CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 8 juillet 1994, n° ECOC9410156X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Transit et transports Gabriel Faroult (SA)
Défendeur :
Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Feuillard
Avocat général :
M. Jobard
Conseillers :
Mme Kamara, M. Weill
Avoué :
SCP D'Auriac-Guizard
Avocat :
Me Houppe
Par arrêt du 29 avril 1993, auquel il est expressément renvoyé pour le rappel des faits, de la procédure antérieure et des prétentions initiales, statuant sur les recours en annulation et réformation formés par quarante-deux entreprises contre la décision n° 92-D-36 rendue le 19 mai 1992 par le Conseil de la concurrence qui, retenant à leur encontre l'existence de pratiques anticoncurrentielles résultant de l'établissement de devis de couverture dans le secteur du déménagement des fonctionnaires et agents français en provenance ou à destination des DOM et des TOM, leur a infligé des sanctions pécuniaires, dont une sanction de 85 000 F à l'encontre de la société Transit et transports Gabriel Faroult, la cour a sursis à statuer sur le recours en annulation et réformation émanant de cette dernière jusqu'à ce que les juridictions pénales se soient définitivement prononcées sur la plainte avec constitution de partie civile par elle déposée le 16 juillet 1992 entre les mains du Doyen des juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Rouen du chef de faux et usage de faux, abus de confiance et abus de blanc-seing.
Aux termes d'une ordonnance rendue le 25 octobre 1993, dont le caractère définitif n'est pas discuté, le juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Rouen a dit n'y avoir lieu à suivre sur la poursuite ouverte contre X des chefs susdits aux motifs " que l'information a établi que le papier à en-tête de la Société Faroult et un cachet de celle-ci ont été remis volontairement par Eric Faroult à la société Normandie Transit afin que celle-ci établisse des devis de déménagement, au caractère purement théorique, au nom de la société Faroult ; que, quelles que soient aujourd'hui les déclarations du sieur Faroult, il est avéré que celui-ci ne s'est jamais inquiété de contrôler l'usage fait par la société Normandie Transit de ces documents ; que ces circonstances démontrent à l'évidence la connivence existant en réalité entre les deux sociétés sur l'établissement et la production aux administrations de ces devis ; que les délits invoqués dans la plainte de la société Faroult ne sont donc nullement constitués ".
En cet état de la procédure, la société Transit et transports Gabriel Faroult prie la cour de constater qu'elle n'a jamais participé aux opérations de déménagement visées par la décision du Conseil de la concurrence, que le chiffre d'affaires au titre des déménagements litigieux a toujours été inexistant et qu'aucune collusion avec la société Normandie Transit n'a généré l'existence d'un chiffre d'affaires ou même d'une rétrocession de bénéfices en sa faveur ; en conséquence, de réformer la décision du conseil, la mettre à néant et juger qu'elle-même ne sera tenue à aucune condamnation financière ; subsidiairement, de juger que les faits qui lui sont reprochés n'ayant jamais revêtu d'incidence financière à son profit, il convient de réduire notablement la sanction qui lui a été infligée.
Le ministre de l'Economie conclut au rejet du recours, soulignant le bien-fondé de la décision ayant prononcé contre la société Faroult une sanction de 3 p. 100 de son chiffre d'affaires pour pratique permanente de devis de couverture.
Le Conseil de la concurrence n'entend pas user de la faculté de formuler des observations écrites.
Le ministère public conclut oralement au rejet du recours.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant qu'à ce jour la société Transit et transports Gabriel Faroult ne conteste plus l'objet ou l'effet anticoncurrentiel de l'établissement de devis fictifs, dits " devis de couverture ", dans le secteur du déménagement des fonctionnaires et agents français en provenance ou à destination des DOM-TOM ;
Qu'elle ne discute pas davantage la matérialité de l'utilisation par la société Normandie Transit de son papier à en-tête et de son cachet ;
Considérant qu'il résulte de la déclaration de Mme Christine Plet, associée de la société Normandie Transit, recueillie au cours de la procédure d'enquête, qu'un accord existait entre un autre associé de cette entreprise, M. Peyre, et M. Faroult en vue de la confection de devis fictifs présentés comme émanant de la société Faroult afin de faire apparaître la société Normandie Transit comme moins-disante lors de l'ouverture des soumissions ;
Que cette déclaration établit, s'il en était besoin, qu'en fournissant à la société Normandie Transit du papier commercial vierge et un tampon, la société Faroult a sciemment contribué à l'élaboration de devis de couverture et mis en œuvre la pratique anticoncurrentielle incriminée, le fait qu'elle n'ait elle-même procédé à aucun déménagement ni bénéficié d'aucune rétrocession de bénéfices de ce chef étant à cet égard indifférent ;
Considérant que, par la fourniture des éléments susdits, la société Faroult a participé de manière permanente à la pratique anticoncurrentielle en cause ;
Que le dommage causé à l'économie est important dès lors que, le jeu normal de la concurrence par les prix ayant été rendu impossible en raison de la systématisation des ententes entre les entreprises sur le modèle de celle convenue entre la requérante et la société Normandie Transit, l'Etat a été contraint de modifier le système de remboursement des frais de changement de résidence de ses personnels civils en instaurant un régime forfaitaire moins favorable aux intéressés ;
Qu'il résulte du bilan de l'année 1992, dernier exercice clos connu au jour où la cour statue, que le chiffre d'affaires de la société Transit et transports Gabriel Faroult s'est élevé à 2 163 487 F, mais que son résultat d'exploitation est déficitaire de plus de 500 000 F ;
Considérant qu'il s'ensuit, eu égard à la gravité des faits, au dommage causé à l'économie, à la dimension de l'entreprise et à sa situation financière, qu'il convient de lui infliger une sanction pécuniaire de 50 000F ;
Considérant que, la présente décision étant rendue dans l'intérêt exclusif de la société Faroult au regard d'un bilan qui n'avait pas été soumis au conseil, les dépens seront supportés par la requérante,
Par ces motifs : Dit que la preuve de pratiques anticoncurrentielles est rapportée à l'encontre de la société Transit et transports Gabriel Faroult ; Reformant la décision entreprise en ce qui concerne la sanction pécuniaire ; Réduit son montant à la somme de 50 000 F ; Met les dépens à la charge de la requérante.