CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 31 janvier 1991, n° ECOC9110012X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Union des Annonceurs, IMES (Sté), Arodan (Sté), Editions Prescript (SARL), OMF (Sté)
Défendeur :
Ministre chargé de l'Économie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gourlet
Conseillers :
MM. Canivet, Guerin, Mlle Aubert, Mme Favre
Avoués :
SCP Fourgoux, SCP Duboscq-Pellerin, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Lazarus, Rasle, Lajoix.
Faits et procédure :
Le ministre chargé de l'économie a saisi le 14 novembre 1986 le Conseil de la concurrence de pratiques constatées dans le secteur de l'édition des ordonnances médicales.
Après avoir par décision n° 89-D-23 du 20 juin 1989 sursis à statuer en vue d'une instruction complémentaire tendant à la notification des griefs au Syndicat national des éditeurs médicaux spécialisés (SNEMS), le Conseil de la concurrence, par décision n° 90-D-19 du 5 juin 1990 :
- a défini le marché en cause comme celui intéressant les ordonnances vendues par les éditeurs aux médecins généralistes et dont les blocs comportent de la publicité ;
- a notamment exposé :
* que l'offre était jusqu'en 1986 assurée par six éditeurs réunis au sein du SNEMS, lequel avait été dissous le 23 septembre 1986 sans que les modalités de sa liquidation aient été définies, puis que le nombre des offreurs avait été réduit à quatre à la suite d'absorption et rachat ;
* que les laboratoires pharmaceutiques annonceurs étaient pour la plupart réunis au sein de l'Union des annonceurs (UDA), dont l'une des commissions était chargée des supports médicaux divers ;
- a retenu à la charge du SNEMS et de l'UDA :
1° L'élaboration en 1983 d'un système de quotas mis en œuvre par un contrat type de publicité visant à figer les parts de marché à leur niveau de 1981-1982, dont l'objet était anticoncurrentiel et qui pouvait en tout état de cause avoir un tel effet ;
2° La définition en 1983 de prix planchers pouvant avoir pour effet de restreindre ou fausser le jeu de la concurrence ;
3° Une entente en 1983 relative à l'abandon par les éditeurs de leurs tarifs dégressifs et préférentiels et à la charge du SNEMS seul la décision prise le 11 juillet 1983 d'une augmentation forfaitaire du prix plancher des ordonnances dupliquées (dont l'usage devenait obligatoire à partir de 1984) ;
- a estimé qu'il n'apparaissait pas que les éditeurs aient, en tant que tels, entrepris des actions propres distinctes de celle de leur syndicat et que c'était à bon droit que les griefs et le rapport ne leur avaient pas été notifiés, ces éditeurs se trouvant de ce fait hors de cause ;
- a dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 51 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 ;
- a infligé une sanction pécuniaire de 700 000 F à l'UDA et de 300 000 F au SNEMS et a ordonné la publication à leurs frais communs du texte intégral de sa décision dans le Quotidien du médecin et Stratégie.
Cette décision du 5 juin 1990 a fait l'objet d'un recours en annulation ou réformation de l'UDA et d'un recours en réformation partielle du ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des finances et du budget.
Le délégué du premier président a ordonné la mise en cause d'office des sociétés visées par le recours du ministre et leur a imparti un délai expirant le 5 novembre 1990 pour faire parvenir à la cour un mémoire exposant leurs moyens en réponse, toutes répliques devant être déposées au greffe pour le 7 décembre.
Moyens et arguments :
A. - Le recours de l'UDA
En ce qu'il tend à l'annulation, l'UDA soutient que le Conseil de la concurrence :
a) N'a pas respecté les dispositions de l'article 18 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 et a violé les droits de la défense et le principe du contradictoire en retenant à son encontre un grief (à savoir que le système de quotas a eu pour but de mettre fin à la concurrence entre éditeurs constatée en 1982) qui, s'il figurait dans la notification des griefs du 31 mars 1988, a été expressément abandonné dans le rapport et que lequel elle n'a pas été en mesure de faire valoir ses observations.
b) Lui a infligé une sanction pécuniaire sur le fondement de l'article 13 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 alors que les pratiques examinées relevaient des dispositions de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945, que les plafonds des sanctions ne sont pas les mêmes et qu'il y a eu application rétroactive d'une règle nouvelle plus sévère.
En ce qu'il tend subsidiairement à la réformation, elle fait valoir que :
a) Les pratiques imputées n'ont eu aucun effet sur le prix des ordonnances médicales (elles n'ont duré qu'à peine deux ans et ont spontanément cessé avant toute enquête) et leur potentialité d'effet n'est pas démontrée ; à tout le moins de larges circonstances atténuantes doivent être admises, le coût de l'ordonnance médicale n'occupant qu'une place minime 0,5 p. 100 environ, dans le budget du médecin ;
b) Elles répondaient à des objectifs légitimes :
- éviter l'assimilation de l'acte publicitaire d'un laboratoire pharmaceutique à un cadeau direct ou indirect au sens du code de la santé publique ;
- éviter la diffusion d'informations devenues obsolètes par effet du surstockage ;
- assurer la pérennité du support " ordonnances " pour lequel l'UDA n'avait pas le choix des moyens puisque ou bien les annonceurs se seraient désintéressés d'un support devenu inefficace ou bien auraient organisé le boycott des éditeurs ou de certains d'entre eux.
Le ministre a présenté des observations écrites tendant au rejet de ces moyens.
B. - Le recours du ministre
Le ministre reproche au Conseil d'avoir mis hors de cause les sociétés d'édition d'ordonnances médicales Arodan, IMES, OMF et Prescript, membres du SNEMS.
Après avoir rappelé que les faits antérieurs au 5 novembre 1982 sont prescrits, qu'OMF a absorbé GOI et qu'IMES a racheté Ordonnances Nouvelles, il relève :
- que l'action du SNEMS ne pouvait se concevoir indépendamment de la participation de ses membres en raison de leurs initiatives et du rôle actif et déterminant qu'ils ont joué ;
- qu'en effet, représentées le plus souvent par leurs dirigeants, les sociétés d'édition ont pris part aux réunions organisées par le SNEMS et l'UDA sur l'établissement des quotas et prix planchers, ont appliqué l'augmentation décidée, ont transmis directement leurs tarifs à l'UDA et ont abandonné leurs tarifs préférentiels.
Il prie la cour soit d'évoquer, l'affaire étant en état d'être jugée, soit d'annuler la décision en ce qu'elle a mis hors de cause les éditeurs.
La société OMF a donné acte au ministre de ce qu'il rapportait la preuve qu'il lui avait bien notifié son recours dans les 5 jours du dépôt de la déclaration au greffe de la cour.
Elle conclut principalement à l'irrecevabilité, le ministre n'ayant pas dirigé de recours contre la décision de sursis à statuer du 20 juin 1989 confirmant qu'elle n'était pas personnellement en cause.
Au fond, elle souligne que le rapport ne fait pas état d'un rôle propre à chaque éditeur, qu'elle-même n'exerçait aucune fonction au bureau syndical, a gardé son autonomie, a saisi le syndicat d'une promotion commerciale dont le SNEMS et UDA ont débattu en son absence, a abaissé ses prix, maintenu sa réduction de 50 p. 100 pour les jeunes médecins et ses tarifs dégressifs par remises quantitatives, a augmenté sa part de marché et qu'elle peut en tout cas bénéficier des dispositions de l'article 51 de l'ordonnance de 1945 en raison de la situation de crise existant à l'époque chez les éditeurs et du fait que les pratiques reprochées avaient pour objet de rationaliser leur activité commerciale.
Elle sollicite donc subsidiairement le débouté du ministre de sa demande, plus subsidiairement le renvoi devant le Conseil de la concurrence pour notification des griefs et instruction, le ministre étant condamné à lui verser 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC
La société Editions Prescript SARL expose sa situation particulière, née d'une confusion :
- son règlement judiciaire a été prononcé par jugement du 10 février 1978 ; un contrat de location-gérance du fonds de commerce conclu avec la société d'exploitation des Editions Prescript SA a été homologué le 8 mars 1978 et le redressement judiciaire de celle-ci est intervenu le 8 juillet 1986, suivi de sa liquidation judiciaire le 5 août 1986 et de la résiliation du contrat de location-gérance en février 1987 ;
- de 1978 à 1987, elle n'a eu aucune activité et n'a pu participer à une entente entre 1982 et 1984 ; d'ailleurs la perquisition a été effectuée dans les locaux de la SA et c'est à son président-directeur général que des griefs ont été notifiés ;
- elle ne peut donc faire l'objet de poursuites ; quant à la SA, elle n'apparaît pratiquement pas dans les comptes rendus des réunions.
Les sociétés Arodan et IMES ont déposé leur mémoire le 7 décembre 1990 : leurs moyens n'ayant pas pu être soumis à la discussion des autres parties, ces mémoires seront rejetés.
Des répliques ont été échangées, le ministre estime en particulier que, s'agissant des deux sociétés Prescript, une même entreprise s'était poursuivie et que, si les mêmes personnes se retrouvaient dans ces sociétés, les pratiques dénoncées pourraient être imputées à la SARL.
Le Conseil de la concurrence a présenté des observations.
Le ministère public a déposé des conclusions écrites.
Cela exposé, LA COUR :
I. - SUR LE RECOURS DE L'UDA
Sur les nullités invoquées :
Considérant que l'UDA reproche en premier lieu au Conseil de la concurrence d'avoir retenu que le système des quotas élaboré par elle-même et le SNEMS a eu pour but de mettre fin à la vive concurrence entre éditeurs constatée en 1982, alors que le rapporteur avait abandonné dans son rapport le grief touchant à l'objet anticoncurrentiel de cette pratique pour n'en retenir que la potentialité d'effet et que n'ont pas été respectés les droits de la défense et le principe du contradictoire ;
Considérant qu'aux termes de la seconde phrase de l'article 18 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 le rapport contient l'exposé des faits et griefs finalement retenus à la charge des intéressés ;
Que le Conseil de la concurrence doit se prononcer sur ces faits et griefs et non sur les faits seuls, qu'il ne peut requalifier d'office sauf à obtenir l'accord de la partie intéressée ou à renvoyer devant le rapporteur pour complément de rapport ;
Qu'en l'espèce le Conseil n'a pas mis l'UDA en mesure de faire valoir ses observations sur l'une des prohibitions légales reprochées ;
Que sa décision doit être annulée mais seulement en ce qu'elle a ajouté au grief initial, l'UDA s'étant régulièrement expliquée sur la potentialité d'effet anticoncurrentiel que le Conseil a retenu en prononçant la sanction dont l'auteur de la pratique ainsi qualifiée était passible ;
Considérant que l'UDA conteste en second lieu la validité de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée comme ayant été prise sur le fondement de l'article 13 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, étant ainsi fait application rétroactive d'une règle nouvelle plus sévère ;
Mais considérant que c'est de ce texte que le Conseil de la concurrence tient son pouvoir sanctionnateur et que, si les sanctions nouvelles qu'il prévoit ne peuvent concerner les faits commis sous l'empire de la loi antérieure, la sanction pécuniaire prononcée n'a pas dépassé le maximum légal de cinq millions de francs prévu par l'article 53 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 modifiée ;
Que cette seconde critique n'est pas fondée ;
Sur la demande de réformation :
Considérant que l'UDA ne dénie pas sa participation aux pratiques retenues à son encontre mais se prévaut, d'une part, de l'absence d'effet réel des pratiques sur la concurrence et de l'absence de démonstration suffisante de leur potentialité d'effet, d'autre part, d'un comportement justifié par la recherche d'objectifs légitimes qui n'auraient pu être autrement atteints, et estime subsidiairement que de larges circonstances atténuantes doivent être admises ;
Mais considérant que, s'agissant de l'élaboration et de la gestion en commun d'un système de quotas, de la définition de prix planchers ou de l'entente visant à l'abandon de tarifs préférentiels, il ne peut sérieusement être soutenu que de telles pratiques de nature anticoncurrentielle ne pouvaient avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence ;
Que par ailleurs c'est par des énonciations et motifs appropriés, que la cour adopte, que le Conseil a rejeté les moyens tendant à l'application de l'article 51 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ;
Qu'enfin, si l'article 53 de l'alinéa 3 de l'ordonnance porte que le montant de la sanction pécuniaire " doit être fixé compte tenu de la gravité des faits reprochés et de l'importance des dommages causés à l'économie ainsi que de la situation financière et de la dimension de l'entreprise ou de la personne morale intéressée ", le Conseil, après avoir relevé que l'UDA regroupait en tant qu'annonceurs la plupart des laboratoires pharmaceutiques et avait pris l'initiative des pratiques prohibées, a prononcé une sanction qui a tenu compte de l'importance réduite du dommage causé à l'économie et que la cour approuve en son montant ;
Qu'il n'y a donc pas lieu à réformation.
II. - SUR LE RECOURS DU MINISTRE CHARGE DE L'ECONOMIE
Sur sa recevabilité :
Considérant que le SNEMS a été dissous par décision de son assemblée générale extraordinaire du 23 septembre 1986 ;
Que, dans un premier temps, les griefs retenus par le rapporteur ont été notifiés à ses anciens membres les sociétés Arodan, IMES, Prescript et OMF ;
Qu'en réponse aux observations du ministre sur cette notification, le rapporteur a clairement indiqué (page 9 du rapport) que le rôle propre à telle ou telle société membre du SNEMS n'était à aucun moment apparu au cours de l'instruction et qu'à ce titre aucun grief n'avait été notifié à l'une des sociétés ;
Que le Conseil de la concurrence, estimant qu'aucune notification de griefs n'avait été faite au SNEMS a par décision de sursis à statuer du 20 juin 1989 ordonné une instruction complémentaire à la suite de laquelle la notification intéressant le SNEMS a été adressé à son ancien président M. de Ganay, ce dont les représentants des sociétés on été informés;
Considérant que, contrairement à ce qu'affirme la société OMF, la décision du 20 juin 1989 n'a pas confirmé qu'il n'appartenait pas de [la] mettre en cause puisque le Conseil n'a pas dans cette décision statué sur cette question ;
Que le Conseil n'a pas plus, dans sa décision du 5 juin 1990 déférée à la cour, mis hors de cause les éditeurs comme l'avance le ministre, mais seulement constaté que c'est à bon droit que les griefs et le rapport n'ont pas été notifiés aux entreprises d'édition en tant que telles qui, de ce fait, sont hors de cause ;
Qu'en réalité, le ministre critique la décision en ce qu'elle n'a pas ordonné cette mise en cause ;
Que son recours est recevable :
Sur son bien fondé :
Considérant que les poursuites initialement engagées contre le SNEMS ne sont pas exclusives de poursuites individuelles à l'encontre des membres dudit syndicat et que le ministre fournit dans le mémoire déposé au soutien de son recours des éléments circonstanciés suffisants pour justifier l'ouverture d'une instruction sur les pratiques qu'il dénonce comme prohibées des quatre sociétés d'édition, notamment, pour l'une ou l'autre d'entre elles :
- une participation active à l'élaboration des prises de position du SNEMS ;
- l'application des décisions prises en commun ;
- une gestion directe de la politique des quotas par communication des prévisions de vente et du chiffre des ventes ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de priver ces sociétés d'un premier examen des faits dénoncés par un rapporteur du conseil, éventuellement par le conseil lui-même;
Que la cour renverra dont l'affaire devant le Conseil de la concurrence en l'invitant à reprendre l'instruction à l'égard des sociétés prises en leur nom propre pour être procédé conformément aux dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Qu'il appartiendra notamment au rapporteur et, le cas échéant, au Conseil de se prononcer sur le point de savoir si les deux sociétés Editions Prescript SARL et société d'exploitation des Editions Prescript SA peuvent ou non être regardées comme n'ayant formé lors de la période retenue qu'une même entreprise ;
Considérant qu'il ne répond pas à l'équité d'allouer en l'état à la société OMF une quelconque somme au titre de l'article 700 du NCPC ;
Par ces motifs : Rejette comme tardifs les mémoires des sociétés Arodan et IMES ; Statuant dans les limites de sa saisine telle qu'elle résulte des recours formés contre la décision n° 89-D-38 du 14 novembre 1989 du Conseil de la concurrence par le ministre chargé de l'économie et l'Union des annonceurs ; Reçoit ces recours ; Annule la décision seulement en ce qu'elle a retenu à l'encontre de l'Union des annonceurs un grief abandonné par le rapporteur ; Rejette le surplus du recours de l'Union des annonceurs ; Dit bien fondé le recours du ministre chargé de l'économie, Renvoie l'affaire devant le Conseil de la concurrence aux fins de reprise de l'instruction sur les pratiques dénoncées à l'encontre des sociétés OMF, Arodan, IMES, Editions Prescript SARL et société d'exploitation des Editions Prescript SA ; Déboute la société OMF de sa demande formée au titre de l'article 700 du NCPC ; Condamne l'Union des annonceurs aux dépens relatifs à son propre recours ; Réserve le surplus des dépens.