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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 24 février 1995, n° ECOC9510061X

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Fédération française de ski, Comité régional de Savoie, Comité régional du Dauphiné, Comité régional de Côte d'Azur

Défendeur :

Ministre de l'Économie et des Finances

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cailliau

Avocat général :

M. Jobard

Avoués :

SCP Taze Bernard, Belfayol Broquet, SCP Fisselier, Chiloux, Boulay, SCP Fanet

Avocats :

SCP Chain de Lagger, Mes Coffy de Boisdeffre, Valluis, Laviron, Pecnard.

CA Paris n° ECOC9510061X

24 février 1995

Par décision n° 94-D-40 en date du 28 juin 1994, le Conseil de la concurrence a enjoint à la Fédération française de ski (FFS) et aux comités régionaux de la Côte d'Azur, du Dauphiné et de la Savoie de mettre fin aux pratiques ayant pour objet de faire obstacle à la présence sur le marché d'offres d'assurances sportives concurrentes de celles distribuées par la fédération ;

Le conseil a en outre infligé des sanctions pécuniaires à la FFS (1 million de francs) et aux comités régionaux (50 000 F au comité régional de la Côte d'Azur, 100 000 F au comité régional du Dauphiné, 100 000 F au comité régional de la Savoie), et ordonné la publication de sa décision dans le premier numéro mensuel de las saison d'hiver 1994-1995 de la revue Ski français ainsi que dans les rapports annuels de la FFS et des comités régionaux précités pour l'année 1994 ;

A la suite du recours en annulation ou en réformation formé par la FFS et les comités régionaux contre la décision susvisée, les requérants ont, conformément aux dispositions des articles 15 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 12 et suivants du décret du 19 octobre 1987, demandé à Mme le premier président de la cour de céans qu'il soit sursis à l'exécution de cette décision jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur le mérite du recours ;

Les requérants ont régulièrement porté leur demande de sursis à exécution par voie d'assignation devant le premier président de cette cour, signifiée à M. le ministre de l'économie ainsi qu'au cabinet d'assurance conseil Guillouard-Cattan et à la société Général Accident Fire and Live, et dénoncée à M. le directeur de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, au Syndicat national des téléphériques et téléskis de France et à l'Association des maires des stations françaises de sports d'hiver ;

L'assignation était accompagnée de la requête afin d'autorisation d'assigner qui contenait les moyens invoqués et auxquels il était expressément renvoyé ;

La FFS et les comités régionaux font principalement valoir à l'appui de leur demande que les mises en demeure de paiement des sanctions pécuniaires prononcées à leur encontre par le conseil, notifiées les 27 et 28 octobre 1994, risquaient de mettre la FFS en péril, du fait de sa situation de trésorerie qui assure également, selon son conseil, celle de l'ensemble des comités régionaux ;

L'issue lointaine du recours, en raison d'un déclinatoire de compétence déposé le 4 janvier 1995 par le préfet de la région Ile-de-France impliquant des délais imprévisibles quant à la décision définitive à intervenir, ne peut, selon les requérants, que souligner les conséquences manifestement excessives pour la FFS d'un décaissement de sommes importantes et justifier la demande de sursis à exécution ;

Les requérants sollicitent par ailleurs qu'il soit sursis à l'exécution des mesures de publication ordonnées, notamment dans la revue Ski français, de telles mesures ayant des conséquences irréversibles en cas d'infirmation de la décision ;

Le représentant du ministre de l'économie, le conseil du cabinet Guillouard-Cattan et le ministère public ont développé oralement des observations tendant au rejet de la requête, et l'Association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été s'en est rapportée à justice sur le mérite de l'assignation ;

Sur quoi :

Considérant qu'aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, si le recours formé contre une décision du Conseil de la concurrence n'a pas de caractère suspensif, le premier président de la Cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à son exécution si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives, ou s'il est intervenu, après sa notification, des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité ;

Considérant tout d'abord que la durée imprévisible de la procédure et son dénouement incertain résultant du déclinatoire de compétence déposé par le préfet de la région Ile-de-France ne peuvent constituer des faits nouveaux présentant le caractère d'exceptionnelle gravitéexigé par la loi pour justifier le prononcé d'une mesure de sursis d'exécution ;

Qu'en effet l'exercice des voies de recours par les personnes sanctionnées, de même que le dépôt d'un déclinatoire de compétence, sur lequel il sera statué prochainement par la cour, et l'élévation éventuelle du conflit ne représentent que des aléas prévisibles de procédure n'entraînant pas par eux-mêmes des conséquences d'une exceptionnelle gravité;

Considérant qu'en ce qui concerne par ailleurs l'exigence de paiement immédiat des sanctions pécuniaires, présentée par les requérants comme entraînant des conséquences manifestement excessives en raison de la situation de trésorerie obérée de la FFS, telle qu'elle résulte des bilans arrêtés aux 30 avril 1993 et 30 avril 1994, il convient de relever qu'une demande de report d'exécution adressée par la FFS à la trésorerie générale des créances spéciales du Trésor en date du 7 décembre 1994 avait été partiellement satisfaite par une proposition d'échelonnement de paiement en trois versements jusqu'au 31 mars 1995, sous condition d'un cautionnement bancaire couvrant les deux tiers de la dette ;

Qu'en raison de l'impossibilité dans laquelle la FFS prétendait se trouver de faire face au paiement de la première échéance d'un montant de 420 000 F, une nouvelle demande de report était adressée à la trésorerie générale, laquelle y répondait favorablement " à titre tout à fait exceptionnel " et accordait un sursis au recouvrement des créances en cause jusqu'au 28 février 1995 ;

Considérant qu'à l'appui de sa demande de sursis à exécution, déposée nonobstant les facilités de paiement proposées par la trésorerie générale, la FFS soumet des éléments comptables constitués du bilan arrêté au 30 avril 1994 et de l'annexe laissant apparaître une situation nette négative de 10 135 089 F ;

Qu'elle indique que sa situation financière ne lui permet pas d'obtenir de crédits supplémentaires de la part des établissements bancaires à un moment où, selon elle, les prévisions de recettes, étroitement dépendantes des conditions météorologiques, ne peuvent être établies ;

Mais considérant que, pour qu'il soit sursis à l'exécution des sanctions pécuniaires infligées à la FFS et aux comités régionaux constitués sous la forme d'associations déclarées et donc juridiquement indépendantes de la FFS, il doit être justifié de manière concrète par des pièces comptables incontestables et vérifiées que les facultés contributives, la situation de trésorerie et les avoirs mobilisables des requérants ne permettent pas le paiement des sanctions pécuniaires sans risquer de mettre en péril la poursuite de leur activité ;

Considérant que force est de constater en l'occurrence que les éléments comptables soumis à notre appréciation ne sont pas actualisés, ne contiennent aucune prévision de recettes pour l'exercice 1994-1995, dont le terme est proche, et ne donnent en conséquence aucune indication précise sur la situation présente de la trésorerie de la FFS ;

Quenotamment, et alors que le compte de résultat de l'exercice 1994 était bénéficiaire de 3 094 572 F, il n'a été produit par les requérants aucun compte de résultat prévisionnel laissant percevoir pour l'exercice en cours une aggravation de la situation de la FFS et des comités régionaux ;

Considérant que,dans ces conditions, il n'apparaît pas des éléments comptables communiqués que le recouvrement des sanctions pécuniaires infligées à la FFS et aux comités régionaux de Côte d'Azur, du Dauphiné et de Savoie entraîne pour eux des conséquences manifestement excessives justifiant une mesure de sursis d'exécution ;

Considérant qu'en ce qui concerne les publications ordonnées par le Conseil de la concurrence, l'invocation du caractère irréversible d'une telle mesure en cas d'infirmation de la décision du conseil ne peut justifier le différé de son exécution sauf à vider de sens le principe posé par l'article 15 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 concernant le caractère non suspensif du recours ;

Considérant que la publication des décisions à caractère juridictionnel procédant du principe fondamental de publicité des décisions de cette nature ne saurait par elle-même porter atteinte au crédit et à la considération de la personne visée ;

Qu'il convient toutefois d'ordonner, afin qu'une information complète soit donnée tant aux lecteurs de la revue Ski français qu'aux destinataires des rapports annuels de la FFS et des comités régionaux en cause, que ces publications seront accompagnées de la mention du recours dont la décision du conseil n° 94-D-40 a fait l'objet;

Par ces motifs : Rejetons la demande de sursis à exécution formée par la Fédération française de ski et les comités régionaux de Côte d'Azur, du Dauphiné et de Savoie ; Ordonnons que les publications prononcées par le Conseil de la concurrence seront accompagnées de l'indication du recours dont la décision n° 94-D-40 a fait l'objet.