CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 2 décembre 1994, n° ECOC9410253X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Avanti (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Feuillard
Avocat général :
Mme Thin
Conseillers :
Mme Pinot, M. Perie
Avoués :
Me Bolling, SCP Barrier, Monin
Avocats :
Mes Steiff, Bartfeld.
LA COUR statue sur le recours formé par la société Avanti (Avanti) contre la décision n° 94-D-24 du 6 avril 1994 du Conseil de la concurrence (le Conseil) qui a déclaré sa saisine enregistrée sous le numéro F 662 irrecevable et par voie de conséquence rejeté la demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 122.
Aux motifs de sa décision, le conseil a :
- estimé que la saisine présentée par Avanti, intitulé " Requête au fond et à fins de mesures conservatoires ", exposant les pratiques imputées aux sociétés Eurodollar et Ada auxquelles il était demandé de mettre fin, répondait aux conditions posées à l'article 12 du décret du 29 décembre 1986 ;
- considéré que les documents versés au dossier ne permettaient pas de retenir que le fonctionnement du marché de la location de voitures sans chauffeur en Corse aurait été affecté par les pratiques alléguées ;
- constaté qu'il n'était pas compétent pour statuer sur un litige ne concernant que les relations contractuelles entre un Franchiseur et l'un de ses franchisés, litige, par ailleurs, soumis aux juridictions compétentes.
A l'appui de son recours, Avanti, requérante, reprenant l'argumentation développée devant le conseil, soutient que, franchisée du réseau Eurodollar à compter du 1er janvier 1993, elle a subi, à la suite de la reprise par le groupe Ada de son Franchiseur, un détournement systématique de clientèle au profit des franchisés du réseau Ada ; que, n'ayant pu profiter des contrats d'achat de voitures conclus entre le Franchiseur et les constructeurs de voitures, elle s'est trouvée dans l'obligation de proroger ses contrats de location de voitures pour poursuivre l'exercice de son activité ; qu'elle est donc victime d'un abus de dépendance économique des sociétés Eurodollar et Ada ; que les pratiques anticoncurrentielles auxquelles se livrent lesdites sociétés doivent cesser.
Elle ajoute que la libre concurrence sur le marché considéré, en l'espèce le marché corse de la location de voitures sans chauffeur, a été restreinte en raison de la disparition du seul concurrent de Ada dans le domaine de la location bon marché, ce qui a conduit les franchisés de Eurodollar à cesser leur activité.
Elle prie, en conséquence, la cour d'infirmer la décision entreprise et de déclarer bien fondées ses prétentions.
Intervenantes, la société Eurodollar France et la société Ada concluent :
A titre principal, à l'irrecevabilité du recours, faute par Avanti de justifier de l'envoi, dans les cinq jours suivant le dépôt de sa déclaration d'appel, de la copie de sa déclaration à Eurodollar ;
Subsidiairement, elle prie la cour de confirmer la décision querellée qui a déclaré le recours irrecevable s'agissant d'un litige de nature contractuelle opposant un Franchiseur et l'un de ses franchisés ;
Plus subsidiairement, de constater que la part de marché occupée par Avanti sur le marché concerné est marginale, de constater encore que celle-ci dispose de solutions équivalentes pour l'exploitation de son activité sur ledit marché et, en conséquence, de débouter la requérante de son recours.
Les intervenantes ont sollicité le bénéfice des dispositions de l'article 700 NCPC.
Le ministre de l'économie fait observer, sur la recevabilité du recours, que Avanti a satisfait, en ce qui la concerne, aux obligations prescrites à l'article 4 du décret du 19 octobre 1987.
Il conclut à la confirmation de la décision en adoptant la définition du marché concerné telle que retenue par le conseil, en soulignant que le grief d'abus de dépendance économique allégué ne pouvait être retenu dans la mesure où Avanti disposait d'une solution équivalente, en écartant enfin l'existence d'une entente ou d'un abus de position dominante au sens des articles 7 et 8.1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Le Conseil de la concurrence n'a pas entendu user de la faculté de formuler des observations écrites.
Le ministère public a conclu oralement à la recevabilité du recours mais à son rejet.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant que Avanti produit l'accusé de réception adressé au domicile élu de Eurodollar le 11 mai 1994 ; qu'il est donc justifié de l'accomplissement des formalités prescrites par l'article 4 du décret susvisé ; que le recours est donc recevable ;
Considérant que l'existence d'un marché spécifique en Corse de location de voitures sans chauffeur n'est pas contestée ; que ce marché ne saurait être réduit à celui de la location de véhicules sans chauffeur à bon marché ;
Considérant que Avanti, qui invoque un état de dépendance économique à l'égard de son fournisseur, doit en rapporter la preuve; qu'à supposer cette situation avérée, il lui incombe d'établir qu'elle ne dispose pas d'une solution équivalente;
Qu'en l'espèce il ne peut être discuté que la réorganisation du réseau Eurodollar, au sein duquel Avanti exerçait son activité de franchisé indépendant depuis le 1er janvier 1993, est consécutive à sa reprise par un nouveau collège d'actionnaires parmi lesquels figure le groupe G 7-Ada ;
Considérant que, contrairement à l'affirmation de Avanti, l'identité des réseaux Eurodollar et Ada est restée préservée, les documents produits démontrant que chacun de ces réseaux conserve son autonomie, ses méthodes d'approche de la clientèle, son enseigne, ses services propres, en particulier ses opérations promotionnelles;
Que, par ailleurs, sur le marché de référence, Eurodollar intervient avec d'autres grands réseaux tels que Avis, Hertz, Europe Car, Budget;
Considérant que les pratiques dénoncées par Avanti, selon lesquelles elle serait privée du service de réservation centrale, ne bénéficierait plus de la fourniture des documents nécessaires à l'exploitation de son activité, subirait un détournement de clientèle au profit de Ada, ne disposerait plus de la possibilité d'acquérir à des tarifs avantageux de nouveaux véhicules, constituent des violations du contrat de franchise ainsi que l'ont admis les différentes juridictions saisies du litige contractuel ;
Que Avanti, disposant d'une solution équivalente dans la mesure où elle reste libre d'exploiter son entreprise de manière indépendante, ne peut soutenir que les faits dénoncés relèvent les dispositions de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; que, sur ce point, elle procède par pure affirmation en soutenant que les trois entreprises de loueurs indépendants auraient une activité marginale ;
Considérant qu'il apparaît que la cessation d'activité de Avanti, au mois de mars 1994, n'est pas imputable aux agissements qu'elle prête à Eurodollar puisque, dès le mois de septembre 1993, ses résultats d'exploitation étaient décevants ;
Considérant que le recours sera donc rejeté ;
Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne commande de faire bénéficier les intervenantes des dispositions de l'article 700 NCPC.
Par ces motifs : Déclare recevable le recours formé par la société Avanti ; Le rejette ; Rejette toute autre prétention.