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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 25 septembre 1991, n° ECOC9110126X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Salomon (SA)

Défendeur :

Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la répression des Fraudes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vengon

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

MM. Guérin, Canivet, Betch, Mme Simon

Avoués :

SCP Fisselier, Chiloux, Boulay

Avocat :

Me Lazarus.

CA Paris n° ECOC9110126X

25 septembre 1991

Saisi par le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, le Conseil de la concurrence a, par décision délibérée le 15 janvier 1991, relative à la situation de la concurrence sur le marché de la chaussure de ski :

- constaté que, au cours de la saison 1987-1988, la société Salomon a, en infraction aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, soumis l'agrément de ses revendeurs à l'acceptation d'une politique commerciale définie par elle ;

- infligé à ladite société une sanction pécuniaire de 1,5 million de francs ;

- et ordonné aux frais de celle-ci la publication de sa décision.

Ladite société a formé un recours contre cette décision au soutien duquel elle fait valoir à titre de moyen de nullité :

- que le conseil a méconnu les dispositions de l'article 11, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en ce qu'il n'est pas compétent pour connaître d'une pratique qui relève de l'article 34 de ladite ordonnance ; qu'à tout le moins il y a lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de cassation se soit prononcée sur le pourvoi formé contre un arrêt de la cour d'appel de Chambéry du 22 novembre 1986 jugeant les poursuites engagées à son encontre sur le fondement du dernier texte cité ;

- que le conseil a également enfreint les dispositions de l'article 21 de l'ordonnance susvisée en ne mettant pas en cause les distributeurs ayant participé à l'entente incriminée ;

- que, en violation des prescriptions du même texte, le conseil a rendu sa décision sans prendre l'avis des ministres intéressés, s'agissant, d'une part, du secrétaire d'Etat auprès du ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, et, d'autre part, du ministre délégué auprès du ministre de l'industrie et de l'aménagement du territoire, chargé du commerce et de l'artisanat.

Subsidiairement, à titre de moyens de réformation, la société Salomon prétend que les indices d'une politique de sélection de ses revendeurs par les prix dont la mise en œuvre lui est reprochée ne sont pas probants.

Le conseil a déposé des observations écrites visant au rejet des moyens de nullité soulevés par la requérante.

Le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a présenté des observations qui tendent aux mêmes fins et estime bien fondée la décision déférée.

Le ministère public a également conclu au rejet du recours ;

Sur quoi LA COUR :

I. Sur la procédure :

Considérant que le conseil s'est prononcé à l'encontre de la société Salomon sur le grief d'entente constituée par le réseau de distribution sélective instauré par cette entreprise au cours de la saison 1987-1988 pour la distribution de chaussures de ski, selon un dispositif contractuel et des pratiques lui permettant de soumettre l'agrément de ses revendeurs à l'acceptation d'une politique commerciale définie par elle ;

Considérant que, dès lors qu'il lie un ensemble de distributeurs à un fournisseur par un contrat type prévoyant des conditions d'agrément, un réseau de distribution sélective constitue, entre les parties contractantes, une entente de nature à limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par les entreprises à qui l'agrément est refusé, notamment lorsque la sélection des revendeurs n'est pas opérée selon des critères objectifs de nature qualitative ;

Considérant que de telles pratiques anticoncurrentielles entrent dans le champ de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dont le conseil peut être saisi par application de l'article 11 du même texte ;

Considérant que bien que la politique commerciale au moyen de laquelle il est fait grief à la société Salomon d'avoir sélectionné ses revendeurs soit en partie fondée sur le respect du prix de revente conseillé, l'entente sur laquelle le conseil s'est prononcé est distincte du délit de prix imposé reproché à la même société et sur lequel ont statué les juridictions pénales, en dernier lieu la cour d'appel de Chambéry, saisie de plaintes avec constitution de partie civile d'associations de consommateurs ; que, dès lors, l'intérêt d'une bonne administration de la justice ne commande pas de surseoir à l'examen du présent recours jusqu'à ce que la Cour de cassation se soit prononcée sur le pourvoi formé contre l'arrêt de ladite cour ;

Considérant que,si l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 fait obligation au conseil de notifier les griefs aux personnes à l'encontre desquelles il envisage de décider des sanctions prévues par l'article 13, il n'est pas tenu d'engager une telle procédure à l'égard de toutes les parties à une entente, dès lors qu'il apprécie que le comportement de certaines d'entre elles ne justifie ni injonction ni sanctions pécuniaires; quetel est en particulier le cas lorsque les distributeurs liés à un fournisseur dans le cadre d'un réseau de distribution sélective ne lui paraissent pas avoir pris, dans l'initiative, l'organisation ou la mise en œuvre de l'entente, une part de nature à entraîner de telles mesures ;

Considérant que la décision du Conseil de limiter le prononcé de sanctions à certains des participants aux pratiques anticoncurrentielles sur lesquelles il se prononce pourrait faire l'objet de recours dont, en l'état, la cour n'est pas saisie, la société Salomon ne formulant expressément aucune demande tendant au renvoi de la procédure devant le conseil pour examen de pratiques spécifiquement imputables à ses revendeurs ;

Considérant que les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou de ses décrets d'application n'obligent pas le conseil à procéder à la confrontation des personnes entendues et des parties en cause ; que la société Salomon ne saurait à cet égard invoquer de violation du principe du contradictoire dès lors qu'ensuite de la notification des griefs elle a pu consulter les déclarations des distributeurs entendus au sujet desquelles il lui était loisible de présenter toutes observations ;

Considérant que, s'étant abstenue de solliciter du rapporteur, après la notification des griefs ou du rapport, la moindre investigation complémentaire auprès de ses distributeurs ou de demander au conseil d'entendre telles personnes dont l'audition était susceptible de contribuer à son information, la société requérante ne saurait davantage se plaindre d'atteintes aux droits de la défense, tant au regard de principes généraux de droit interne qu'en référence à l'article 6-3 (d) de la convention européenne des droits de l'homme ;

Considérant qu'il n'est pas allégué que les pratiques examinées mettent en cause la responsabilité de collectivités publiques ou d'administration soumises à l'autorité du secrétaire d'Etat à la jeunesse et aux sports ou du ministre chargé du commerce et de l'artisanat, ni l'application de textes législatifs ou réglementaires relevant de leurs attributions ; que, contrairement aux généralités développées à ce sujet par la requérante, il n'apparaît pas que seuls ces ministres aient détenu des informations indispensables pour l'analyse du marché pertinent ou celles des pratiques examinées ; qu'il s'ensuit que le conseil n'était pas tenu de solliciter l'avis de l'un ou l'autre des ministres cités ;

II. Sur le fond :

Considérant que, dès lors qu'ils préservent une certaine concurrence sur le marché, les systèmes de distribution sélective sont conformes aux dispositions de l'article 7 du 1er décembre 1986 si les critères de choix des revendeurs ont un caractère objectif, sont justifiés par les nécessités d'une distribution adéquate des produits en cause, n'ont pas pour objet ou pour effet d'exclure par nature une ou des formes déterminées de distribution et ne sont pas appliqués de façon discriminatoire ;

Qu'il n'est pas contesté qu'un fabricant de chaussures de ski à très forte notoriété peut ainsi réserver la distribution de ses produits aux signataires d'un contrat de distribution sélective ;

Mais considérant que c'est par une juste analyse du contrat de " détaillant agréé " proposé à ses revendeurs par la société Salomon pour la saison 1987-1988 que le conseil a estimé quel'entente instaurée pour ladite société était prohibée dès lors qu'elle lui permettait de limiter la liberté commerciale de ses revendeurs, et notamment celle de fixer leurs prix de vente et de subordonner leur agrément à l'acceptation de la politique commerciale définie par elle ;

Considérant qu'il est en effet justement relevé que la combinaison des stipulations de l'article 8 du contrat en cause, qui réservent à l'assentiment du fournisseur toutes campagnes de publicité ou de promotion de ses distributeurs, avec celle de l'article 4, comportant une liste de prix indicatifs de revente, en permettant à la société Salomon de contrôler le prix de vente au détail, a pu avoir pour objet de fausser le jeu de la concurrence;

Considérant que le conseil a déduit d'une exacte appréciation des pièces du dossier qu'il est établi que la société Salomon a engagé ses distributeurs à fixer des prix de vente qui ne soient pas inférieurs aux prix préconisés, en subordonnant au respect de cette politique tarifaire la ponctualité de ses livraisons et le renouvellement annuel de l'agrément, qu'elle s'est attachée à définir les dates de début des ventes à prix soldés, à interdire les ventes conjointes de chaussures et de fixation faisant apparaître des rabais sur ses produits et qu'effectivement, faute de disposer de la liberté de déterminer leurs prix de vente, de nombreux distributeurs ont appliqué les tarifs préconisés par le fournisseur, ce qu'ont confirmé les relevés effectués au cours de l'enquête ;

Considérant que la preuve de ces faits repose sur l'analyse objective et détaillée à laquelle a procédé la décision des pièces du dossier, expressément citées dans cette décision dont la précision et la concordance ne sont démenties par les contestations opposées que sur quelques points de détail par la requérante ;

Qu'en outre, de la critique faite en référence à la méthode des sondages du choix des distributeurs entendus et des points de vente contrôlés, il ne résulte ni que les enquêteurs ont failli à l'objectivité ou à la loyauté dans la conduite de l'enquête, ni que leurs constations, en elles-mêmes significatives par le nombre d'auditions et de relevés effectués, soient dénuées de caractère probant ;

Considérant que les pratiques ainsi prouvées, dont la société Salomon a assorti l'application du contrat susvisé, ont eu pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré ;

Considérant que, pour fixer le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société en cause, le conseil a tenu compte du montant de son chiffre d'affaires, de la gravité des pratiques constatées, de la durée limitée de leur mise en œuvre et du fait qu'elle y a mis fin dès le début de l'enquête ;

Considérant en conséquence que le recours doit être rejeté tant en ce qui concerne les moyens d'annulation que ceux de réformation,

Par ces motifs : Rejette le recours de la société Salomon ; Laisse les dépens à sa charge.