° ECOC0100089X

30 mars 2000

La société 9 Télécom Réseau, opérateur de télécommunications et fournisseur d'accès à Internet a par lettre du 29 novembre 1999, saisi le Conseil de la concurrence (le conseil) des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le cadre du développement de la technologie Asymetric Digital Subscriber Ligne (ci-après ADSL) et notamment du refus de cette entreprise de lui fournir une offre d'interconnexion en mode ATM (Asynchronus Transfer Mode), contraires, selon elle, aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et à celles de l'article 82 du Traité CE.

Accessoirement à cette saisine au fond, la société 9 Télécom Réseau a demandé au conseil d'enjoindre à France Télécom, sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance précitée :

" - de ne pas étendre géographiquement ses offres xDLS par rapport à celles autorisées par le Ministre de l'économie, dans sa décision d'homologation du 12 juillet 1999 en réponse à la demande d'homologation tarifaire de France Télécom, qui visait les six premiers arrondissements de Paris, ainsi que les communes d'Issy-les-Moulineaux, de Vanves et de Neuilly-sur-Seine, ou d'interrompre des offres si elles ont été étendues avant que le conseil n'ait pu se prononcer sur la présente demande de mesures conservatoires, et ce tant que France Télécom ne respecte pas les conditions prévues par l'ART dans son avis n° 99-582, à savoir :

- une offre d'interconnexion ATM correspondant à l'option 3 retenue dans la consultation publique de l'ART (telles que détaillées dans la lettre de 9 Télécom du 14 septembre 1999) : et

- une offre conforme à l'option 1 de la consultation publique permettant aux opérateurs tiers qui le souhaitent de débuter les tests d'option 1 à partir du 1er juin 2000, et d'obtenir sans délai de France Télécom pour ces tests, les informations techniques nécessaires telles que précisées dans la lettre de 9 Télécom du 5 novembre 1999 ".

Par décision n° 00-MC-01 du 18 février 2000 le conseil a enjoint à la société France Télécom de proposer aux opérateurs tiers, dans un délai maximum de huit semaines à compter de la notification de sa décision, une offre technique et commerciale d'accès au circuit virtuel permanent pour la fourniture d'accès à Internet à haut débit par la technologie ADSL ou toute autre solution technique et économique équivalente permettant aux opérateurs tiers l'exercice d'une concurrence effective, tant par les prix que par la nature des prestations offertes.

La société France Télécom a formé un recours, par voie d'assignation à l'audience du 14 mars 2000, aux fins d'annulation de cette décision et de condamnation de la société 9 Télécom à payer à la requérante la somme de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A l'appui de sa demande, elle fait valoir :

- que en violation des dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le conseil a prononcé des mesures conservatoires qui ne sont pas celles demandées.

- que l'injonction prononcée ne répond pas aux exigences posées par la jurisprudence puisqu'elle est imprécise quant à son contenu et quant à son exécution.

- que les mesures prononcées sont soit techniquement impossibles, soit économiquement insatisfaisantes,

- que le conseil a renversé la charge de la preuve en se comportant comme un régulateur du marché et non comme un régulateur de la concurrence,

- que le conseil n'a pas démontré une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante.

La société 9 Télécom Réseau, par des écritures en date du 10 mars 2000, demande à la cour de " confirmer " la décision déférée et de condamner la société France Télécom à lui verser une indemnité de 100 000 F au titre de ses frais irrépétibles.

Le conseil, par lettre du 10 mars 2000, a fait valoir ses observations.

Le ministre de l'Économie et le ministère public ont été entendu en leurs observations orales tendant au rejet du recours.

La requérante a eu la parole en dernier.

Sur ce, LA COUR

Considérant, à titre préliminaire, que la critique faite par la société France Télécom de la délimitation du marché pertinent à laquelle a procédé le conseil est sans portée dès lors qu'il n'est invoqué, à ce sujet, aucun moyen d'annulation ;

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 12 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 que le Conseil de la concurrence peut prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées par le ministre de l'économie, par les personnes mentionnées au deuxième alinéa de l'article 5 ou par les entreprises ; que ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante qu'elles peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur et qu'elles doivent être strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ;

Considérant, en premier lieu, même s'il est vrai que le conseil n'a pas prononcé d'injonctions dans les termes employés par la société requérante, qu'il n'est pas sérieusement contestable que la mesure ordonnée correspondait à l'une des demandes formulées par la société 9 Télécom Réseau ; qu'en effet, cette dernière, dénonçant divers abus de la société France Télécom, a sollicité, outre l'imposition d'un calendrier destiné à encadrer la mise en œuvre de l'option 1 (dégroupage), la suspension des offres de France Télécom en l'absence d'offres d'option 3 ; qu'après avoir pris acte des engagements de France Télécom, lors d'une réunion organisée par l'Autorité de régulation des télécommunications (l'ART) postérieurement à la plainte de 9 Télécom, visant à définir, dans le cadre d'un calendrier convenu, les diverses opérations devant conduire au dégroupage effectif de la paire de cuivre à la fin de l'année 2000, le conseil a, d'une part, constaté que la demande relative à l'accès à la boucle locale (option 1) avait été satisfaire par le calendrier de travail établi par l'ART en concertation avec les opérateurs et accepté par France Télécom, d'autre part recherché la mesure la plus efficace, et la moins contraignante, sans modifier la demande initiale dans son principe et sa finalité, pour parvenir à l'objectif voulu, savoir, mettre fin au refus de France Télécom de permettre aux opérateurs concurrents d'assurer leur présence sur le marché de la fourniture de services de transmission à haut débit en commercialisant des offres diversifiées et innovantes :

Qu'appréciant ainsi la portée des mesures sollicitées et en les limitant à ce qui était strictement nécessaire, le conseil n'a fait qu'appliquer les dispositions de l'article 12 susvisé ;

Considérant, en deuxième lieu, que le conseil, dont la mission n'est pas de se substituer à l'opérateur pour définir les éléments techniques de l'accès réclamé, a enjoint à France Télécom de présenter, dans un délai de huit semaines, une offre technique et commerciale d'accès au circuit virtuel permanent pour la fourniture d'accès à Internet à haut débit par la technologie ADSL ; que l'injonction telle qu'elle est indiquée au dispositif de la décision du conseil est précise, claire et dépourvue de toute ambiguïté ;

Qu'aucune imprécision n'existe quant à son exécution, et plus précisément quant au point de savoir qui sera le juge du caractère satisfactoire et " équivalent " de l'autre solution, dès lors que, par application des dispositions de l'article 13, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le conseil, auquel est reconnu le pouvoir d'infliger une sanction pécuniaire en cas d'inexécution d'une injonction, est le " juge " de l'exécution des injonctions qu'il prononce, sans qu'il est besoin de le préciser dans la décision relative à l'injonction ;

Que, par ailleurs, l'exécution de la mesure ordonnée n'est pas, en elle-même, subordonnée à la décision d'une autorité tierce, l'homologation tarifaire du ministre de l'économie exigée par l'article 17-2 du cahier des charges de France Télécom, mise en avant par celle-ci, n'intervenant que postérieurement à la définition et à la proposition de l'offre commerciale qui lui est enjoint d'effectuer ;

Considérant, en troisième lieu, que le conseil a relevé, dans sa décision, (page 7, dernier alinéa, et page 8 premier alinéa) que " France Télécom n'a pas estimé que l'accès au circuit virtuel permanent soit techniquement impossible, mais a soutenu qu'une telle offre ne pouvait se faire qu'à un coût économique élevé ; qu'elle n'a toutefois apporté aucun élément précis étayant cette affirmation ; qu'elle ne l'avait pas fait davantage auparavant, en réponse à la demande formulée par 9 Télécom ; que, dans son avis, l'ART relève que si " selon les indications fournies, par ailleurs, par France Télécom à l'Autorité, les coûts de mise en œuvre d'une telle offre, sur la vase de l'architecture ADSL existante, se situeraient à un niveau tel qu'ils ne permettraient pas aux opérateurs de fournir de service ADSL dans des conditions économiques équivalentes à celles de France Télécom sur le marché visé, à ce stade, les évaluations menées par l'Autorité sur la base des données dont elle dispose, ne permettent pas de s'assurer de l'exactitude des conclusions de France Télécom " ;

Que France Télécom, qui se borne à soutenir que les mesures prononcées sont soit techniquement impossibles, soit économiquement insatisfaisantes, n'articule aucun moyen d'annulation ;

Qu'au demeurant, " l'analyse maison " qu'elle fournit à l'appui de ses affirmations est en contradiction avec ses propres écritures aux termes desquelles elle indique n'avoir " pas rapporté la preuve du caractère techniquement impossible ou économiquement insatisfaisant de l'option 3 en raison des délais extrêmement brefs qui encadrent la procédure de mesures conservatoires " ;

Considérant, en quatrième lieu, contrairement à ce que la requérante prétend, que le conseil n'a pas inversé la charge de la preuve en s'appuyant sur l'avis de faisabilité rendu par l'ART pour prononcer l'injonction discutée ; que la société 9 Télécom ajoute dans ses écritures que les demandes contenues dans ses courriers et reprises par le conseil correspondent aux caractéristiques offertes à l'étranger, faisant notamment état de ce qu'une telle offre d'interconnexion ATM existe en Espagne, en Italie ou en Angleterre, ce que la société France Télécom ne discute pas ;

Considérant, enfin, que le conseil a justifié sa décision au regard de l'exigence d'atteinte grave et immédiate à la concurrence en relevant que la restriction de concurrence dénoncée intervenant au moment du lancement de l'innovation revêt un caractère grave et immédiat; que cette atteinte à la concurrence affecte tant l'économie du secteur intéressé que l'intérêt des consommateurs et celui de l'entreprise plaignante;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la décision déférée n'est entachée d'aucune nullité ; que le recours exercé par la société France Télécom doit, en conséquence, être rejeté ;

Considérant que ni l'équité ni la situation économique des parties ne commandent de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Rejette le recours formé par la société France Télécom contre la décision du Conseil de la concurrence n° 00-MC-01 du 18 février 2000 ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la requérante aux dépens.