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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 19 septembre 2000, n° ECOC0000378X

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Syndicat des négociants détaillants en vombustibles du Nord et du Pas de Calais

Défendeur :

DME (SA), Consorts Demonchaux, Hugot Demonchaux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacabarats

Avoué :

SCP Lagourgue

Avocats :

Mes Labruyne, Segard.

CA Paris n° ECOC0000378X

19 septembre 2000

Vu le recours formé le 15 mars 2000 par le syndicat des négociants détaillants en combustibles du Nord et du Pas de Calais (le SNDC) contre la décision prononcée le 21 décembre 1999 par le conseil de la Concurrence qui a retenu que ce syndicat a enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et lui a infligé une sanction pécuniaire de 500 000 F, le syndicat requérant demandant à la cour de réformer la décision attaquée, de dire qu'il n'a pas commis les faits retenus contre lui ou, subsidiairement, de dire que les pratiques dénoncées n'ont eu aucun effet sensible sur le marché justifiant l'application d'une sanction pécuniaire ;

Vu le mémoire déposé le 15 mai 2000 par la société DME, Francine Demonchaux, Nelly Demonchaux, Nathalie Hugot Demonchaux (les consorts Demonchaux) qui demandent à la cour de confirmer la décision du conseil de la concurrence, lequel, indépendamment de la sanction faisant l'objet du recours, a écarté la responsabilité des établissements Demonchaux dans les pratiques anti-concurrentielles constatées ;

Vu les observations écrites déposées le 19 mai 2000 par le ministre chargé de l'économie qui demande à la cour de rejeter le recours et de confirmer la décision du conseil de la concurrence ;

Après avoir entendu le 27 juin 2000 les conseils du SNDC et des consorts Demonchaux en leurs plaidoiries, le représentant du ministre de l'économie en ses observations, monsieur l'avocat général en ses conclusions tendant à l'irrecevabilité de l'intervention des consorts Demonchaux et au rejet du recours du SNDC, la cour a mis l'affaire en délibéré pour être jugée le 19 septembre 2000.

Sur l'intervention des consorts Demonchaux :

Considérant qu'il est en principe loisible à toute personne dont les pratiques ont été examinées par le conseil de la concurrence sans être en définitive jugées illicites d'intervenir volontairement à l'instance devant la cour d'appel en cas de recours formé contre la décision de sanction prise par le conseil contre d'autres personnes ; qu'il importe cependant, pour que cette intervention soit recevable, que l'intervenant ait intérêt à soutenir les prétentions de l'une ou l'autre des parties à l'instance ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, les droits des consorts Demonchaux n'étant pas susceptibles d'être affectés par l'arrêt à intervenir sur le recours ; que l'intervention doit être dès lors déclarée irrecevable ;

Sur le recours formé par le SNDC :

Considérant que les faits incriminés se rapportent aux conditions de la commercialisation du charbon ou du fioul domestique dans le département du Nord, le conseil de la concurrence ayant retenu à cet égard que le SNDC avait mis en œuvre un système faisant obstacle à la libre détermination des prix pratiqués par les distributeurs auprès des clients ;

Considérant que pour contester la décision de sanction prise pour infraction à l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le SNDC fait valoir :

- que la partie de l'instruction ayant abouti à la notification des griefs a été conduite de manière déloyale dans la mesure où le rapporteur a fait une analyse du marché du charbon domestique fondée sur des éléments parcellaires et contraires à la réalité, sans prendre au surplus en considération l'incidence de la concurrence anormale des détaillants belges ;

- que les agissements incriminés n'ayant pas été jugés constitutifs d'une entente prohibée dans le département du Pas-de-Calais, il n'y avait aucune raison de retenir l'infraction pour des pratiques similaires dans le département du Nord ;

- que le syndicat a été sollicité par ses adhérents pour le calcul des prix des combustibles en sa qualité d'interlocuteur et de relais de la politique gouvernementale en matière de fixation des prix des produits pétroliers ;

- qu'il s'est borné à fournir une aide à des petits détaillants pour le calcul de leurs prix, en leur indiquant les éléments à prendre en considération mais sans se soucier des prix de vente effectivement pratiqués auprès des clients et sans faire pression sur les détaillants pour les contraindre à se conformer à des barèmes de prix ;

- qu'il n'est nullement établi que le syndicat a fomenté, organisé et surveillé une entente illicite sur les prix, sa seule action étant une simple diffusion d'informations sur les prix non sanctionnable ;

- qu'en toute hypothèse, à supposer l'entente illicite établie, le syndicat doit bénéficier des dispositions de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 puisqu'il a eu pour but d'assurer la pérennité de l'activité économique locale et de permettre l'approvisionnement des consommateurs, notamment les personnes âgées, par le maintien d'un nombre minimum de détaillants restant en situation de concurrence ;

Considérant cependant qu'il résulte des documents saisis par les enquêteurs et versés aux débats :

- qu'au mois de janvier 1989 le SNDC a entrepris de lutter contre les "gens qui bradent totalement le marché" et qui offrent" des prix tout aussi déraisonnables que ceux des supermarchés " en faisant diffuser auprès des négociants une grille tarifaire de l'année 1986 contentant des marges minimales ;

- que cette diffusion a été accompagnée de celle d'un mode d'emploi permettant le calcul des prix de vente par l'indication suivante :

" pour utiliser la grille, il suffit d'ajouter votre prix d'achat HT rendu chez vous à la somme inscrite dans la colonne correspondante au palier de livraison " ;

- que le syndicat a renouvelé cette action au mois de septembre 1991 en faisant diffuser cette fois des grilles de calcul des prix du charbon et du fioul ne comportant pas d'éléments chiffrés mais indiquant les éléments à prendre en compte pour le calcul des prix de vente, avec en outre, dans la colonne prévue pour le calcul de la marge la mention " à évaluer suffisamment " ;

- que la diffusion de ces grilles a été accompagnée d'une note qualifiée d'" importante ", celle-ci précisant notamment qu'il n'est pas " tolérable d'assister à un tel dérapage des prix aussi bien pour le fioul que le charbon ", que le syndicat est déterminé à " faire le maximum pour lutter contre cet autre fléau que sont les bradeurs de marchés ", que " toute pratique fantaisiste ou publicité mensongère visant cet objectif fera immédiatement l'objet d'une diffusion (...) à tous les négociants du département du Nord " et qu'il a toujours été préférable de vendre moins pour gagner plus que de vendre plus et gagner moins ";

- que le syndicat a non seulement diffusé ces documents auprès des négociants détaillants, mais aussi prôné leur utilisation systématique et organisé un système de surveillance de l'application de ses directives en désignant des responsables de secteurs pour " centraliser les problèmes " et " assurer la liaison avec le secrétariat " (compte rendu de la réunion des membres du comité directeur, 16 septembre 1991), en faisant dresser et mettre à jour dans chaque secteur une liste des distributeurs afin de " pouvoir éventuellement effectuer une surveillance inter-département sur les agissements des négociants perturbateurs " (compte rendu de la réunion des membres du SNDC, 24 juin 1991), en réunissant ces distributeurs pour harmoniser les prix de vente au détail des combustibles (rapport de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du 16 septembre 1981, pages 61 et suivantes, et les cahiers d'appels téléphoniques cités page 81 et suivantes) ;

Considérant que si une organisation professionnelle, dans l'exercice de sa mission de conseil et de défense des intérêts professionnels dont elle a la charge, a le pouvoir d'entreprendre toutes études ou recherches destinées à permettre à ses membres de mieux apprécier leurs conditions d'exploitation, elle sort en revanche des limites de sa mission lorsque, comme en l'espèce, elle incite ses adhérents à coordonner et à aligner leurs prix, en les dissuadant de les fixer de manière autonome ; qu'il importe peu que le syndicat soit intervenu à la demande de ses membres et à propos de produits ayant dans le passé fait l'objet, au moins pour le fioul, de mesures gouvernementales d'encadrement de prix, ces circonstances n'étant pas de nature, dans le régime de liberté de la concurrence défini par l'ordonnance du 1er décembre 1986, à justifier des pratiques qui, au-delà d'une simple information des adhérents, tendaient à ce qu'ils se conforment aux consignes du syndicat ; que les recommandations formulées quant aux modalités de calcul des marges, les mesures de surveillance mises en place par le syndicat pour en assurer l'application et identifier les " bradeurs de marchés " ne pouvaient qu'inciter les distributeurs à calculer leurs prix de vente, non pas en fonction de leurs propres coûts de revient, mais par rapport aux seuls éléments d'appréciation diffusés, dans des conditions limitant nécessairement leur liberté en matière de fixation des prix et portant atteinte à leur indépendance commerciale; que c'est dès lors à juste titre que le Conseil de la oncurrence a retenu que les pratiques litigieuses, destinées à faire obstacle au libre jeu du marché en provoquant une hausse artificielle des prix, constituaient une entente tarifaire prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Considérant que le SNDC ne saurait se prévaloir des dispositions de l'article 10 alinéa 2 de la même ordonnance ; qu'en effet, s'il est constant que la situation du marché de la distribution du charbon domestique dans le département du Nord était déjà difficile à l'époque des faits, compte tenu notamment de la concurrence étrangère et de la vulnérabilité des petites entreprises du secteur, le syndicat ne démontre pas pour autant que son souhait de contribuer à la pérennité de l'activité commerciale locale a assuré un progrès économique ; qu'en toute hypothèse ses pratiques n'ont pas bénéficié à l'ensemble de la collectivité puisqu'elles s'opposaient à l'intérêt des consommateurs, contraints de supporter la charge de prix supérieurs à ceux qui seraient résultés du libre exercice de la concurrence;

Considérant que, justifiée dans son principe, la décision du Conseil de la concurrence doit néanmoins être réformée quant au montant de la sanction pécuniaire infligée au SNDC ; que même si l'action anticoncurrentielle du syndicat a porté sur la distribution de produits de première nécessité destinés principalement à des personnes âgées, la durée limitée des pratiques litigieuses commises en 1989 et 1991, et le nombre restreint des barèmes diffusés sont de nature à atténuer la gravité des faits et l'importance du dommage causé à l'économie ; qu'au regard de ces circonstances, le principe de proportionnalité des sanctions défini par l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 impose de ramener à 50 000 F celle prononcée contre le syndicat requérant ;

Considérant que le SNDC, qui succombe partiellement en ses prétentions, doit conserver la charge des dépens du recours ;

Par ces motifs : Déclare irrecevable l'intervention des consorts Demonchaux ; Confirme la décision du conseil de la Concurrence, sauf en ce qu'elle a fixé à 500 000 F le montant de la sanction pécuniaire mise à la charge du SNDC, la réformant de ce chef et statuant à nouveau : Inflige au SNDC une sanction pécuniaire de 50 000 F, Condamne le SNDC aux dépens.