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Décisions

Conseil Conc., 20 février 1996, n° 96-D-09

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées sur le marché du soufre à usage agricole

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Simone de Mallmann, par M. Cortesse, vice-président, présidant la séance, MM. Bon, Callu, Marleix, Rocca, Sloan, Thiolon, membres.

Conseil Conc. n° 96-D-09

20 février 1996

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre enregistrée le 12 juin 1992 sous le numéro F 513, par laquelle le ministre de l'économie et des finances a saisi le Conseil de la concurrence d'un dossier relatif à des pratiques anticoncurrentielles constatées sur le marché du soufre à usage agricole ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et à la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu la décision de sursis à statuer n° 94-D-35 du 7 juin 1994 ; Vu les observations présentées par la société Elf Atochem Agri et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Thalia venant aux droits de la société Marty et Parazols, Calliope et Elf Atochem Agri entendus, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A. - Le secteur

Le soufre à usage agricole est un produit phytosanitaire de la catégorie des fongicides, utilisé dans la lutte contre les champignons qui se développent dans les cultures et dans les vergers. Fabriqué à partir de soufre brut obtenu après transformation du gaz naturel, le soufre à usage agricole est employé en poudrage ou en pulvérisation pour le traitement du mildiou et de l'oïdium de la vigne.

Les soufres pour poudrage sont fabriqués par distillation ou par broyage du soufre brut. Dans le premier cas est obtenu du soufre dit distillé, sublimé et de la fleur de soufre et, dans le second cas, du soufre dit broyé ou trituré. Ces produits, non brevetés, sont soumis à une norme définie par l'Afnor. Quant aux soufres employés en pulvérisation, appelés soufres mouillables ou micronisés, ils sont formulés à l'aide de mouillants et de dispersants. Leur commercialisation est conditionnée à l'obtention d'une homologation délivrée par le ministère de l'agriculture.

En 1990, la production de soufre à usage agricole s'est élevée à 24 366 tonnes se répartissant comme suit selon les différentes applications :

- vigne : 19 348 tonnes, soit 79 p. 100 ;

- céréales : 2 144 tonnes, soit 9 p. 100 ;

- vergers : 1 846 tonnes, soit 8 p. 100 ;

- betteraves : 852 tonnes, soit 3 p. 100 ;

- divers : 176 tonnes, soit 1 p. 100.

La région viticole du Languedoc-Roussillon constitue le principal débouché du soufre agricole. Toutefois, ce secteur d'activité est en déclin rapide en raison de la concurrence des fongicides de synthèse aux prix plus faibles et dont l'utilisation est plus facile que le soufre. Les livraisons de soufre pour le poudrage à la viticulture sont passées de 46 000 tonnes en 1980 à 11 000 tonnes en 1988. En revanche, les importations de souffre pour le poudrage sont en progression constante depuis 1985 du fait de leur prix bas. En 1990, elles se sont élevées à 943 tonnes contre 340 tonnes en 1985, et proviennent essentiellement d'Espagne. Elles sont surtout destinées aux régions viticoles françaises du Sud-Ouest.

En France, deux sociétés se partagent la fabrication du soufre à usage agricole : la société Les Raffineries de soufre réunies acquise en 1987 par la société Pennwalt France, devenue Elf Atochem Agri, est l'unique producteur de soufre distillé, tandis que la société Marty et Parazols, qui a donné son fonds en location-gérance à la société Calliope, puis a fait apport de son activité industrielle à la société Melpomen, avant d'être l'objet d'une fusion-absorption par la société Thalia, produit le souffre trituré.

A l'époque des faits, les deux sociétes Pennwalt France-Les Raffineries de soufre réunies et Marty et Parazols étaient liées par des accords industriels, chacune d'elles fabriquant pour le compte de l'autre, soit le soufre distillé, soit le soufre trituré.

B. - Les pratiques constatées

Le 24 septembre 1990, une réunion entre les employés des sociétés Marty et Parazols et Pennwalt France-Les Raffineries de soufre réunies s'est tenue au siège de la société Marty et Parazols, au cours de laquelle cette dernière a communiqué à son concurrent son prix de vente des soufres triturés pour la campagne 1991. Le compte rendu de cette réunion établi par le directeur général de la société Marty et Parazols, M. Francescatti, mentionne : (...)

"IV. - Prix de la campagne 91

"Sans prendre en compte les hausses possibles du prix du soufre brut au premier trimestre 91 (Crise du Golfe), nous avons souhaité relever les prix de vente qui n'ont pratiquement pas bougé depuis deux campagnes.

"Les nouveaux prix s'établiraient comme suit pour les soufres triturés :

"- en 50 kg : 2,27 F/kg ;

"- en 25 kg : 2,32 F/kg.

"Ces prix s'entendent départ usine.'

"V. - Concurrence espagnole

"Ce problème a été soulevé mais touche moins les RSR que nous-mêmes.

"Il a donc été convenu que des responsables de Marty et Parazols prendraient contact avec le principal fournisseur espagnol pour essayer de limiter ses ambitions sur le marché languedocien. Reste à désigner chez nous les personnes chargées de cette mission.'

Une rencontre a eu effectivement lieu en octobre 1990 entre la société Marty et Parazols et la société espagnole Paillares dont le soufre est importé en France par la société Ponrouch notamment. M. Francescatti a déclaré :

"...La rencontre qui est évoquée dans ce même document entre le fournisseur espagnol, les établissements Paillares et MP avait pour but de savoir si on allait inclure le soufre trituré dans le nouvel investissement à Pau, ou si nous allions cesser cette activité. A ce jour, le problème reste entier. J'ai rencontré MM. Paillares et Domenech à Tarragone en octobre 1990, et le but de cette entrevue était de connaître les intentions du fournisseur de soufre espagnol sur le marché languedocien. Les établissements Paillares sont les seuls fabricants géographiquement concurrents. L'autre fournisseur est implanté à Murcia (Esda SA). Actuellement, il n'y a sur le marché français que du soufre Paillares et Ponrouch. Il existe un faible courant d'importation de soufre d'origine grecque vers Béziers."

Les sociétés Les Raffineries de soufre réunies et Marty et Parazols éditent des tarifs dont les prix sont sensiblement différents, et accordent des remises qui ne sont pas identiques. Toutefois, l'instruction a mis en évidence que, à la suite de la réunion susvisée du 24 septembre 1990, les intéressées ont appliqué plusieurs fois le prix de 2,32 F/kg qui avait été indiqué comme nouveau prix pour les soufres triturés en 25 kg.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL

En ce qui concerne la régularité de l'enquête administrative :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de procédure :

Considérant que les sociétés Marty et Parazols et Calliope affirment, sans d'ailleurs les citer, que certaines pièces du dossier n'ont pas fait l'objet d'un procès-verbal de récolement ;

Mais considérant qu'il est constant que l'ensemble des documents versés au dossier et communiqués aux parties ont fait l'objet de procès-verbaux d'inventaire des documents communiqués, de procès- verbaux de déclaration ou ont été communiqués par les entreprises à la demande du rapporteur ; que dès lors le moyen doit être écarté ;

Considérant que les sociétés Marty et Parazols et Calliope soutiennent, également, que les procès- verbaux contenus dans le dossier n'ont pas été remis en copie aux parties intéressées, et que les personnes interrogées n'ont pas été informées de l'objet de leur audition ; que la société Elf Atochem Agri, venant aux droits de la société Pennwalt France-Les Raffineries de soufre réunies, fait valoir que certains procès-verbaux joints au dossier ne comportent ni la mention du cadre légal dans lequel les enquêteurs ont agi, ni la domiciliation administrative des enquêteurs, ni l'objet de l'enquête, ni la mention qu'un double a été remis aux personnes intéressées ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 45 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l'économie peuvent procéder aux enquêtes nécessaires à l'application de la présente ordonnance "; qu'en vertu de l'article 46 de la même ordonnance : "Les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux et, le cas échéant, de rapports. Les procès-verbaux sont transmis à l'autorité compétente. Un double en est laissé aux parties intéressées. Ils font foi jusqu'à preuve contraire "; qu'enfin, aux termes de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 : "Les procès-verbaux prévus à l'article 46 de l'ordonnance sont rédigés dans le plus court délai. Ils énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués. Ils sont signés de l'enquêteur et de la personne concernée par les investigations. En cas de refus de celle-ci, mention en est faite au procès-verbal ";

Considérant, en premier lieu, que les règles de forme des procès-verbaux telles que prévues par l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 ne font pas obligation de mentionner l'identité du service administratif auquel l'agent enquêteur est rattaché ; que la compétence territoriale de l'enquêteur a pour seul fondement l'habilitation ministérielle prévue par l'article 45 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que ce moyen n'est donc pas fondé ;

Considérant, en second lieu, qu'aucune disposition de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou du décret du 29 décembre 1986 n'impose que soient indiquées dans le procès-verbal les règles procédurales suivant lesquelles s'effectue le contrôle ; que le moyen tiré de l'absence de mention desdites règles n'est donc pas fondé ;

Considérant, en troisième lieu, que la preuve que les enquêteurs ont fait connaître clairement aux personnes interrogées l'objet de leur enquête peut être rapportée par la mention, faisant foi jusqu'à preuve du contraire, que les agents de contrôle ont fait connaître cet objet à l'intéressé, sans qu'il y ait lieu de décrire cet objet ; qu'à défaut de visa de l'ordonnance du 1er décembre, ainsi que de mention de l'objet ou à tout le moins de l'indication que celui-ci a été porté à la connaissance des personnes interrogées, le contrôle de la régularité des investigations porte sur le contenu des actes ; qu'il doit à cette fin être vérifié, par l'examen des déclarations, que l'agent verbalisateur n'a pas laissé la personne auditionnée dans l'ignorance de l'objet du contrôle ou ne l'a pas trompée sur son contenu ;

Considérant que les procès-verbaux d'inventaire des documents communiqués par M. Francescatti du 16 janvier 1991 (société Marty et Parazols, pièce 19), et par MM. Francescatti et Richard du 4 juin 1991 (société Marty et Parazols, pièce 22), portent le visa de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et les mentions que les enquêteurs ont justifié de leur qualité, indiqué l'objet de l'enquête et remis une copie desdits procès-verbaux aux intéressés ;

Considérant en conséquence que, s'agissant de ces actes, les personnes auditionnées avaient été préalablement informées de l'objet de l'enquête et qu'un double de ceux-ci leur a été remis ; que, dès lors, contrairement à ce que soutiennent les parties, il n'y a pas lieu de retirer ces actes de la procédure ;

Mais considérant que ni le procès-verbal de déclaration du 19 avril 1991 de M. Valz (société Les Raffineries de soufre réunies, pièce n° 29), ni le procès-verbal de déclaration de M. Casal du 21 février 1991 (société Casal, pièce n° 21), ni le procès-verbal de déclaration du 14 février 1991 de Mlle Sans (société Bertrand et Cie, pièce n° 20), ne portent mention de l'objet du contrôle, pas plus du fait que celui-ci a été indiqué et n'ont été accompagnés d'aucun acte attestant qu'une information des déclarants sur l'objet de l'enquête a été effectuée ; qu'en conséquence, seul un examen du contenu de ces actes peut permettre de s'assurer que MM. Valz, Casal et Mlle Sans ont eu connaissance de l'objet de l'enquête et ont été en mesure d'apprécier la portée de leurs déclarations ;

Considérant que, du contenu du procès-verbal de M. Valz, il ressort que celui-ci a exposé l'activité de sa société, les parts de marché de celle-ci dans plusieurs régions, les tarifs de vente aux négociants, les prix effectivement pratiqués, les remises sur le prix de vente du soufre distillé et qu'il a remis divers documents ; qu'il n'est donc pas établi, alors qu'au surplus cet acte d'enquête ne porte pas le visa de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qu'il a été informé à l'occasion de cette audition de ce que l'enquête portait sur la situation de la concurrence sur le marché du soufre à usage agricole ;

Considérant que des déclarations consignées au procès-verbal de M. Casal il ressort qu'après avoir remis des factures se rapportant à ses achats de soufre à usage agricole pour la campagne 1989-1990, celui-ci a exposé qu'il n'avait pas encore procédé à des achats pour la campagne 1990-1991, et indiqué les prix que le groupement Agri + lui avait communiqués pour la campagne en cours ; qu'il n'est donc pas établi, alors qu'au surplus cet acte d'enquête ne porte pas le visa de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qu'il a été informé à l'occasion de cette audition de ce que l'enquête portait sur la situation de la concurrence sur le marché du soufre à usage agricole ;

Considérant que du procès-verbal de Mlle Sans, il ressort que celle-ci a déclaré avoir pour seul fournisseur de soufre les établissements Marty et Parazols, que pour la campagne 1990 les achats de sa société se sont élevés à environ 190 tonnes, que les prix de vente de son fournisseur n'avaient pas encore été modifiés, qu'elle ne connaissait pas les prix des Raffineries de soufre réunies, mais qu'étant donné le niveau de prix très favorable du soufre en provenance d'Espagne il était possible qu'elle procède à des achats par l'intermédiaire "du représentant de soufre espagnol "en France et qu'elle a remis divers documents ; qu'il n'est donc pas établi, alors, qu'au surplus, cet acte ne porte pas le visa de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et la mention qu'une copie lui a été remise, que l'intéressée a été informée à l'occasion de cette audition de ce que l'enquête portait sur la situation de la concurrence sur le marché du soufre à usage agricole, les déclarations recueillies près d'un an plus tard selon lesquelles l'intéressée aurait été bien informée de l'objet de l'enquête ne pouvant régulariser ledit procès-verbal ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les procès-verbaux de déclaration de M. Valz du 19 avril 1991, de M. Casal du 21 février 1991 et de Mlle Sans du 14 février 1991 ont été établis de façon irrégulière et doivent être écartés de la procédure ;

Considérant toutefois que les pièces demeurant au dossier, et notamment le procès-verbal d'inventaire des documents communiqués par M. Francescatti du 16 janvier 1991, permettent l'examen des griefs notifiés ;

Sur les pratiques de concertation :

Considérant que le compte rendu de la réunion du 24 septembre 1990 établi par un agent de la société Marty et Parazols fait état d'un échange de vues sur les perspectives de prix de vente à appliquer pour les soufres triturés pour la campagne 1991 sans mentionner l'accord de la société Pennwalt-Les Raffineries de soufre réunies ; que cette réunion trouvait sa place dans le cadre normal des relations de sous-traitance existant entre les sociétés Marty et Parazols et Pennwalt France-Les Raffineries de soufre réunies ; que par ailleurs les factures demeurant au dossier ne permettent pas d'établir que les sociétés Marty et Parazols et Pennwalt France-Les Raffineries de soufre réunies se seraient concertées pour appliquer les prix évoqués lors de la réunion du 24 septembre 1990, étant donné que le prix de 2,32 F pour le soufre trituré logé en sacs de 25 kg ne figure que sur quelques factures ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas établi que la société Marty et Parazols, qui a donné son fonds de commerce en location-gérance à la société Calliope et aux droits et obligations de laquelle vient aujourd'hui la société Thalia, et la société Pennwalt France-Les Raffineries de soufre réunies, devenue Elf Atochem Agri, ont mis en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

Décide :

Article unique. - Il n'est pas établi que les sociétés Thalia, qui vient aux droits de la société Marty et Parazols, et Elf Atochem Agri, qui vient aux droits de la société Pennwalt France-Les Raffineries de soufre réunies, aient enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.