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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 29 mars 1996, n° FCEC9610105X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tuileries réunies du Bas-Rhin (SA), Tuileries JP Sturm (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Feuillard

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

Mme Beauquis, M. Weill

Avoué :

SCP Barrier-Monin

Avocat :

Me Alexandre.

CA Paris n° FCEC9610105X

29 mars 1996

Le Conseil de la concurrence, sur saisine de la société Bleger, avait, dans sa décision en date du 11 septembre 1990, relevé que les sociétés Tuileries réunies du Bas-Rhin SA et Tuileries Jean-Philippe Sturm SA avaient, entre 1983 et 1989, par leur système d'attribution des remises de prix ainsi que par le contenu et la mise en œuvre d'un contrat de coopération commerciale, abusé de la position dominante qu'elles occupaient sur le marché des tuiles et briques en Alsace et avait, en conséquence, enjoint lesdites sociétés :

1° " d'inclure dans leurs conditions générales de vente des critères précis et objectifs d'attribution des remises sur les prix d'achat par les négociants des tuiles et des briques " (injonction n° 1) ;

2° " de modifier les conventions pilotes concernant la commercialisation des briques ISO-S et Isopor T afin de supprimer les clauses relatives à l'engagement de ne pas commercialiser de produits concurrents et de respecter des prix de vente " (injonction n° 2), et avait ordonné que, " dans un délai de six semaines à compter de la date de notification de la présente décision, le texte intégral de celle-ci sera publié aux frais communs des sociétés anonymes des Tuileries Jean-Philippe Sturm et des Tuileries réunies du Bas-Rhin, dans le Moniteur des travaux publics ".

La cour, par arrêt en date du 21 mars 1991, a confirmé la décision du Conseil et la Cour de cassation, par arrêt en date du 29 juin 1993, a rejeté le pourvoi formé par les sociétés Tuileries réunies du Bas-Rhin et Tuileries Sturm contre cet arrêt.

Par décision du n° 95-D-47 du 27 juin 1995, objet du présent recours, le Conseil, constatant que les nouvelles conditions générales de vente établies par les sociétés Tuileries réunies du Bas-Rhin et Tuileries Sturm pour se conformer aux injonctions n'avaient été mises en application par elles que le 1er janvier 1992 et que la décision du 11 septembre 1990 n'avait été publiée dans le Moniteur des travaux publics, à la diligence des deux sociétés, que le 5 juillet 1991, a infligé aux sociétés, en application de l'article 14 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, des sanctions pécuniaires respectives de 200 000 F et 100 000 F.

Les deux sociétés sanctionnées ont formé un recours contre cette décision.

Au soutien de leur recours en annulation et subsidiairement en réformation formé contre cette décision, les sociétés requérantes font valoir :

- que le Conseil n'avait pas fixé de délai pour l'exécution de l'injonction ;

- que la complexité des modifications imposées par l'injonction explique le

- retard d'exécution ;

- que les sociétés requérantes ont eu une mauvaise compréhension de la rédaction de la décision du Conseil et ont considéré que la publication de la décision ne leur incombait pas mais relevait de l'initiative du Conseil ou de celle du ministre de l'Économie ;

- que la motivation des sanctions pécuniaires est insuffisante.

Dans ses observations écrites, le ministre de l'Économie conclut au rejet du recours.

Le ministère public a aussi conclu oralement au rejet du recours ;

Sur ce, LA COUR :

Considérant que, selon les dispositions de l'article 14 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. si les mesures ou injonctions prévues par les articles 12 et 13 ne sont pas respectées, le Conseil peut prononcer une sanction pécuniaire dans les limites fixées par l'article 13 ;

Sur le respect de l'injonction concernant les conditions générales de vente :

Considérant que, si le Conseil a relevé que les sociétés Tuileries réunies du Bas-Rhin et Tuileries Sturm s'étaient conformées à l'injonction n° 1, à compter du 1er janvier 1992, en mettant en application de nouvelles conditions générales de vente claires et objectives et comportant un barème de remise précis, il a néanmoins estimé que ces sociétés avaient méconnu la décision du 11 septembre 1990 et étaient, à ce titre, passibles de sanction dès lors qu'elles avaient continué délibérément, pendant plusieurs mois après la décision du Conseil, à appliquer leur politique commerciale antérieure discriminatoire ;

Considérant que, pour critiquer la décision du Conseil, les requérantes font valoir que, en l'absence de fixation expresse d'un délai dans la décision, le reproche qui leur est fait d'avoir exécuté tardivement l'injonction est dépourvu de base légale et constitue, en outre, une violation de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Mais considérant qu'en l'absence d'une telle précision, non imposée par la loi, il appartenait aux sociétés Tuileries réunies du Bas-Rhin et Tuileries Sturm d'exécuter l'injonction devenue exécutoire dès la notification de la décision dans un délai raisonnable, lequel s'apprécie concrètement en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, notamment les caractéristiques propres à l'entreprise et au secteur d'activité concernés, et de la nature et de l'étendue des modifications nécessaires à la mise en œuvre de l'injonction ;

Qu'en l'espèce, alors qu'il n'est justifié par les requérantes d'aucune difficulté technique particulière rencontrée dans l'élaboration de nouvelles conditions de vente, le délai de quatorze mois mis par elles pour exécuter l'injonction du Conseil excède manifestement ce qui est raisonnable ;

Considérant, en outre, que les premières démarches en vue de se conformer à l'injonction n'ont pas été entreprises par les sociétés Tuileries réunies du Bas-Rhin et Tuileries Sturm de manière spontanée et volontaire, mais sous l'effet de la contrainte, après que la société Bleger eut, par courrier en date du 10 mai 1991, dénoncé au Conseil l'inexécution des injonctions ;

Considérant en effet que ce n'est que le 13 juin 1991 que les sociétés précitées ont soumis à la direction régionale de la concurrence, de la consommation et des prix de Strasbourg un projet de nouvelles conditions de vente et que le 1er janvier 1992 elles ont mis effectivement en application ces nouvelles conditions après avoir poursuivi pendant plusieurs mois les pratiques incriminées ;

Considérant que le Conseil, auquel il appartient, avant de prononcer une sanction, d'apprécier l'ensemble des conditions d'exécution de ses injonctions, a dès lors estimé à juste titre que les deux sociétés, en exécutant l'injonction relative aux conditions générales de vente seize mois après la notification de sa décision, avaient méconnu l'injonction ;

Sur l'application de la mesure de publication :

Considérant qu'il est fait grief aux sociétés Tuileries réunies du Bas-Rhin et Tuileries Sturm de ne pas avoir publié la décision du Conseil du 11 septembre 1990 dans le délai de six semaines imparti par la décision et d'avoir attendu pour le faire le 5 juillet 1991 ;

Que les sociétés requérantes expliquent ce retard par le fait que, la décision du Conseil ne contenant pas de motivation explicite quant à l'auteur de la publication, elles avaient estimé que, à l'instar des décisions rendues en matière pénale, la décision du Conseil serait publiée à l'initiative de la partie poursuivante, le ministre de l'économie, ou à celle du Conseil ;

Considérant que toute décision prononçant une sanction, qui est par nature contraignante pour celui qui la subit, doit être formulée dans des termes clairs, précis et exempts d'incertitude quant à son exécution ;

Considérant que la décision du Conseil, ordonnant la publication à titre de sanction en application de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ne satisfaisait pas à cette exigence dès lors qu'elle omettait de préciser par qui la décision devait être publiée ;

Considérant en conséquence qu'aucune inexécution de ce chef ne peut être reprochée aux sociétés Tuileries réunies du Bas-Rhin et Tuileries Sturm ;

Sur la sanction :

Considérant que, aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les sanctions pécuniaires doivent " être proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'organisme sanctionné " ;

Considérant que les sanctions infligées par le Conseil aux sociétés requérantes doivent être maintenues en dépit de la circonstance que la décision sera annulée en ce qu'elle a retenu le grief relatif à la mesure de publication ;

Considérant en effet que l'inexécution délibérée, pendant plusieurs mois, de la décision du Conseil, qui était relative à la mise en conformité des conditions générales de vente et tendait à faire cesser des pratiques anticoncurrentielles préjudiciables à l'économie, revêt une gravité certaine ; Qu'elle suffit à justifier le montant des sanctions infligées ;

Par ces motifs : Annule la décision n° 95-D-47 du Conseil de la concurrence du 27 juin 1995 en ce qu'il a retenu le grief relatif à l'inexécution de la mesure de publication de la décision du 11 septembre 1990 ; Rejette, pour le surplus, le recours formé par les sociétés Tuileries réunies du Bas-Rhin et Tuileries Jean-Philippe Sturm à l'encontre de la décision n° 95-D-47 du 27 juin 1995 ; Condamne les sociétés requérantes aux dépens.