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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 17 octobre 2000, n° ECOC0000419X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Syndicat national des ambulanciers de montagne

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Kamara

Conseillers :

Mme Deurlbergue, M. Hascher

Avoué :

SCP Narrat-Peytavi

Avocat :

Me Cabanes.

CA Paris n° ECOC0000419X

17 octobre 2000

LA COUR statue sur le recours en annulation et réformation formé par le Syndicat National des Ambulanciers de Montagne ("SNAM") à l'encontre de la décision du Conseil de la concurrence n° 99-D-70 du 30 novembre 1999 relative à certaines pratiques mises en œuvre dans le secteur des transports sanitaires et skieurs accidentés ayant infligé à diverses entreprises ou sociétés d'ambulanciers et compagnies d'assurances, des sanctions pécuniaires, et à lui-même une sanction de 65 000 F pour avoir enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Référence faite à cette décision sur l'exposé des faits et de la procédure initiale, il suffit de rappeler les éléments suivants :

Le SNAM a passé une convention comportant en annexe une "charte des ambulanciers de montagne qui établit l'instauration d'un prix forfaitaire pour le transport primaire des skieurs accidentés, c'est-à-dire entre le poste de secours situé au bas des pistes et le centre de soins le plus proche, ainsi qu'une répartition des transports sanitaires secondaires, c'est-à-dire entre ce dernier centre de soins et un autre établissement ou vers une destination du choix du blessé, au moyen de l'organisation d'un droit de suite au profit de l'ambulancier ayant effectué le transport primaire.

Saisi courant mars 1998 par le ministre de l'économie, le Conseil de la concurrence a rendu le 30 novembre 1999 la décision attaquée par le SNAM le 24 mars 2000, qui, au soutien de son recours, expose que les griefs retenus sont infondés. Le SNAM déclare avoir défendu les intérêts de ses adhérents en négociant avec les compagnies d'assurances le montant d'un tarif de prise en charge de leurs assurés que les ambulanciers individuellement n'auraient pu obtenir. Il estime que le caractère artificiellement élevé du tarif forfaitaire appliqué, l'existence de sanctions envers les entreprises adhérentes ayant pratiqué d'autres modalités tarifaires, ainsi que l'existence d'une attribution systématique du transport secondaire au titulaire du transport primaire ne sont pas démontrés. Le SNAM allègue que son action a permis le maintien d'un réseau d'ambulanciers suffisant pour préserver une diversité des intervenants sur le marché des transports sanitaires de montagne qui n'aurait pas été assurée si celui-ci avait été laissé à la seule influence des compagnies d'assurances. Le SNAM estime que la condamnation prononcée à son encontre est hors de proportion avec ses ressources, excessive par rapport aux condamnations prononcées à l'encontre des autres parties devant le Conseil et demande à la Cour de la ramener en conséquence à une plus juste proportion. Il conclut à l'infirmation de la décision attaquée l'ayant condamné à une sanction pécuniaire de 65.000 F et au rejet des griefs formulés à son encontre.

Le Conseil de la concurrence observe que, le SNAM ayant déclaré compter 130 membres, la sanction infligée représente, au cas où son budget ne lui permettrait pas d'y faire face, un appel à cotisation supplémentaire de 500 F par membre.

Le ministre de l'économie, à l'issue d'observations réfutant les moyens invoqués par le requérant, conclut au rejet dans toutes ses dispositions du recours formé par le SNAM.

Le ministère public a conclu oralement au rejet du recours.

Sur ce, LA COUR

Sur l'entente (art. 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) :

Considérant que le SNAM prétend que, le transport primaire s'inscrivant dans le cadre d'une activité de secours dont l'organisation relève des pouvoirs de police administrative des maires bien que les collectivités territoriales interviennent rarement à cet égard, l'appréciation de son comportement échapperait à la compétence du Conseil de la concurrence comme mettant en cause l'organisation d'un service public.

Que, toutefois, la tarification forfaitaire critiquée a été mise en place dans le cadre d'une activité de services de nature économique au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les prestations effectuées par les ambulanciers étant facturées aux bénéficiaires qui en acquittent directement ou indirectement le montant, peu important que le SNAM soit investi de prérogatives de puissance publique, ce qu'il ne démontre d'ailleurs pas.

Que, par suite, ces allégations sont sans incidence sur la compétence du Conseil de la concurrence.

Considérant que le SNAM expose que le Conseil n'a pas démontré le caractère anticoncurrentiel du tarif forfaitaire négocié avec les compagnies d'assurances dont l'établissement n'a donné lieu à aucune surfacturation, puisqu'il n'a généré aucune hausse du prix de l'assistance aux skieurs accidentés, les primes d'assurance n'ayant pas augmenté, que le tarif forfaitaire est très inférieur au coût du transport assuré par les sapeurs pompiers, qu'il n'est en tout état de cause pas supérieur au coût qui serait issu du libre prix du marché suivant une étude de la Cour des comptes en 1997-1998 ; que le SNAM allègue encore n'avoir donné aucune consigne aux ambulanciers, la preuve d'une sanction à l'encontre des entreprises ayant appliqué d'autres modalités tarifaires n'étant pas rapportée.

Considérant que le SNAM soutient enfin qu'il n'existe aucune attribution systématique du transport secondaire au titulaire du transport primaire, que l'ambulancier implanté sur un site sur lequel il a assuré un transport primaire du bas de la piste vers un premier centre de soins soit sollicité pour assurer le transport secondaire relève d'un usage professionnel trouvant son origine dans les contraintes particulières à la haute montagne ayant conduit les professionnels à se répartir selon les zones géographiques, qu'en définitive le droit de suite n'est qu'un argument de nature commerciale ;

Considérant que le ministre de l'économie observe que le SNAM a dépassé sa mission de défense des intérêts des ambulanciers en établissant un tarif unique et en prévoyant des sanctions en cas de non-respect, que l'homogénéisation des prix a maintenu la situation délicate de certains ambulanciers et pénalisé la rentabilité des entreprises compétitives, atténuant ainsi l'intensité concurrentielle, que, dès lors, la discussion sur le caractère excessif du tarif fixé de manière concertée est sans portée sur la qualification de la pratique reprochée au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que le caractère anticoncurrentiel du tarif unique est au surplus renforcé par l'alignement du tarif pratiqué à l'égard des skieurs accidentés couverts uniquement par la sécurité sociale sur celui négocié avec les compagnies d'assistance et applicable aux seuls skieurs accidentés détenteurs d'un titre d'assurance-assistance privé, au lieu de l'application du tarif fixé par arrêté ministériel et d'un montant inférieur au tarif négocié avec les assurances ; que, par ailleurs, la répartition du marché résultant de la convention et de la charte des ambulanciers de montagne réservant en priorité le transport secondaire à l'entreprise ayant effectué le transport primaire limite la concurrence entre les adhérents du SNAM et les autres.

Considérant, en premier lieu, que, si les organisations professionnelles ou syndicales ont notamment pour mission la défense des intérêts collectifs de leurs membres ou adhérents, elles sortent du cadre de leur mission en diffusant à ceux-ci des tarifs ou des méthodes de calcul de prix qui ne prennent pas en considération les coûts effectifs de chaque entreprise.

Considérant, en l'espèce, que suivant l'article 5 de la convention signée entre le SNAM, le Centre national ambulances et services "CNAS" et chacune des entreprises adhérentes :

"L'entreprise contractante appliquera aux interventions qu'elle aura réalisées les tarifs convenus en accord avec le syndicat. Les prix sont fixés en fonction des tarifs réglementaires en vigueur minorés d'un pourcentage déterminé".

Que l'article 6 de cette même convention précise que les factures seront émises par l'entreprise contractante à l'ordre du CNAS et adressées à celui-ci qui en sera seul débiteur, et que, d'après l'article 7, le CNAS s'engage à procéder au règlement des factures par chèque dès le paiement de celles-ci par les sociétés d'assistance concernées.

Qu'en outre, l'article 6 de la Charte des ambulanciers, à laquelle l'article 11 de la convention précitée fait référence, stipule :

"L'entreprise signataire de cette charte appliquera aux interventions qu'elle aura réalisées les mêmes tarifs pour tous les détenteurs d'assurance/assistance "montagne/neige" ;

Qu'enfin, l'article 3 de la convention ci-dessus précise que les clauses contractuelles doivent être respectées par les parties sous peine d'exclusion ;

Considérant qu'il n'est pas sérieusement contesté qu'au cours de l'instruction devant le Conseil, plusieurs entreprises ont déclaré avoir appliqué le tarif recommandé et, à quelques exceptions près, aligné les prix du transport des skieurs accidentés, couverts uniquement par la sécurité sociale, sur ceux négociés avec les compagnies d'assurances ou d'assistance ;

Considérant que la tarification forfaitaire recommandée par le SNAM à ses adhérents ne tient pas compte des coûts individuels de chaque adhérent en les dispensant de déterminer leurs prix en fonction de leurs propres données et aboutit à une uniformisation de l'offre du transport sanitaire en exerçant de telle manière une influence sur le libre jeu de la concurrence.

Considérant que, de surcroît, le SNAM ne démontre pas que l'absence d'augmentation des primes d'assurance serait due à l'instauration de la tarification unique plutôt qu'à toute autre cause, que le forfait diffusé par le SNAM ne peut être comparé aux coûts de l'intervention des sapeurs pompiers, dont le fonctionnement est différent de celui des entreprises ambulancières ; que le rapport de la Cour des comptes est sans pertinence dans le contexte du marché des transports sanitaires des skieurs accidentés puisqu'il traite des transports sanitaires dans leur ensemble sans distinguer le marché en cause.

Considérant, en second lieu, que la charte des ambulanciers de montagne prévoit à l'article 3 :

"L'entreprise ambulancière ayant effectué une mission de premier secours pour un accidenté ou malade devra être appelée pour réaliser ensuite le transport secondaire pour ce même patient. A défaut de secours initial, il sera fait appel en priorité, sur une zone géographique donnée, aux entreprises signataires de cette charte.

L'entreprise ambulancière s'interdit toute sous-traitance. En cas d'impossibilité d'effectuer la mission préalablement acceptée, l'entreprise ambulancière informe immédiatement le centre de traitement des appels"

et à l'article 4 :

"Les priorités, premiers secours, transport secondaire et lieu géographique, ne peuvent s'effectuer que par l'intermédiaire d'un centre de traitement des appels - La bonne application de cette charte et la cohésion technique ne sont réalisables que si la régulation et la répartition des missions s'effectuent sur un site unique, quelques (quels que) soient les produits d'assurance et d'assistance".

Que l'article 4 de la convention, intitulé priorité/exclusivité, dispose :

"Lorsque le CNAS est gestionnaire des premiers secours (transports primaires "neige") et en cas de rapatriement, cette mission sera confiée à l'entreprise ayant déjà effectué le premier secours, signataire de cette convention et de la charte des ambulanciers de montagne.

Dans le cas où l'entreprise ayant effectué le premier secours est dans l'impossibilité d'effectuer la mission de rapatriement, le CNAS confie cette mission à l'entreprise contractante la plus proche du lieu de la prise en charge".

Considérant que ces dispositions, qui ont pour effet de réserver les transports secondaires aux entreprises adhérentes, limitent l'accès au marché du transport secondaire des entreprises non adhérentes, restreignent la liberté des clients de choisir un autre prestataire et limitent la concurrence entre les entreprises adhérentes par une répartition entre celles-ci.

Considérant qu'il s'ensuit qu'en établissant un tarif unique, en prévoyant des sanctions en cas de non-respect des dispositions ainsi arrêtées, en réservant les transports secondaires aux entreprises adhérentes et en répartissant entre elles ces transports, le SNAM a mis en œuvre des pratiques prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Sur le progrès économique lié aux pratiques incriminées (article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986):

Considérant que le SNAM expose que l'institution d'un interlocuteur privilégié a répondu au souci de compenser le poids des compagnies d'assurances et de préserver une diversité d'intervenants sur le marché des transports sanitaires de montagne en vue de maintenir la concurrence et qu'il n'est pas démontré que le service de secours assuré par les ambulanciers révélerait des carences.

Considérant que le ministre de l'économie observe à juste titre que les mouvements actuels de fusion entre compagnies d'assurances, s'ils expliquent l'utilité de regrouper les petites entreprises d'ambulances, ne justifient pas la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles.

Considérant que la recherche d'un service de qualité ne justifie pas davantage l'instauration d'un tarif unique et d'une répartition du marché affectant le jeu de la concurrence, que le SNAM n'établit pas que les pratiques critiquées étaient indispensables pour atteindre les objectifs recherchés, qu'il n'est ainsi pas démontré qu'elles aient pu apporter une contribution au progrès économique ou permis de réserver aux skieurs accidentés une partie équitable du profit qui en est résulté au sens de l'article 10 alinéa 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il s'ensuit que les pratiques ci-dessus caractérisées ne peuvent être soustraites à l'application de l'article 7 de l'ordonnance.

Sur les sanctions (article 13 alinéa 3 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) :

Considérant que le SNAM conteste le montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée comme étant hors de proportion au regard de son budget et de nature à affecter ses conditions futures de fonctionnement ;

Considérant que le ministre de l'économie observe que le Conseil a fait une juste appréciation de la gravité des pratiques et du dommage causé à l'économie en s'appuyant sur les indications données par le président du SNAM et consignées dans un procès-verbal du 14 juin 1997;

Considérant qu'aux termes de l'article 13 alinéa 3 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les sanctions pécuniaires doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné, qu'elles doivent être déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et motivées pour chaque sanction ; que selon l'alinéa 4 du même article, le montant maximum de la sanction est de dix millions de francs si, comme en l'espèce, le contrevenant n'est pas une entreprise ;

Considérant que le Conseil s'est fondé sur les déclarations en 1997 du président du SNAM suivant lesquelles les cotisations s'élevaient à 1 000 F par membre et par an, pour 130 membres ; que, compte tenu du niveau des ressources du SNAM et de la gravité des pratiques de tarification uniforme reprochées ainsi que de leurs conséquences sur le libre jeu de la concurrence sur le marché du transport sanitaire de montagne, il convient de réformer la décision du Conseil de la concurrence ayant condamné le SNAM à une sanction pécuniaire de 65 000 F et d'infliger une sanction de 30 000 F ;

Par ces motifs : Réforme la décision du Conseil de la concurrence n° 99-D-70 du 30 novembre 1999, Statuant à nouveau, Inflige au Syndicat National des Ambulanciers de Montagne (SNAM) une sanction pécuniaire de 30 000 F, Laisse les dépens à la charge du requérant.