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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 7 juillet 1995, n° ECOC9510192X

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Comité national interprofessionnel de la pomme de terre, Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Somme, Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles du Pas-de-Calais

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Feuillard

Avocat général :

Mme Thin

Conseillers :

Mmes Pinot, Kamara

Avoué :

Me Regnier

Avocats :

Me Roux, SCP Cavalie Tuffal, Associés.

CA Paris n° ECOC9510192X

7 juillet 1995

LA COUR statue sur les recours en annulation ou en réformation formés, à titre principal, par les fédérations départementales des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) de la Somme et du Pas-de-Calais et, à titre incident, par le Comité national interprofessionnel de la pomme de terre (CNIPT) à l'encontre de la décision du Conseil de la concurrence (ci-après le conseil) n° 94-D-54 du 25 octobre 1994, qui leur a enjoint de s'abstenir de toute intervention visant à empêcher la libre fixation des prix de vente des pommes de terre de conservation et a infligé les sanctions pécuniaires suivantes : 750 000 F au CNIPT, 400 000 F à la FDSEA du Pas-de-Calais et 250 000 F à la FDSEA de la Somme.

Référence faite à cette décision pour un plus ample exposé des faits et de la procédure initiale, il suffit de rappeler que le ministre de l'économie, des finances et du budget a, par lettre enregistrée le 24 octobre 1989, saisi le conseil de pratiques relevées dans le secteur de la pomme de terre de conservation dans les régions Nord Pas-de-Calais et Picardie.

Relevant que, à l'occasion d'opérations promotionnelles sur la pomme de terre réalisées en 1988, le CNIPT et les FDSEA de la Somme et du Pas-de-Calais ont, directement ou indirectement, exercé des pressions sur les responsables d'un certain nombre de magasins des régions Nord Pas-de-Calais et Picardie afin de les dissuader de proposer leur produit à la clientèle à un prix inférieur à la cotation officielle d'Arras, augmentée des frais de transport, et ont en outre diffusé des consignes auprès des fournisseurs afin que soient refusées collectivement les conditions réclamées par les hypermarchés et supermarchés lors des promotions, le conseil a rendu la décision ci-dessus rappelée.

Au soutien de son recours, le CNIPT allègue essentiellement que la publication, dans le numéro du 3 septembre 1988 de son bulletin Pommes de terre hebdo, d'un article intitulé " Promotions aberrantes " dénonçant les opérations promotionnelles menées par des grandes surfaces qui vendaient le sac de 25 kilogrammes de pommes de terre au prix de 0,32 F ou 0,39 F le kilo et recommandant que les prix de vente ne fussent pas inférieurs à ceux de la cotation officielle d'Arras - qui se situaient à des cours supérieurs à 0,66 F - majorés des frais de transport, ne constitue pas une pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; que cette action entrait dans sa mission de défense des intérêts du secteur agricole; enfin, que les faits reprochés ont été extrêmement limités dans le temps et dans l'espace et n'ont eu qu'un objectif ponctuel qui visait à s'opposer aux conditions de prix pratiqués lors de certaines opérations de promotion.

Il demande à la cour d'annuler la décision entreprise; de le mettre hors de cause ; en toute hypothèse, de juger que les faits reprochés ne tombent pas sous le coup de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

A titre subsidiaire, il sollicite la diminution de la lourde sanction pécuniaire qui lui a été infligée.

Les FDSEA de la Somme et du Pas-de-Calais prétendent que, en ce qui concerne la fédération de la Somme, seule a été réalisée une action isolée du président de la section Pommes de terre qui, par lettre du 26 août 1988, a demandé à la centrale d'achats des Intermarchés de Nord-Picardie (SCAEX) d'arrêter la promotion organisée afin d'éviter les réactions violentes des producteurs et précisé qu'à l'avenir il devrait y avoir une consultation préalable de la profession avant toute opération de promotion; que la fédération du Pas-de-Calais n'est concernée que par la manifestation du 11 octobre 1988 (magasins Leclerc de Loison-sous-Lens et Carvin) et par l'intervention auprès du directeur du magasin Auchan de Saint-Martin-lès-Boulogne ; que l'organisation d'une manifestation par un organisme professionnel n'est pas de nature à tomber sous le coup de l'article 7 de l'ordonnance de 1986 ; que la démarche effectuée auprès d'un magasin ne peut pas non plus constituer une entente illicite en l'absence d'une action concertée prohibée.

Elles prient la cour de réformer en toutes ses dispositions la décision critiquée; de juger que les faits qui leur sont reprochés ne tombent pas sous le coup de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; subsidiairement, de réduire les sanctions qui leur ont été infligées, lesquelles sont sans aucun rapport avec les faits et avec leurs capacités financières respectives.

Le ministre de l'économie conclut à la confirmation de la décision du conseil en ce qu'il a retenu que les pratiques en cause avaient pour objet et ont pu avoir pour effet ou potentialité d'effet de faire obstacle à la libre détermination des prix en favorisant artificiellement leur hausse, sans qu'il ait été démontré que les actions concertées contre les promotions en cause auraient apporté un progrès économique. Il sollicite toutefois une forte diminution du montant des sanctions prononcées.

Le conseil n'a pas entendu user de la faculté de présenter des observations écrites.

Le ministère public a conclu oralement à la confirmation dans son principe de la décision critiquée mais estimé que, dans l'appréciation du montant des sanctions, il convient de tenir compte du fait que les agissements incriminés sont demeurés ponctuels et limités.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que seule une atteinte sensible, avérée ou potentielle, au jeu de la concurrence peut justifier la sanction d'une pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Qu'ainsi,en l'absence de preuve d'une incidence significative sur le fonctionnement du marché, une pratique anticoncurrentielle n'est pas susceptible d'être sanctionnée ;

Considérant qu'en l'espèce il est établi par l'enquête, et au demeurant reconnu par le ministre de l'économie, que l'article publié par le CNIPT dans son bulletin du 3 septembre 1988, le courrier adressé le 26 août 1988 par le Président de la section Pommes de terre de la FDSEA de la Somme à la SCAEX et les interventions de délégués de la FDSEA du Pas-de-Calais, fin octobre - début novembre 1988, auprès des magasins Auchan de Saint-Martin-lès-Boulogne et Leclerc de Loison-sous-Lens et de Carvin, qui tendaient à empêcher la vente de pommes de terres de conservation à un prix inférieur à celui résultant de la cotation d'Arras, frais de transport en sus, ont eu pour seul effet la suppression des promotions durant un après-midi dans le magasin Leclerc de Loison-sous-Lens et le retrait des promotions dans le magasin Auchan de Saint-Martin-lès-Boulogne et les magasins Intermarché de la Somme ;

Que ces faits ne se sont jamais reproduits ;

Considérant qu'il s'ensuit que les pratiques incriminées n'ont eu sur le marché de la pomme de terre de conservation qu'une portée limitée ne pouvant porter atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence ;

Considérant, en conséquence, qu'il n'y a lieu ni à injonction ni à sanction sur le fondement des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Qu'il devient dès lors sans intérêt d'examiner la pertinence des autres moyens proposés par les requérants d'où il ne résulte pas que la décision du conseil devrait être annulée ;

Considérant que les agissements des requérants, dont l'irrégularité n'est pas sérieusement contestée, ont été à l'origine de la présente procédure ;

Que les requérants devront en conséquence supporter la charge des dépens.

Par ces motifs : Infirme dans toutes ses dispositions la décision du Conseil de la concurrence n° 94-D-54 du 25 octobre 1994 ; Dit n'y avoir lieu à injonction ou à sanction à l'encontre du CNIPT et des FDSEA de la Somme et du Pas-de-Calais ; Dit que les sommes qui devraient être restituées par le Trésor public porteront intérêts au taux légal à compter seulement de la notification du présent arrêt valant commandement de payer ; Met les dépens à la charge des requérants.