CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 28 octobre 1992, n° ECOC9210195X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gaumont Associés et Compagnie (Sté), UGC (GIE), Adira
Défendeur :
Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
Mme Hannoun, MM. Canivet, Tailhan, Mme Aubert
Conseiller :
M. Guérin
Avoués :
SCP Valdelièvre-Garnier, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Duboscq-Pellerin
Avocats :
Mes Orengo, Saint-Esteben, Teynier.
Saisi par M. Adira, exploitant indépendant de salles de cinéma, puis par le ministre chargé de l'Economie, le Conseil de la concurrence a, par décision n° 91-D-45 du 29 octobre 1991 relative à la situation de la concurrence sur le marché de l'exploitation des films dans les salles de cinéma :
1. Enjoint au groupement d'intérêt économique UGC Diffusion et à la société Gaumont Associés et Cie :
- de cesser d'exiger des distributeurs, en contrepartie de la programmation de films dans l'agglomération parisienne, la concession de l'exclusivité au bénéfice de salles de leur réseau situées en province ;
- de s'abstenir de proposer ou d'imposer aux exploitants indépendants une modification du prix des places en contrepartie de l'approvisionnement en films.
2. Infligé à ce groupement et à cette société des sanctions pécuniaires d'un montant respectif de 230 000 F et de 200 000 F.
Un précédent arrêt de cette chambre en date du 22 avril 1992 a rejeté les recours formés par le GIE UGC Diffusion et la société Gaumont Associés contre cette décision en ce qu'elle leur a enjoint de cesser les pratiques anticoncurrentielles établies à leur encontre, mais a renvoyé l'affaire en continuation pour la fixation du montant des sanctions pécuniaires en demandant au Conseil de la concurrence de justifier du chiffre d'affaires réalisé par chacun de ces deux requérants au cours de l'exercice précédant la décision entreprise.
Le Conseil ayant communiqué les documents comptables sur lesquels il s'était fondé pour arrêter le montant des sanctions prononcées, le ministre de l'Economie fait observer qu'il ressort de ces documents :
- que les chiffres d'affaires réalisés en France au cours du dernier exercice clos avant le prononcé des sanctions critiquées se sont élevés à 4 620 486 F pour le GIE UGC Diffusion et à 4 328 581 F pour la société Gaumont Associés ;
- que le montant de ces sanctions représente en conséquence 4,9 p. 100 du chiffre d'affaires du groupement UGC et 4,6 p. 100 de celui de la société Gaumont ;
- qu'elles ont donc été fixées conformément aux dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 limitant le montant maximum des sanctions susceptibles d'être infligées à une entreprise à 5. p 100 de son chiffre d'affaires.
Sans contester que la sanction de 200 000 F qui lui a été infligée s'inscrit dans la limite du maximum autorisé, la société Gaumont demande de réduire son montant en minimisant la gravité des faits qui lui sont reprochés.
Faisant observer que la sanction prononcée à son encontre est pratiquement la sanction maximale autorisée par l'article 13 précité, le GIE UGC estime qu'elle est disproportionnée eu égard au caractère ponctuel des faits retenus par la décision déférée et à l'absence d'incidence sur le marché concerné.
Enfin, tout en répliquant à l'argumentation des requérants, M. Adira déclare s'en rapporter à la justice sur le montant des sanctions justifiées par leur comportement.
Sur ce, LA COUR,
Considérant que si l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence dispose d'une manière générale que le montant maximum de la sanction pécuniaire susceptible d'être infligée à une entreprise ne peut excéder 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes par elle réalisé en France au cours du dernier exercice clos, la détermination du montant des condamnations destinées à sanctionner la constatation de pratiques anticoncurrentielles doit s'effectuer dans chaque cas d'espèce au regard de la gravité des faits relevés et du dommage porté à l'économie du marché de référence;
Considérant qu'en l'espèce la décision déférée concerne le marché de l'exploitation des films dans les salles de cinéma et qu'il est constant que le GIE UGC et la société Gaumont Associés jouent un rôle prépondérant sur ce marché en assurant la programmation de 347 salles pour le premier et de 293 salles pour la seconde, dont respectivement 84 et 57 d'entre elles sont situées à Paris ;
Considérant que, sans contester que les sanctions qui leur ont été infligées s'inscrivent dans les limites fixées par l'article 13 précité, les requérants critiquent leur caractère excessif par rapport aux faits poursuivis en faisant valoir qu'ils auraient pu commettre des infractions encore plus graves que celles qui ont été retenues à leur encontre ;
Mais considérant que les pratiques anticoncurrentielles qui leur sont reprochées revêtent un caractère de gravité certain ;
Considérant en effet que le fait de subordonner l'approvisionnement en films d'un exploitant indépendant à l'alignement de ses tarifs sur ceux pratiqués par leurs adhérents constitue une atteinte caractérisée au jeu de la concurrence et à la liberté de fixation des prix ;
Considérant de même que les pressions exercées sur les distributeurs pour obtenir, en contrepartie de la programmation de films dans l'agglomération parisienne, la concession de l'exclusivité dans des salles d'autres régions constituent une entrave à la concurrence d'autant plus grave que le GIE UGC et la société Gaumont occupent une place prépondérante dans la programmation des films à Paris et dans la région parisienne;
Considérant, par ailleurs, que les pratiques ainsi relevées causent un préjudice incontestable au marché de l'exploitation des films dans les salles de cinéma, dans la mesure où elles tendent à l'élimination des exploitants indépendants en limitant leur accès au marché de la diffusion des œuvres cinématographiques ;
Qu'ainsi la décision déférée relève à titre d'exemple qu'alors que de septembre 1986 à juin 1987 les requérants ont assuré la programmation de 94 films à Lyon, 77 à Grenoble et 112 à Chalon-sur-Saône, le plaignant, M. Adira, n'a pu au cours de la même période disposer pour les salles par lui exploitées dans chacune de ces villes respectivement que de 7, 6 et 20 films, et que le groupement UGC ne saurait prétendre à ce sujet qu'il ne s'agit que d'un cas isolé dès lors que la généralisation des pratiques incriminées se trouve établie par les déclarations de ses propres agents ;
Considérant enfin qu'il convient de relever que le marché litigieux génère une recette annuelle de l'ordre de trois milliards de francs et que les parts de ce marché détenues par le GIE UGC et la société Gaumont Associés s'élèvent respectivement à 17 p. 100 et 16 p. 100 ;
Que, dans ces conditions, les sanctions pécuniaires de 230 000 F et de 200 000 F qui leur ont été infligées se trouvent proportionnées à la place prépondérante qu'elles occupent sur ce marchéet qu'il convient de les maintenir.
Par ces motifs : Vu l'arrêt du 22 avril 1992 ; Maintient le montant des sanctions pécuniaires infligées aux requérants à 230 000 F pour le GIE UGC Diffusion et à 200 000 F pour la société Gaumont Associés et Cie ; Les condamne aux dépens.