CA Paris, 1re ch. H, 12 décembre 2000, n° ECOC0100029X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Entreprise Morillon Courvol Courbot (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cavarroc
Conseillers :
Mmes Bregeon, Penichon, MM. Le Dauphin, Hascher
Avoué :
SCP Teytaud
Avocats :
Me Delesalle, SCP Rambaud-Martel.
Après avoir, à l'audience publique du 31 octobre 2000, entendu le conseil de la demanderesse, les observations de Mme le représentant du ministre chargé de l'économie et celles du ministère public, la requérante ayant eu la possibilité de répliquer en dernier ;
Le 26 avril 1994, le ministre de l'économie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées lors de la passation de marchés d'aménagement des berges de la Seine.
Par décision n° 97-D-11 du 25 février 1997, le Conseil de la concurrence a constaté que onze entreprises avaient enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et a infligé à huit d'entre elles des sanctions pécuniaires d'un montant compris entre 4 000 F et 2 230 000 F. Saisie par cinq entreprises sanctionnées, dont les sociétés EMCC et Quillery, la cour d'appel de Paris, par arrêt rendu le 13 janvier 1998, a, en particulier, écarté des débats le procès-verbal dressé le 27 octobre 1992, des déclarations de M. Cayet, directeur général de la société EMCC, annulé la décision attaquée en ce qu'elle a retenu que les sociétés EMCC et Quillery s'étaient livrées à des pratiques prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pour les marchés : lot n° 7 d'Anneville-Ambourville de 1988, lot n° 8 du marché Ambourville de 1988, l'aménagement du poste 27 à Val-de-la-Haye et l'aménagement du poste de dégagement amont du Port autonome de Rouen.
Sur pourvoi formé par le ministre de l'économie, la Cour de cassation, par arrêt du 21 mars 2000, a :
- cassé et annulé cet arrêt, sur les chefs de décision ci-dessus, aux motifs que, pour écarter le procès-verbal d'audition de M. Cayet, l'arrêt du 13 janvier 1998 retient que celui-ci avait pu se méprendre sur l'objet de l'enquête dès lors qu'il avait donné des indications sur des documents relatifs à de nombreuses affaires autres que celles des travaux d'aménagement des berges de la Seine et que rien ne pouvait l'amener à penser que l'enquête était circonscrite aux marchés relatifs à ces travaux d'aménagement ; qu'en statuant ainsi, alors que l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne fait pas obligation aux enquêteurs de délimiter le marché ou les marchés, au sens de l'article 7 de cette ordonnance, sur lesquels ils font porter leurs investigations, la cour avait violé ces textes ; - remis quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt du 13 janvier 1998, et pour être fait droit, les a renvoyées devant cette cour autrement composée.
La Cour :
Vu les écritures de la société EMCC du 27 juillet 2000 qui, à titre principal, concluent à :
- la constatation que, lors de l'audition de M. Cayet du 27 octobre 1992, les enquêteurs n'ont pas fait connaître l'objet de leur enquête, et qu'aucune mention ne figure à cet égard sur le procès-verbal ; -
- dire en conséquence que le procès verbal d'audition de M. Cayet doit être écarté du dossier. Subsidiairement :
- la constatation que le document coté n° 158, en l'espèce un document manuscrit rédigé par M. Cayet, lors d'une réunion tenue le 25 avril 1988 et comportant une liste de travaux, avec en regard des noms d'entreprises et certaines indications chiffrées, ne constitue pas un indice de l'existence d'une quelconque entente et qu'il est en tout état de cause, unique et isolé ;
- la constatation que l'accord de volonté de la société EMCC de participer à une concertation anticoncurrentielle avec d'autres entreprises soumissionnaires concurrentes n'est pas établie pour les marchés lot n° 7 d'Anneville- Ambourville, lot n° 8 d'Ambourville, l'aménagement du poste 17 à Val-de-la-Haye et l'aménagement du poste de dégagement amont du Port autonome de Rouen ; - l'annulation en conséquence pour les quatre marchés litigieux précités de la décision n° 97-D-11 du Conseil de la concurrence en ce qu'il a sanctionné la société EMCC sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Très subsidiairement :
- la constatation du caractère manifestement disproportionné et excessif de la sanction qui lui a été infligée par la décision n° 97-D-11 du Conseil de la concurrence, au regard des critères de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
- à la réformation en conséquence de cette décision en réduisant très substantiellement la sanction prononcée à l'encontre de la société EMCC ;
- en cas d'annulation de la décision n° 97-D-11 du Conseil de la concurrence ou de réformation et de réduction de la sanction prononcée à l'encontre de la société EMCC, dire que le trop perçu par le Trésor public au titre de cette sanction doit être remboursé à la société EMCC, avec intérêts de droit à compter de la date de son paiement, les intérêts devant en outre très capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil ; Vu la lettre du 21 septembre 2000 par laquelle le Conseil de la concurrence a indiqué ne pas souhaiter faire usage de son droit de présenter des observations ;
Vu les observations du ministre de l'économie du 29 septembre 2000 qui concluent à la confirmation en toutes ses dispositions de la décision n° 97-D-11 du Conseil de la concurrence ; Le ministère public ayant été entendu à l'audience en ses observations orales tendant au rejet du recours ; La requérante ayant été en mesure de présenter son mémoire en réplique le 20 octobre 2000 et de répondre oralement à l'audience à l'ensemble des observations présentées.
Sur ce, LA COUR :
Considérant que la société EMCC soutient que le procès-verbal de déclaration de son directeur général, M. Cayet, dressé le 27 octobre 1992, est irrégulier en l'absence d'indication de l'objet de l'enquête, ou de mention que cet objet aurait été porté à la connaissance de l'intéressé, et ajoute que cette audition avait eu lieu plus de 20 mois après la saisie de documents effectuée le 19 février 1991 par les enquêteurs ;
Considérant que si les fonctionnaires habilités par le ministre de l'économie à procéder aux enquêtes nécessaires en application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 peuvent procéder à toutes recherches et vérifications sur les pratiques incriminées sans communication de la procédure aux personnes entendues, l'enquête préalable à laquelle ils se livrent ne peut avoir pour effet de compromettre irrémédiablement l'exercice des droits de la défense ; que, notamment, la circonstance que cette enquête ne soit pas soumise aux exigences du contradictoire, dont le bénéfice n'est accordé qu'à compter de la notification des griefs, ne peut conduire les personnes entendues à faire dans l'ignorance de l'objet de l'enquête, des déclarations sur la portée desquelles elles pourraient se méprendre et qui seraient ensuite utilisées contre elles ;
Considérant qu'il est constant que le procès-verbal de déclaration de M. Cayet du 27 octobre 1992 ne comporte ni la mention de l'objet du contrôle, ni la mention que celui-ci a été indiqué à l'intéressé ;
Considérant certes que la preuve de l'obligation de loyauté peut être recherchée dans des énonciations du procès-verbal ou dans des éléments extrinsèques à celui-ci ;
Mais considérant, d'une part, que, lors de son audition, M. Cayet n'a pas fait uniquement des déclarations relatives aux berges de la Seine, mais a donné également des indications sur des documents relatifs à de nombreuses autres affaires, telles que le pont de Rochefort, les quais de Genevilliers, le pont de Normandie, ainsi que sur des chantiers en Corse, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Mayotte ou encore aux Antilles (documents cotés 161, 187, 202, 224) ; que les déclarations de M. Cayet, répondant à un interrogatoire portant sur un ensemble de faits, étrangers pour la plupart aux pratiques litigieuses, sont insuffisantes pour inférer, comme le soutient le ministre de l'économie, la connaissance par ce dernier de l'objet de l'enquête ;
Considérant d'autre part qu'il ne peut pas plus être déduit que M. Cayet devait avoir établi une relation entre son audition le 27 octobre 1992 et la saisie, le 19 février 1991, sur autorisation délivrée par le président du tribunal de grande instance de Rouen dans une ordonnance du 8 février 1991 au vu de la demande d'enquête sur les travaux d'entretien et de réfection de berges de la Seine et notifiée à M. Cayet le jour même de la saisie ; qu'en effet, l'enquêteur de la DGCCRF lui a présenté vingt mois plus tard des documents saisis le 19 février 1991, lequels étaient particulièrement nombreux et relatifs à des travaux de nature différente et à des chantiers situés sur tout le territoire national ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Cayet n'a pas été informé de l'objet de l'enquête, et en tout cas, a pu légitimement se méprendre sur celui-ci ; que le procès-verbal du 27 octobre 1992 doit être écarté des débats, dans la mesure où l'obligation de loyauté devant présider à la recherche des preuves a été méconnue ; que dès lors il n'existe plus d'indices suffisants des infractions reprochées à la société EMCC au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pour ce qui concerne les marchés lot n° 7 d'Anneville-Ambourville de 1988, lot n° 8 du marché d'Ambourville de 1988, l'aménagement du poste 27 à Val-de-la-Haye et l'aménagement du poste de dégagement amont du Port autonome de Rouen ;
Considérant que le Trésor public devra restituer en conséquence le trop perçu au titre de cette sanction et qu'il y a lieu d'accorder à la société EMCC le paiement des intérêts de la somme restituée à compter de la notification du présent arrêt valant commandement de payer et la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil,
Par ces motifs : Statuant sur renvoi après cassation, écarte des débats le procès-verbal d'audition de M. Cayet du 27 octobre 1992 ; Dit n'y avoir lieu à une sanction pécuniaire à l'égard de la société EMCC pour s'être livrée à des pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en ce qui concerne les marchés lot n° 7 d'Anneville-Ambourville de 1988, lot n° 8 du marché Ambourville de 1988, l'aménagement du poste 27 à Val-de- la-Haye et l'aménagement du poste de dégagement amont du Port autonome de Rouen ; Dit que le Trésor public restituera à la société EMCC le trop perçu au titre de cette sanction, avec intérêts de droit à compter de la notification du présent arrêt et avec capitalisation de ceux-ci dans les conditions de l'article 1154 du code civil ; Laisse à la charge du ministre de l'économie les dépens exposés par la société EMCC, y compris ceux afférents à l'arrêt cassé.