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Décisions

Cass. com., 24 janvier 1995, n° 93-15.357

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

AGS Armorique (SARL), Déménagements Macé (SARL), Aux Aménageurs Bretons (SARL)

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocats :

Mes Choucroy, Ricard.

Cass. com. n° 93-15.357

24 janvier 1995

LA COUR : - Vu la connexité, joint les pourvois n° 93-15.357 et 93-15.358 qui attaquent le même arrêt ; - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 29 avril 1993) que le ministre de l'Économie et des Finances a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques qu'il estimait illicites concernant les opérations de déménagement des marins de la marine nationale en Bretagne, pour lesquels les prestations fournies par les entreprises présentent des particularités dues à la réglementation qui leur est applicable et qui résulte de l'instruction interarmées n° 30 000 DES/C.30 selon laquelle le remboursement par l'administration des frais réellement engagés par les intéressés, dans des limites fixées en fonction de leurs grade et situation familiale est subordonné à la production de deux devis d'entreprises concurrentes, une avance pouvant être consentie dans la proportion de 90 % du devis inférieur ; que l'enquête ayant établi que certaines entreprises s'étaient concertées en échangeant du papier à en-tête vierge ou en se communiquant des informations aux fins d'établir des devis de couverture au profit de celle d'entre elles qui se réservait d'être moins disante, le Conseil de la concurrence a infligé des sanctions pécuniaires à onze entreprises ; que huit d'entre elles se sont pourvues devant la cour d'appel de Paris ;

Sur le premier moyen des pourvois n° 93-15.357 et n° 93-15.358 dont les termes sont identiques : - Les moyens étant réunis ; - Attendu que les sociétés AGS Armorique, déménagements Macé, Aux Aménageurs bretons, font grief à l'arrêt d'avoir déclaré régulière la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence, alors, selon le pourvoi, qu'il résulte des constatations mêmes de l'arrêt que les pratiques en cause trouvaient leur origine dans une situation ancienne, notoire et généralisée, dans laquelle les administrations, par leur tolérance volontaire ou par incompétence, avaient une responsabilité, de même que les personnels bénéficiaires ; qu'ainsi la procédure, qui avait opéré une discrimination dans les poursuites entre certains secteurs de l'activité du déménagement, et entre les personnes morales ou physiques responsables d'une situation généralisée ancienne et notoire, avait rompu le principe d'égalité, et partant, méconnu le droit à un procès équitable, si bien que la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, ainsi que l'arrêt l'a exactement énoncé, le Conseil n'était compétent que pour sanctionner les entreprises qui s'étaient rendues coupables d'agissements constitutifs d'ententes prohibées sanctionnées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 même si les personnels bénéficiaires des prestations et l'administration chargée d'en effectuer le remboursement avaient par leur compromission ou leur complaisance déterminé ou facilité la mise en œuvre et la persistance de telles pratiques, dès lors, que pour de tels comportements, ces personnes et autorités administratives échappaient au pouvoir que lui conférait le texte susvisé ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, qui ne laissaient pas aux instances compétentes la possibilité de se prononcer sur le comportement des personnels impliqués dans la mise en œuvre de ces pratiques, la cour d'appel n'a pas méconnu la portée de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen pris en ses deux branches du pourvoi n° 93-15.357 et n° 93-15.358 : - Les moyens étant réunis, tels qu'ils figurent en annexe ; - Attendu que par ces moyens pris d'un manque de base légale au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les sociétés AGS Armorique, Macé et aux Aménageurs Bretons font grief à l'arrêt d'avoir limité le marché de référence à la demande des marins mutés à partir de la Bretagne sans prendre en considération l'ensemble des entreprises de déménagement situées dans les principales bases navales de France et à Paris, et, de surcroît, en réfutant par des motifs impropres leur argumentation selon laquelle le marché de référence devait être étendu à l'ensemble des entreprises situées en Bretagne et qui étaient spécialisées dans le déménagement des militaires ;

Mais attendu que l'arrêt constate que la demande des marins mutés à partir des bases de Bretagne, rencontre l'offre des entreprises localement établies dans cette région spécialisées dans ce type de déménagements et, que pour cette catégorie de prestations, l'offre et la demande ne peuvent se rencontrer et constituer un marché au sens économique, que dans une aire géographiquement délimitée par la proximité de l'entreprise avec laquelle le client entre directement en rapport pour l'évaluation du cubage du mobilier à transporter et l'établissement du devis préalable à l'exécution de la prestation; qu'ayant en outre relevé que les déménagements des autres militaires en résidence en Bretagne étaient sans incidence sur la qualification des pratiques incriminées, celles-ci affectant essentiellement les prestations fournies aux marins de la marine nationale en résidence sur les bases portuaires de Bretagne, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument omises, a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen pris en ses trois branches du pourvoi n° 93-15.357 et sur le troisième moyen pris en ses deux premières branches du pourvoi n° 93-15.358 : - Les moyens étant réunis tels qu'ils figurent en annexe ; - Attendu que par ces moyens pris d'un manque de base légale au regard de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les sociétés AGS Armorique, Macé et aux Aménageurs Bretons, font grief à l'arrêt d'avoir déterminé le montant de la sanction prononcée à leur encontre en faisant état d'éléments généraux sans procéder à une recherche concrète des critères de référence, en se fondant non pas sur le chiffre d'affaires du marché de référence mais sur celui du marché du déménagement en général et sans rechercher quelle avait été l'influence des pratiques dénoncées sur le prix des déménagements et l'importance du dommage causé à l'économie et à l'Etat ;

Mais attendu, en premier lieu, que s'il est vrai que pour déterminer, en application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le montant maximum de la sanction encourue, le Conseil de la concurrence ou la cour d'appel doivent apprécier de façon concrète s'il existe une proportionnalité entre la peine prononcée, la gravité des faits relevés et le dommage porté à l'économie du marché de référence, la cour d'appel a pu, comme en l'espèce, s'agissant d'un marché très étroit, et abstraction faite de tout autre motif surabondant, se référer pour apprécier l'atteinte portée à l'économie, au chiffre d'affaires global concernant les déménagements des marins de la marine nationale en déterminant ainsi, par une recherche plus favorable aux entreprises litigieuses, la proportion existant entre l'atteinte portée à l'économie et le montant de la sanction infligée à chaque entreprise ;

Attendu, en second lieu, que la cour d'appel ayant constaté que durant la période de 1988 à 1991, les pratiques incriminées d'origine ancienne, avaient empêché le jeu normal de la concurrence par les prix sur les déménagements des marins de la marine nationale, n'avait pas à rechercher quelle avait été l'influence de ces pratiques sur le prix des déménagements ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ; - que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;

Sur la troisième branche du troisième moyen du pourvoi n° 93-15.358 : - Attendu que la société Aux Aménageurs Bretons fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée sans se fonder sur son chiffre d'affaires pour l'exercice 1991, alors que, selon le pourvoi, en fixant la sanction pécuniaire au regard du chiffre d'affaires 1990, alors qu'il résulte de ses propres motifs que devait être pris en compte le chiffre d'affaires 1991, et que la société AGS Armorique et autres avait justifié des résultats déficitaires de son exercice 1991, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que la cour d'appel n'ayant pas constaté que la société Aux Aménageurs Bretons avait fourni les documents comptables permettant de connaître son chiffre d'affaires pour 1991 et s'y soit référée dans ses écritures et, ayant seulement relevé qu'elle faisait la preuve d'une activité déficitaire entre 1990 et 1991, c'est à bon droit qu'elle s'est référée à son chiffre d'affaires relatif à l'exercice 1990 ; que le moyen pris en sa troisième branche n'est pas fondé ;

Sur les demandes présentées par le ministre de l'Économie et des Finances au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : - Attendu que le ministre de l'Économie et des Finances sollicite, sur le fondement de ce texte et pour chacun des pourvois, l'allocation d'une somme de 10 000 francs ;

Mais attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;

Par ces motifs : rejette les pourvois.