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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 20 septembre 1990, n° ECOC9010141X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Chambre syndicale des pharmaciens des Alpes-Maritimes, Syndicat des pharmarciens du Var, Chambre syndicale des pharmaciens de la somme

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

MM. Collomb-Clerc, Canivet, Mme Favre, Mlle Aubert

Avoués :

SCP Garrabos-Alizard, Me Pamart

Avocats :

Mes Fallourd, Bouly.

CA Paris n° ECOC9010141X

20 septembre 1990

I. - Faits et procédure

La Chambre syndicale des pharmaciens des Alpes-Maritimes, le Syndicat des pharmaciens du Var et la Chambre syndicale des pharmaciens de la Somme ont introduit un recours contre la décision n° 90-D-08 du Conseil de la concurrence en date du 23 janvier 1990, relative à des pratiques constatées en matière de fixation de la durée d'ouverture des pharmacies libérales. Cette décision a infligé les sanctions pécuniaires suivantes aux organismes syndicaux requérants ainsi qu'à plusieurs pharmaciens (art. 1er) :

a) Aux pharmaciens hyérois signataires de la motion du 10 décembre 1986:

- 8 000 F respectivement à Mmes Rothley et Plazy et à M. Rudelin ;

- 10 000 F respectivement à MM. Plantavin, Politi et Rocarpin ;

- 12 000 F respectivement à Mmes Berthod, Fillon, Masseboeuf et Goiran et à M. de Grimal ;

- 15 000 F respectivement à Mme Vernet et à MM. Cristofari et Priere ;

b) Aux organisations syndicales :

- 80 000 F à la Chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin ;

- 100 000 F à la Chambre syndicale des pharmaciens de la Somme ;

- 150 000 F au Syndicat des pharmaciens du Var ;

- 150 000 F à la Chambre syndicale des pharmaciens des Alpes-Maritimes.

Ce même Conseil a décidé en son article 2 :

Art. 2. - Dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la présente décision, les organisations syndicales mentionnées à l'article 1er feront publier, à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires qui leur sont infligées, le texte intégral de la présente décision dans Le moniteur des pharmaciens et des laboratoires et Le pharmacien de France ; en outre, et dans le même délai, le Syndicat des pharmaciens du Var et de la Chambre syndicale des pharmaciens des Alpes-Maritimes feront publier, à frais communs, ce même texte intégral dans Nice-Matin.

Cette décision faisait suite à divers incidents qui avaient été portés à la connaissance de la Commission de la concurrence qui s'était émue des pratiques syndicales chez les pharmaciens concernant la fixation autoritaire de la semaine ouvrée assorties de sanctions aux " dissidents ". Aussi, le Conseil devait-il décider, le 13 mai 1987, de se saisir d'office " des pratiques anticoncurrentielles éventuellement mises en œuvre par des pharmaciens ou organisations de pharmaciens en matière de fixation des jours et heures d'ouverture et de fermeture des officines libérales".

Dans son rapport, M. Facchin a relevé les comportements irréguliers de plusieurs pharmaciens et organismes syndicaux qui tendaient, sous formes diverses, à imposer aux pharmaciens récalcitrants de fermer leur officines les jours où leurs confrères étaient de garde. Après notification des griefs aux intéressés, le Conseil, dans sa décision critiquée, a, ainsi qu'il l'a été rappelé liminairement, condamné quatorze pharmaciens hyérois, les chambres syndicales du Bas-Rhin, de la Somme et des Alpes-Maritimes ainsi que le Syndicat des pharmaciens du Var.

Les organismes syndicaux requérants allèguent, d'une façon générale, qu'ils ne sauraient être rendus responsables du comportement individuel de leurs adhérents.

Au surplus la mission de service public qui leur a été confiée par la loi en ce qui concerne le service de garde est ambiguë puisqu'elle ne s'impose pas aux pharmaciens non syndiqués.

En ce qui concerne les griefs qui ont été faits plus particulièrement à chacun d'eux, ils apportent les réponses suivantes :

Le Syndicat des pharmaciens du Var relève qu'il a toujours été étranger aux ententes conclues par les pharmaciens d'Hyères qui pouvaient tout au plus être imputées à la subdivision syndicale locale. Il nie avoir exercé des pressions sur un pharmacien de cette ville pour l'obliger à respecter les accords litigieux.

La Chambre syndicale des pharmaciens des Alpes-Maritimes " nuance " les appréciations portées par le Conseil de la concurrence en ce qui concerne l'entente qui lui est reprochée et qui aurait cessé. Elle s'est attachée à minimiser les pressions, directes ou indirectes, qui avaient été faites par elle sur un pharmacien de la ville de Menton, M. David.

La Chambre syndicale des pharmaciens de la Somme s'est attachée à démontrer que la décision qui avait été prise le 22 décembre 1986 au siège du Conseil régional de l'Ordre l'avait été en présence de l'inspecteur régional de la pharmacie de Picardie. Cette réunion n'avait pas pour but de contraindre les pharmaciens à fermer leurs officines le lundi matin mais de les inviter à prévenir leurs confrères - s'ils entendaient ouvrir - afin que cette ouverture soit prise en compte dans le système de garde. Le 23 décembre 1986 le président de la chambre syndicale n'a fait que porter à la connaissance de ses confrères que le " mémento du service des urgences sur Amiens " avait été modifié de la façon suivante :

" Par esprit de confraternité les pharmaciens s'engagent à arrêter les jours d'ouverture en concordance avec le tour de garde, sauf à en avertir les responsables avec un préavis d'un mois avant l'échéance semestrielle. Il en sera alors tenu compte pour l'organisation des six mois suivants. Le caractère non contraignant de cette notification ne serait pas susceptible d'entraîner les sanctions prévues par l'ordonnance du 1er décembre 1986."

Le ministère de l'Economie, des Finances et du Budget, comme le ministère public dans ses conclusions, estiment que les recours doivent être rejetés. Ils ont toutefois relevé, en ce qui concerne la responsabilité de la chambre syndicale de la Somme, que celle-ci était " discutable " car la circulaire du 23 décembre 1986 paraissait " reconnaître explicitement le droit aux pharmaciens d'ouvrir pendant le tour de garde". Toutefois ses modalités d'application étaient trop rigides puisque aucun changement n'était possible pendant un semestre.

Sur quoi, LA COUR :

Considérant que les pharmaciens, bien que assujettis à une réglementation particulière concernant l'implantation des offices et les prix des produits vendus par eux, sont des professionnels libéraux soumis aux règles de la concurrence ; que les obligations de loyauté, de solidarité et de confraternité auxquelles ils sont tenus sur le fondement des articles R. 5015-60 et R. 5015-61 du Code de la santé publique ne sauraient s'interpréter comme leur imposant de se concerter pour déterminer à l'avance une politique locale ou nationale de marché s'imposant à tous ;

Considérant, en ce qui concerne les tours de garde imposés à ces praticiens la nuit ou les jours fériés et de fermeture hebdomadaire, que cette obligation procède du caractère de service public qui s'attache à leurs fonctions ;

Que cela explique que l'article L. 588-1 du Code de la santé publique (loi n° 75-1226 du 28 décembre 1975) ait conféré un caractère obligatoire à ces services dits de garde et d'urgence ;

Considérant, toutefois, que la circonstance que les organisations syndicales se soient vu confier par le législateur le soin de déterminer en concertation avec leurs adhérents ces permanences n'implique pas pour autant que les pharmaciens qui ne sont pas de garde soient contraints de fermer durant la même période ; que cette obligation a seulement pour objet d'organiser un service minimum ;

Considérant, dès lors, que sous réserve des dispositions des articles L. 221-9 et 10 et L. 221-4 et 5 du Code du travail qui imposent un jour de repos hebdomadaire les pharmaciens ont toute latitude d'ouvrir leurs officines durant les heures où leurs confrères sont de permanence ; que cette circonstance ne peut être que favorable à la fluidité du marché et aux clients, dans le respect des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant, enfin, que pour répondre aux objections des requérants, le fait que des pharmaciens aient pu être sanctionnés individuellement pour des pratiques anticoncurrentielles tendant à contraindre certains de leurs confrères à fermer les jours des gardes ne saurait faire disparaître les infractions imputées aux organismes syndicaux auxquels ils adhèrent dès lors qu'il est démontré que ces organismes ont sinon suscité, du moins encouragé des ententes, et ont, aussi par des moyens divers, fait pression sur leurs confrères pour les obliger à se plier aux pratiques dénoncées;

a) Le Syndicat des pharmaciens du Var

Considérant que c'est avec pertinence que le Conseil de la concurrence en s'inspirant des principes ci-dessus rappelés a sanctionné quatorze pharmaciens de la ville de Hyères et le Syndicat des pharmaciens du Var pour obliger un professionnel, M. Crac-Aubert, à respecter les jours de fermeture des officines qui s'effectuaient - dans cette localité - les samedi et dimanche pour la moitié d'entre eux et les dimanche et lundi pour la moitié des autres ;

Considérant certesqu'il n'a pas été établi que le Syndicat des pharmaciens du Var, ou même la subdivision locale de cet organisme (qui n'a pas de personnalité morale), ait été à l'origine de la motion envoyée à M. Crac-Aubert le 17 décembre 1986 pour l'obliger à fermer deux jours consécutifs; qu'il est constant toutefois que le vice-président de ce syndicat agissant en cette qualité, puisqu'il se déclarait mandaté par ses "amis du bureau syndical ", a exercé des pressions sur ce pharmacien courant juin 1987 pour le contraindre à fermer le dimanche matin sous peine de prendre l'intégralité des tours de garde; que cette pression était constitutive d'une entrave au jeu de la libre concurrence;

Considérant dès lors que le recours de ce syndicat ne peut être que rejeté, la sanction prononcée étant approuvée par la cour ;

b) La Chambre syndicale des pharmaciens des Alpes-Maritimes

Considérant que la requérante ne conteste pas sérieusement avoir été à l'origine de l'accord conclu entre les pharmaciens de Menton imposant la fermeture des officines du samedi 12 h 15 au lundi 14 h 30 et avoir exercé des pressions sur M. David allant jusqu'à lui imposer des tours de garde répétitifs les jours fériés ; que la chambre reconnaît, par ailleurs, dans ses écritures qu'elle a fait constater par huissier que M. David était bien ouvert le samedi après-midi et qu'il refusait de respecter les accords conclus par ses confrères sous l'égide de la chambre ;

Considérant que ces constatations suffisent à caractériser le caractère illicite des pratiques relevées par le Conseil de la concurrence qui ont été équitablement sanctionnées par lui ;

Considérant que la cour relève que le fait qu'il ait été mis fin à cet accord en 1986 ne saurait faire disparaître l'infraction antérieure étant observé, au surplus, que M. David a accepté, à partir du mois de novembre 1985, de fermer son officine le samedi après-midi "dans un but de conciliation " en se pliant ainsi volontairement, en quelque sorte, aux pratiques dont il avait été la victime ;

c) La Chambre syndicale des pharmaciens de la Somme

Considérant qu'il est établi par l'enquête à laquelle il a été procédé qu'une réunion s'est tenue à Amiens le 22 décembre 1986 au siège du Conseil régional de l'Ordre où il a été décidé que serait ajouté au mémento du service des urgences d'Amiens le paragraphe suivant :

" Par esprit de confraternité, les pharmaciens s'engagent à arrêter les jours d'ouverture en concordance avec le tour de garde, sauf à en avertir les responsables avec un préavis d'un mois avant l'échéance semestrielle. Il en sera alors tenu compte pour l'organisation des six mois suivants. Aucun aménagement de ce type ne peut intervenir pendant le semestre en cours" ;

Considérant qu'il est constant que le président de la Chambre syndicale des pharmaciens de la Somme qui participait à cette réunion l'a diffusé par circulaire, le 29 décembre 1986, à tous les pharmaciens concernés ;

Considérant qu'on ne saurait considérer que le texte de cette circulaire ne portait pas atteinte au principe de la libre concurrence des pharmaciens dans la mesure où il n'était pas fait référence à une interdiction expresse de fermer les officines les jours de garde ; que le libellé de ce texte précisait au contraire que dans " un esprit de confraternité " les pharmaciens d'Amiens devaient "arrêter les jours d'ouverture en concordance avec le tour de garde" ; que la seule réserve, prévoyant un préavis d'un mois avant l'échéance semestrielle, était suffisamment contraignante pour rendre illusoire la possibilité pour les professionnels qui le souhaitaient d'y déroger ;

Considérant que c'est donc avec pertinence que le Conseil a relevé le caractère illicite de cette circulaire, diffusée par la chambre requérante, qui devait servir de fondement au président de cette même chambre pour déposer trois plaintes à l'encontre de confrères récalcitrants ;

Considérant, toutefois, que la cour observe que la décision de modifier le mémento relatif aux gardes d'Amiens qui a été prise le 22 décembre 1986 n'a donné lieu à aucune réserve particulière de la part de l'inspecteur régional de la pharmacie qui était présent ; que cette circonstance, si elle n'est pas de nature à gommer le caractère anticoncurrentiel de la décision entreprise, permet d'atténuer la responsabilité de la chambre syndicale qui se verra déchargée de toute sanction pécuniaire ;

Que la cour enjoindra cependant à la chambre syndicale de supprimer du mémento du service des urgences d'Amiens le paragraphe litigieux ;

Par ces motifs : Rejette les recours formés par le Syndicat des pharmaciens du Var et la Chambre syndicale des pharmaciens des Alpes-Maritimes ; Réforme la décision du Conseil de la concurrence en ce qu'elle a infligé à la Chambre syndicale des pharmaciens de la Somme une sanction pécuniaire de 100 000 F ; Et statuant à nouveau, enjoint à la Chambre syndicale des pharmaciens de la Somme de supprimer du mémento du service des urgences d'Amiens le paragraphe suivant : "Par esprit de confraternité, les pharmaciens s'engagent à arrêter les jours d'ouverture en concordance avec le tour de garde, sauf à en avertir les responsables avec un préavis d'un mois avant l'échéance semestrielle. Il en sera alors tenu compte pour l'organisation des six mois suivants. Aucun arrangement de ce type ne peut intervenir pendant le semestre en cours" ; Condamne les requérants aux entiers dépens.