CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 25 octobre 1996, n° FCEC9610487X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Viafrance (SNC), Gerland Routes (SA), Sogéa Sud-Ouest (SNC)
Défendeur :
Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
M. Feuillard, Mme Renard-Payen
Avocat général :
M. Jobard
Conseiller :
M. Perie
Avoués :
SCP Valdelièvre Garnir, Me Huyghe
Avocats :
SCPA Courteaud Pellissier, Me Lazarus.
Saisi par le ministre de l'économie de pratiques relevées à l'occasion de la passation de marchés publics et privés dans le secteur de l'assainissement et de travaux du bâtiment dans le département du Gard, le Conseil de la concurrence, par décision n° 96-D-07 du 6 février 1996, a infligé des sanctions pécuniaires à dix entreprises au nombre desquelles les sociétés Viafrance SNC (2.500.000 F), Gerland Routes SA (1.300.000 F) et Sogéa Sud-Ouest SNC (550.000 F).
Ces trois sociétés ont été sanctionnées à l'occasion de leur participation à l'appel d'offres lancé par la ville de Nîmes pour l'exécution de travaux d'assainissement rues d'Oslo et de Varsovie. Ce marché a été attribué à la société Sonire SA, mise en redressement judiciaire le 22 novembre 1991, dont les actifs ont été repris pour l'essentiel par la Société nouvelle Sonire.
Le Conseil a relevé que les devis dressés par Sonire avaient été transmis par celle-ci, avant la date limite de dépôt des offres, à plusieurs autres sociétés soumissionnaires, dont les trois mentionnées ci-dessus, aujourd'hui requérantes, qui avaient accepté de présenter des offres de couverture telles que préparées par Sonire.
Les sociétés Viafrance, Gerland Routes et Sogéa Sud-Ouest ont formé des recours contre la décision du Conseil.
La société Viafrance, " Agence de Nîmes " conclut à l'annulation de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée au motif que la preuve n'est pas rapportée de sa participation à l'entente, les indices la concernant ne remplissant pas les conditions et critères exigés par la jurisprudence et aucune certitude n'existant quant à l'antériorité du devis saisi au siège de Sonire par rapport à la date de soumission.
Subsidiairement, elle sollicite la réduction de la sanction en raison de l'absence de dommage à l'économie, de la gravité non déterminée des faits qui lui sont reprochés, du principe de proportionnalité, de la nature du marché et de la circonstance que son agence de Nîmes est une entreprise autonome.
Elle critique le Conseil au sujet du montant de la sanction qui lui a été infligée en prétendant que l'obligation de motiver et d'individualiser la sanction et le principe de proportionnalité n'ont pas été respectés, que l'entente n'a pu causer de réel dommage à l'économie, le marché en cause, estimé 585,81 KF, ayant en fait coûté 508,62 KF. Elle précise qu'elle n'a eu aucun rôle d'incitation et affirme qu'il n'y a pas eu atteinte sensible à la concurrence, puisque la ville de Nîmes a traité avec son prestataire habituel, et que les sanctions ont toutes été prononcées sur la base d'un pourcentage unique du chiffre d'affaires.
Elle ajoute que seul devrait être pris en compte le chiffre d'affaires de son agence de Nîmes dès lors que le marché en cause était strictement local et que cette agence constitue une entreprise.
La société Gerland Routes demande à être mise hors de cause au motif que, sous l'appellation de Gerland Routes, s'est progressivement constitué un groupe de sociétés, la filialisation des activités des agences étant devenue effective en janvier 1995 et les actifs de l'agence de Provence ayant été apportés à la société Gerland Provence, nouvelle entité juridique et économique, d'où il résulte que, à la date de la décision du Conseil, l'ensemble des moyens matériels et humains ayant concouru à l'activité sanctionnée ne se trouvait plus dans l'actif de la concluante.
La société Sogéa Sud-Ouest demande, à titre principal, la réduction de la sanction qui lui a été infligée à 0,1 p. 100 du chiffre d'affaires qu'elle a réalisé dans la division travaux publics/canalisations, soit 184,79 KF, au motif que le Conseil ne pouvait prendre pour assiette son chiffre d'affaires global puisque seul pouvait être pris, en compte le chiffre d'affaires du secteur concerné. À titre subsidiaire, elle relève que son dernier exercice clos, 1995, implique une sanction pécuniaire de 488,34 KF.
Le Conseil de la concurrence rappelle que Viafrance n'avait pas soulevé le moyen relatif à l'autonomie commerciale de son agence de Nîmes et observe qu'elle n'apporte pas d'éléments probants à ce sujet. Il ajoute que Sogéa Sud-Ouest a fourni elle-même comme dernier exercice clos, celui de 1994 et que c'est bien Gerland Routes qui a soumissionné au marché en cause par l'intermédiaire de son agence de Cavaillon.
Le ministre de l'économie relève que Viafrance a déposé un devis correspondant au montant exact du devis trouvé chez Sonire, l'antériorité de ce document par rapport à la date de dépôt des offres n'étant pas sérieusement contestable. Il discute les moyens des sociétés requérantes au sujet des sanctions infligées, considérant que ces moyens doivent être écartés et les recours rejetés.
Les sociétés Gerland Routes et Viafrance ont répliqué.
Le ministère public a conclu oralement au rejet des recours en relevant notamment que Gerland Routes a subsisté après l'opération d'apport partiel d'actifs à Gerland Provence, que le Conseil a retenu à bon droit le chiffre d'affaires global de Sogéa Sud-Ouest en se référant à l'exercice de 1994, que l'agence de Nîmes de Viafrance ne disposait pas d'une réelle autonomie économique et que le Conseil a fait une juste évaluation des sanctions pécuniaires infligées.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant, en ce qui concerne la matérialité du grief, que la preuve de l'existence de l'entente et celle de la participation de Viafrance à cette entente résultent suffisamment des faits relevés, des indices caractérisés et des déclarations analysées par le Conseil, Viafrance invoquant vainement l'absence de date sur le devis remis aux enquêteurs par Sonire ;
Qu'il n'est pas sans intérêt de relever que Sogéa Sud-Ouest et Gerland Routes ne discutent nullement la réalité du grief qui a été retenu ;
Considérant, en ce qui concerne l'imputabilité de ce grief, que le moyen invoqué par Gerland Routes manque en fait puisque, d'une part, c'est bien cette société qui a soumissionné, d'autre part, la constitution de son agence locale en entité juridique et économique distincte et l'apport partiel d'actifs à la nouvelle société ainsi créée, Gerland Provence, sont postérieurs à la commission des faits sanctionnés ;
Qu'il n'est pas sans intérêt de relever que Gerland Routes a été continuée en tant qu'entité juridique, avec quasiment la même activité économique ;
Considérant, en ce qui concerne l'assiette des sanctions, que ce qui vient d'être dit au sujet de Gerland Routes suffit à justifier que, en l'absence de tout autre, élément invoqué, la sanction ait été prononcée sur la base du chiffre d'affaires de cette société et non sur celle du chiffre d'affaires de son agence locale ;
Que le moyen de Sogéa Sud-Ouest est sans pertinence, cette société ne pouvant valablement affirmer que seul devrait être pris en compte le chiffre d'affaires de sa division travaux publics/canalisations sans même prétendre que ce secteur constituerait une entreprise au sens de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Que cette société a elle-même communiqué au rapporteur son exercice pour l'année 1994, son exercice 1995 n'étant pas clos à la date de la délibération du Conseil ;
Que Viafrance invoque vainement la délégation de pouvoirs consentie au responsable de son agence locale, la portée limitée de cette délégation établissant, intrinsèquement, que le responsable local n'avait aucune autorité pour traiter les marchés supérieurs à 4 MF ni aucune autonomie pour décider de ses investissements et déterminer sa stratégie industrielle et commerciale ;
Considérant, en ce qui concerne le montant des sanctions, que les requérantes prétendent vainement que le Conseil n'aurait pas suffisamment motivé sa décision et individualisé, les sanctions infligées ;
Que, spécialement, le faible montant du marché considéré, lequel a été attribué au surplus pour un montant inférieur à l'évaluation initiale du maître d'ouvrage, n'interdisait nullement au Conseil de prononcer les sanctions qu'il a déterminées ;
Qu'en effet, en raison du nombre des entreprises ayant participé à l'entente (12 sur 19 soumissionnaires), la nature du marché en cause et celle des pratiques relevées (offres de couverture au profit de l'entreprise qui a été déclarée attributaire), la notoriété et le poids économique des requérantes, le dommage causé à l'économie dépasse largement la valeur du marché, le Conseil ayant pu, dès lors, infliger des sanctions proportionnées pour l'essentiel aux chiffres d'affaires des entreprises fautives lesquelles ont joué des rôles équivalents au sein de l'entente ;
Que la Cour n'aperçoit dans la cause aucun motif de revoir à la baisse les sanctions qui ont été infligées aux requérantes, étant observé que les pratiques mises en œuvre ont eu un effet certain sur le marché en faussant le jeu de la concurrence, le maître d'ouvrage ayant été trompé sur la réalité et l'étendue de la concurrence et Viafrance ne pouvant légitimement invoquer une absence d'atteinte sensible au fonctionnement du marché;
Considérant qu'il résulte des motifs qui précédent et de ceux non contraires de la décision du Conseil que les recours doivent être rejetés.
Par ces motifs, Rejette les recours formés contre la décision du Conseil de la concurrence n° 96-D-07 du 6 février 1996 ; Condamne les sociétés requérantes aux dépens à proportion les sanctions infligées.