Livv
Décisions

Conseil Conc., 26 novembre 1996, n° 96-D-76

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre par la société Autodesk SA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Jean-René Bourhis, par M. Jenny, vice-président, Mme Boutard-Labarde, MM. Gicquel, Pichon, Robin, Sargos, membres.

Conseil Conc. n° 96-D-76

26 novembre 1996

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 5 avril 1993 par laquelle la société Techno Direct SA (TD SA) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Autodesk SA dans le secteur des logiciels de conception assistée par ordinateur (CAO) et de dessin assisté par ordinateur (DAO) ; Vu le Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne modifié, et notamment son article 85 ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu les observations présentées par la société Autodesk SA et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Autodesk SA entendus, le représentant de la société TD SA ayant été régulièrement convoqué ; Adopte la décision fondée sur les constatations (1) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. CONSTATATIONS

1. Le secteur d'activité

Le secteur d'activité de la société Autodesk SA est celui des logiciels de conception et fabrication par ordinateur (CFAO) qui recouvre la conception assistée par ordinateur (CAO) et le dessin assisté par ordinateur (DAO). Selon les professionnels, le secteur de la mécanique serait le plus gros utilisateur de systèmes de CFAO (environ 60 %) devant l'électronique et le BIP.

Certains fabricants d'ordinateurs comme IBM ou Siemens-Nixdorf offrent des systèmes intégrés comprenant tant le matériel (hardware) que les logiciels (software) qui sont utilisés, soit sur ordinateurs personnels (micro-ordinateurs), soit sur stations de travail. D'autres entreprises, telle la société Autodesk, sont spécialisées dans la fabrication et la commercialisation de logiciels.

De nombreux logiciels fonctionnent aussi bien sur micro-ordinateurs que sur stations de travail, seules les performances (temps de réponse) du logiciel étant affectées par la puissance du matériel utilisé. Par ailleurs, l'amélioration des micro-ordinateurs haut de gamme tend à réduire progressivement l'écart des performances entre ce type de matériel et les stations de travail.

II ressort d'une étude réalisée par la société Mitech, spécialisée dans l'étude du secteur informatique, que les principaux éditeurs de logiciels de CFAO tous lecteurs d'application confondus étaient les suivants en France en 1993 (le chiffre d'affaires estimé correspond aux revenus globaux tirés de la vente des logiciels par le fabricant et non de la seule Commission sur ventes perçue par la succursale sur le plan national) :

EMPLACEMENT TABLEAU

A l'inverse d'autres logiciels spécialisés dans des applications particulières (mécanique, architecture...), certains logiciels, comme le logiciel Autocad, édité par la société Autodesk, présentent la particularité de pouvoir être utilisés dans différents domaines et de pouvoir également être adaptés à une application particulière. II existe également des différences notables entre les divers logiciels mis sur le marché selon les différentes fonctions qu'ils intègrent (tableurs, calculateurs, dessin, modélisation...).

Selon la société Mitech, les chiffres d'affaires réalisés en France par les principaux éditeurs de logiciels généralistes en 1992 et 1994 étaient les suivants :

EMPLACEMENT TABLEAU

Selon une étude publiée par la société Autodesk Inc., société mère de la société Autodesk SA, le logiciel Autocad est le logiciel de dessin (Computer-Aided Design ICADI) lé plus utilisé dans le monde et les produits Autodesk sont commercialisés dans plus de quatre-vingts pays dans le monde. La société Autodesk Inc. a déclaré à la Commission européenne : " Autodesk ne peut envisager de trouver une solution pour son réseau de distribution sélective qu'au niveau européen Autodesk a des contrats avec plus de 3 000 revendeurs agréés présents dans tous les Etats membres de l'Union, et il lui est nécessaire d'établir un système de distribution uniforme pour l'ensemble du territoire de l'Union. " Au cours de l'exercice 1991, la société Autodesk Inc. a tiré 41 % de ses revenus globaux des ventes de logiciels aux Etats-Unis, 38 % en Europe et 16 % en Asie du Sud-Est.

Les professionnels distinguent généralement trois gammes de prix de logiciels de CFAO :

- le bas de gamme à un niveau de prix de moins de 5 000 F ;

- la moyenne gamme ou " entrée de gamme " à un ordre de prix se situant aux alentours de 30 000 à 40 000 F ;

- le haut de gamme à un prix généralement supérieur à 100 000 F.

Dans un secteur où l'innovation est primordiale, la frontière est cependant assez floue entre ces différents segments. Les spécialistes s'accordent à dire que, parmi les logiciels de milieu de gamme, le logiciel Autocad 3 dimensions est celui qui offre le meilleur rapport qualité-prix, permettant de disposer à un moindre prix de fonctionnalités comparables'à celles qu'offrent certains logiciels " haut de gamme ". La société Mitech précise, dans son étude, qu'avec plus de 800 licences commercialisées, le logiciel Autocad aurait été le logiciel le plus vendu sur les stations de travail, en France en 1992. Par ailleurs, selon les revendeurs interrogés en cours d'enquête, le logiciel Microstation commercialisé par la société Intergraph était, en 1992, celui qui se rapprochait le plus du logiciel Autocad en termes de fonctionnalités.

Au cours des dernières années, les éditeurs de logiciels " haut de gamme " comme Computervision et Dassault Systèmes ont mis sur le marché des versions allégées des logiciels, afin de concurrencer les logiciels d'" entrée de gamme ".

La société Autodesk SA

La société Autodesk SA est une société anonyme dont le siège social se trouve 3 à 5, avenue du Chemin-de-Presles, à Saint-Maurice (94). Cette société appartient au groupe Autodesk qui a été fondé à Sausalito en Californie (USA), en 1981, avant de s'étendre dans divers pays européens en 1983 (Suisse, Grande-Bretagne) puis en France, en 1985.

La société Autodesk SA avec la société Autodesk Europe, autre filiale, sise à Genève (Suisse). En 1992, la société Autodesk Inc. a réalisé un chiffre d'affaires de 284,9 millions de dollars.

Le chiffre d'affaires réalisé par la société Autodesk SA s'est élevé à 41 240 043 F au cours du dernier exercice clos, le 1996, ce chiffre d'affaires de représentant uniquement la Commission perçue sur la vente des logiciels. Le Bénéfice réalisé par cette entreprise s'est élevé à 2 821 942 F au cours du même exercice.

Selon les déclarations des représentants de la société Autodesk recueillies par procès-verbal d'audition, en 1992 les ventes de logiciels se sont réparties comme suit :

85% en version pour micro-ordinateurs, dont : 40% de versions industrielles (dont 40% de mises à jour) ; 45% de versions " d'école " ; 15% en version pour stations de travail.

Le logiciel Autocad, qui représenterait environ 85 % des ventes totales de la société Autodesk SA, évolue dans le temps, ce qu'il existe plusieurs versions (10, 11, 12...). Les versions des logiciels Autocad concernées par la saisine sont les versions 11 et 12. Il existe également une version " école " du logiciel Autocad, commercialisé à un prix nettement inférieur à la version " industrie ". Ce logiciel, principalement réservé aux lycées techniques et aux instituts universitaires de technologie, serait, aux dires du représentant de la CAMIF, " strictement identique ", n'étant pas un " sous-produit " du logiciel version " industrie ".

3. Le système de vente Autodesk

De 1985 à 1991, le logiciel Autocad a été distribué sur le plan national sans agrément des distributeurs par des grossistes (dont la société ISTC).

Avec la sortie, en 1991, de la version Autocad 11, qui est un logiciel en 3 dimensions (la version précédente, Autocad 10, étant en 2 dimensions), la société Autodesk a mis en place un contrat de distribution sélective, dénommé " Autocad Authorized Dealer " (AAD).

Le système de distribution Autodesk se présente globalement comme suit :

- un canal de distribution spécialisé dans la vente de logiciels destinés aux " plates-formes " ou stations de travail. Les revendeurs (59 au total sur le plan national au moment des faits) sont dénommés des " centres de systèmes agréés Autocad " (CSA). Ce mode de distribution, fondé sur un système d'agrément des revendeurs, n'est pas concerné par la saisine de la société TD SA.

- un canal de distribution spécialisé dans la vente de logiciels destinés aux micro-ordinateurs qui se présente comme suit :

- deux intermédiaires : la société ISTC, d'une part, et la société Cad France, d'autre part, spécialisés dans les logiciels Autocad qui sont des adaptations des logiciels à une utilisation particulière. Ces deux entreprises sont chacune signataire d'un contrat de distributeur agréé avec la société Autodesk SA. Ces contrats ne sont pas visés par la saisine de la société TD SA. Selon les informations recueillies auprès de la société Autodesk SA, environ 50 % des logiciels seraient commercialisés sous forme d'applications ;

- des revendeurs détaillants agrées signataires d un contrat de distribution sélective avec la société Autodesk SA.

C'est ce contrat de distribution sélective qui est à l'origine de la saisine du conseil de la concurrencé par la société TD SA.

Selon les responsables de la société Autodesk SA, là société ISTC réaliserait 50 % des ventes de logiciels sur le plan national, le reste (50 %) étant réalisé par la société Cadfrance et les " CSA ".

L'agrément des distributeurs détaillants, qui est d'une durée d'un an, concerne chaque site du revendeur dénommé " revendeur Autocad agréé " (RAA ou " Autocad Authorized Dealer " - AAD - en langue anglaise). Dans l'hypothèse où un site, ne correspond plus aux conditions exigées, l'agrément peut être retiré.

II est stipule dans le contrat de distribution sélective que l'accord sera " gouverné par la loi du " territoire " et il est précisé aux distributeurs :

" Vous pouvez accepter des commandes de clients que vous n'aurez pas sollicitées pour les programmes logiciels destinés à être utilisés à l'extérieur du " territoire " à condition :

" a) Que vous couvriez toutes les réclamations en garantie fondées concernant les programmes logiciels que vous fournissez ;

" b) Que, dans le cas où vous ne pouvez assurer la maintenance des programmes logiciels que vous fournissez :

" vous eu avisiez le client par écrit,

" vous obteniez une renonciation écrite et une décharge dé responsabilité du client pour toute réclamation résultant de votre impossibilité d'assurer la maintenance ;

" vous transmettiez cette renonciation et cette décharge à Autodesk. "

Le " territoire " est défini, dans le contrat de distribution sélective comme étant la France, y compris les départements et territoires d'outre-mer.

Par ailleurs, les " conditions d'agrément générales " prévoient notamment que le revendeur agréé :

" assure activement la commercialisation des logiciels sur le

" territoire " ;

" s'approvisionnent en programmes logiciels exclusivement auprès d'un distributeur Autodesk, d'un intégrateur ou d'un autre RAA ; " ne donne en licence de programmes logiciels qu'aux seuls utilisateurs finaux ou revendeurs agréés ;

" achète chaque année au moins 8 copies de licences Autocad,

" dispose au minimum d'un technicien de maintenance, de locaux commerciaux et de personnel commercial suffisants ainsi que d'une personne qualifiée employée à plein temps à la démonstration.

Le contrat prévoit, également, qu'" aucun site agréé ne peut :

" a) Offrir un programme logiciel comme " produit d'appel par

" vente par correspondance " ;

" b) Promouvoir, faire de la publicité, commercialiser ou solliciter des commandes de programmes logiciels, ou ouvrir des agences ou maintenir des entrepôts de distribution pour la fourniture et la maintenance de programmes logiciels à l'extérieur du territoire ;

" (...) ;

" k) Développer, commercialiser ou distribuer tout produit lorsque cela porterait atteinte de manière significative à votre (sa) capacité de remplir les conditions d'agrément du RAA. "

Les contrats de distribution sélective Autodesk, dont le contrat de revendeur détaillant (" RAA ") appliqué en France, ont fait l'objet d'une notification auprès de la Commission des Communautés européennes (DG IV, Greffe " ententes ") le 1er novembre 1992.

Dans une lettre adressée au président du Conseil de la concurrence, le 5 janvier 1995, le directeur général de la direction générale IV, Concurrence, de la Commission européenne a déclaré : " (...) la position préliminaire de mes services est que les accords notifiés enfreignent l'article 85 (1) du Traité (CEE) et ne remplissent pas les conditions nécessaires à l'octroi d'une exemption au titre de l'article 85 (3) sous leur forme actuelle. Toutefois, compté tenu du stade avancé de votre enquête sur ces accords et des autres priorités de mes services, nous ne nous proposons pas d'entamer une action à l'encontre d'Autodesk pour le moment. "

Le 7 février 1995, le directeur général de la DG IV a informé le président du Conseil de la concurrence du souhait exprimé par la société Autodesk de rencontrer ses services et de " procéder, le cas échéant, à des adaptations de ses accords en vue de leur autorisation ".

3. Les pratiques constatées

En 1991, le responsable de la société TD SA a été informé qu'il ne pouvait commercialiser le logiciel Autocad 11 sans agrément préalable. Le technicien ayant échoué à l'épreuve de sélection, la société ISTC TD SA a été informée qu'elle n'était pas habilitée à distribuer le produit mais, qu'en revanche, rien ne s'opposait à ce qu'elle continue à. vendre la version Autocad 10, moins performante.

Le président de la société TD SA a déclaré, lors d'une" audition, que son entreprise avait continué à s'approvisionner en versions 11 et 12 d'Autocad auprès de revendeurs agréés, en 1993, en dépit de l'interdiction que lui auraient faite les responsables de la société Autodesk France de commercialiser ces logiciels. Ces derniers ont déclaré avoir recueilli des doléances de la part d'acheteurs de logiciels qui se seraient plaints du " manque de compétence technique de Techno Direct ".

Par ailleurs, le responsable de la société Access International Consultants (AIC), autre distributeur détaillant, a versé au dossier une lettre en date du 4. août 1993 de la société Autodesk SA l'informant que son entreprise est à nouveau admise en tant que revendeur AAD version 12 " à l'essai pour une période de six mois ". Cette dernière lettre faisait suite à un échange de correspondances entre les deux sociétés dans lesquelles la société AIC s'engageait, le 25 juin 1993, " à ne plus vendre le logiciel Autocad à tarif réduit dans nos (ses) diverses publicités, ni à le vendre, par correspondance " et la société Autodesk prenait note, le 28 juin 1993, de l'engagement d'AIC " de ne plus vendre le logiciel Autocad par correspondance ni comme produit d'appel ". Selon son responsable, la société AIC proposait le logiciel Autocad 12 au prix unitaire de 29990 F (TFC) en mai 1993 alors que le prix public conseillé de la société Autodesk s'élevait à 37300 F.

Enfin, la CAMIF et 1'UGAP, bien qu'effectuant de la vente par correspondance, ont été admis dans le réseau de distribution sélective Autodesk.

II. SUR LA BASE DES CONSTATATiONS QUI PRECÈDENT, LE CONSEIL

Sur la compétence du Conseil de la concurrence pour examiner le contrat de distribution sélective Autodesk au regard de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 85 du Traité de Rome :

Considérant que la société Autodesk SA, qui rappelle avoir notifié son système de distribution sélective à la Commission des Communautés européennes, en novembre 1992, demande au conseil, " compte tenu des principes gouvernant la coopération entre la Commission et les'autorités nationales chargées de la concurrence et notamment du principe de sécurité juridique ", de surseoir à statuer en attendant l'issue de la " procédure d'examen (...) par la Commission des Communautés européennes " ; que cette entreprise fait notamment valoir que l'avant-projet de communication de la Commission, relative à la coopération entre la Commission et les autorités de concurrence des Etats membres, indique que " si, au cours d'une procédure nationale, il apparaît possible que la décision par laquelle la Commission mettra fin à une procédure en cours concernant la même affaire pourrait s'opposer aux effets de la décision des autorités nationales, il appartient à celles-ci de prendre les mesures appropriées afin de garantir le plein effet des actes d'exécution du droit communautaire de la concurrence " et que ces mesures " devraient généralement " consister dans le sursis à statuer des autorités nationales ;

Mais considérant que si l'engagement d'une procédure par la Commission des communautés européennes a bien pour effet de priver les autorités des Etats membres de la faculté d'appliquer les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du Traité, il ressort d'une jurisprudence de la CJCE (6 février 1973, Brasserie De Haecht) qu'un simple accusé de réception de notification ne saurait valoir " engagement de procédure " au sens des articles 2, 3 ou 6 du règlement n° 17-62 du 6 février 1962, un tel engagement ne pouvant résulter que d'une communication formelle dressée aux entreprises concernées ; qu'au cas d'espèce, il ressort de la lettre adressée, le 5, janvier 1995, par le directeur général de la direction générale IV, Concurrence, de la Commission européenne au président du Conseil de la concurrence , en réponse à une demande de ce dernier d'être, informé de l'ouverture éventuelle d'une procédure ou de la délivrance d'une " lettre de confort " approuvant le contrat, que la Commission n'envisageait pas d'" entamer une action " à l'encontre d'Autodesk pour le moment ; qu'il ressort par ailleurs des termes de la lettre adressée le 7 février 1995 par le directeur général de la DG IV au président du Conseil de la concurrence que la société Autodesk SA avait manifesté son souhait de rencontrer les services de la DG IV afin de procéder, le cas échéant, à des " adaptations " de ses accords ; que la société Autodesk admet d'ailleurs avoir, " sur les conseils de la Commission ", accepté dé préciser certaines clauses du contrat litigieux ; qu'en l'absence de l'engagement d'une procédure par la Commission des Communautés européennes, le Conseil de la concurrence a donc compétence pour examiner le contrat de distribution sélective Autodesk tel qu'appliqué en France, au cours des années 1992 et 1993, tant au regard des dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du Traité que de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il n'y a, donc pas lieu de surseoir à statuer , comme l'a demandé le représentant de la société Autodesk SA en séance ;

Sur le marché :

Considérant qu'il est constant, comme l'ont déclaré les responsables de la société Autodesk SA en cours d'enquête, qu'" Autocad est un logiciel (...) qui fonctionne et sur PC (micro) et sur stations de travail : c'est le même produit possédant les mêmes fonctionnalités, mais dans une version différente " ; que, dans ces conditions, le marché concerné est celui des logiciels " généralistes " destinés à être utilisé par les professionnels de la CFAO, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre un marché des logiciels destinés à être utilisés sur micro-ordinateurs et un marché des logiciels destinés à être utilisés sur stations de travail ; qu'il n'est pas établi que, sur le marché ainsi défini, la société Autodesk SA, qui se situait au deuxième rang des ventes sur le plan national au moment des faits, disposait d'une position dominante;

Sur certaines clauses du contrat de distribution sélective Autodesk appliqué en France en 1992 et 1993 :

Considérant que, dès lors qu'ils préservent le jeu d'une certaine concurrence sur le marché, les systèmes de distribution sélective sont conformes avec le droit de la concurrence, si les critères de choix des revendeurs ont un caractère objectif et ne sont pas appliqués de manière discriminatoire, s'ils n'ont ni pour objet ni pour effet d'exclure une ou des formes déterminées de distribution qui seraient aptes à distribuer les produits en cause ou de créer des barrières artificielles à l'entrée sur le marché de'la distribution des produits concernés et s'ils maintiennent la liberté commerciale des revendeurs quant aux prix de revente ;

En ce qui concerne l'interdiction de revendre les logiciels Autocad comme produit d'appel ou par vente par correspondance :

Considérant que le contrat de distribution sélective, Autodesk en vigueur, au moment des faits mentionnait qu'aucun site agréé ne peut (...) offrir un programme logiciel comme " produit d'appel " ou par " vente par correspondance " (...) ; que le " produit d'appel " était défini par " une offre de programmes logiciels non dans le but de réaliser un profit mais dans le but d'attirer des clients susceptibles d'acquérir d'autres produits ou services ou de faire la promotion de votre activité " ; que la " vente par correspondance " était définie par " une invitation par tout moyen à commander par lettre ou par téléphone, plutôt que par l'intermédiaire d'un magasin où l'utilisateur final peut obtenir d'un revendeur un service personnel de démonstration, installation et maintenance " ;

Considérant que les responsables de la société Autodesk SA ont justifié, d'une part, l'interdiction de vente par correspondance " parce que les VPCistes ne présentent pas les garanties de compétence technique suffisantes permettant le support technique qu'il est indispensable de pouvoir fournir à l'utilisateur final sur de tel produits " et, d'autre part, l'interdiction de " produit d'appel " par le fait que " la pratique du prix d'appel est largement condamnée tant par la jurisprudence que par les textes " et qu'il est donc " légitime " de stipuler dans un contrat de distribution sélective qu'un revendeur ne peut utiliser le produit objet du contrat comme " produit d'appel " ;

Mais considérant, en premier lieu, ainsi que l'a indiqué la Commission européenne dans sa décision " Grundig " du 10 juillet 1985 que s'il est justifié que les entreprises de vente par correspondance soient tenues de disposer d'installations de vente de nature à assurer la présentation des produits, à prodiguer des conseils à la clientèle et à assurer un service après-vente, cette forme de vente ne peut être exclue par nature du réseau de distribution ; que d'ailleurs, dans ses observations écrites, la société Autodesk SA admet qu'" il est exact que la CAMIF qui pratique la vente par correspondance a été agréée par Autodesk pour distibuer les logiciels Autocad " ; que, par ailleurs, il est constant qu'elle vendait également le produit Autocad 11 et 12 par l'intermédiaire de l'UGAP, qu'enfin elle a reconnu en séance que des entreprises de VPC pouvaient être en mesure d'assurer aux clients les services qu'elle estimait indispensables à la commercialisation du produit Autocad, qu'ainsi, la disposition insérée dans le contrat de distribution sélective de la société Autodesk interdisant en principe la vente par correspondance de certains de ses produits ne constitue pas un critère de sélection objectif de nature qualitative en rapport avec les exigences de la distribution des produits en cause ;

Considérant, en second lieu, que la société Autodesk a déclaré en séance qu'elle ne souhaitait pas voir ses logiciels commercialisés à un prix inférieur au coût d'achat du logiciel augmenté du coût de commercialisation ; que, contrairement à ce que laisse entendre la société Autodesk SA, le " produit d'appel " ne fait, contrairement à la revente à perte l'objet d'aucune définition légale ou réglementaire , qu'il résulte d'une jurisprudence constante que la notion de prix d'appel exige que soit notamment faite la démonstration de l'indisponibilité du produit et l'abaissement sélectif du prix du produit faisant l'objet de la promotion ; qu'en l'espèce, la définition donnée du " prix d'appel " par la société Autodesk couvre un champ plus large que celui couvert par la jurisprudence , qu'il résulte par ailleurs de l'instruction que la société Autodesk SA a accepté de réintégrer la société AIC dans son réseau au vu d'une lettre du distibuteur en date du 25 juin 1993 dans laquelle celui-ci déclarait s'engager à " ne plus vendre par correspondance, mais uniquement encore dans notre magasin et au prix public proposé par vous-même " ; que, dans sa réponse en date du 28 juin 1993, la société Autodesk prenait note du fait que, dans la lettre précitée, le distributeur s'était engagé à " ne plus vendre le logiciel Autocad par correspondance ni comme produit d'appel " ; qu'enfin, la société Autodesk SA indique dans ses observations écrites dans ses contrats de distribution, l'interdiction de la pratique des prix d'appel sous la réserve de la précision selon laquelle la validité de telles pratiques reste soumise à l'appréciation d'autorités tierces ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ci qui précède que la clause interdisant aux revendeurs agréés Autocad (RAA) toute forme de vente de logiciel par " vente par correspondance " ou comme " produit d'appel ", clause au demeurant appliquée de manière discriminatoire dans la mesure où la CAMIFet l'UGAP étaient admises dans le réseau, pouvait avoir pour effet, d'une part, d'interdire l'accès au réseau de la société Autodesk SA à des distributeurs aptes à la commercialisation de ses produits et, d'autre part, d'inciter les distributeurs agréés à revendre les logiciels à des prix publics conseillés par la société Autodesk SA, restreignant ainsi le jeu de la concurrence ; qu'il s'ensuit que cette clause est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance ;

Considérant, en outre que la société Autodesk SA appartient à un groupe international possédant des roseaux de distributeurs dans l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne et qu'elle commercialise, selon ses propres déclarations, le logiciel de dessin (CAD) le plus utilisé dans le monde ; que la clause critiquée, qui pourrait avoir pour effet de restreindre la concurrence sur le territoire français, partie substantielle du Marché commun et qui était au surplus applicable à l'ensemble des membres du réseau Autodesk établis dans les divers pays de l'Union européenne, a pu avoir pour effet d'affecter le commerce entre Etats membres, dès lors que les utilisateurs des logiciels de cette société dans chaque pays ont pu être empêchés de, se fournir auprès d'entreprises de VPC d'autres pays à un prix inférieur à ceux pratiquée par les distributeurs agréés ; que cette clause est donc également visée par les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du Traité de Rome ;

En ce qui concerne certaines clauses susceptibles de limite la liberté commerciale des revendeurs agréés pour commercialiser des produits concurrents :

Considérant que le contrat de distributeur agréé applicable au moment des faits (Partie A : " Conditions, d'agrément générales " - 2. k) interdisait au revendeur de " développer, commercialiser ou distribuer tout produit lorsque cela porterait atteinte de manière significative à votre (la) capacité (du revendeur), de remplir les conditions d'agrément du RAA " ; que les conditions'd'agrément imposaient par ailleurs au revendeur d'" acheter chaque année à un distributeur Autocad au moins 8 copies de licences Autocad destinées à l'utilisateur individuel " ;

Considérant que la société Autodesk, qui rappelle que la jurisprudence tant communautaire que nationale reconnaît la validité de l'existence de clauses d'approvisionnement minimum dans les contrats de distribution sélective, soutient que la clause relative à la commercialisation de produits concurrents vise à " garantir que le revendeur se consacre suffisamment à la vente, de produits Autocad pour que se justifie son investissement sur le produit et notamment pour que son personnel formé sur Autocad puisse toujours assurer de manière satisfaisante la présentation, la démonstration et la maintenance des logiciels Autocad " ; que cette entreprise a soutenu en séance que cette clause n'avait pour objet que de constituer une " aide à la gestion " pour les distributeurs du réseau afin de leur permettre de bénéficier pleinement des investissements qu'elle aurait réalisés pour la commercialisation du logiciel Autocad ;

Mais considérant que si un fabricant de produits ou ces services d'une certaine technicité peut exiger de ses revendeurs, dans des conditions objectives, qu'il consacre les moyens nécessaires à la promotion des produits ou services concernés, voire de recourir à la distribution exclusive, il ne saurait en revanche insérer dans son contrat de distribution sélective une clause vague et imprécise, de nature à dissuader ses distributeurs de commercialiser des produits concurrents ; que cette clause a notamment pu avoir pour effet de limiter la concurrence de la part de fabricants implantés soit en France, soit'dans d'autres Etats membres de l'Union européenne et éditrices de logiciels concurrents ; que la clause critiquée est donc visée par les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du Traité de Rome, et de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans la mesure où elle donne la possibilité à la société Autodesk d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des logiciels de CFAO ; qu'il n'est ni allégué ni établi que cette clause puisse bénéficier des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance ;

En ce qui concerne la clause relative au cloisonnement des marchés nationaux :

Considérant que le contrat Autodesk en vigueur au moment des faits n'autorisait (point 16, page 4) le revendeur agréé à commercialiser des logiciels destinés à être utilisés à l'extérieur du territoire national qu'à la condition qu'il couvre toutes les réclamations en garantie ou que, s'il ne pouvait assurer la maintenance des logiciels, il obtienne une " renonciation écrite et une décharge de responsabilité du client " pour toute réclamation résultant de son impossibilité à assurer la maintenance et que cette renonciation soit transmise à Autodesk que par ailleurs, ledit contrat interdisait au distributeur (" Conditions d'agrément du RAA " A, 2, b) de " promouvoir, faire la publicité, commercialiser ou solliciter des commandes de programmes logiciels ou ouvrir des agences ou maintenir des entrepôts de distribution pour la fourniture et la maintenance des programmes logiciels, à l'extérieur du territoire " ;

Considérant que la société Autodesk SA justifie ces exigences par les difficultés susceptibles de résulter de l'utilisation des logiciels dans des langues différentes et dans des environnements informatiques inconnus du revendeur ;

Mais considérant que la clause ci-dessus mentionnée était de nature à dissuader artificiellement les utilisateurs de logiciels édités par la société Autodesk de se fournir auprès d'un revendeur agréé étranger ; qu'en effet l'exigence consistant à faire signer aux acheteurs une décharge de responsabilité au cas où le revendeur agréé étranger auquel ils envisageaient de s'adresser ne pouvait assurer lui-même la maintenance du logiciel dans leur pays n'était pas justifiée lorsqu'il y avait, dans ce pays d'autres revendeurs agrées du réseau Autodesk qui étaient qualifiés pour assurer cette maintenance ; que la société Autodesk SA ne peut soutenir que cette clause était justifiée par les différences de langues entre les pays de la Communauté différences qui auraient rendu difficile la maintenance d'un logiciel par le distributeur agréé d'un pays différent de celui dans lequel ce logiciel aurait été acheté, dès lors qu'elle s'appliquait également aux cas dans lesquels la même langue était utilisée dans les deux pays comme par exemple la France et la Belgique ; que les représentants de la société Autodesk SA ont reconnu en séance que hormis les ventes effectuées à des entreprises françaises pour une utilisation hors du territoire national, les ventes par leurs distributeurs agréés français à des entreprises implantées dans d'autres Etats membres étaient marginales ; qu'ainsi cette clause a pu avoir pour effet de restreindre la concurrence entre distributeurs agréés par la société Autodesk établis dans différents pays de l'Union européenne et de cloisonner les marchés nationaux ; qu'elle est dès lors visée par les dispositions de l'article 85 paragraphe 1, du Traité de Rome ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance : " Le Conseil de la concurrence (...) petit infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5% du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos... " ;

Considérant que le dommage à I'économie doit s'apprécier en tenant compte de la situation occupée par la société Autodesk SA dans le secteur des logiciels de CFAO et notamment du fait que le logiciel Autocad, qui existe en version " école ", fait l'objet d une utilisation importante dans les établissements techniques et les instituts universitaires de technologie ; qu'une telle promotion auprès d'étudiants utilisateurs de CFAO assure à la société Autodesk SA des débouchés futurs importants en créant une clientèle sinon captive du moins incitée à travailler sur les logiciels sur lesquels ils ont été formés ; que, pour apprécier le degré de gravité des pratiques, il y a lieu de tenir compte de la puissance de négociation dont disposait l'opération en cause, compte tenu de la notoriété de la marque Autocad ;

Considérant que la société Autodesk SA a pu, en insérant des clauses anti-concurrentielles dans son contrat de distribution sélective, favoriser la limitation de la concurrence non seulement entre revendeurs de logiciels de marque Autocad mais également se prémunir contre la concurrence inter-marques au stade de la distribution ; que, dans ces conditions, il y a lieu de lui enjoindre de modifier lesdites clauses afin de préserver le jeu de la concurrence sur le marché ; que, par ailleurs, cette entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 41 240 043 F sur le plan national au cours de l'exercice 1995-1996, dernier exercice clos disponible ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus il y a lieu'de lui infliger une sanction pécuniaire de 200 000 F,

Décide :

Article 1er : - II est établi que la société Autodesk SA a enfreint les dispositions des, articles 85, paragraphe 1, du Traité de Rome, et 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.

Article 2 : - Il est enjoint à la société Autodesk SA, dans un délai de trois mois à compter de la notification, de la présente décision, de modifier les clauses de son contrat de distributeur agréé Autodesk (RAA) :

a) En éliminant l'interdiction de vente par correspondance et en la remplaçant par l'énonciation de critères objectifs de nature qualitative permettant à tout distributeur se conformant à ces critères d'être agréé ;

b) En prévoyant que seule une juridiction peut constater qu'un distributeur agréé a contrevenu à l'interdiction qui lui est faite de vendre des logiciels Autocad comme produits d'appel ou à prix d'appel ;

c) En permettant à ses revendeurs, agréés de commercialiser librement des logiciels concurrents dès lors qu'ils ont satisfait à des conditions objectives et précises concernant les moyens à mettre en œuvre nom la vente des, logiciels Autocad ;

d) En n'imposant pas que le distributeur qui vend un logiciel destiné à être utilisé à l'extérieur du territoire fasse signer une renonciation écrite et une décharge de responsabilité lorsque ce distributeur ne peut assurer la maintenance du logiciel dans le pays d'utilisation si d'autres revendeurs agréés Autodesk sont aptes à assurer la maintenance dans ce pays.

Article 3 : - II est inflige une sanction pécuniaire de 200 000 F à la société Autodesk SA.