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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 4 juillet 1996, n° FCEC9610370X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fédération nationale de l'industrie hôtelière, Chambre syndicale auboise de l'industrie hôtelière, fédération régionale de l'industrie hôtelière de Lorraine, union professionnelle de l'industrie hôtelière de la Moselle, Coca-Cola Beverages (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Bargue, Mme Thin

Avocat général :

M. Woirhaye

Conseiller :

M. Weill

Avoué :

SCP Duboscq & Pellerin

Avocats :

SCP Fourgoux & Associés, Me Ranchin.

CA Paris n° FCEC9610370X

4 juillet 1996

Saisi le 8 juillet 1992 par le ministre de l'économie et des finances de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre dans la région est de la France par des organisations professionnelles de débitants de boissons, le Conseil de la concurrence a, par sa décision n° 95-D-59 du 19 septembre 1995, infligé les sanctions pécuniaires suivantes :

- 10.000 F à la fédération régionale de l'industrie hôtelière de Lorraine ;

- 100.000 F à l'Union professionnelle de l'industrie hôtelière de la Moselle ;

- 100.000 F à la Chambre syndicale auboise de l'industrie hôtelière ;

- 5.000 F à la fédération départementale des associations et syndicats de commerçants de l'Aube ;

- 150.000 F à la Fédération nationale de l'industrie hôtelière.

Le Conseil a en effet estimé que la Fédération régionale de l'industrie hôtelière de Lorraine (FRIH) et l'Union professionnelle de l'industrie hôtelière de la Moselle (UPIH) avaient, en réponse à l'installation par la société Coca-Cola Beverages de distributeurs automatiques de boissons de cette marque sur la voie publique, diffusé auprès des débitants de boissons de la Moselle un mot d'ordre de boycott et s'étaient ainsi livrées à une action concertée tendant à fausser le jeu de la concurrence sur le marché de la distribution des boissons rafraîchissantes sans alcool.

Il a également retenu à la charge de la Chambre syndicale auboise de l'industrie hôtelière (CSA Aube) de s'être livrée à des menaces de boycott, cette action ayant reçu le soutien de la fédération départementale des associations de commerçants de l'Aube, laquelle avait pour sa part envisagé des destructions d'appareils de distribution automatique.

Enfin, le Conseil a relevé que, les négociations conduites avec la société Coca-Cola Beverages par la Fédération nationale de l'industrie hôtelière ayant abouti à la conclusion d'un accord dont l'un des termes était la hausse des prix du Coca-Cola dans les distributeurs automatiques, cette convention constituait une entente illicite. Toutefois, estimant que le consentement de la société Coca-Cola à cette augmentation n'avait été obtenu que sous la pression des organisations professionnelles locales, le Conseil n'a infligé aucune sanction à cette entreprise.

La Cour a été saisie des recours principaux en annulation et réformation de la FNIH, de la FRIH, de l'UPIH, de la CSA Aube et du recours incident de la société Coca-Cola Beverages ;

Cette dernière s'est désistée de son recours par mémoire du 31 mai 1996.

A l'appui de sa demande d'annulation de la procédure, la FNIH fait valoir que de nombreux procès-verbaux d'audition, établis au cours de l'enquête sont entachés d'illégalité, en l'absence de mention de remise d'un double aux personnes concernées ; ces pièces ayant été écartées des débats devant le Conseil par le rapporteur, la requérante estime que celui-ci n'aurait pas dû annexer à son rapport le rapport administratif d'enquête qui, réalisant la synthèse des déclarations recueillies, se rattacherait directement aux pièces irrégulières.

Elle conteste ensuite la réalité de son intervention en vue de la hausse des prix proposés dans les distributeurs automatiques et affirme que son rôle, essentiellement modérateur lors du règlement de ce conflit, a consisté à attirer l'attention de la société Coca-Cola sur les conséquences dommageables, pour l'environnement et pour les membres de la profession qu'elle représente, d'une implantation massive de distributeurs automatiques sur la voie publique.

Elle relève enfin que la sanction prononcée à son égard par le Conseil de la concurrence n'est pas motivée dans le choix de son quantum, et ne respecte par le principe de proportionnalité, en l'absence d'effet avéré des pratiques sanctionnées, et compte tenu de l'exonération de toute sanction de la société Coca-Cola.

La FRIH et l'UPIH soutiennent que leur intervention n'a pas excédé les moyens légitimes d'action d'un syndicat, en réponse à ce qu'ils analysent comme des actes de concurrence déloyale voire un abus de position dominante. Elles estiment que la preuve de l'existence du mot d'ordre de boycott ne peut résulter des pièces du dossier, et que les déclarations du président de la FRIH retenues par le Conseil ne peuvent être considérées comme une décision collective engageant l'organisme qu'il représente.

La CSA Aube estime également que les pratiques sanctionnées ne sont pas établies, et que son action ne visait qu'à attirer l'attention des maires des communes concernées, pour obtenir d'eux qu'ils refusent les autorisations d'implantation des distributeurs automatiques.

Les trois organismes requérants font remarquer que leur action n'ayant connu que de faibles répercussions, aucune conséquence économique n'a été enregistrée sur la vente du Coca- Cola, Elles en déduisent que les sanctions prononcées à leur égard ne sont pas justifiées, et que le Conseil n'a pas motivé le choix de leur quantum.

Le ministre de l'économie conclut au rejet de ces recours, en faisant valoir que :

- l'irrégularité de certaines pièces de la procédure ne peut entraîner l'annulation de l'ensemble de celle-ci, et que le Conseil a pu légalement fonder sa décision sur les seules pièces conservées par le rapporteur, à l'exclusion de celles qui étaient entachées d'irrégularité ;

- les pratiques reprochées relativement aux menaces ou aux mots d'ordre de boycott étaient établies et ne sauraient constituer une action légitime de défense des intérêts d'une profession ;

- l'accord conclu entre la FNIH et la société CCBSA constitue bien une entente illicite sur les prix ;

- les sanctions sont justifiées tant dans leur principe que dans leur montant.

Le ministère public conclut également au rejet des recours, en se tondant sur les mêmes arguments, et demande qu'il soit donné acte à la société Coca-Cola Beverages S.A. de son désistement.

Sur ce, LA COUR,

Sur la régularité de la procédure :

Considérant que le rapporteur a clairement énoncé en page 12 de son rapport que les procès- verbaux dont un double n'avait pas été remis aux intéressés étant écartés des débats, les éléments de preuve restants suffisaient à établir l'entente reprochée à la FNIH ; que sa démonstration se fonde exclusivement sur les documents suivants :

- compte rendu de la réunion du conseil d'administration de la FNIH du 11 octobre 1990 ;

- lettre de la société CCBSA en date du 19 août 1990 ;

- lettre du président de l'UPIH Moselle du 25 octobre 1990 sans référence directe ou indirecte, ni aux procès-verbaux ainsi écartés, ni au rapport de synthèse lequel n'est pas susceptible de constituer un mode de preuve des faits retenus à la charge des personnes visées par l'enquête ;

Que si le procès-verbal d'audition de M. Menteur en date du 19 septembre 1990, annexé au rapport ne comporte pas de mention de remise d'un exemplaire à l'intéressé, celui-ci a attesté par lettre du 16 juin 1992 qu'un double du procès-verbal lui avait été remis le jour même de sa rédaction ;

Que le Conseil de la concurrence ne s'est pas davantage fondé sur des documents autres que ceux retenus par le rapporteur ;

Que l'irrégularité de certaines pièces du dossier ne saurait en elle-même entraîner la nullité de la procédure subséquente dès lors qu'il est démontré, comme en l'espèce, que la décision n'est en rien fondée sur lesdites pièces ;

Qu'en conséquence, ce moyen sera rejeté.

Sur les pratiques mises en œuvre dans le département de la Moselle :

Considérant que, par lettre du 14 juin 1990, M. Amboise, président en exercice de la FRIH de Lorraine s'adressant à la direction régionale de Coca-Cola Beverages, fait état d'une réunion des présidents des quatre départements lorrains, tenue la veille et au cours de laquelle ont été évoqués " les problèmes posés par projet d'implantation massive de distributeurs automatiques de Coca-Cola sur le territoire de la région Lorraine... " ; que le rédacteur poursuit en faisant état du désir des débitants de boissons de la région de " ne pas être placés dans la pénible contrainte d'avoir à envisager le boycott de vos produits assorti de quelques mesures d'accompagnement qui risqueraient de créer une situation de non-retour... " ;

Que cette prise de position portée à la connaissance du public par la presse locale est bien le fruit d'une concertation organisée par la FRIH de Lorraine et s'est trouvée mise en application dans la circulaire diffusée par l'UPIH en son nom et au nom de la fédération régionale pour appeler tous les cafetiers au boycott des produits Coca-Cola;

Considérant qu'une telle pratique constitutive d'une action concertée prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne saurait être justifiée par la position dominante de la société Coca-Cola sur le marché des boissons rafraîchissantes sans alcool, ni constituer une réponse légitime à une concurrence jugée agressive de cette société;

Sur les pratiques relevées dans le département de l'Aube :

Considérant que la CSA Aube soutient qu'aucune action de boycott ou autre mesure de rétorsion à l'encontre de la société CCBSA n'a été engagée à son initiative ; que seuls les propos tenus par M. Menteur, président de la fédération départementale de l'Aube, ont été rapportés par la presse régionale, à l'issue d'une conférence de presse tenue le 11 juillet 1990, et qu'en conséquence la preuve des pratiques qui lui sont reprochées n'est pas rapportée ;

Considérant toutefois qu'il est constant que la conférence de presse qui s'est tenue le 17 juillet 1990 au siège de la CSA Aube a été décidée et tenue en commun avec la fédération départementale à la suite des contacts établis par les responsables de ces deux organisations et visait à faire connaître au travers de la relation qu'en ferait la presse régionale la position commune des deux syndicats ;

Que, si le seul nom de M. Menteur est cité dans l'article publié le lendemain par le journal Libération Champagne, le titre de cet article fait référence à la " Chambre hôtelière " et fait état de la position de " la profession ", consistant, " si Coca-Cola continue son forcing et son avance, à suivre l'exemple de ses collègues de la Gironde, à savoir supprimer, boycotter la marque " ;

Que la CSA Aube dans une circulaire adressée à ses adhérents le 23 juillet suivant, loin de se désolidariser, de ces propos, s'y réfère expressément pour appeler les membres de 'la profession à faire preuve de détermination ;

Qu'il résulte par ailleurs de la lettre adressée le 7 septembre par M. Enfert à M. Menteur que les deux organisations poursuivaient leur action commune en vue du retrait des distributeurs automatiques de la voie publique ;

Qu'ainsi se trouve établie leur action concertée en vue de limiter le libre exercice de la concurrence sur le marché de référence, laquelle excède les moyens légitimes de défense des intérêts professionnels ;

Sur les faits reprochés à la Fédération nationale de l'industrie hôtelière :

Considérant que la FNIH soutient n'être intervenue dans le conflit opposant la société CCBSA aux débitants de boissons que pour jouer un rôle modérateur et que l'augmentation du prix du Coca-Cola vendu dans les distributeurs automatiques entre le mois d'août 1990 et le début de l'année 1991, est le fruit d'une décision unilatérale de la société productrice, prise en fonction de considérations purement économiques et relatives au manque de rentabilité des appareils automatiques ;

Considérant toutefois que, s'il n'est pas contesté que la FNIH ne s'est pas associée aux consignes de boycott émanant de certains syndicats départementaux, il est établi qu'elle a mené avec la société CCBSA des négociations en vue de l'arrêt de l'implantation des distributeurs automatiques, aboutissant le 30 juillet 1990 à la conclusion d'un accord de partenariat repris dans une lettre adressée le 29 août suivant par la société Coca-Cola Beverages à la FNIH; qu'il résulte de ce document que parmi les différents points objets de cet accord figurent :

- la hausse du prix dans leurs distributeurs automatiques, et

- l'arrêt déjà réalisé de l'implantation des appareils sur la voie publique;

Que les justifications économiques invoquées par CCBSA et la FNIH pour justifier cette hausse des prix, à savoir la nécessité de rentabiliser l'investissement réalisé et de compenser les effets du vandalisme ne sont corroborées d'aucun document établissant que cette décision était fondée sur un impératif économique; que, bien au contraire, la baisse ultérieure des prix est intervenue après constatation d'une diminution des venteset que l'application inégale des consignes relatives aux prix par les exploitants des appareils ne saurait constituer une preuve des motivations économiques de la hausse;

Considérant qu'il résulte du procès-verbal du conseil d'administration de la FNIH, en date du 11 octobre 1990 que : " Les négociations FNIH/Coca-Cola ont abouti à trois solutions :

1° Officiellement, les distributeurs automatiques vont disparaître de la voie publique ;

2° Élaboration d'un contrat d'association dont les objectifs seront définis dans les semaines à venir ;

3° La FNIH a demandé à Coca-Cola d'élever le prix des consommations des machines automatiques là où elles demeurent, ce qui a été fait dans l'ensemble (actuellement entre 8 et 10 F au lieu de 5 F) " ;

Qu'ainsi se trouve établie la preuve de la concertation établie entre la FNIH et la société CCBSA en vue de l'augmentation des prix du Coca-Cola vendu en appareils automatiques;

Sur l'effet des pratiques et sur le montant de la sanction :

Considérant que tous les requérants soutiennent que les pratiques qui leur sont reprochées seraient restées sans effet sur la vente du Coca-Cola et qu'en conséquence aucune sanction ne devrait leur être infligée ;

Considérant qu'aux termes de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sont prohibées les actions concertées et ententes qui ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ;

Qu'en l'espèce l'objet anticoncurrentiel des actions conduites par les organisations syndicales est clairement établi;

Que bien que demeurant limité, du fait de la faiblesse de l'impact des mots d'ordre de boycott et de leur courte durée, un effet a bien été constaté sur le marché lors de la mise en œuvre par la société CCBSA de l'accord auquel elle avait consenti;

Considérant que le Conseil a dispensé la société CCBSA de toutes sanctions après avoir constaté qu'elle n'avait consenti à une entente anti-concurrentielle sur les prix que sous la pression exercée par la FNIH et divers syndicats professionnels locaux ; qu'il n'a ainsi méconnu ni le principe d'égalité des citoyens devant la justice, ni celui de la proportionnalité des sanctions ;

Considérant que, faisant une exacte appréciation des éléments de la cause en prenant en compte le caractère limité de l'effet anticoncurrentiel, la gravité à l'atteinte à l'économie, ainsi que la situation propre à chacune des organisations syndicales, le conseil a suffisamment motivé sa décision et justifié le montant des sanctions qu'il a prononcées.

Par ces motifs, Constate le désistement de la société Coca-Cola Beverages ; Rejette les recours formés par la Fédération nationale de l'industrie hôtelière (FNIH), la chambre syndicale auboise de l'industrie hôtelière (CSAIH), la fédération régionale de l'industrie hôtelière de Lorraine (FRIH) et l'union professionnelle de l'industrie hôtelière de la Moselle (UPIH) contre la décision n° 95-D-59 du 19 septembre 1995 du Conseil de la concurrence ; Condamne les requérants aux dépens.