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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 3 février 1995, n° ECOC9510033X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Asia Motor France (Sté), JMC Automobiles (Sté), Monin Automobiles (Sté), EAS (Sté), Somaco (Sté), Chambre syndicale des importateurs d'automobiles et de motocycles, Conseil National des Professions de l'Automobile, Comité des constructeurs français d'automobiles, Sofex

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Feuillard

Conseillers :

Mmes Renard-Payen, Kamara

Avoués :

SCP Barrier-Monin, SCP Roblin-Chaix de Lavarene, Me Jobin

Avocats :

SCP Fourgoux, associés, SCP Vogel & Vogel, SCP Thréard-Léger-Bourgeon-Meresse, Mes de Mello, Anstett-Gardea.

CA Paris n° ECOC9510033X

3 février 1995

Saisi, le 30 novembre 1988, de pratiques mises en œuvre sur le marché de l'automobile et, le 28 mai 1990, de pratiques mises en œuvre sur le marché de l'automobile en Martinique, le Conseil de la concurrence, par une décision n° 94-D-05 du 18 janvier 1994, a enjoint aux sociétés Groupe Audhoui Promotion et Promocourse International de supprimer, dans le règlement intérieur des Salons qu'elles organisent, toute disposition subordonnant l'accès de l'exposant au fait que le véhicule soit distribué en France par un constructeur ou son représentant qualifié et a infligé les sanctions pécuniaires ci-après :

- 300 000 F au CNPA (Conseil national des professions de l'automobile, anciennement CSNCRA) ;

- 900 000 F à la CSIAM (Chambre syndicale des importateurs d'automobiles et de motocycles) ;

- 600 000 F au CCFA (Comité des constructeurs français d'automobiles).

Par cette décision, le Conseil a estimé que, en ce qui concerne les quotas d'importation, les pratiques dénoncées ne pouvaient être regardées comme constitutives de pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en revanche des éléments de concertation avaient été relevés, au sujet de pratiques d'exclusion des foires et salons, entre la CSNCRA et l'association Foires et Salons d'Orléans, entre la CSIAM et la société Groupe Audhoui Promotion, d'une part, et la société Promocourse International, d'autre part, entre le CCFA et la société Promocourse International, et, enfin, entre la CSIAM et le CCFA.

II a aussi considéré que le comportement de l'association Foires et Salons d'Orléans et des sociétés Groupe Audhoui Promotion et Promo-course International leur avait été dicté par la CSNCRA, la CSIAM et le CCFA, lesquels avaient utilisé leur représentativité et leur autorité pour imposer à des organisateurs de Salons la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles.

Les sociétés Asia Motor France, JMC Automobiles, Monin Automobiles, Europe Auto Service (EAS) et Somaco auteurs des saisines, ont formé un recours contre la décision du conseil, concluant à sa confirmation en ce qu'elle a constaté et sanctionné les pratiques anti-concurrentielles relatives aux Salons, mais à son infirmation en ce qu'elle n'a pas reconnu l'existence de deux ententes illicites qu'elles reprochent à cinq importateurs des masques Nissan, Toyota, Mitsubishi, Mazda et Honda et aux sociétés CCIE, Sigam, Sava, Sidat et Auto GM. Elles demandent donc qu'il soit procédé à la notification des griefs, visés dans les saisines des 30 novembre 1988 et 28 mai 1990, subsidiairement à un supplément d'information.

Plus subsidiairement, elles concluent au sursis à statuer jusqu'à l'intervention d'une décision de la Cour de justice des Communautés européennes dans l'affaire Monin.

Elles prétendent que les bases de l'accord d'"autolimitation" ont été négociées entre les cinq importateurs accrédités et le Gouvernement français; que de nombreuses réunions entre les importateurs démontrent leur participation à des négociations actives, donc à une concertation; que le patronage de l'État laissait à chaque opérateur, qui disposait d'une large marge de manœuvre, une part active dans les pratiques infractionnelles, le fait que les importateurs concernés affirment, de mauvaise foi, ignorer les critères de répartition étant l'expression même de leur volonté infractionnelle; que le but recherché était une répartition durable du marché martiniquais entre les entreprises présentes à la réunion du 19 octobre 1990, ces entreprises devenant ainsi bénéficiaires d'un monopole collectif et aucun système de limitation des importations ne pouvant exister sans l'accord des concessionnaires; que ne constitue pas un fait justificatif la circonstance que l'accord d'autolimitation entre entreprises aurait été conclu sous l'égide de l'État; que les arguments avancés par l'administration ou les importateurs ne sont pas pertinents, ces derniers ayant pleinement participé à l'entente en ne s'opposant pas au Gouvernement et ayant toujours eu un intérêt réel à participer à l'entente, et l'administration française ne pouvant se soustraire aux dispositions du traité de Rome et n'établissant pas la réalité d'un accord qui serait intervenu entre la France et le Japon ; enfin, que les importateurs ont exercé des pressions sur le Gouvernement français et sur les importateurs parallèles et ont tenté de porter atteinte à la réputation commerciale des requérantes.

Par mémoire complémentaire, elles ont produit l'arrêt rendu le 18 mai 1994 par le tribunal de première instance des Communautés européennes dans une affaire T-37-92 BEUC c/ Commission qui a notamment relevé qu'il résulte d'une jurisprudence bien établie que la circonstance que le comportement d'entreprises ait été connu, autorisé ou même encouragé par des autorités nationales est sans influence au regard de l'applicabilité de l'article 85 du traité ou, le cas échéant, de son article 86.

La CSIAM (Chambre syndicale des importateurs d'automobiles et de motocycles) a formé un recours incident et conclut à la confirmation de la décision en ce qu'elle a considéré qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre sur le grief relatif aux quotas d'importation des véhicules japonais en France, ni de surseoir dans l'attente d'une décision des autorités communautaires ni de procéder à un complément d'instruction, mais à sa réformation en ce qu'elle a retenu que les pratiques relatives à l'exclusion des foires et salons étaient illicites, subsidiairement en ce qu'elle a infligé une sanction à la concluante sans respecter les principes de proportionnalité et de motivation.

Elle fait valoir qu'elle n'est nullement concernée par la situation en Martinique qui résulte de mesures locales mises en œuvre par les pouvoirs publics et que, en ce qui concerne les quotas d'importation métropolitains, les pratiques dénoncées ne peuvent être regardées comme constitutives de pratiques prohibées ;

Que, sur le grief d'exclusion des foires et salons, la pratique incriminée, d'une part, n'est pas de nature à porter atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence sur le marché considéré, la concurrence ne pouvant être en tout état de cause que très marginale en raison de l'obligation de recourir à la procédure longue, complexe et aléatoire de la réception à titre isolé, d'autre part, bénéficie de la double exemption de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 puisqu'elle visait à faire respecter la réglementation en vigueur, les importateurs de véhicules non fabriqués dans la CEE et non accrédités ne pouvant procéder à des réceptions par type et l'acquéreur d'un tel véhicule étant soumis à des sujétions et à des risques, les sociétés plaignantes pouvant au surplus se rendre coupables de publicité mensongère et la concluante devant faire respecter la réglementation relative aux manifestations commerciales, et constitue un progrès économique, les intérêts des consommateurs étant sauvegardés.

Que, sur le principe et le quantum de la sanction, les règles de proportionnalité et de motivation n'ont pas été respectées, le dommage à l'économie étant quasi inexistant, rien n'établissant une participation prépondérante de la concluante dans l'organisation ou la mise en œuvre des pratiques d'exclusion et ces pratiques ne concernant qu'un segment du marché.

Par mémoire complémentaire, elle prétend, sur le grief relatif aux quotas d'importation des véhicules japonais en France, que les entreprises plaignantes n'ont pas lieu de se référer au traité de Rome dès lors que les autorités communautaires sont déjà saisies, que les importateurs français accrédités de véhicules japonais ont été contraints par le ministère de l'industrie de respecter des quotas limitant leur part globale de marché à 15 % en Martinique et à 3 % en métropole; que les autorités françaises ont indiqué à la commission, le 28 novembre 1989, que les cinq importateurs ne disposent d'aucune autonomie dans la gestion de la régulation; que les allégations des plaignantes sont encore contredites par les pièces du dossier, notamment une lettre du ministère de l'industrie du 12 janvier 1993 d'où il résulte que les modalités de gestion des importations n'étaient pas du ressort des entreprises importatrices et qu'elles ne le seront pas davantage au cours de la période 1993-1999 couverte par l'accord conclu entre la CEE et le Japon en juillet 1991; que l'enquête a permis d'établir que la participation des importateurs aux réunions d'information sur la fixation des quotas n'impliquait nullement leur adhésion au principe de l'autolimitation ; que la Cour de justice des Communautés (arrêt du 16 décembre 1975) a jugé, en matière de production et de commerce du sucre en Italie, que " la centralisation tant de l'offre que de la demande pouvait être considérée comme la conséquence de la réglementation italienne "; que les arguments des plaignantes au sujet de pressions sur le Gouvernement français sont dénués de fondement.

Que, sur le grief relatif aux pratiques d'exclusion des foires et salons, la sanction doit de toute façon tenir compte du fait que le jeu de la concurrence sur le marché n'a pratiquement pas été affecté, que le Conseil a pris en considération les cotisations de tous les adhérents de la concluante alors que les pratiques litigieuses ne concernaient qu'une part marginale du seul marché des VPN + VUN et que la sanction infligée est disproportionnée par rapport à ses ressources.

Le CNPA (Conseil national des professions de l'automobile) a aussi formé un recours incident, concluant à l'annulation, subsidiairement à la réformation de la décision en ce qu'elle a dit que le CNPA s'était livré à des pratiques anticoncurrentielles à l'occasion de l'organisation des salons d'Orléans en octobre 1986 et de Strasbourg en avril-mai 1988, plus subsidiairement à la minoration de la sanction qui lui a été infligée.

Il critique la décision du conseil au motif que des erreurs de fait et de droit auraient été commises et que "la sanction qui lui a été infligée pour deux salons locaux correspond sensiblement à 50 % des cotisations annuelles des départements du Bas-Rhin et du Loiret, supérieure proportionnellement à celles infligées au CCFA et à la CSIAM.

Le CCFA (Comité des constructeurs français d'automobiles) a aussi formé un recours incident pour demander à la Cour de dire, à titre principal, que les faits retenus à son encontre étaient prescrits et ne tombent pas sous le coup de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ni de l'article 85 paragraphe 1, du traité de Rome, ce qui justifie l'annulation de la décision, subsidiairement de ramener la sanction pécuniaire au franc symbolique.

Il fait valoir que les faits qui lui sont reprochés remontent, pour les plus récents, à février 1988 et étaient prescrits lorsque le rapport administratif a été établi le 18 juillet 1991, en tout cas lorsque ce rapport a été transmis au conseil le 21 janvier 1992; qu'ils n'étaient pas répréhensibles; que le montant de la sanction est disproportionné.

Dans, son mémoire, il conclut à l'annulation de la décision du conseil qui s'intègre dans une procédure qui ne comporte pas les garanties requises par l'article 14, paragraphe 5, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et qui vise, pour partie, des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986, violant ainsi le principe de non-rétroactivité de la loi répressive; encore à l'annulation de la décision en ce que les faits retenus étaient atteints par la prescription et n'ont pas fait l'objet d'une saisine du conseil. Il demande subsidiairement à la cour de dire qu'aucun des faits retenus à son encontre ne pouvait être qualifié au regard ni de l'article 7 de l'ordonnance ni de l'article 85 du traité de Rome ; plus subsidiairement que la sanction qui lui a été infligée doit être annulée ou, par réformation, ramenée à un montant purement symbolique.

II fait valoir, sur la prescription, que le Conseil n'a pas été saisi de faits relatifs aux salons, son analyse à ce sujet reposant sur une erreur manifeste d'appréciation, et que, à supposer qu'il y ait eu saisine à la date du 21 janvier 1992, la prescription était de toute façon acquise.

Subsidiairement sur le fond, il discute l'incrimination de l'article 7 de l'ordonnance et la motivation du conseil, prétendant en substance que les " pratiques " retenues sont des réglementations et non des faits, que la notion de limitation de la capacité concurrentielle ajoute au texte de cet article, l'objet ou l'effet anticoncurrentiel n'étant au surplus pas démontré et que, en ce qui concerne sa participation aux pratiques sous forme d'intervention ou de consignes, le Conseil a procédé par affirmations, et même par amalgame, mais n'a fait aucune démonstration.

II affirme que ni l'élément commun aux articles 85 du traité et 7 de l'ordonnance ni l'élément spécifique de l'article 85 ne sont établis.

Il prétend enfin que la motivation du conseil au sujet de la sanction infligée est insuffisante en ce qui concerne l'effet sur l'économie, que le montant des cotisations recueillies en 1993 a été inférieur à celui de 1991 et que le marché pertinent, celui des 4 x 4 de franchissement (de 0,86 % à 1,13 % du marché total des véhicules neufs toutes catégories), ramène l'assiette de la sanction à 232,5 KF et même à un montant dérisoire si l'on tient compte des cotisations de Renault qui, seule, a commercialisé, pendant la période critiquée, des 4 x 4 de la marque Jeep; qu'ainsi l'examen même de l'opportunité d'une sanction ne devrait pas se poser.

La Sofex (Société des foires et expositions de Strasbourg), à l'égard de laquelle le Conseil n'a retenu aucun grief, est intervenue pour se joindre à l'instance.

Elle conclut à la confirmation de la décision du conseil en ce qu'elle n'a retenu aucune infraction à son encontre.

Le ministre de l'économie a conclu à la confirmation de la décision en observant notamment que les moyens tirés d'une violation de l'article 14, alinéa 5, du pacte international relatif aux droits civils et politiques, de la violation du principe de non-rétroactivité de la loi répressive ou de la prescription doivent être rejetés; que la politique de contingentement des véhicules japonais émané des pouvoirs publics, la gestion de la répartition du quota entre les sociétés importatrices étant effectuée par l'administration; que le Conseil a retenu à juste titre les pratiques reprochées au CNPA et au CCFA; que les requérantes font valoir, à tort, que les pratiques n'ont pas porté atteinte de façon sensible au jeu du marché; que l'application de l'article 10.1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 doit être écartée; que les pratiques en cause ont provoqué l'éviction du marché de l'automobile des importateurs non accrédités; que les sanctions qui ont été infligées sont bien proportionnées à l'importance du dommage causé à l'économie ainsi qu'à la gravité des faits.

le Conseil de la concurrence n'a pas souhaité présenter d'observations écrites.

Le CNPA, les requérantes principales, la CSIAM et le CCFA ont répliqué.

Le CNPA a réaffirmé que le grief retenu à son encontre à propos du salon de Strasbourg ne lui a pas été notifié et que le refus de participation opposé à M. Castro procédait d'une décision du président régional du CNPA (CSNCRA) que l'association des foires et salons s'est bornée à signifier à l'intéressé.

Les requérantes principales invoquent l'arrêt du tribunal de première instance du 2 juin 1993 (Asia Motor) qui concernerait l'ensemble des plaignantes et rappellent que le système d'autolimitation comportait un deuxième volet, à savoir le partage du marché réservé (sous-quotas) éliminant toute concurrence entre les bénéficiaires, alors au surplus qu'aucun texte officiel ne matérialise les modalités de gestion mises en œuvre par les pouvoirs publics et que le Conseil n'a pas été consulté conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Elles ajoutent que l'arrêt de la cour de céans du 17 juin 1992 a bien retenu qu'il y avait eu des pressions constitutives d'infraction à l'article 7 de l'ordonnance et que, par son arrêt BEUC du 18 mai 1994, le tribunal de première instance a clairement jugé qu'une politique commerciale ne pouvait légitimer une entente et que " ni le droit national ni les pratiques nationales ne peuvent avoir pour effet d'empêcher l'application du droit communautaire de la concurrence ". Elles considèrent en conséquence que la décision du conseil doit être infirmée en ce qu'elle n'a pas reconnu l'existence des deux ententes en métropole et en Martinique et l'affaire renvoyée devant le Conseil pour complément d'instruction, subsidiairement qu'il y a lieu de surseoir à statuer jusqu'à la décision de la cour de justice dans l'affaire C-386-92.

La CSIAM relève que le ministère de l'économie a reconnu que la gestion de la répartition du quota imposé par les pouvoirs publics était effectuée par l'administration et qu'il n'existait aucun accord de volonté de la part des entreprises. Elle soutient que l'article 7 de l'ordonnance ne vise que les pratiques qui sont effectivement de nature à perturber " sensiblement" le fonctionnement des mécanismes d'un marché, ce qui n'est pas le cas des pratiques retenues à propos des foires et salons, et que les importateurs plaignants auraient trompé le consommateur en l'absence de précision des conséquences de leur non-accréditation, l'article 10 de l'ordonnance ayant donc vocation à s'appliquer. Elle ajoute que l'éventuelle sanction qui serait prononcée à son encontre doit être limitée au seul segment (du marché) automobile concerné.

Le CCFA critique les arguments du ministre au sujet du double degré de juridiction en affirmant qu'il y a lieu de se référer au Pacte international de 1966 et non à la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel de Paris étant le premier et seul degré de juridiction dans la procédure du droit français de la concurrence et la violation de l'engagement de la France devant entraîner la nullité des condamnations prononcées en vertu de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Il ajoute que la lettre du 11 mai 1989 ne constituait pas non plus une saisine et d'ailleurs ne citait pas le salon de la moto et de la voiture de course mais seulement celui du 4 x 4 de Val-d'Isère à propos duquel un grief a été retenu contre le CCFA; que cependant les faits dataient d'une époque où seules étaient applicables les dispositions des ordonnances du 30 juin 1945, abrogées depuis avec effet immédiat.

II soutient encore qu'il "dénie " l'affirmation de M. Rageys (procès-verbal d'audition du 20 novembre 1990) et affirme qu'il n'a jamais rien fait d'autre que ce que Mme Massenet n déclaré le 8 février 1990; qu'il faut intégrer dans le raisonnement relatif au droit de la concurrence la notion de seuil de sensibilité ; que, la circulaire de 1987 avait seulement pour objet de permettre l'accomplissement de la mission dont le CCFA était charge par l'OLCA en ce qui concerne les salons internationaux; qu'on ne peut assimiler la non-participation à un salon à une exclusion du marché, un salon ne permettant pas de rencontrer l'ensemble de la clientèle potentielle et un salon de la voiture de course, de raid ou de rallye attirant seulement des amateurs de véhicules hors commerce ; que la politique de contingentement des pouvoirs publics n'a jamais distingué, pour les véhicules importés selon qu'il s'agissait de l'immatriculation par type ou de l'homologation isolée.

Il affirme enfin que l'éviction du marché des importateurs non accrédités n'est pas démontrée et que, de toute façon, aucune action d'éviction ne peut lui être reprochée; qu'il convient de tenir compte de l'aspect ratione materiae du marché sur lequel les pratiques ont été constatées pour déterminer le montant de la sanction éventuellement applicable.

Le ministère public a conclu oralement au rejet des recours en observant notamment que c'est dans le cadre des décisions prises par l'État que le ministre de l'industrie a accrédité cinq importateurs, la fixation des quotas d'importation, leur répartition et leur respect étant de la responsabilité des pouvoirs publics ; que les pratiques sanctionnées tendaient à éliminer des salons tout importateur non accrédité et avaient donc un objet anticoncurrentiel et un effet non négligeable puisque consistant à éliminer toute importation parallèle, alors que les importations étaient possibles ; que l'argumentation n'est pas pertinente selon laquelle il s'agissait d'assurer le respect de la réglementation en vigueur, notamment la loi de 1973 sur la publicité mensongère.

Par notes en délibéré, le Conseil des requérantes principales a souligné que les autorités françaises ne sont pas dessaisies de la question de l'application de l'article 85 du traité de Rome, celui de la CSIAM que les autorités nationales sont incompétentes, les autorités communautaires étant toujours saisies.

le Conseil du CCFA a également fait parvenir une note en délibéré,

Sur quoi, LA COUR,

Considérant, d'une part, que les décisions du Conseil de la concurrence subissent, par la voie des recours en annulation ou en réformation, le contrôle effectif d'une juridiction d'appel, d'autre part, que les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dont le Conseil assure le respect par des décisions prises conformément aux articles 12 à 15 de ce texte n'ont pas de caractère pénalet que les faits constatés avant l'entrée en vigueur de cette ordonnance demeurent soumis aux dispositions des ordonnances du 30 juin 1945 et relèvent désormais de la compétence du conseil;

Considérant dès lorsque le CCFA, pour prétendre que la décision du Conseil devrait être annulée, invoque vainement les dispositions de l'article 14, paragraphe 5, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le principe de non-rétroactivité de la loi répressive;

Sur la prescription :

Considérant que le Conseil a été saisi le 30 novembre 1988 de pratiques susceptibles d'affecter la concurrence sur le marché de l'automobile; qu'il pouvait donc, sans avoir à se saisir d'office, examiner, au regard des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, toute pratique révélée par les investigations auxquelles il a été procédé à la suite de sa saisine, alors surtout que les sociétés plaignantes, dans la saisine initiale ou ultérieurement, en mai 1989, ont dénoncé les obstacles auxquels elles s'étaient heurtées, constitués notamment par les pressions qui auraient été exercées sur les organisateurs de salons de véhicules automobiles pour exclure la participation des importateurs non accrédités de marques japonaises ;

Qu'il en résulte que, les pratiques relatives aux salons étant postérieures au 30 novembre 1985, le CCFA, qui ne prétend pas que les faits ne tomberaient sous le coup des ordonnances de 1945 et invoque seulement l'abrogation de ces textes, prétend vainement que la prescription serait acquise;

Sur la compétence et le sursis à statuer en ce qui concerne les quotas d'importation au regard du Traité CEE :

Considérant que le Conseil a dit, à bon droit, en application de l'article 9, paragraphe 3, du règlement CEE 17-62, qu'il n'était plus compétent pour apprécier, sur le fondement de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, les faits constatés au A de la partie I de sa décision et relatifs aux quotas d'importation des véhicules de marques japonaises mis en place par les pouvoirs publics français, dès lors que la commission avait engagé une procédure à leur sujet;

Qu'il est constant que cette procédure n'a pas été clôturée; que, spécialement, la décision du tribunal de première instance du 18 mai 1994, en annulant la décision de la commission du 17 mars 1992 de ne pas donner suite aux plaintes dont elle avait été saisie, a renvoyé la connaissance de l'affaire à la commission; qu'il n'importe que, depuis, celle-ci n'ait pas notifié de griefs;

Que par ailleurs l'article 20 du même règlement interdit que les informations recueillies soient utilisées à des fins autres que celles pour lesquelles elles ont été demandées;

Qu'il en résulte, d'une part, qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer, d'autre part, que la demande tendant à la communication des observations présentées par le Gouvernement français devant la commission ne peut être accueillie;

Sur les quotas d'importation des véhicules japonais en France et en Martinique au regard du droit interne :

Considérant que les quotas d'importation des véhicules japonais sur le marché français (3 % en métropole, 1.5 % en Martinique) sont le résultat d'une politique de contingentement mise en œuvre par les pouvoirs publics qu'il n'appartient ni au conseil ni à la cour d'apprécier;

Qu'il n'est pas sérieusement contesté que la répartition des sous-quotas entre les importateurs accrédités a lieu sous le contrôle de l'administration à qui appartient la décision finale;

Considérant, au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que le Conseil a relevé que l'enquête prescrite à la demande de son président n'a pas permis d'établir que le comportement des importateurs accrédités ou de leurs concessionnaires pouvait être détaché des décisions de l'administration;

Que spécialement aucun élément suffisamment probant n'avait établi l'existence de pratiques mises en œuvre par les entreprises indépendamment des interventions de la préfecture de la Martinique;

Qu'il n'avait pas été constaté de pressions sur l'administration pour l'inciter à refuser l'accréditation aux représentants d'autres marques de véhicules japonais ou coréens ou faire obstacle aux importations parallèles de véhicules soumis à la procédure de réception à titre isolé;

Considérant que les requérantes principales ne soumettent à la cour aucun élément de nature à contredire ces constatations; qu'elles se contentent d'affirmer que les entreprises qu'elles mettent en cause ont pleinement participé à l'" entente " en ne s'opposant pas au Gouvernement et y trouvaient un intérêt; que les pressions qui auraient été exercées sur le Gouvernement ou les importateurs parallèles ne sont confortées par aucun élément probant;

Considérant dès lors que le Conseil a dit à bon droit, sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer ni dans l'attente d'une décision des autorités communautaires ni en vue de procéder à un complément d'instruction, que les pratiques dénoncées par les auteurs des saisines ne pouvaient être regardées comme constitutives de pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance;

Sur les pratiques d'exclusion des foires et salons :

Considérant que les faits d'exclusion qui ont été retenus par le Conseil ont été caractérisés tant dans les constatations mentionnées dans le B de la partie I que dans les motifs énoncés dans la partie II de sa décision ;

Considérant, en ce qui concerne le CNPA (anciennement CSNCRA), que le refus opposé à M. Castro, importateur des marques Daihatsu et Suzuki, de participer au salon d'Orléans en 1986 émanait de son président régional dont la décision a été notifiée au président du salon et président départemental du CNPA, l'exclusion ayant été signifiée à M. Castro par lettre, datée du 20 octobre 1986, de l'association Foires et salons d'Orléans;

Que le CNPA ne peut donc prétendre qu'il s'agirait d'une exclusion "unilatérale";

Que, par ailleurs, le grief d'exclusion du garage Froeliger du salon de Strasbourg de 1988 lui a bien été notifié;

Considérant que le CCFA et la CSIAM ne discutent pas sérieusement la réalité des pratiques retenues à leur encontre, mais seulement leur caractère illicite;

Que le Conseil a cependant, par des motifs pertinents que la cour adopte, caractérisé les griefs au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Considérant en effet qu'un salon professionnel de l'automobile est un lieu de rencontre entre un importateur ou concessionnaire et la clientèle potentielle ;

Que les pratiques d'exclusion, résultant d'une concertation entre les requérants incidents et les responsables des foires et salons, ont eu pour objet et pour effet de limiter la capacité concurrentielle des entreprises non accréditées, sans qu'il y ait lieu de s'arrêter au "seuil de sensibilité" invoqué au motif d'une potentialité limitée de l'effet anticoncurrentiel ;

Que le Conseil a encore justement relevé que les pratiques avaient été susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres dès lors que les distributeurs exclus des salons importaient les véhicules en France depuis d'autres pays de la Communauté ;

Considérant enfin que le CCFA et la CSIAM invoquent en vain, implicitement ou explicitement, les justifications prévues par l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dont l'application a été à juste titre écartée par le Conseil par des motifs que la cour adopte ;

Sur les sanctions :

Considérant que le Conseil a relevé que les requérants incidents avaient utilisé leur représentativité et leur autorité pour imposer à des organisateurs de salons la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles; que cette circonstance est établie par les constatations du conseil;

Qu'il a encore relevé que le dommage à l'économie résulte de l'effet qu'ont nécessairement eu les pratiques constatées sur le marché de l'automobile;

Considérant que l'argumentation avancée par le CCFA au sujet de l'assiette de la sanction est inopérante; qu'elle ne conteste pas que ses ressources ont été, en 1992, supérieures à 23,74 MF;

Que la CSIAM prétend vainement que la sanction à elle infligée est disproportionnée par rapport à ses ressources, 3,59 MF en 1992, et que le Conseil a pris en considération, à tort, les cotisations de l'ensemble de ses adhérents;

Que le CNPA conteste vainement la proportion de la sanction qui lui a été infligée par rapport à celles infligées aux deux autres requérants incidents ;

Considérant que le Conseil a justement fixé les montants des sanctions compte tenu du dommage, limité, causé à l'économie, des responsabilités effectives de chacun des requérants incidents dans les pratiques sanctionnées et des montants de leurs ressources respectives,

Par ces motifs, Rejette la demande de sursis à statuer ; Rejette le recours principal contre la décision n° 94-D-05 du 18 janvier 1994 du Conseil de la concurrence ; Rejette les recours incidents contre la même décision; Rejette toute prétention ou demande contraire à la motivation ; Dit que la société Sofex conservera la charge de ses frais d'intervention ; Met le surplus des dépens à la charge des requérants, principaux incidents.