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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 12 décembre 2000, n° ECOC0100030X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sogea Sud-Est (SNC), SCR (SA), SCR-Midi (SNC), SCR-GVTP (SNC)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cavarroc

Conseillers :

Mmes Bregeon, Penichon, MM. Le Dauphin, Hascher

Avoué :

SCP Teytaud

Avocats :

Mes Delesalle, Lévy.

CA Paris n° ECOC0100030X

12 décembre 2000

Le syndicat intercommunal à vocation multiple de la vallée du Calavon a lancé, en mai 1991, une consultation dans le cadre d'un marché de travaux routiers pour l'aménagement de la voirie de la rue du Barry à Castellet, (Vaucluse).

Saisi par le ministre de l'économie de pratiques mises en œuvre lors de ce marché, le Conseil de la concurrence (dit ci-après " le Conseil ") a, par décision n° 96-D-64 du 20 novembre 1996, infligé à six sociétés, dont Sogea Sud-Est SNC et SCR SA des sanctions pécuniaires s'élevant respectivement, pour ces dernières, à 1 500.000 F et 3 000.000 F pour avoir enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Chacune de ces deux sociétés a formé un recours contre cette décision devant la Cour d'appel de Paris et SCR-Midi SNC est intervenue volontairement au côté de SCR SA. Par arrêt du 27 février 1998, cette Cour a, notamment, d'une part réduit à 250.000 F le montant de la sanction prononcée à l'encontre de Sogea Sud-Est SNC et à 600.000 F celui de la sanction infligée à SCR SA, d'autre part rejeté le surplus des recours.

Sur le pourvoi formé contre cet arrêt par le ministre de l'Economie et des Finances, la Cour de cassation, chambre commerciale financière et économique, a, par arrêt du 14 décembre 1999 :

- considéré que, la motivation retenue étant impropre à établir l'appréciation concrète de la proportionnalité de la sanction prononcée à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de chacune des entreprises concernées, la cour d'appel n'avait pas satisfait aux dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

- cassé et annulé l'arrêt rendu le 27 février 1998, mais seulement en ce qu'il a réduit le montant des sanctions pécuniaires aux sommes rappelées ci-dessus ;

- remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant cette Cour autrement composée.

La Cour,

Vu l'acte de saisine du 13 juillet 2000 aux termes duquel SCR SA et SCR-Midi SNC demandent à la Cour de faire droit à leur recours contre la décision du Conseil et de réduire la sanction prononcée par ce dernier dans de très notables proportions ;

Vu le même acte du 13 juillet 2000 par lequel la société SCR-Gard Vaucluse Travaux Publics Pradier (dite ci-après SCR-GVTP SNC) intervient à la procédure, d'une part, pour faire valoir que l'imputabilité des faits reprochés lui incombe et que, en conséquence, SCR SA doit être déchargée de toute sanction, d'autre part pour s'associer à la demande de réduction des sanctions pécuniaires ;

Vu le mémoire déposé le 16 octobre 2000 par ces trois sociétés, aux mêmes fins ;

Vu la saisine en date du 28 juin 2000 par laquelle Sogea Sud-Est SNC demande à la cour de constater que la sanction prononcée à son encontre ne répond pas aux critères et aux exigences de proportionnalité posés par l'article L. 464-2 du Code de commerce et, partant, de réformer la décision du Conseil ;

Vu les observations déposées le 25 septembre 2000 aux termes desquelles le ministre chargé de l'économie sollicite la confirmation des montants desdites sanctions et le rejet des recours formés contre la décision du Conseil ;

Vu la note déposée le 21 septembre 2000 par laquelle le Conseil de la concurrence a fait connaître qu'il n'entendait pas user de la faculté de déposer des observations écrites ;

Ouï le Ministère public en ses observations orales tendant au rejet des recours, au motif que le Conseil a déterminé le montant des sanctions par une analyse objective, en fait et en droit, à travers une motivation conforme aux prescriptions de l'article L. 464-2 du Code de commerce ;

Les requérants ayant eu la possibilité de s'expliquer en dernier ;

Sur ce :

Sur l'imputabilité des pratiques :

Considérant que l'arrêt de cette Cour rendu le 27 février 1998 a été cassé et annulé " seulement en ce qu'(il) a réduit le montant des sanctions pécuniaires infligées à 250.000F en ce qui concerne la société Sogea Sud-Est et à 600.000 F en ce qui concerne la société SCR SA " ;

Qu'il s'ensuit qu'il est irrévocablement jugé que les pratiques en cause sont imputables aux sociétés Sogea Sud-Est SNC et SCR SA ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 464-2 du Code de commerce, " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. II peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution, des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos (...) " ;

Considérant, sur la gravité générale des pratiques, que le Conseil a justement relevé que les pratiques en cause émanaient d'entreprises importantes et jouissant, dans le domaine des travaux routiers, d'une grande notoriété tant au niveau national (SCR) qu'au niveau régional (Sogea Sud-Est);

Que, bien que les requérantes dénient toute exemplarité au comportement qui leur est reproché, de telles pratiques dépassent le simple enjeu du marché public sur lequel elles ont été observées ; qu'elles peuvent avoir pour effet de convaincre d'autres entreprises de moindre taille, de la banalité et de la généralité d'un tel comportement de sorte que ces dernières pourraient être incitées, soit à y recourir pour d'autres marchés, soit à renoncer à faire des offres sur des marchés d'une certaine importance convoités par de grandes entreprises auxquels elles pourraient, cependant, être éligibles ; qu'ainsi la gravité des pratiques anticoncurrentielles dont s'agit ne saurait être contestée ;

Considérant, par ailleurs, que l'entente à laquelle ont participé les sociétés requérantes avait pour objet ou pouvait avoir pour effet de faire échec au déroulement normal de la consultation tendant à l'attribution d'un marché dont le montant a été évalué à 243.340 F HT ; qu'en l'espèce, la concertation devant permettre à la société Pietri d'être la moins-disante avec une offre de 338.751 F TTC pouvait avoir, comme l'a pertinemment relevé le Conseil, pour effet de provoquer une hausse artificielle des prix par rapport à l'offre qui a été retenue.

Que ces pratiques anticoncurrentielles, qui caractérisent un dommage à l'économie, sont répréhensibles du seul fait de leur existence, en ce qu'elles constituaient une tromperie sur la réalité de la concurrence dont elles faussaient le libre jeu, nonobstant la circonstance que l'échange d'informations entre entreprises sur les prix a été suivi d'une adjudication inférieure aux estimations du maître d'œuvre et de la commission d'ouverture des plis et que le marché a été, en définitive attribué à une entreprise ne participant pas à la concertation ;

Considérant, sur le moyen tiré de la proportionnalité des sanctions à la situation financière des entreprises, que le ministre de l'économie soutient qu'en l'espèce, " si le Conseil a certes été quelque peu au delà des montants proposés par le commissaire du Gouvernement, il a également tenu compte de la situation financière de (l'entreprise Sogea) (...) et a prononcé une sanction proportionnellement plus faible que celle retenue à l'encontre des autres filiales de grands groupes nationaux, à savoir respectivement les sociétés SCR et Gerland routes, et comparables en proportion aux montants infligés aux PME mises en cause "; qu'il considère que les sanctions prononcées s'élèvent à des montants " tout à fait raisonnables par rapport aux sanctions prises par les autorités de concurrence européennes " ;

Considérant cependant que Sogea Sud-Est SNC justifie d'une forte dégradation de sa situation financière depuis 1993 qui s'est encore amplifiée en 1996 avec une baisse de plus de 21 % par rapport à son chiffre d'affaires de 1995 ; que, de même, SCR SA verse aux débats ses bilans et comptes de résultat pour les exercices 1995 et 1996 qui révèlent une baisse certaine du montant de son chiffre d'affaires pour 1996 par rapport à l'année précédente ;

Considérant, que l'ensemble des éléments exposés ci-dessus, conduit la Cour à ramener à 500.000 F la sanction infligée à Sogea Sud-Est SNC et à 1.000.000 F la sanction infligée à SCR SA ;

Par ces motifs, statuant sur renvoi après cassation, réforme la décision n° 96-D-64 du 20 novembre 1996 du Conseil de la concurrence en ses dispositions relatives au montant des sanctions pécuniaires infligées aux sociétés SCR SA et Sogea Sud-Est SNC ; fixe à 1 000.000 F le montant de la sanction infligée à la société anonyme SCR ; fixe à 500.000 F le montant de la sanction infligée à la société en nom collectif Sogea Sud-Est ; dit que les sociétés SCR-GVTP SNC et SCR-MIDI SNC conserveront la charge de leurs frais d'intervention ; rejette toutes autres prétentions, condamne SCR SA et Sogea Sud-Est SNC aux dépens.