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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 18 octobre 1991, n° ECOC9110135X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Conseil national des professions de l'automobile, Cez, Dislaire, Ho Lam

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gourlet

Avocat général :

Mme Thin

Conseillers :

MM. Guerin, Canivet, Mme Briottet, M. Betch

Avoué :

SCP Roblin-Chaix-de Lavarene

Avocat :

Me Bourgeon

CA Paris n° ECOC9110135X

18 octobre 1991

Par décision n° 91-D-18, délibérée le 10 avril 1991, relative à des pratiques anticoncurrentielles affectant le secteur de l'enseignement de la conduite des véhicules dans le Sud de la France, le Conseil de la concurrence a infligé des sanctions pécuniaires à la Chambre syndicale du commerce et de la réparation automobile (CSNCRA), à l'Association de défense de l'enseignement de la conduite (ADECA) et à l'Union nationale intersyndicale des enseignements de la conduite (UNIDEC) ainsi qu'à vingt-quatre entreprises d'auto-école.

La CSNCRA ainsi que trois responsables d'entreprises sanctionnées : MM. Didier Cez, Daniel Dislaire et Michel Ho Lam ont individuellement déclaré former un recours contre cette décision dont ils demandent, pour certains, l'annulation en prétendant qu'aucune pratique anticoncurrentielle ne peut leur être imputée et, pour chacun, à titre principal ou subsidiaire, la réformation sur le montant voire le maintien des sanctions pécuniaires infligées.

Dans ses observations, le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, estime que c'est à bon droit que le conseil a décidé que les pratiques décrites tombaient sous le coup de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qu'il a prononcé des sanctions pécuniaires.

Le ministère public a conclu à l'irrecevabilité pour tardiveté des recours formés par M. Dislaire et Ho Lam et au rejet des autres recours.

Sur quoi :

I. Sur la procédure :

Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret du 19 octobre 1987, les recours prévus au premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 sont formés, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, par une déclaration écrite en triple exemplaire, déposée au greffe de la cour d'appel de Paris ;

Que le dépôt peut être fait par le requérant lui-même ou par un mandataire habilité ;

Qu'il s'ensuit que les recours formés par MM. Cez, Dislaire et Ho Lam, par lettres simples ou recommandées reçues ou transmises au greffe de la cour, doivent être déclarés d'office irrecevables ;

II. Sur le fond

Considérant que la décision attaquée constate que la CSNCRA a organisé par le canal de l'Association nationale de promotion et d'éducation routière " ANPER " des stages de formation intitulés " amélioration de la rentabilité " et ayant notamment pour objet la définition et le calcul des prix de revient de l'heure de l'enseignement de la conduite, au cours desquels ont été diffusés des documents comportant, d'une part, une liste de charges directes et indirectes devant être intégrées dans le calcul du prix de revient des prestations, d'autre part, des exemples chiffrés de clefs de répartition type de ces charges et que ces méthodes de calcul ont été exposées lors de réunions organisées par la chambre syndicale notamment dans les départements de l'Hérault, du Vaucluse et de l'Aude et utilisées lors de concertation sur les prix ;

Qu'il est en particulier relevé que de telles réunions ont eu lieu dans les secteurs d'Avignon et de Carpentras à l'initiative de MM. Trouve et Ferrando, respectivement président et vice-président départementaux de la CSNCRA, à la suite desquelles, à l'exception de deux d'entre elles, les entreprises objet de l'enquête ont adopté des prix identiques ou voisins pour l'heure de conduite ;

Considérant que l'ensemble des faits relatifs au département de l'Hérault a été disjoint de la décision soumise à recours ;

Considérant que dans la partie relative à la discussion des pratiques constatées, le conseil retient en ce qui concerne la CSNCRA, à l'exclusion de tout autre grief, qu'il résulte de l'instruction que les responsables de la chambre syndicale du Vaucluse ont organisé au mois d'octobre 1986 des réunions au cours desquelles ils ont donné des consignes de prix relativement à l'heure de conduite ; qu'il a en conséquence infligé une sanction pécuniaire de 100 000 F à ladite organisation professionnelle ;

Considérant que la CSNCRA fait valoir :

- que n'ont été retenues contre elle que des pratiques prétendument constatées dans le département du Vaucluse et antérieures à l'abrogation des dispositions relatives à la réglementation de prix ;

- qu'il n'est pas établi que le document destiné à faciliter l'analyse des charges des auto-écoles, remis à l'occasion de stages, ait été utilisé au cours des réunions organisées dans le Vaucluse dans des conditions contraires aux règles de la concurrence ;

- que les déclarations selon lesquelles auraient été données à l'occasion de ces réunions des fourchettes de variation de prix procèdent d'une mauvaise interprétation des propos tenus ;

- que les comportements individuels de MM. Trouve et Ferrando n'ont pu engager le syndicat ;

- à titre subsidiaire que la sanction pécuniaire, calculée dans les conditions et limites de l'article 53 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945, a été appréciée à partir du montant national global de ses cotisations " branche auto-école " et sans tenir compte de l'ancienneté des faits et du contexte économique de l'époque, de l'absence d'atteinte au secteur de l'économie régionale concerné ni du caractère limité des pratiques sanctionnées ;

Mais considérant qu'il résulte des nombreuses déclarations de professionnels concernés recueillies par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, au cours de l'enquête effectuée au mois de février 1987, qu'entre les mois d'octobre et décembre 1986 une concertation sur les majorations de prix à pratiquer a eu lieu dans le département du Vaucluse à l'initiative de MM. Trouve et Ferrando, tous deux dirigeants départementaux de la CSNCRA, soit à l'occasion de réunions organisées par le second à Carpentras au mois d'octobre 1986 ou par le premier à Avignon au mois de décembre 1986, soit par contacts individuels ;

Que ces déclarations font état de recommandations expresses des responsables syndicaux susnommés portant sur des fourchettes de majoration de prix à appliquer ; que par leur nombre et leurs précisions, les dires des dirigeants d'entreprises intéressés ne peuvent résulter d'une inexacte compréhension des propos tenus ; qu'en outre l'un d'eux (pièce n° 98) assure avoir reçu, lors de la réunion tenue à Carpentras, une circulaire sur laquelle figuraient des modèles de calcul de prix et un autre affirme (pièces n° 103 et 104) avoir été fermement invité à aligner ses prix par l'un des responsables de l'organisation professionnelle en cause lors d'une conversation téléphonique ;

Considérant en outre qu'il résulte clairement de l'ensemble de ces renseignements que c'est expressément en tant que responsables syndicaux, et non à titre individuel, que les susnommés ont mis en œuvre les pratiques ci-dessus décrites ;

Qu'ainsi que le relève le conseil, les organisations départementales du syndicat concerné ne disposant pas de personnalité morale, les pratiques relevées doivent être imputées à la chambre syndicale nationale elle-même ;

Considérant enfin que les relevés de prix effectués par la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du Vaucluse, aux mois de janvier et février 1987, auprès de 32 établissements, montrent, notamment dans les secteurs géographiques de Carpentras et d'Avignon, une harmonisation à la hausse du taux horaire de conduite pour le permis de conduire catégorie B ;

Considérant qu'il est ainsi établi que, par ses responsables locaux,la CSNCRA a mis en œuvre des actions concertées visant à faire obstacle à la libre fixation des prix en favorisant leur hausse et qui ont eu pour objet et pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le libre jeu de la concurrence sur le marché de l'enseignement de la conduite dans les secteurs d'Avignon et de Carpentras; que de telles pratiques tombent sous le coup de l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et de l'article 7 de celle du 1er décembre 1986, sans pouvoir être justifiées par les articles 51 de la première, et 10 de la seconde ;

Considérant qu'aux termes de l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945, applicable en la cause en raison de la date des faits incriminés, le montant maximum de la sanction encourue, lorsque le contrevenant n'est pas une entreprise, est de 5 000 000 de F ; qu'en prononçant une sanction de 100 000 F, le conseil est resté dans les limites du maximum légal ;

Qu'en outreil en a fixé le montant en fonction des infractions constatées, s'agissant d'ententes qui, bien qu'affectant un secteur géographiquement restreint, ont été mises en œuvre par une organisation professionnelle très influente, fortement structurée et largement implantée sur l'ensemble du territoire, qu'elles ont eu lieu dans le secteur des prestations de service particulièrement sensible aux concertations tarifaires et à une époque où pour cette catégorie professionnelle les prix ont enregistré des hausses importantes et atypiques ;

Qu'en conséquence le conseil a pu, sans enfreindre les principes de proportionnalité et d'équité, déterminer le montant de la sanction pécuniaire infligée à la requérante, en référence au montant national des cotisations perçues auprès de ses adhérents dans la branche de l'enseignement de la conduite,

Par ces motifs : Déclare irrecevables les recours formés par Didier Cez, Daniel Dislaire et Michel Ho Lam ; Rejette le recours de la Chambre syndicale nationale du commerce et de la réparation automobile ; Laisse à chacun des requérants la charge des dépens de son propre recours.