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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 6 décembre 1990, n° ECOC9010180X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fédération nationale des producteurs de l'horticulture et des pépinières, Renoard (SA), Clos de la Pellerie (SA), Pépinières Derly (SA), Générale horticole Minier (SICA), Plandorpac (GIE), Gild

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gourlet

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

MM. Canivet, Guérin, Favre, Mme Simon

Avocats :

Mes Jeantet, Moriceau, SCP Fontaine-Ithurbibe-Neouze-Favier.

CA Paris n° ECOC9010180X

6 décembre 1990

Par décision délibérée le 22 mai 1990 relative aux pratiques observées sur le marché des pépinières et de l'horticulture, le Conseil de la concurrence a :

1° Enjoint au GIE Plandorpac de cesser d'élaborer et de diffuser des catalogues pour les produits de pépinières comportant des références à des prix de cession et à des conditions de vente ;

2° Infligé à la Fédération nationale des producteurs de l'horticulture et des pépinières (FNPHP) ainsi qu'à divers unions régionale ou locale, syndicats, associations, groupements d'intérêt économique et entreprises d'horticulture des sanctions pécuniaires comprises entre 1 000 et 450 000 F ;

3° Ordonné la publication du texte intégral de sa décision aux frais de la FNPHP ;

La FNPHP, le GIE Plandorpac, la société des pépinières Derly, la SICA Générale horticole Minier, la société J. Renoard, la société Clos de la Pellerie G. Renouard et Alfred Gilg ont formé un recours contre cette décision dont le dernier d'entre eux s'est ensuite désisté.

A l'égard des requérants restant en la cause, il est retenu :

- qu'à l'occasion des réunions de sa commission technico-économique la FNPHP a diffusé des informations relatives, d'une part, aux fourchettes de hausses de charges enregistrées par les pépiniéristes et, d'autre part, aux augmentations de prix programmées par le GIE Plandorpac ;

- que les catalogues de prix diffusés par le GIE Plandorpac avaient un objet anticoncurrentiel et qu'en outre une union syndicale et des entreprises extérieures au groupement ont participé à l'élaboration de ses tarifs, notamment, en 1985, les entreprises Derly et Minier,

- qu'en se concertant, au printemps 1985, sur des hausses de prix comprises entre 15 et 20 p. 100, certaines entreprises, dont la société des pépinières Derly et la SICA générale horticole Minier, se sont livrées à des pratiques prohibées ;

- qu'en définissant un prix de revente minimum aux grandes surfaces et en concluant des clauses de non-concurrence dans le cadre du GIE DMR créé entre elles, la société des pépinières Derly, la SICA générale horticole Minier, la société J. Renoard et la société Clos de la Pellerie G. Renoard ont entendu limiter l'exercice de la concurrence.

Par des moyens développés en commun ou exposés séparément, les requérants concluent à la nullité de la décision déférée ainsi qu'à sa réformation, soit en contestant la réalité des pratiques retenues ou leur caractère anticoncurrentiel, soit en demandant la suppression ou la réduction des sanctions infligées.

Le représentant du ministre chargé de l'Economie, dans ses observations, et le Ministère public, dans ses conclusions orales, estiment que les recours doivent être rejetés.

Sur quoi LA COUR :

I. - Sur la nullité

1° Considérant que la FNPHP soutient tout d'abord que la décision déférée est nulle, en ce que le Conseil n'a pas procédé à l'analyse des pratiques sur le marché pertinent ;

Considérant que le Conseil a fait porter son examen sur le marché constitué par le secteur horticole regroupant les branches d'activité des pépinières, de l'horticulture, des fleurs et feuillages coupés et de la bulbiculture ; que les professionnels concernés pratiquent tout ou partie de ces activités et que la fédération requérante les regroupe sans distinction ; qu'il importe peu que l'entente tarifaire reprochée à cette fédération ne porte que sur les produits de pépinières dès lors qu'il n'est tiré de l'existence prétendue d'un marché spécifique à ceux-ci aucun moyen de nature à permettre une appréciation différente de l'existence ou du caractère illicite des pratiques examinées ;

2° Considérant que ladite fédération soutient en deuxième lieu que la décision soumise à recours est fondée sur des déclarations de professionnels obtenues en violation des droits de la défense ;

Considérant que l'article 20 du décret n° 86-l 309 du 29 décembre 1986 prévoit que les personnes entendues par le rapporteur peuvent être assistées d'un Conseil ; que l'exercice effectif de cette garantie essentielle de la défense impose que les intéressés en soient informés, ce qui n'a pas été le cas de MM. Demoucron, Dufay, Minier, Derly, Blaise, Girault et Geniller, dont les procès-verbaux d'audition doivent en conséquence être annulés et retirés des débats sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres irrégularités tirées d'une prétendue déloyauté des questions qui leur ont été posées ;

Considérant que la suppression des pièces susvisées, qui n'ont aucune incidence sur la preuve des pratiques litigieuses, n'entraîne pas la nullité de la procédure ultérieure et que les griefs retenus sont à examiner au regard des éléments de preuve subsistants ;

3° Considérant que la FNPHP allègue en troisième lieu que le rapport n'a pas été notifié au ministre de l'Agriculture, selon elle intéressé par les pratiques examinées, alors qu'au surplus, à l'inverse du commissaire du Gouvernement, les parties n'auraient pas été en mesure de vérifier en cours de procédure l'accomplissement de cette formalité ;

Considérant cependant qu'il n'est pas allégué que l'entente tarifaire reprochée à la FNPHP soit à apprécier au regard de textes ayant une incidence directe ou indirecte sur sa licéité et dont la mise en œuvre relèverait des missions propres au ministre de l'Agriculture ; qu'il n'apparaît pas que l'avis de cette autorité et les éléments d'information qu'elle seule pourrait fournir soient indispensables pour justifier du progrès économique auquel cette concertation aurait contribué ; qu'il s'ensuit que ce ministre ne peut être " intéressé " par les pratiques litigieuses au sens de l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qu'aucun moyen de nullité ne saurait résulter de ce que le rapport ne lui a pas été notifié ;

Considérant que la justification des notifications du rapport auxquelles procède le président du Conseil, par application de l'article 18 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, résulte des lettres expédiées à cette fin dont la copie doit figurer au dossier ; que si par application de l'article 21, alinéa 3, du 1er décembre 1986, un ministre avait présenté un mémoire, cette pièce aurait été livrée à la consultation dans les quinze jours qui précèdent la séance du Conseil ; que s'il peut paraître souhaitable pour la clarté des débats que la liste des destinataires du rapport soit communiquée aux parties, aucun moyen de nullité ne peut être tiré du défaut de cette notification ni au regard du principe du contradictoire ni sur l'allégation d'une inégalité de traitement à cet égard entre elles et le commissaire du Gouvernement totalement dépourvue de fondement ;

4° Considérant que la FNPHP prétend en quatrième lieu que le principe du contradictoire a été violé par le rejet des observations qu'elle a adressées au Conseil, en réponse au mémoire déposé par le commissaire du Gouvernement à la suite de la notification du rapport ;

Considérant qu'il est admis que le mémoire établi par le commissaire du Gouvernement, après la notification du rapport, est favorable aux droits de la défense en ce qu'il indique, dès avant la séance, l'importance des sanctions pécuniaires qu'il demandera au Conseil d'infliger et le montant des chiffres d'affaires ou cotisations sur lequel il se fonde ; qu'il ne contient en l'espèce aucune imputation qui n'ait déjà été débattue au cours de l'instruction et, qu'en particulier, la persistance de la FNPHP dans la mise en œuvre de concertations sur les prix, qu'il rappelle et que celle-ci dénie, a déjà été évoquée dans les mêmes termes par la lettre de saisine du ministre chargé de l'Economie ;

Que dès lors le respect du principe du contradictoire n'obligeait pas le Conseil à autoriser les parties à apporter à ce mémoire une réplique que les règles de procédure n'imposent pas et que c'est à bon droit qu'ont été retournées à la FNPHP les observations que celle-ci avait cru pouvoir adresser ;

II. - Sur les pratiques retenues

1° Sur l'élaboration et la diffusion d'un catalogue de prix de vente par le GIE Plandorpac :

Considérant que le GIE Plandorpac, créé en 1970 entre une dizaine d'entreprises avec une réelle vocation commerciale, s'est ensuite réduit à trois membres: le GIE Rosbel, l'entreprise François et la société Sallé-Proust ; qu'il n'est pas contestable que, durant les dernières années, son activité s'est limitée à l'élaboration et la diffusion d'un catalogue dont la qualité, la notoriété et l'intérêt, par le nombre d'espèces recensées, en font une référence pour l'ensemble de la profession ;

Considérant qu'il est en outre reproché au GIE d'avoir, au moins en 1984, établi les tarifs dudit catalogue en collaboration avec le syndicat horticole départemental du Loiret (l'Union horticole orléanaise UHO]) et en 1985 avec un groupe de quatre entreprises dont les sociétés des Pépinières Derly et la SICA Générale horticole Minier ;

Considérant que si la création d'un GIE ne constitue pas en soi une entente prohibée, le recours à une telle forme juridique ne fait pas obstacle à l'application de règles de la concurrence ;

Considérant qu'en dépit des réserves exprimées par le GIE faisant état d'activités passées ou prévues autres que l'édition d'un catalogue et de l'absence de restriction à la concurrence que ce tarif provoque, le fait pour des entreprises de se réunir en groupement à seule fin, et sans aucune autre activité commerciale collective effective, de se doter d'un barème commun et de le diffuser a nécessairement un objet anticoncurrentiel même si leurs productions principales respectives se développent dans des secteurs voisins et que les articles tarifés sont réellement offerts à la vente par l'une ou l'autre d'entre elles ;

Que les arguments selon lesquels ce document servirait de référence aux professionnels de l'équipement paysager et aux acheteurs publics ne peuvent en justifier la licéité mais qu'ils démontrent au contraire les atteintes qu'il porte à la libre fixation des prix par les entreprises horticoles ;

Considérant que, tout en minimisant la portée des concertations qu'ils ont engagées et en soulignant les circonstances économiques défavorables qui les y ont conduits, ni la société des Pépinières Derly et la SICA Générale horticole Minier ni le groupement en cause ne contestent dans leurs écritures avoir ensemble et avec d'autres collaboré à la détermination des prix du catalogue de 1985, ce qu'établissent par ailleurs de nombreux documents appréhendés ; qu'une telle pratique, assimilable à une entente tarifaire, visait manifestement à fausser le jeu de la concurrence en favorisant une hausse artificielle des prix ;

Qu'en outre le fait que les pouvoirs publics aient indiqué que les indemnisations accordées aux pépiniéristes victimes de dégâts climatiques au début de l'année 1985 seraient calculées à partir des tarifs du catalogue du GIE Plandorpac, ne devait pas pour autant conduire certains d'entre eux à influer sur la détermination de ces prix, par là même privés de toute apparence d'objectivité ;

2° Sur la concertation sur les prix dans le cadre de la FNPHP :

Considérant que, sans qu'il y ait à se référer aux auditions auxquelles a procédé le rapporteur et qui ont été annulées, il résulte des constatations de l'enquête et des documents appréhendés : notes manuscrites, comptes rendus de séances et communications syndicales, que de 1984 à 1986 la FNPHP a réuni chaque année, en début de campagne, avant l'établissement des catalogues de producteurs, les membres de sa commission technico-économique, composée de responsables syndicaux régionaux et départementaux, afin de débattre des hausses futures des produits de pépinières ;

Qu'à cette occasion ont été établies, à partir de sondages sur les augmentations de prix souhaitées par les pépiniéristes dans chaque région et de l'examen sommaire des facteurs de majoration des coûts de production, des fourchettes de hausses moyennes de charges, ensuite diffusées aux adhérents par les organes syndicaux locaux, avec l'indication des hausses de prix envisagées par le GIE Plandorpac ;

Considérant qu'en organisant un tel échange d'informations et leur propagation, la FNPHP a outrepassé la défense des intérêts collectifs de ses adhérents ; qu'elle ne saurait en effet soutenir n'avoir eu pour but que de fournir par ce procédé une assistance à la gestion des entreprises d'horticulture, alors qu'elle ne s'est pas limitée à répercuter des données relatives à l'évolution de la conjoncture et des coûts mais qu'elle a favorisé une concertation sur des hausses de prix à mettre en œuvre au sein de la profession ;

Considérant qu'en dépit des dénégations de la requérante la diffusion de taux moyens de hausses aux professionnels concernés a eu pour objet et pour effet de fournir à ceux-ci des pourcentages moyens de majorations tarifaires à appliquer, en les dispensant de procéder individuellement à la détermination de leurs barèmes de vente et en limitant ainsi l'exercice de la libre concurrence par les prix ;

3° Sur la concertation sur les prix au printemps 1985 :

Considérant que la société Pépinières Derly et la SICA Générale horticole Minier ne contestent pas avoir engagé, au printemps de l'année 1985, avec d'autres pépiniéristes, une concertation ayant permis de déterminer des hausses de prix comprises entre 15 et 20 p. 100 à pratiquer sur leurs productions ;

Qu'elles exposent que ces réunions avaient pour but de rechercher les moyens de faire face aux conséquences du sinistre climatique subi au cours de l'hiver, en envisageant des revalorisations tarifaires, dans des proportions leur permettant toutefois de rester compétitives à l'égard de la concurrence étrangère et, qu'en outre, ces décisions n'avaient pour les entreprises qui y prenaient part aucune force contraignante ;

Considérant que, quelles que soient les circonstances difficiles, ayant au demeurant donné lieu à indemnisations, qui ont conduit les entreprises impliquées à se concerter sur la majoration de leurs tarifs, une telle entente a eu manifestement pour objet de restreindre le jeu de la concurrence en favorisant une hausse artificielle des prix ;

4° Sur les activités du GIE DMR :

Considérant qu'au mois de décembre 1981, la société Pépinières Derly et la SICA Minier, producteurs d'articles de pépinières, ont constitué avec les sociétés J. Renoard et Clos de la Pellerie G. Renoard, spécialistes de la distribution, un GIE destiné à promouvoir dans les grandes surfaces la vente de leurs produits sous la marque " Primevert " ; qu'il résulte des statuts de ce groupement que les quantités fournies étaient réparties entre les sociétés Derly et Minier, les prix de revente aux grandes surfaces fixés en respectant des tarifs minimums, et que les membres prenaient entre eux un engagement réciproque de non-concurrence ; que cet accord visait par conséquent à limiter entre les sociétés membres du groupement toute forme de concurrence ;

Considérant que l'ensemble des pratiques ainsi constatées tombent sous le coup de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sans que puissent être invoquées les conditions exonératoires prévues par l'article 51 de la première ordonnance, reprises par les dispositions de l'article 10, alinéa 2, de la seconde ;

III. - Sur les sanctions

Considérant que la FNPHP prétend que la décision attaquée est nulle en ce que la sanction pécuniaire qui lui est infligée n'est pas motivée ;

Considérant cependant que le Conseil a procédé à une analyse du marché, à la description des pratiques poursuivies, à l'examen des éléments de preuve, à la discussion des moyens de défense et à l'application, aux faits ainsi constatés, des règles de droit qui constituent le fondement de sa décision ; qu'en examinant les pratiques, il a apprécié pour chacune d'elles, la gravité, la durée et l'importance du dommage causé à l'économie ; qu'il s'ensuit que la motivation de la décision déférée est suffisante, notamment au regard de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ;

Considérant en outre que la cour trouve dans le dossier les éléments suffisants pour apprécier, éventuellement par voie de réformation, la sanction pécuniaire à infliger à la FNPHP, au regard des critères posés par l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ;

Considérant que la fédération soutient encore que le Conseil, en se fondant sur le montant des cotisations perçues pour l'ensemble des activités d'horticulture et non seulement sur celles provenant des pépiniéristes, a évalué la sanction pécuniaire de manière discriminatoire ;

Considérant toutefois que l'article 53 de l'ordonnance du 30 juin 1945 indique que lorsque le contrevenant n'est pas une entreprise le montant maximum de la sanction applicable est de 5 000 000 de francs ; qu'en fixant à la somme de 300 000 francs la sanction pécuniaire de la FNPHP, le Conseil a fait une application juste et équitable de ce texte au regard des éléments d'appréciation susvisés ;

Considérant qu'en fonction des mêmes éléments la décision a justement fixé le montant des sanctions pécuniaires infligées aux autres requérants ;

Considérant que la FNPHP fait enfin valoir que le Conseil a contrevenu à l'article 53 précité de l'ordonnance du 30 juin 1945, en laissant supporter par elle seule les frais de publication de la décision dont le montant aurait, selon elle, dû être réparti entre toutes les parties sanctionnées ;

Considérant cependant que la mesure de publication constitue une sanction accessoire mais autonome dont le Conseil décide librement en fonction des éléments de la cause, sans être tenu, lorsqu'il la prononce, de faire une répartition mathématique des frais entre tous les contrevenants sanctionnés ; qu'en imposant intégralement lesdits frais à l'organisme professionnel ayant vocation à regrouper les auteurs de pratiques prohibées auxquelles elle a elle-même prêté son concours, le Conseil a fait une application à la fois régulière et équitable du texte susvisé ;

Par ces motifs : Donne acte à M. Alfred Gilg de son désistement ; Rejette les recours ; Laisse les dépens à la charge des requérants.