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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 22 janvier 1992, n° ECOC9210018X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Boulanger

Défendeur :

Nouvelles messageries de la presse parisienne (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Conseillers :

Mmes Mandel, Renard-Payen

Avoué :

SCP d'Auriac-Guizard

Avocat :

SCP Marquinez-Gueguen

CA Paris n° ECOC9210018X

22 janvier 1992

M. Philippe Boulanger a formé le 6 août 1991 un recours contre la décision n° 91-D-35 du Conseil de la concurrence en date du 10 juillet 1991, qui a déclaré irrecevable sa demande tendant à constater les pratiques anticoncurrentielles auxquelles se seraient livrées Les Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP) à son égard.

Cette instance a été engagée dans les circonstances suivantes :

M. Philippe Boulanger, qui exploite à Guingamp un fonds de commerce de tabac, souvenirs et articles de cadeaux et qui est également dépositaire de la presse régionale et locale, s'est adressé par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 août 1990 aux NMPP en vue d'être autorisé à diffuser la presse nationale.

N'ayant obtenu aucune réponse favorable et estimant que l'attitude des NMPP à son égard constituait un abus de position dominante au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, M. Philippe Boulanger a saisi le Conseil de la concurrence le 10 janvier 1991 en lui demandant d'ordonner aux NMPP de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans les plus brefs délais en le faisant approvisionner dans les mêmes conditions que les autres détaillants de la région de Guingamp de l'ensemble des publications dont les NMPP assurent la diffusion.

Le conseil a déclaré la demande irrecevable en estimant :

- que, quelle que soit la position des NMPP sur le marché guingampais de la diffusion de la presse nationale et à supposer constant son refus de faire diffuser celle-ci par M. Boulanger, aucun des éléments apportés par celui-ci ne permettait d'établir que ce refus avait pour objet d'empêcher de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ;

- qu'aucun élément n'était apporté qui montrerait que la non-ouverture d'un nouveau point de vente sur un marché présentant une telle structure de l'offre pourrait avoir un effet anticoncurrentiel, du point de vue de la concurrence par les prix comme de celui de la concurrence par les prix comme celui de la concurrence par la qualité des prestations rendues.

M. Boulanger poursuit la réformation de cette décision et reprend intégralement la demande dont il avait saisi le conseil.

Il soutient à l'appui de son recours, en premier lieu, que les NMPP auraient abusé d'une position dominante en l'écartant du marché de la distribution de la presse nationale sans motif et sans aucune justification.

En second lieu, il fait valoir que les NMPP procéderaient à une exploitation abusive de son état de dépendance économique.

Enfin, il prétend que le conseil n'aurait pas respecté le caractère contradictoire du débat en n'appelant pas les NMPP à faire connaître leur position.

Les NMPP dont la mise en cause d'office a été ordonnée le 27 septembre 1991 concluent au rejet du recours.

Elles soutiennent :

- qu'ainsi que l'a estimé le conseil de M. Boulanger ne prouve pas, à supposer qu'il existe un marché local guingampais de la distribution de la presse nationale, que le refus qui lui est opposé serait de nature à fausser de façon notable le libre jeu de la concurrence ;

- que les conditions de l'état de dépendance économique ne sont pas réunies, puisque M. Boulanger n'est pas en relation d'affaires avec les NMPP et ne peut donc prétendre que la part que représenterait le produit de la presse nationale dans son chiffre d'affaires serait importante.

Sur le respect du principe du contradictoire, elles répliquent que, s'agissant de la recevabilité d'une demande, c'est au seul profit de la partie saisissante qu'il doit être observé.

Le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, et le ministère public concluent au rejet du recours.

Sur ce, LA COUR :

I. - Sur la procédure

Considérant que, M. Boulanger ayant été mis à même de s'expliquer sur les objections pouvant être formulées contre sa saisine et la décision prise par le conseil étant pleinement motivée, le requérant ne saurait reprocher au conseil de ne pas avoir demandé aux NMPP de présenter leurs observations ;

Qu'au stade de la recevabilité de la requête le conseil n'a pas l'obligation d'attraire à la procédure les personne dont les pratiques sont dénoncées ;

II. - Sur le fond

Sur le moyen tiré de l'article 8-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant que le marché en cause est celui de la diffusion de la presse nationale dans la ville de Guingamp ;

Qu'en raison de sa nature, de ses caractéristiques et des informations qu'elle contient la presse nationale constitue un service spécifique d'information qui n'est pas substituable à celui qui est offert par la presse régionale ou locale et qui s'en distingue ;

Considérant que les NMPP ne contestent pas être les seuls diffuseurs de la presse nationale dans le ville de Guingamp ;

Mais considérant que le conseil énonce avec pertinence que, quelle que soit la position des NMPP sur le marché guingampais de la diffusion de la presse nationale, il n'est pas démontré par M. Boulanger que le refus qu'elles lui opposent ait pour objet ou puisse avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ;

Qu'en effet, dès lors que selon les propres indications de M. Boulanger les offreurs de la presse nationale présents sur le marché sont très nombreux, parmi lesquels tous les autres bureaux de tabac, le refus d'autoriser l'ouverture d'un point de vente supplémentaire n'affecte pas la qualité des prestations rendues ni l'exercice d'une libre concurrence ;

Sur le moyen tiré de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que l'état de dépendance économique au sens de l'article 8-2 caractérise une situation dans laquelle une entreprise est obligée de poursuivre des relations commerciales avec une autre lorsqu'il lui est impossible de s'approvisionner en produits substituables dans des conditions équivalentes ;

Mais considérant que M. Boulanger ne peut prétendre être en état de dépendance économique vis-à-vis des NMPP dès lors que, n'ayant jamais entretenu de relations commerciales avec cette entreprise pour la diffusion de la presse nationale, il ne peut soutenir que la part que représenterait ce produit dans son chiffre d'affaires serait importante;

Qu'il ne démontre nullement que la vente de la presse nationale soit indispensable à la poursuite de son activité;

Considérant que, si le refus de vente est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur devant le juge civil ou commercial sur le fondement de l'article 36 de l'ordonnance susvisée, de tels comportements ne relèvent de la compétence du conseil que dans la mesure où ils se rattachent à l'exploitation abusive d'une position dominante ou à celle d'un état de dépendance économique ;

Que M. Boulanger n'ayant pas apporté d'éléments suffisamment probants à l'appui de ses allégations c'est à bon droit que le conseil a déclaré irrecevable la saisine qu'il a déposée ; qu'il s'ensuit que le présent recours doit être rejeté ;

Par ces motifs : Rejette le recours formé par M. Boulanger contre la décision du Conseil de la concurrence n° 91-D-35 du 10 juillet 1991 ; Condamne le requérant aux dépens.