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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. civ., 26 septembre 1996, n° 94-17506

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SIF (Sté), Del Prete Europe (SA), ADP Paris (Sté), ADP Strasbourg (Sté), ADP Lille (Sté), ADP Bordeaux (Sté), ADP Lyon (Sté), Barois-Culiverre (SA), Établissements Universels Ménagers (SA), Nespoulous (ès qual.), Zucchi (ès qual.)

Défendeur :

Namur (SA), Verrerie Cristallerie d'Arques, JC Durand et compagnie (SARL), Tefal (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Conseillers :

Mme Degrandi, M. Bergez

Avoués :

SCP Blanc, SCP Liberas Buvat Michotey, SCP de Saint Ferreol, Touboul, SCP Aube Martin Bottai Gereux

Avocats :

Mes Vidal-Naquet, Malinconi, Trolliet, Lemistre, Azema.

T. com. Marseille, du 12 juill. 1994

12 juillet 1994

Faits et procédure -Prétentions et moyens des parties

La société ADP Del Prete Europe (la société Del Prete), spécialisée dans le commerce en gros d'articles ménagers, s'approvisionnait notamment auprès de la société Verrerie Cristallerie d'Arques (la société VCA) et de la société Tefal, fournisseurs qui lui consentaient, sous forme de délais de paiement, un crédit garanti par une assurance souscrite auprès de la société Namur -Assurances du Crédit (la société Namur) ;

Par actes sous seing privé du 11 janvier 1993, la société Del Prete s'est portée caution solidaire envers la société Namur du paiement de toutes sommes pouvant être dues, par certaines de ses filiales, les sociétés ADP Lille, ADP Lyon, ADP Bordeaux, ADP Strasbourg, ADP Wissous, à des fournisseurs assurés auprès de cette société d'assurance-crédit ;

Par acte sous seing privé du même jour, la Société Immobilière de la Fabrique (la société SIF) s'est portée caution solidaire envers la société Namur, à concurrence de 35 000 000 F, d'une part des engagements de la société Del Prete à l'égard de ses fournisseurs bénéficiant de la garantie de cette société d'assurance-crédit, et d'autre part, des sommes pouvant être dues par la société Del Prete au titre du cautionnement des obligations de ses filiales ;

Le 2 septembre 1993, la société Namur a assigné la société Del Prete en paiement de la somme de 45 573 989,72 F, montant de créances qui lui auraient été cédées par la société VCA et par la société Tefal ; par le même acte, la société Namur, se prévalant de l'engagement de caution du 11 janvier 1993, a également assigné la société SIF en paiement de la somme de 35 000 000 F ;

En cours d'instance, le Tribunal de commerce de Marseille a prononcé, par jugement du 8 septembre 1993, le redressement judiciaire de la société Del Prete, et désigné M. Nespoulos en qualité d'administrateur ainsi que M. Zucchi en qualité de représentant des créanciers ; la procédure collective a été étendue à plusieurs sociétés filiales, les sociétés ADP Paris, ADP Bordeaux, ADP Lille, ADP Lyon et ADP Strasbourg, par jugement du 15 septembre 1993, et les sociétés Barois Culiverre et Établissements Ménagers, par jugement du 12 octobre 1993 ;

Le 3 décembre 1993, les sociétés Del Prete, ADP Paris, ADP Strasbourg, ADP Lille, ADP Bordeaux, ADP Lyon, Barois Culiverre et Établissements Ménagers, assistés de leur administrateur, ont assigné les sociétés Namur, VCA et Tefal en paiement de dommages-intérêts, en leur reprochant d'avoir par leur comportement fautif provoqué l'ouverture de la procédure collective ;

Par jugement du 12 juillet 1994, le Tribunal de commerce de Marseille :

-a joint les instances,

-a condamné la société SIF, en sa qualité de caution des engagements de la société Del Prete, à payer à la société Namur la somme de 35 000 000 F,

-a fixé à une somme ne pouvant être inférieure à 45 077 220,04 F la créance de la société Namur, en qualité de subrogée dans les droits des sociétés VCA et Tefal, au passif de la procédure de redressement judiciaire commun à la société Del Prete et à ses filiales,

-a désigné un expert aux fins de rechercher les éléments permettant de fixer le montant définitif de la créance,

-a débouté les sociétés Del Prete, ADP Paris, ADP Strasbourg, ADP Lille, ADP Bordeaux, ADP Lyon, Barois Culiverre, Établissements Universel Ménager de leurs demandes de dommages-intérêts et les a condamnées à payer aux sociétés VCA, Tefal, et Namur la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Il a été interjeté appel de cette décision, le 3 août 1994, par les sociétés SIF, Del Prete, ADP Paris, ADP Strasbourg, ADP Lille, ADP Bordeaux, ADP Lyon, Barois Culiverre, Établissements Universel Ménager, ainsi que par M. Nespoulos, ès-qualités d'administrateur ;

Au cours de l'instance d'appel, le tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la société Del Prete et de ses filiales ; le liquidateur, M. Zucchi, est intervenu volontairement aux débats pour reprendre l'instance ;

Les appelants ainsi que M. Zucchi ès-qualités, demandent à la cour :

-d'infirmer la décision déférée,

-de constater que le tribunal ne pouvait se prononcer sur l'existence des créances des sociétés VCA et Tefal, ni dire que leur montant s'élevait au moins à la somme de 45 077 220,04 F,

-de dire que le tribunal ne pouvait, en l'absence de fixation de la dette du débiteur principal, condamner la société SIF en qualité de caution,

-de constater la nullité pour défaut de cause et vice du consentement de l'engagement de caution souscrit par la société SIF,

-de constater que les sociétés VCA, Tefal et Namur sont responsables de l'ouverture de la procédure collective et, en conséquence, d'une part, de les condamner à payer à M. Zucchi ès-qualités des dommages-intérêts provisionnels, et d'autre part, de désigner un expert ayant pour mission d'effectuer toutes investigations utiles à la détermination de l'entier préjudice,

-de fixer à la somme de 17 283 933,313 F la créance de la société Tefal au passif de la procédure collective, et à la somme de 3 142 071 F celle de la société VCA,

-de débouter la société Namur, qui ne justifie pas avoir réglé ses assurés, de sa demande tenant à la fixation d'une créance au passif de la procédure collective,

-de condamner, in solidum, les intimés au paiement de la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

-de condamner solidairement les sociétés Namur, VCA et Tefal à payer à la société SIF une somme provisionnelle de 50 000 000 F, en réparation du préjudice causé à cette société par la procédure collective de sa filiale, la société Del Prete, et de désigner un expert en vue de déterminer l'ensemble du préjudice causé,

-de condamner les sociétés Namur, VCA et Tefal à payer à la société SIF une somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Les appelants font valoir :

1) Sur la validité de l'acte de cautionnement souscrit par la société SIF

-dans leurs écritures en date du 2 décembre 1994, que la société SIF n'a signé l'acte de caution du 11 janvier 1993, lequel se substituait à un précédent acte de même nature en date du 1er octobre 1990, qu'à la suite d'une négociation entre la société Del Prete, d'une part, ses fournisseurs et leur assureur-crédit, d'autre part, et en contrepartie de l'octroi d'un crédit-fournisseur plus important ;

-dans leurs écritures en date du 28 mai 1996, que la société SIF n'a signé l'acte de caution du 11 janvier 1993 qu'en contrepartie de l'engagement de maintenir l'encours de crédit-fournisseur consenti par les sociétés VCA et Tefal au niveau autorisé à la date de signature de l'acte, soit 62 000 000 F ;

-que loin de respecter son engagement, la société Namur a fait pression sur les sociétés VCA et Tefal pour qu'elles ramènent les encours au montant garanti par le cautionnement ; que, " dans ces conditions, le consentement des représentants de la Société Immobilière de la Fabrique a été surpris et l'engagement de caution devra être déclaré nul " ;

2) Sur la responsabilité de la société Namur dans l'ouverture de la procédure collective

-que la société Namur, qui a contraint les fournisseurs à réduire le montant de leur crédit et obligé la société VCA à suspendre ses livraisons, est responsable des difficultés de trésorerie de la société Del Prete ;

-que la société Namur a également eu un comportement fautif en s'abstenant de donner suite à un accord au printemps 1993, aux termes duquel l'encours de crédit-fournisseur consenti par les sociétés VCA et Tefal était fixé à 70 000 000 F, en contrepartie d'un nouvel engagement de caution porté à 50 000 000 F ;

-que l'ouverture du redressement judiciaire de la société Del Prete est la conséquence directe du refus opposé par la société Namur aux propositions formulées dans le cadre d'une procédure de règlement amiable ;

3) Sur les griefs d'abus de dépendance économique et de manquement aux obligations contractuelles imputés aux sociétés VCA et Tefal

-que les sociétés VCA et Tefal, qui ont déposé des brevets spécifiques, se trouvaient en position dominante dans leur secteur d'activité ; qu'en particulier la société VCA a mis au point un procédé de fabrication du cristal qui lui confère une position monopolistique sur le marché ;

-Qu'en 1992, les achats du " groupe " Del Prete Europe étaient effectués, dans une proportion de 70 %, auprès de VCA et de Tefal ;

-que VCA a abusé de la situation de dépendance économique de la société Del Prete et de ses filiales, en réduisant les délais de paiement précédemment consentis à ces sociétés, et en leur imposant des remises au paiement différé qui les contraignaient à une expansion continue dans l'intérêt exclusif des fournisseurs ;

-que la société Del Prete ne pouvait rompre ses relations commerciales avec VCA sans perdre le bénéfice de ces remises, alors que celles-ci constituaient une part importante de sa marge bénéficiaire ;

-que les sociétés VCA et Tefal sont titulaires de brevets et de marques qui leur confèrent une situation monopolistique dans leur secteur d'activité, de sorte qu'il est impossible de commercialiser des produits équivalents ;

-que la pratique du référencement, en vigueur dans les hypermarchés et les centrales d'achat, ne permet pas le remplacement du produit référencé par un produit équivalent ;

-qu'après que leurs produits aient été référencés dans les hypermarchés et les principales centrales d'achat grâce à l'intervention de la société Del Prete, VCA et Tefal ont préféré s'adresser directement à ces distributeurs ;

-que VCA et Tefal ont refusé de renégocier les conditions de paiement consenties à la société Del Prete en se retranchant derrière la position de leur assurer crédit, alors que la situation du marché, la modification des structures de distribution, l'ancienneté des relations contractuelles, " l'énorme travail de distribution réalisé par Del Prete " auraient du les conduire à assouplir leur position ;

-que la modification des délais de paiement intervenue en 1992 est à l'origine des difficultés de trésorerie de la société Del Prete, lesquelles ont conduit à l'ouverture de la procédure collective ;

4) Sur le refus de vente imputé à VCA

-que VCA a refusé, le 21 février 1993, de livrer la société Del Prete et ses filiales, alors, d'une part, que l'échéance du 25 février avait été régulièrement réglée, et d'autre part, que l'encours de crédit fournisseur autorisé n'était pas dépassé ; qu'en effet, c'est à la suite d'un accord entre VCA et Del Prete que l'échéance du 25 février 1993, d'un montant de 4 824 822,46 F, qui devait à l'origine être payée par deux effets de commerce d'un montant de 3 517 891,87 F et 1 306 930,59 F a été réglée sous une forme différente ; que cet accord est exclusif de la notion d'incident de paiement ;

-que les avantages consentis à Del Prete par VCA au cours des mois ayant suivi le refus de livraison sont révélateurs de la volonté de réparer la faute commise ;

-que le refus de livraison du 22 février 1993 a directement contribué à l'ouverture de la procédure collective, La société Del Prete s'étant trouvée dans l'impossibilité de satisfaire de sa propre clientèle et ayant perdu d'importantes recettes ;

-que dès lors que VCA a unilatéralement, et dans des conditions fautives, rompu les relations commerciales qu'elle entretenait avec Del Prete, les remises bloquées en faveur de cette dernière société, soit 38 128 521,00 F, sont devenues exigibles ;

-que si l'expert Prime, chargé de rechercher les éléments nécessaires à la fixation des créances des intimés et dont la mission consistait à " appliquer strictement les termes des conventions qui lient les sociétés du groupe Del Prete à VCA ", a " fidèlement respecté sa mission ", il n'a pas tenu compte de l'incidence de la faute commise par VCA le 22 février 1993 ;

-que la société Namur n'a justifié ni de la qualité de subrogé, ni de celle de cessionnaire de créances des sociétés Tefal et VCA ; que les cessions de créances n'ont jamais été signifiées aux sociétés du groupe Del Prete, en méconnaissance des dispositions de l'article 1690 du Code civil ;

-qu'en l'état des observations de l'expert, la créance de Tefal doit être fixée à la somme de 17 283 933,31 F ; que celle de VCA doit être fixée à 35 465 007,31 F, montant duquel il convient de déduire 32 122 936 F au titre des remises dues à Del Prete ;

La société Tefal demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts présentée par la société Del Prete, d'évoquer, et de fixer à la somme de 18 318 494,91 F le montant de sa créance au passif de la liquidation judiciaire ; elle sollicite l'allocation de la somme de 250 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, ainsi que de la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

La société Tefal fait valoir :

-que l'abus de dépendance économique prévu par l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'est constitué que s'il en est résulté une entrave au libre jeu de la concurrence, circonstance qui n'est nullement démontrée en l'espèce ;

-qu'en 1992 les marchandises vendues par la société Tefal ne représentaient que 19 % du chiffre d'affaires des sociétés du groupe Del Prete ;

-que Del Prete avait la possibilité de s'approvisionner en produits équivalents auprès d'autres fournisseurs ;

-qu'aucun abus ne peut être reproché à la société Tefal, celle-ci ayant au contraire accepté des reports d'échéances et payé par anticipation des remises non exigibles ;

-que le montant total des créances de la société Tefal au passif de la procédure collective s'élève à la somme de 20 089 597,52 F, montant duquel il convient de déduire 1 657 430,97 F au titre des ristournes commerciales acquises aux sociétés du groupe Del Prete et 113 671,64 F au titre des remises consécutives à perte du chiffre d'affaires réalisé avec les sociétés Carrefour et Euromarché ; qu'en conséquence la créance " nette " de Tefal s'élève à la somme de 18 318 494,91 F ;

La société VCA demande à la cour de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages-intérêts présentée par les sociétés du groupe Del Prete, d'évoquer et de fixer le montant des créances de VCA, à l'égard de ADP à 7 116 000 F, à titre privilégié, et à 2 419 130 F, à titre chirographaire, à l'égard des Établissements Univers Ménager à 139 894,50 F à titre chirographaire, et à l'égard de la société Barois Culiverre à 435 062,55 F ; elle sollicite l'allocation de la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

La société VCA fait valoir :

-que s'il est exact que VCA a une position prépondérante sur le marché national, il reste que ses produits sont vivement concurrencés par des marchandises d'importation ; que le fait que Del Prete ait pu poursuivre son activité au cours de la période d'observation en ne s'approvisionnant plus que de façon marginale auprès de VCA, démontre que cette société avait la possibilité d'acheter auprès d'autres fournisseurs des produits équivalents ;

-que VCA a scrupuleusement respecté ses obligations contractuelles à l'égard de Del Prete ; qu'elle a d'ailleurs consenti à ce client d'importants avantages en payant par anticipation des remises non exigibles ;

-que la société Del Prete qui s'était engagée à régler l'échéance du 25 février 1993 au moyen de deux effets d'un montant respectif de 3 517 891,87 F et de 1 306 930,59 F n'a payé dans le délai convenu que le second effet ; que le premier effet a été annulé et remplacé par un virement de 2 693 069,61 F, opéré le 2 mars 1993, et une lettre de change d'un montant de 824 822,46 F, remise le 12 mars 1993 ; que ce n'est qu'en raison du retard apporté au paiement de cette échéance, que VCA a légitimement suspendu ses livraisons, lesquelles ont repris dès le paiement du solde ;

-que l'expert Prime a exactement fixé le montant des créances résultant du remboursement de la subvention de 6 000 000 F et des " trop-perçus sur ristourne " ;

-que les sociétés appelantes ne peuvent prétendre ni à des remises de fin d'année au titre des factures dont elle ne s'est pas acquittée, ni à des remises " bloquées " dont le paiement était subordonné au respect par Del Prete de ses obligations financières à l'égard du fournisseur ;

-qu'il y a lieu d'adopter les conclusions de l'expert relatives à la remise de 7 % due à la société Barois Culiverre, à la remise " Nouvelles Galeries ", à la remise sur articles spéciaux, à la remise spéciale Carrefour et au " financement meubles " ;

-qu'il convient par contre de rejeter les prétentions des appelants relatives à la remise " spéciale outre-mer " et à la remise " spéciale report hausse des prix du marché allemand " ;

La société Namur demande à la cour de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a condamné la société SIF à lui payer la somme de 35 000 000 F et a rejeté la demande de dommages-intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation en référé, d'évoquer et de fixer sa créance au passif de la procédure collective à la somme de 52 006 140,20 F ;

La société Namur fait valoir :

-qu'elle justifie par des quittances subrogatives, être subrogée dans les droits des sociétés VCA et Tefal à l'égard des sociétés du groupe Del Prete ;

-que les appelants ne contestent pas le montant des sommes dues à Tefal et à VCA ;

-que ce n'est qu'en raison d'une modification du risque consécutif à la filialisation des établissements secondaires de la société Del Prete qu'un nouvel acte de cautionnement a été souscrit par la société SIF, cet engagement se substituant à un précédent acte de même nature portant sur le même montant ; que l'acte du 11 janvier 1993 ne constituait ainsi qu'une adaptation de la garantie aux modifications intervenues dans la structure juridique du groupe Del Prete, sans qu'il en résulte, contrairement aux allégations de SIF, un lien entre l'engagement de caution et le montant de l'encours de crédit-fournisseur ;

-qu'il ne peut lui être reproché une immixtion fautive dans les rapports entre ses assurés, les sociétés Tefal et VCA, et leurs clientes, les sociétés du groupe Del Prete ; qu'en effet l'assureur-crédit détermine librement le montant de l'encours garanti, lequel est fonction du risque ;

-qu'elle n'est nullement responsable de l'ouverture de la procédure collective, celle-ci n'étant en réalité que le conséquence de fautes de gestion ;

La mise en état de la procédure a été clôturée le 26 juin 1996, avant l'ouverture des débats ;

Motifs de la décision

Attendu que la recevabilité de l'appel n'est ni contestée, ni contestable ;

Sur l'abus de dépendance économique et les fautes contractuelles reprochés aux sociétés VCA et Tefal

Attendu que les appelants reprochent aux sociétés VCA et Tefal, d'une part, d'avoir abusé de leur position dominante, en méconnaissance des dispositions de l'article 8 alinéa 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et d'autre part, d'avoir manqué à leurs obligations contractuelles en refusant de consentir à la société Del Prete et à ses filiales des conditions de paiement plus avantageuses ;

Attendu, sur le premier grief, que l'existence d'un état de dépendance économique d'un distributeur vis-à-vis d'un fournisseur s'apprécie en prenant en compte, notamment, l'importance de la part du fournisseur dans le marché considéré, l'importance de la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires du distributeur, et l'impossibilité pour le distributeur d'obtenir, d'autres fournisseurs, des produits équivalents ;

Attendu qu'en l'espèce, M. Zucchi et la société SIF, auxquels incombe la charge de la preuve, ne démontrent nullement que la société Del Prete et ses filiales se trouvaient dans une situation de dépendance économique à l'égard des sociétés VCA et Tefal;

Qu'en effet, l'importance de la part de ces fournisseurs dans le marché considéré ne peut, en l'absence d'autres justifications, se déduire de la seule notoriété des marques Tefal et Cristal d'Arques, ni de l'exploitation de procédés de fabrication spécifiques;

Qu'en outre, la part de la société Tefal dans le chiffre d'affaires de la société Del Prete n'était que de l'ordre de 20 %;

Qu'au surplus, les appelants ne produisent aucune justification au soutien de leurs allégations selon lesquelles la société Del Prete et ses filiales étaient dans l'impossibilité, d'une part, d'obtenir, auprès d'autres fournisseurs, des produits équivalents à ceux vendus par les sociétés Tefal et VCA, et d'autre part, de vendre de nouveaux produits à leurs clients; que la disposition d'approvisionnements de substitution est au contraire attestée par la circonstance, alléguée par VCA sans être démentie, que la société Del Prete a pu, postérieurement au redressement judiciaire, poursuivre son activité pendant plus de deux ans, en ne s'approvisionnant plus que de manière marginale auprès de ce fournisseur ;

Qu'enfin, le paiement, différé pendant 3 ans, des remises de fin d'années consenties par la société VCA à la société Del Prete n'étant pas subordonné au maintien des relations contractuelles entre ces deux sociétés, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que la société Del Prete aurait été contrainte de poursuivre ses relations commerciales avec la société VCA à seule fin de conserver le bénéfice de ces remises ;

Attendu, sur le second grief, qu'aucune stipulation contractuelle n'imposait aux sociétés Tefal et VCA d'aménager, en cas de difficultés de trésorerie rencontrées par la société Del Prete, les conditions de paiement consenties à cette société ; que les appelants ne sont, dès lors, par fondés à reprocher aux sociétés Tefal et VCA d'avoir manqué à leurs obligations contractuelles en refusant, au cours de l'année 1993, d'octroyer à la société Del Prete et à ses filiales des conditions de paiement plus favorables ; qu'au demeurant, loin de faire preuve d'un abus dans l'exercice de leur liberté de négociation commerciale, les sociétés Tefal et VCA ont au contraire consenti à la société Del Prete, à la fin de l'année 1992 et au cours de l'année 1993, des reports d'échéance et des règlements anticipés de remises, alors que la solvabilité de ce client était incertaine du fait même de ses difficultés de trésorerie ;

Sur le refus de livraison reproché à la société VCA

Attendu que la société VCA a refusé, entre le 22 février et le 8 mars 1993, de livrer des marchandises à la société Del Prete et à ses filiales ; que les appelants prétendent que ce refus n'était fondé sur aucun motif légitime et qu'il constitue une faute ayant directement contribué à l'ouverture de la procédure collective ; que la société VCA justifie son attitude par un manquement de la société Del Prete à ses obligations de paiement ;

Attendu qu'il est constant que la société Del Prete s'était engagée à régler à la société VCA, pour le 25 février 1993, une somme de 4 824 822,46 F correspondant à des marchandises qui lui avaient été livrées entre le 1er et le 10 janvier 1993 ; que ce règlement devait intervenir au moyen de deux lettres de changes acceptées, à échéance du 25 février 1993, d'un montant respectif de 3 517 891,87 F et de 1 306 930,59 F ;

Que seul le second effet a été honoré à son échéance, le premier ayant été annulé le 18 février 1993 sur instruction de la société Del Prete ; qu'après annulation, cet effet a été remplacé, pour partie par un virement bancaire d'un montant de 2 693 069,61 F opéré le 1er mars 1993, et pour le solde par la remise, le 8 mars 1993, d'une lettre de change acceptée, d'un montant de 824 822,46 F, à échéance du 12 mars 1993 ;

Attendu que le 22 février 1993, soit peu avant l'échéance du 25 février, la société VCA a suspendu ses livraisons à la société Del Prete et à ses filiales ; que ces livraisons n'ont repris que le 8 mars 1993, après la remise de la lettre de change de 824 822,46 F, solde de l'échéance ;

Que ce n'est qu'après avoir réglé, avec retard, l'échéance du 25 février, que la société Del Prete, par lettres des 8 et 9 mars 1993 adressées respectivement aux sociétés VCA et Namur, a protesté par écrit contre le refus de livraison, en se prévalant du respect de ses obligations en matière de paiement ;

Que ces événements se sont déroulés à une époque où la société Del Prete connaissait des difficultés de trésorerie, dont son dirigeant avait notamment fait état dans un courrier en date du 12 février 1993 adressé à la société VCA ;

Attendu qu'il se déduit de la chronologie même des éléments de fait que la société Del Prete s'est trouvée dans l'impossibilité de régler à la société VCA la somme due à l'échéance du 25 février 1993, et qu'elle n'a pu se libérer qu'en trois paiements échelonnés ; que la société VCA, informée de ce retard de paiement par l'annulation, le 18 février 1993, de l'effet de 3 517 891,87 F a alors suspendu ses livraisons, pour ne les reprendre qu'après la remise du solde ;

Attendu que les appelants ne démontrent ainsi nullement le caractère fautif de l'attitude de la société VCA, laquelle n'a fait que subordonner la livraison de nouvelles marchandises au respect, par son client, de ses engagements de paiement ;

Sur l'engagement de caution souscrit par la société SIF

Attendu qu'aux termes d'un acte du 11 janvier 1993, la société SIF s'est portée caution solidaire envers la société Namur, assureur-crédit des sociétés Tefal et VCA, à concurrence de 35 000 000 F, en garantie des sommes pouvant être dues à des fournisseurs bénéficiant d'une assurance-crédit, par la société Del Prete, soit au titre de ses propres opérations commerciales, soit en sa qualité de caution des engagements de ses diverses filiales à l'égard des mêmes fournisseurs ; que cet acte se substituait à un précédent engagement de caution souscrit le 1er octobre 1990, à concurrence du même montant, par la société SIF au profit de la société Namur, en garantie des sommes pouvant être dues par la société Del Prete aux mêmes fournisseurs ;

Attendu que la société SIF prétend qu'elle n'a souscrit l'acte de cautionnement du 11 janvier 1993, qu'en contrepartie d'un engagement de la société Namur de maintenir l'encours de crédit-fournisseur consenti par ses assurés, les sociétés Tefal et VCA, à la société Del Prete et à ses filiales, au niveau existant lors de la signature de l'acte, soit 62 000 000 F ; qu'au soutien de son argumentation, la société SIF invoque les termes suivants utilisés par la société Namur dans un courrier qu'elle lui a adressé le 29 décembre 1992 pour solliciter l'engagement de caution : " nous voulons garder le risque en l'état de ce qu'il était avant " ; que la société SIF fait valoir que loin de respecter son engagement, la société Namur a, postérieurement à la signature de l'acte, fait pression sur les sociétés VCA et Tefal pour obtenir une diminution de l'encours de crédit-fournisseur ; qu'elle en déduit que son consentement a été vicié et que l'obligation de caution est dépourvue de cause ;

Attendu qu'il importe de reproduire les paragraphes essentiels de la lettre de la société Namur en date du 29 décembre 1992, dont la société SIF a, dans ses écritures, isolé en extrait :

" ... nous comprenons que si nous voulons garder le risque en l'état de ce qu'il était avant les modifications que vous avez apportées à votre groupe, nous devrions obtenir, pour chacune de vos filiales, la garantie solidaire de la SA Del Prete Europe et de la SIF.Ces garanties ainsi que le procès-verbal du conseil d'administration les approuvant devraient nous parvenir le plus tôt possible car c'est à partir de ce moment que nous pourrons établir nos couvertures sur les différentes filiales qui viennent d'être créées ".

Attendu que les termes de cette lettre sont sans équivoque ; que, contrairement à ce que soutient la société SIF, la société Namur ne s'est pas obligée à maintenir le volume du crédit-fournisseur consenti à la société Del Prete, d'autant que cet engagement ne pouvait être pris que par ses assurés ; qu'en réalité, la signature d'un nouvel acte de caution, qui s'est substitué à un précédent engagement similaire, n'est intervenu qu'en raison de la filialisation des établissements secondaires de la société Del Prete et de la modification du risque qui en résultait pour l'assureur-crédit ;

Qu'il s'ensuit que la société SIF ne démontre ni le vice du consentement, ni l'absence de cause qu'elle allègue ;

Sur les fautes imputées à la société Namur

Attendu que les appelants reprochent à la société Namur de s'être immiscée dans les relations commerciales de la société Del Prete avec ses fournisseurs, d'avoir refusé un accroissement du volume du crédit-fournisseur, de s'être opposée à un accord de règlement amiable, et d'avoir ainsi par un comportement fautif directement contribué à l'ouverture de la procédure collective ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'en sa qualité d'assureur-crédit des sociétés Tefal et VCA, la société Namur supporterait le risque d'insolvabilité de la société Del Prete et de ses filiales ; que la société Namur était ainsi légitimement conduite à s'informer des événements affectant la solvabilité des sociétés débitrices et avait la faculté, en cas d'aggravation sensible du risque garanti, de demander à ses assurés de réduire l'en cours de crédit-fournisseur consenti à leurs clients ;

Qu'il est constant que la société Del Prete a connu, à compter de janvier 1993, d'importantes difficultés de trésorerie qu'il l'ont conduite à solliciter de ses fournisseurs des reports d'échéances ainsi que le paiement par anticipation de remises non exigibles ; qu'il s'ensuit que les appelants ne sont pas fondés à reprocher à la société Namur d'avoir incité ses assurés à diminuer l'encours de crédit-fournisseur consenti à la société Del Prete et à ses filiales dont la solvabilité devenait incertaine ;

Qu'en outre, dès lors que le refus de livraison opposé en février 1993 par la société VCA à la société Del Prete n'était pas fautif, ainsi qu'il a été précédemment analysé, il importe peu que la société Namur soit intervenue dans cette décision ;

Attendu, en second lieu, que s'il est exact que des pourparlers ont eu lieu, en juin 1993, entre les sociétés SIF et Namur en vue de fixer l'encours de crédit fournisseur à 70 000 000 F en contrepartie d'un nouvel engagement de caution porté à 50 000 000 F, et qu'un accord de principe était intervenu, les appelants ne démontrent nullement que l'abandon de ce projet de convention soit imputable à la société Namur ;

Attendu, en dernier lieu, que les appelants reprochent à la société Namur d'avoir, dans le cadre de la procédure de règlement amiable dont a bénéficié la société Del Prete, exigé " le paiement immédiat des échéances relatives aux fournisseurs VCA et Tefal dès que les banques auront exécuté leur engagement ", et d'avoir ainsi, par une attitude intransigeante fautive provoqué l'échec de la conciliation ; qu'en réalité, il résulte des termes non ambigus de la lettre en date du 1er septembre 1993 invoquée par les appelants, que la société Namur s'est bornée à demander que soit avancée la date du paiement de la première échéance, sans exiger le paiement immédiat des créances des sociétés VCA et Tefal ; que ce seul fait, dont il n'est pas démontré qu'il ait provoqué l'échec de la négociation, ne constitue pas pour la société Namur, en l'absence d'autres éléments, un abus de son droit de négociation ;

Sur la fixation des créances

Attendu que le tribunal a sursis à statuer sur la fixation définitive des créances des sociétés Tefal , VCA et Namur en ordonnant une mesure d'expertise ; que l'expert ayant déposé son rapport, la cour estime de bonne justice d'évoquer ce point non jugé, sur lequel les parties ont conclu au fond ;

Attendu que la société Del Prete et ses filiales, après avoir fait l'objet d'un plan de redressement par voie de continuation, ont été placées en liquidation judiciaire ; qu'il s'en est suivi pour les créanciers l'obligation de déclarer leur créance au passif de cette nouvelle procédure collective ;

Que, dès lors que l'instance tendait à l'origine à la condamnation de la société Del Prete au paiement d'une somme d'argent, au titre d'une créance ayant son origine antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, il appartient à la cour de rechercher d'office si les créances litigieuses ont été déclarées ;

Qu'il n'est pas justifié de la déclaration, auprès du représentant des créanciers de la procédure de liquidation judiciaire, de l'ensemble des créances dont les sociétés Tefal, VCA et Namur demandent à la cour de fixer le montant ;

Qu'il y a lieu, en conséquence, avant dire droit sur la fixation des créances des sociétés VCA, Tefal et Namur au passif de la procédure -ou des procédures -de liquidation judiciaire, d'inviter lesdites sociétés à justifier de la déclaration de leurs créances ; qu'elles seront également invitées à produire une copie de la décision -ou des décisions -prononçant la liquidation judiciaire des sociétés débitrices ;

Attendu qu'en conséquence, la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a débouté la société Del Prete et ses filiales de leur demande de dommages-intérêts au titre d'un abus de position dominante ;

Qu'il y a lieu de rejeter les demandes de dommages-intérêts, présentées en cause d'appel, au titre de prétendues fautes ayant contribué à l'ouverture de la procédure collective, par la société SIF et par M. Zucchi, ès-qualités, à l'encontre des sociétés VCA, Tefal et Namur ;

Qu'après avoir évoqué, il sera sursis à statuer sur la fixation du montant des créances des sociétés VCA, Tefal et Namur au passif de la procédure -ou des procédures -de liquidation judiciaire de la société Del Prete et de ses filiales ;

Qu'il convient de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a dit que la société SIF s'était valablement obligée envers la société Namur au titre de l'acte de cautionnement souscrit le 11 janvier 1993 en garantie des engagements de la société Del Prete ; que le montant de la somme due au titre de l'engagement de caution faisant l'objet d'une contestation sérieuse, il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de surseoir à statuer sur ce point dans l'attente de la fixation des créances litigieuses au passif de la procédure collective ;

Qu'il y a lieu de réserver les demandes présentées au titre de l'article 700, au titre des dommages-intérêts pour procédure abusive et au titre des dépens ;

Que l'examen des questions non jugées sera renvoyé à l'audience du 21 janvier 1997, les parties devant conclure et communiquer leur pièces avant le 11 janvier ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, après communication de la procédure au ministère public, Déclare l'appel recevable en la forme, Au fond, 1) Sur les actions en responsabilité : Confirme la décision déférée en ce qu'elle a débouté la société ADP Del Prete Europe et ses filiales de leurs demandes en paiement de dommages-intérêts pour un prétendu abus de position dominante, Déboute la Société Immobilière de la Fabrique et M. Zucchi, ès-qualités, de leur demandes en paiement de dommages-intérêts pour de prétendues fautes ayant contribué à l'ouverture de la procédure collective, 2) Sur la fixation du montant des créances des sociétés VCA, Tefal et Namur, Évoque, et avant dire droit invite les sociétés VCA, Tefal et Namur : -à justifier de la déclaration, auprès du liquidateur de la procédure (ou des procédures) de liquidation judiciaire, des créances dont elles demandent la fixation du montant, -à produire copie du jugement (ou des jugements) de liquidation judiciaire prononcée à l'encontre de la société Del Prete et de ses filiales ; Dit que les parties devront conclure et communiquer les pièces demandées avant le 11 janvier 1997 ; Renvoie l'affaire à l'audience du 21 janvier 1997 à 14 heures 05 ; 3) Sur la demande en paiement présentée à l'encontre de la Société Immobilière de la Fabrique au titre de l'engagement de caution : Confirme la décision déférée en ce qu'elle a dit que la Société Immobilière de la Fabrique s'est valablement obligée envers la société Namur au titre de l'acte de cautionnement qu'elle a souscrit le 11 janvier 1993 en garantie des engagements de la société Del Prete ; Sursoit à statuer sur le montant de la créance résultant de l'obligation de caution, dans l'attente de la fixation des créances des sociétés VCA et Tefal au passif de la procédure collective ; Renvoie l'affaire, sur ce point, à l'audience du 21 janvier 1997 à 14 heures 05, les parties devant conclure et communiquer leurs pièces avant le 11 janvier 1997 ; 4) sur les autres demandes Réserve les demandes présentées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et au titre des dommages-intérêts pour procédure abusive, ainsi que les dépens.