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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 25 janvier 1994, n° ECOC9410020X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Déméco (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Avocat général :

Mme Thin

Conseillers :

Mme Renard-Payen, MM. Bargue, Perie, Mme Kamara

Avocat :

Me de Mello.

CA Paris n° ECOC9410020X

25 janvier 1994

LA COUR est saisie du recours formé par la société anonyme Déméco contre la décision n° 93-D-27 du Conseil de la concurrence (le Conseil) en date du 30 juin 1993 relative aux pratiques constatées dans le secteur du déménagement.

Il est fait référence, pour l'exposé des éléments de la cause, à cette décision et rappelé seulement que :

- le ministre de l'économie, des finances et du budget a, le 25 mars 1991, saisi le Conseil de la concurrence de faits pouvant être qualifiés d'entente pour éviter la concurrence entre certaines entreprises de déménagement ;

- le Conseil a retenu l'existence d'un marché national des prestations de déménagement sur lequel le réseau Déméco, qui regroupe soixante-douze membres actionnaires, a pour objet de promouvoir l'activité de ceux-ci par la promotion de sa marque, la définition de critères de qualité des prestations effectuées par ses membres et la rationalisation de l'utilisation de leurs moyens d'exploitation ;

- les entreprises actionnaires sont ainsi amenées à effectuer les unes pour les autres des opérations ponctuelles de dépannage et Déméco a créé un système de centralisation des offres et des demandes d'affrètement permettant à une entreprise, ne pouvant réaliser elle-même le déménagement pour lequel elle s'est engagée, de sous-traiter ce contrat à une autre entreprise ;

- la SA Déméco a fixé, dans ce cadre, d'une part, un tarif des diverses prestations de dépannage et, d'autre part, un barème de prix planchers destinés à permettre la détermination du prix normalement rémunérateur pour le donneur d'ordre et pour le sous-traitant; ce barème était assorti d'une grille de répartition du prix perçu auprès du client en fonction du rapport existant entre ce prix et le prix plancher ;

- relevant que les décisions prises par la société Déméco sont la manifestation de l'accord de volonté des membres-actionnaires de cette structure commune, le Conseil en a tiré la constatation de l'existence d'une entente tombant sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sans pouvoir bénéficier des dispositions de l'article 10 de la même ordonnance ;

Le Conseil a, en conséquence :

- enjoint à la société Déméco de cesser d'établir et de diffuser : en premier lieu les prix des prestations effectuées par ses membres actionnaires pour le compte des autres membres du réseau; en deuxième lieu les prix planchers des déménagements effectués dans le cadre de la régulation entre ses membres; en dernier lieu toute référence à un prix plancher pour la répartition entre le donneur d'ordre et le sous-traitant du prix effectivement perçu par le client ;

- infligé à cette dernière une sanction pécuniaire de 200 000 F ;

- ordonné l'insertion de la décision dans le rapport établi sur les opérations du prochain exercice par son Conseil d'administration.

La demanderesse au recours conclut à l'annulation et à la réformation de cette décision qu'elle critique sur les points suivants :

- le marché pertinent du déménagement est local ou régional et non national comme l'a défini de façon erronée le Conseil ;

- les pratiques incriminées, à les supposer établies, n'ont ni objet ni effet anticoncurrentiel et n'ont aucun effet sensible sur la concurrence ;

- la loi du 31 décembre 1992 sur la sous-traitance officialise la pratique du prix minimum condamnée en l'espèce par le Conseil.

Par application de l'article 9 du décret du 19 octobre 1987, le Conseil a présenté des observations écrites sur les moyens exposés.

Le ministre de l'économie et des finances a produit un mémoire tendant à écarter chacun des moyens invoqués par la requérante.

Admise à répliquer aux observations du ministre de l'économie et des finances dans les délais prévus par l'ordonnance de procédure prise le 27 septembre 1993, la société Déméco maintient et précise l'argumentation ci-dessus exposée.

A l'audience le ministère public a oralement conclu au rejet du recours; la transcription de ses observations orales a été remise à l'avocat de la société Déméco à la demande de celui-ci qui a été autorisé par la cour à produire, en tant que de besoin, une note en délibéré pour y répondre.

Sur quoi, LA COUR,

Sur le marché de référence :

Considérant que la société Déméco soutient que le marché du déménagement se caractérise par l'absence de marché national et, au contraire, par l'existence d'une multitude de micro-marchés locaux résultant du fait que toute demande de prestation de déménagement se fait habituellement auprès d'une entreprise de déménagement locale ;

Mais considérant que si l'offre sur l'ensemble du territoire français, émanant de 1 500 entreprises employant 18 000 personnes, et utilisant 4 500 camions pour deux millions de déménagements effectués, apparaît dispersée, les entreprises du secteur ont précisément, afin d'y remédier, procédé, au cours de ces dernières années, à des regroupements, notamment par la création de " réseaux " constitués sous la forme de GIE ou de sociétés anonymes ; que tel est le cas de la société anonyme Déméco ;

Considérant que les membres actionnaires de Déméco, appartenant tous à la chambre syndicale des entreprises de déménagement et garde-meubles de France, sont répartis, sur l'ensemble du territoire, en 110 points de vente réalisant un chiffre d'affaires annuel de 455 millions de francs; que le réseau Déméco constitue, avec une part de marché de 10 p. 100, le réseau le plus important du secteur;

Considérant, dès lors, qu'il ne peut être soutenu que l'offre sur le marché est purement locale; qu'il en est de même en ce qui concerne la demande ;

Considérant, en effet, que la demande, qui consiste en un ensemble indivisible de prestations comportant l'emballage, le chargement, le transport et le déchargement, est identique quel que soit le client, les caractéristiques individuelles de chaque déménagement ne variant essentiellement que sur le nombre de mètres cubes de mobilier et la distance de transport ;

Considérant que la société Déméco fait elle-même valoir dans ses conclusions que les entreprises de déménagement recherchent une meilleure utilisation des véhicules en évitant les voyages incomplets et les retours à vide ;

Que l'optimisation, ainsi rappelée par la requérante, du chargement des camions dans toutes les étapes du voyage aller et retour, implique nécessairement que la demande de prestation à une entreprise donnée ne se limite pas à la ville de départ, mais s'étende également à une ou plusieurs villes rencontrées sur le parcours ou à proximité de celui-ci ;

Que le recours à la sous-traitance et à l'assistance entre membres du réseau organisé au sein du réseau Déméco poursuit la même finalité ;

Considérant en conséquence qu'il existe un marché national du déménagement ne pouvant être divisé en marchés géographiquement distincts, indépendamment de l'existence par ailleurs de quelques marchés pouvant être individualisés en raison de l'existence de réglementations spécifiques ou de particularités locales telles que, par exemple, celles concernant les personnels des bases navales métropolitaines pour la plupart localisées en Bretagne ;

Sur les pratiques relevées :

Considérant que la société Déméco soutient que les barèmes de prix qui lui sont reprochés sont purement internes aux entreprises adhérentes et, ne définissant pas les prix sur un marché, ne peuvent influencer les prix pratiqués par les entreprises auprès de leur clientèle ;

Mais considérant que les prix des prestations effectuées par un " agent Déméco ", pour le compte d'un autre membre du réseau, et les barèmes, établis dans le cadre de l'organisation de la sous-traitance, ont, les uns, pour objet d'unifier les prix et d'inciter les membres du réseau à s'aligner sur ce tarif, les autres, pour effet d'inciter le preneur d'ordre à pratiquer vis-à-vis du client un prix supérieur au prix plancher du fait que, par application de la "grille de répartition", la rémunération du sous-traitant sera d'autant plus élevée que le prix fixé par lui sera supérieur au prix plancher du barème correspondant;

Considérant que la preuve de ces pratiques, que la requérante soutient ne pas avoir été rapportée, résulte de la diffusion, par la société Déméco elle-même, de ces prix et barèmes auprès de tous ses membres actionnaires ;

Considérant en conséquence que, telles qu'elles ont été justement qualifiées par le conseil, qui relève leur potentialité d'effet anti-concurrentiel, de telles pratiques, de la part d'une entreprise disposant de 110 points de vente sur le territoire national ainsi que d'une part de marché de 10 p. 100, tombent, nonobstant l'argumentation de la requérante selon laquelle ces pratiques ne pouvaient avoir qu'un effet insuffisamment sensible sur la concurrence, sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui prohibe les ententes dès lors qu'elles peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence;

Sur l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant que le conseil a exactement relevé que si la régulation proposée par Déméco peut contribuer au progrès économique, il n'est établi ni que celui-ci soit la conséquence directe de l'établissement, de la diffusion et de l'utilisation des barèmes de prix seuls en cause, ni que cette pratique ait réservé aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en est résulté pour les actionnaires de la société Déméco ;

Considérant encore que la loi n° 92-1445 du 31 décembre 1992 relative à la sous-traitance en matière de transports routiers, invoquée par la société Déméco pour justifier sa pratique de prix planchers, au demeurant non applicable à l'époque où les pratiques ont été relevées, prévoit la fixation d'un prix minimum dans la conclusion des contrats individuels entre le donneur d'ordre et le sous-traitant; que les dispositions de ce texte destiné à individualiser les situations des sous-traitants ne justifient donc pas la diffusion générale d'un même barème à un ensemble d'entreprises;

Sur le montant de la sanction :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné ;

Considérant que la décision attaquée relève exactement que la gravité des faits résulte du fait que le réseau dont la société Déméco est le centre réalise environ 10 p. 100 du chiffre d'affaires du marché et que tous ses membres sont statutairement membres de la seule organisation professionnelle du secteur ;

Que le dommage à l'économie doit s'apprécier au regard de l'incidence que pouvaient avoir les barèmes et tarifs établis par Déméco sur les prix pratiqués par chacun des membres du réseau, sur leur élaboration, par conséquent, sur l'intensité de la concurrence que ceux-ci pouvaient se faire entre eux et à l'égard des entreprises étrangères au réseau et, compte tenu de l'importance du réseau, sur la concurrence par les prix sur l'ensemble du marché ;

Qu'en conséquence, le chiffre d'affaires réalisé par la société Déméco en 1991, dernier exercice clos, s'élevant à 29,406 millions de francs, le Conseil de la concurrence a fait une exacte appréciation du montant de la sanction qu'elle a fixé à 200 000 F.

Par ces motifs, Rejette le recours formé par la société Déméco contre la décision du Conseil de la concurrence n° 93-D-27 du 30 juin 1993 ; Condamne la requérante aux dépens.