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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 10 juillet 1992, n° ECOC9210134X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Syndicat autonome de l'industrie de la hôtelière de la Gironde, Syndicat général de l'industrie hôtelière et du commerce des boissons Bordeaux et du département de la Gironde, Syndicat français de l'hôtellerie, Confédération des cafés, hôtels, restaurants, discothèques du Nord

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

MM. Feuillard, Canivet

Conseillers :

Mmes Pinot, Mandel, M. Betch

Avoué :

SCP Dauthy-Naboudet

Avocats :

SCP Fourgoux, associés, Mes Perret, Meynard.

CA Paris n° ECOC9210134X

10 juillet 1992

Saisi le 23 juillet 1990 par le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, de pratiques ayant principalement consisté en une consigne de boycottage et ayant été mises en œuvre par des organisations professionnelles de débitants de boissons du département de la Gironde, le Conseil de la concurrence, par décision n° 91-D-56 du 10 décembre 1991, a infligé les sanctions pécuniaires suivantes :

- au Syndicat général de l'industrie hôtelière de la Gironde : 1 000 000 F ;

- au Syndicat général autonome de l'industrie hôtelière de la Gironde : 50 000F ;

- au Syndicat français de l'hôtellerie : 25 000 F ;

- au syndicat Cid-Unati de la Gironde : 25 000 F,

et a ordonné la publication de sa décision, aux frais des syndicats et à proportion des sanctions infligées, dans les quotidiens Libération, Le Figaro et Sud-Ouest.

Le conseil a considéré :

Que les dispositions de l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 avaient été respectées à l'égard du Cid-Unati qui avait accusé réception de la notification de griefs le 22 mars 1991 ;

Que le Syndicat général de l'industrie hôtelière de la Gironde avait assuré jusqu'en juin 1990 un rôle moteur dans la mise en œuvre du boycott des produits de la marque Coca-Cola parmi les débitants de boissons du département, l'absence d'éléments établissant l'existence de démarches de ce syndicat auprès de ses adhérents pour assurer le passage d'une consigne de boycott n'étant pas de nature à l'exonérer de la responsabilité lui incombant du fait de l'initiative de ce boycott, alors qu'il est le syndicat le plus important dans la proportion en Gironde ;

Que le Syndicat général autonome de l'industrie hôtelière de la Gironde et le Syndicat français de l'hôtellerie (section Aquitaine-Gironde), après s'être concertés, avaient adressé à leurs adhérents respectifs une consigne de boycott des produits de la marque Coca-Cola en mars et en mai 1990 ;

Que l'émission d'une consigne de boycott par un syndicat professionnel constitue un appel à des mesures de rétorsion collective et est prohibée en tant qu'action concertée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la circonstance que les auteurs d'un boycott pensaient répondre par ce moyen à des pratiques concurrentielles déloyales et à des prétendues carences de l'appareil administratif ou consulaire ne pouvant justifier le recours à une telle pratique ;

Que la position adoptée par le syndicat Cid-Unati de la Gironde (section Hôtellerie), consistant à préconiser à ses adhérents l'achat d'une marque concurrente de Coca-Cola, établissait sa participation à l'opération de boycott ;

Qu'il n'était pas établi, ni même allégué, que les pratiques relevées pussent bénéficier des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Qu'il y avait lieu, par application de l'article 13 de cette ordonnance, de prononcer à l'égard de chacune des organisations professionnelles concernées une sanction tenant compte de sa capacité contributive et des caractères propres de la profession, ainsi que des incidences sur le marché et de la part prise dans la pratique sanctionnée.

Le Syndicat général de l'industrie hôtelière de la Gironde, le Syndicat français de l'hôtellerie et le Syndicat autonome de l'industrie hôtelière de la Gironde ont formé des recours contre cette décision.

Egalement saisi par le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, le 17 décembre 1990, de pratiques mises en œuvre par des organisations professionnelles de débitants de boissons du département du Nord, le Conseil de la concurrence, par décision n° 91-D-57, également du 10 décembre 1991, a infligé à la Confédération des cafés, hôtels, restaurants, discothèques du Nord une sanction pécuniaire de 200 000 F et a ordonné la publication de sa décision dans les quotidiens La Voix du Nord, Le Figaro et Libération.

Le conseil a considéré :

Que la confédération avait, le 26 avril 1990, reprenant le mot d'ordre de boycott lancé à Bordeaux, appelé ses adhérents à cesser leurs achats de produits de la marque Coca-Cola, ce qui constitue un appel à des mesures de rétorsion collective et se trouve prohibé en tant qu'action concertée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le fait que les ventes des produits Coca-Cola n'aient connu aucun fléchissement étant sans portée sur la qualification de cette pratique qui avait un objet ou pouvait avoir un effet anticoncurrentiel ;

Qu'il n'était pas établi, ni même allégué, que la pratique dont il s'agit pût bénéficier des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance ;

Qu'il y avait lieu de prononcer, à l'égard de la confédération, une sanction tenant compte de sa capacité contributive et des caractères propres de la profession, ainsi que des incidences sur le marché et de la part dans la pratique sanctionnée.

La confédération a formé un recours contre cette décision.

Le Syndicat français de l'hôtellerie, ci-après SFH, conclut à la réformation de la décision n° 91-D-56 du conseil et demande à la cour de dire qu'il n'a pas usé de pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et, en conséquence, de le décharger de toute sanction pécuniaire.

Il fait valoir :

Qu'il est une organisation nationale très centralisée et qu'il ne pouvait être sanctionné, puisque les présidents de section n'ont aucun pouvoir propre, la section n'ayant aucune personnalité morale, et qu'aucune consigne de boycott n'a été donnée aux adhérents par la direction centrale de l'organisation ;

Que la "circulaire" du 10 mai 1990, sur laquelle s'est fondé le conseil, est manifestement un procès-verbal de réunion qui n'a donc pas fait l'objet d'une diffusion aux adhérents ; que ce texte ne contient d'ailleurs rien de répréhensible, puisqu'il s'agit simplement du conseil donné aux cafetiers de ne pas installer de distributeurs automatiques de produits, dont Coca-Cola, alors servi par les brasseurs, aucune marque n'étant citée ; qu'il s'agit en définitive d'un mot d'ordre, sous la forme d'une " désapprobation ", de boycotter les distributeurs automatiques et de continuer à se fournir auprès des brasseurs, ce qui s'explique par le fait que, pour les distributeurs qu'elle met en place, la société Coca-Cola impose les prix, contrôle directement les machines et livre le produit ; que le sens de cette " circulaire " est éclairé par la lettre adressée antérieurement, le 19 avril 1990, par le vice-président national du SFH au directeur régional de Coca-Cola ;

Que, à supposer même que la décision du conseil soit confirmée du chef de l'appel au boycott, la cour ne pourrait que constater que cet appel n'a pas été suivi et qu'aucun préjudice n'a été subi par la société Coca-Cola.

Le Syndicat général de l'industrie hôtelière et du commerce des boissons Bordeaux et du département de la Gironde, ci-après SGIHG, poursuit l'annulation de la décision n° 91-D-46 du conseil, subsidiairement sa réformation, en ce qu'elle a retenu le grief de boycott, constitutif d'action concertée prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, plus subsidiairement la réduction de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée, la cour étant priée d'ordonner la publication par extrait de l'arrêt infirmatif dans Libération, Le Figaro et Sud-Ouest.

Il expose que la société Coca-Cola Beverages a procédé, à partir de décembre 1989, spécialement à Bordeaux, à l'installation de distributeurs automatiques de boîtes de la boisson Coca-Cola, dans le but notamment " d'éviter les intermédiaires" ; que c'est seulement en juin 1990 que la presse locale s'est fait l'écho des préoccupations des cafetiers, sans que le SGIHG ne diffuse de circulaires ou de communiqués de presse.

Il soutient :

Que les doubles du rapport et des principaux procès-verbaux (cotés VII 69, IX72, VIII 71 du 8 juin 1990 et IV4 du 14 juin 1990) n'ont pas été remis aux personnes interrogées et doivent être écartées ; qu'ils sont entachés de nullité ; que la décision, qui s'est fondée sur des pièces nulles, doit elle-même être annulée ;

Que le conseil ne peut fonder un grief sur des lettres qui ont été écartées par le rapporteur dans sa notification des griefs ; qu'il s'agit de la lettre envoyée le 16 mars 1990 par le syndicat à la mairie de Bordeaux et de celle qu'il a envoyée le 14 février 1990 à Coca-Cola Beverages ;

Que les procès-verbaux des réunions du conseil d'administration du syndicat, retenus par le conseil, s'ils mentionnent le vote d'un appel au boycott, ne visent pas les produits Coca-Cola, ni même les distributeurs automatiques, mais seulement certains d'entre eux pouvant préjudicier à la profession ; qu'aucune pièce ne démontre que M. Sauvage, président du syndicat, aurait été à l'origine d'une consigne de boycott ; qu'il n'est pas démontré que le SGIHG aurait eu un rôle moteur dans la mise en œuvre du boycott jusqu'en juin 1990 ; que ce syndicat a refusé de participer à la concertation avec les autres syndicats ; que les articles de presse sont consécutifs aux circulaires et communiqués de presse de ces autres syndicats ;

Que la société Coca-Cola a une position dominante (95 p. 100 du marché des boissons rafraîchissantes sans alcool) ; que sa politique commerciale agressive est constitutive d'abus de position dominante, aggravée par l'opération d'installation de distributeurs ; que les cafetiers et leur syndicat ont souhaité légitimement réagir devant un procédé commercial autoritaire et abusif ; que l'organisation d'une défense collective était nécessaire ; qu'aucune conclusion n'a pu être tirée quant à l'observation du mot d'ordre de boycott parmi les débitants de boissons de la Gironde ; que les livraisons de boissons Coca-Cola à ces débitants ont augmenté de 30 p. 100 ; que le fait de n'avoir pas saisi les juridictions compétentes ne peut constituer la motivation d'un grief ;

Que, en raison d'absence d'effet anticoncurrentiel et de la capacité contributive du syndicat, les sanctions infligées sont manifestement disproportionnées.

Le Conseil de la concurrence indique que les quatre procès-verbaux dressés par la DGCCRF, dont un double ne semble pas avoir été laissé aux personnes entendues, ont été offerts régulièrement à la consultation des parties dès la notification des griefs, puis annexés au rapport ; qu'en tout état de cause ces documents n'ont pas été utilisés comme moyens de preuve des pratiques sanctionnées, leur suppression ne pouvant entraîner la nullité de la procédure ultérieure ;

Que la nature des pratiques mises en œuvre par la société Coca-Cola comme l'existence d'un éventuel abus de position dominante de la part de cette entreprise seraient sans incidence sur la qualification des faits sanctionnés.

I. Sur la procédure :

Que, s'il est vrai qu'il n'est pas indiqué sur les procès-verbaux cités par le SGIHG que ceux-ci ont été remis aux parties intéressées, ces pièces ne sont pas indispensables à la qualification des faits reprochés, puisque l'opération de boycott est suffisamment établie par les déclarations du président de ce syndicat (PV du 6 juin 1990) et les comptes rendus des réunions de son conseil d'administration des 6 février et 13 mars 1990 ;

Que les lettres adressées à la mairie de Bordeaux et à la société Coca-Cola ne sont que des moyens subsidiaires de l'opération de boycott ;

II. Sur le fond :

Que les moyens invoqués par le SGIHG doivent être rejetés, puisque les faits de boycott sont suffisamment établis, que les articles de presse n'ont fait l'objet d'aucun démenti, qu'un syndicat n'a pas le droit de mettre en œuvre des actions de rétorsion collective visant à restreindre ou fausser le jeu de la concurrence, qu'il appartenait à ce syndicat de saisir le conseil de la concurrence et que le non-respect par la société Coca-Cola des règles légales, ce qui au demeurant n'est pas démontré, ne peut avoir pour effet d'exonérer ce syndicat des griefs d'entente retenus contre lui ;

Que la teneur du document du 10 mai 1990 a été reprise le lendemain dans le quotidien Sud-Ouest: que le SFH doit assumer la responsabilité de l'action menée par sa section locale ;

Que le SGAIHG reconnaît la matérialité des faits qui lui sont reprochés, demandant seulement le bénéfice des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ce qui doit lui être refusé puisque aucun élément ne permet d'établir que la pratique a contribué au progrès économique conformément à ce texte ;

III. Sur les sanctions :

Que le SGIHG a joué un rôle moteur dans la mise en œuvre de la consigne de boycott et ne rapporte pas la preuve que, compte tenu du nombre de ses adhérents, la sanction pécuniaire et l'injonction de publication soient disproportionnées à la gravité des faits qui lui sont reprochés ;

Que la sanction infligée au SGIHG tient compte de la gravité des faits caractérisée par l'envoi à ses adhérents et la publication dans un journal professionnel d'une circulaire comportant une consigne de boycott des produits de la marque Coca-Cola, comme de sa capacité contributive ;

Que, dans les deux cas, le montant des sanctions est largement inférieur au montant maximal de 10 MF prévu par l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Le SGIHG réplique que les arguments développés tant par le conseil que par le ministre ne sont pas pertinents ; que, notamment :

- il convient d'écarter les procès-verbaux qui n'ont pas été remis aux intéressés ainsi que le rapport administratif dont ni le conseil ni le ministre n'ont justifié qu'ils avaient été remis au SGHIG ;

- la décision du conseil porte atteinte aux droits de la défense et doit donc être annulée ;

- les moyens présentés pour la première fois devant la cour sont recevables ;

- la présentation du marché dans la décision critiquée relève à la charge de la société Coca-Cola, entreprise en position dominante, une stratégie d'éviction des concurrents, l'omission par le conseil de procéder à l'analyse des effets de ces pratiques plaçant la cour dans l'impossibilité de s'assurer de l'existence d'une infraction à l'article 7 de l'ordonnance ;

- la responsabilité du SGIHG n'avait pas à être retenue, aucune pratique anticoncurrentielle n'étant démontrée à sa charge et ce syndicat ne s'étant pas associé au communiqué commun des autres organisations ;

- la sanction est disproportionnée, dans la mesure où elle est alourdie par les frais de publication (1,189 MF) mis à la charge, pour l'essentiel, du SGIHG, l'élément de " représentativité " de ce syndicat en raison de son affiliation à la Fédération nationale de l'industrie hôtelière ne pouvant être retenu.

Il demande donc que les frais de publication de la décision du Conseil et de l'arrêt de la Cour soient mis à la charge du ministre.

Il réclame enfin 25 000 F (HT) par application de l'article 700 NCPC.

Le syndicat autonome de l'hôtellerie de la Gironde, ci-après SGAIHG, soutient qu'il n'a jamais reconnu avoir donné des consignes de boycott à ses adhérents, sa circulaire du 13 mars 1990 recommandant seulement une " grève " des achats, entrant dans le cadre syndical de défense des intérêts matériels de ses mandants ; qu'il a toujours incité les professionnels à utiliser des appareils distributeurs automatiques, en supplément du circuit traditionnel de distribution, ce qui est conforme à l'application, dans sa forme et son esprit, de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que ses recettes proviennent essentiellement des cotisations des adhérents et représentent un montant annuel d'environ 20 000 F.

La confédération des cafés, hôtels, restaurants, discothèques du Nord, ci-après la Confédération du Nord, fait valoir que son souhait était que l'obligation de disposer d'une licence de 1re catégorie et celle d'obtenir l'autorisation de la mairie pour l'implantation des distributeurs sur le domaine public soient respectées par la société Coca-Cola ; que, non seulement cette société ne respecte pas ces obligations, mais encore elle applique un taux de TVA de 5,5 p. 100 et non le taux de 18,6 p. 100, pratiquant ainsi une concurrence déloyale envers les cafetiers ; que la prise de position de la Confédération du Nord, dans un souci de défense de ses adhérents, n'avait d'autre but que d'obtenir de la société Coca-Cola l'ouverture d'un dialogue pour la mise en place d'une politique licite et cohérente de distribution ;

Que la question se pose de savoir si la société Coca-Cola n'a pas elle-même abusé d'une position dominante sur le marché ;

Que la Confédération du Nord ne comprend que 350 adhérents au maximum ; que sa consigne n'a produit aucun effet préjudiciable que la société Coca-Cola, puisque non suivie par les professionnels ;

Qu'elle dispose d'un budget annuel de 156 000 F environ et que la confirmation des sanctions prononcées à son égard entraînerait la fin de son activité.

Elle conclut donc à l'annulation de la décision du Conseil n° 91-D-57, subsidiairement à sa réformation par une atténuation importante de la sanction qui lui a été infligée.

Le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet du recours de la Confédération du Nord en observant notamment qu'il n'est pas démontré que la société Coca-Cola ait abusé d'une position dominante et que le montant annuel des cotisations de ce syndicat a été de 177 900 F en 1990.

Le Conseil de la concurrence a fait connaître qu'il n'entendait pas faire d'observation écrites.

La Confédération du Nord réplique que la société Coca-cola détient 95 p. 100 du marché des boissons à base de cola et envisageait d'implanter 100 000 distributeurs sur le territoire, ce qui tend à démontrer la légitimité de l'action de la Confédération ; que le maintien de la sanction équivaudrait à sa disparition, son budget annuel n'étant pas supérieur à 160 000 F.

Le ministère public a conclu oralement au rejet des recours, sous réserve que les procès-verbaux dont un double n'a pas été remis soient écartés des débats.

Sur quoi, LA COUR :

Considérant qu'il y a lieu de statuer par un seul arrêt sur les divers recours en raison de leur connexité ;

1. Sur la procédure:

Considérant que les procès-verbaux d'audition critiqués par SGIHG ne mentionnent pas qu'ils ont été remis en copie aux personnes entendues ; que la Cour n'est donc pas en mesure de s'assurer que les prescriptions de l'article 46 de l'ordonnance de 1er décembre 1986 ont été exactement respectées;

Qu'il y a lieu, en conséquence, de déclarer ces pièces inopposables aux requérants et de les écarter des débats comme moyens de preuve;

Considérant que l'irrégularité ainsi relevée ne peut, en soi, entraîner la nullité de la procédure subséquente;

Qu'il est constant que le Conseil ne s'est pas appuyé exclusivement, ni même essentiellement sur ces pièces dans les motifs de sa décision n° 91-D-56 pour caractériser le grief de boycottage retenu ;

Considérant que, dans cette décision, le conseil n'a évoqué les lettres adressées par le SGI - HG à la société Coca-Cola et à la mairie de Bordeaux que pour illustrer le rôle moteur que ce syndicat aurait eu dans l'opération de boycottage et non, ici non plus, pour établir la réalité du grief ; que cette appréciation, à la supposer erronée, ne peut avoir d'incidence que sur le montant de la sanction infligée ;

Considérant ainsi que le SGIHG, qui soutient à tort qu'elle n'a pas eu communication du rapport d'enquête, prétend vainement que la décision du conseil a porté atteinte aux droits de la défense et doit donc être annulée ;

II. Sur le fond :

Considérant que le compte rendu de la réunion du conseil d'administration du SGIHG, le 6 février 1990, mentionne, sous le titre Dossier Coca-Cola ;

"Alain Servel demande le boycott de Coca-Cola par le truchement de la Guyenne hôtelière, et ce afin que les professionnels ne vendent plus cette marque.

" Après un large débat, il est décidé de voter.

" Pour le boycott : 21 voix pour, 1 contre, pas d'abstention ;

Que le compte rendu de la réunion du même conseil, le 13 mars 1990, mentionne in fine : "Après l'exposé de M. Deglanes et le débat qui s'en est suivi, il a été décidé à l'unanimité de boycotter le projet de la société Coca-Cola, en attendant que celle-ci enlève tous les distributeurs installés devant divers commerces n'ayant aucun rapport avec la profession des CHR" ;

Considérant que, lors de son audition le 6 juin 1990, M. Sauvage, président du SGIHG, a confirmé que le conseil d'administration avait " voté à l'unanimité moins une voix (...) le boycott des achats de Coca-Cola", ajoutant: " Dans la mesure où d'autres villes seraient comme nous victimes de cette distribution, la Fédération donnera des consignes similaires à celles mises en œuvre dans le département de la Gironde " ;

Considérant qu'est ainsi établie la réalité du mot d'ordre de boycottage émanant du SGIHG ; que ce syndicat prétend vainement que ce mot d'ordre ne visait ni les produits de la marque Coca-Cola, ni même les distributeurs automatiques ;

Considérant que cette mesure de rétorsion n'est justifiée ni par la position dominante de la société Coca-Cola sur le marché des boissons rafraîchissantes sans alcool, aucun abus n'étant démontré, ni par l'illicéité des pratiques mises en œuvre par cette société, la résistance légitime à une concurrence jugée " agressive " et déloyale ne pouvant prendre la forme d'une pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que le document sur lequel le Conseil s'est notamment fondé pour sanctionner les autres syndicats de la Gironde, établi sur un papier à en-tête du SFH, non daté, mais dont les requérants conviennent qu'il est du 10 mai 1990, et intitulé " Implantations de distributeurs de boissons sur la voie publique", se présente en réalité sous la forme d'une motion adoptée par le Syndicat des distributeurs de boissons, le Syndicat français de l'hôtellerie Aquitaine-Gironde, le Syndicat général autonome de l'industrie hôtelière et le Cid-Unati, trois de ces syndicats ayant décidé, en avril 1990, de constituer un groupement, pour demander " à leurs membres de boycotter ces distributeurs et de s'approvisionner auprès de leurs brasseurs qui apportent tant à la profession " ;

Que cette consigne de boycottage ne semble viser que les distributeurs automatiques et non les produits de la marque Coca-Cola ;

Qu'en réalité ce sont bien les " produits de la marque " Coca-Cola qui étaient visés, ainsi que l'a confirmé M. Molla, président du SFH, lors de son audition le 14 juin 1990 ; que M. Molla a également indiqué, à cette occasion: " Nous avons informé téléphoniquement nos adhérents de ce mouvement" ;

Considérant qu'il importe peu que, à la suite de leur motion commune, les syndicats signataires n'aient pas eu d'action commune pour faire passer le mot d'ordre ;

Que le SFH ne peut légitimement exciper de la centralisation de son organisation pour dénier toute responsabilité et échapper à la sanction, ni prétendre qu'il s'agirait seulement de la manifestation d'une " désapprobation " ;

Considérant que le SGIHG reconnaît avoir envoyé, le 13 mars 1990, une circulaire demandant à ses adhérents de ne plus faire des achats des produits Coca-Cola;

Considérant qu'il a été dit que les pratiques commerciales mises en œuvre par la société Coca-Cola ne justifiaient pas le recours à un mot d'ordre de boycottage ; qu'aucun abus de position dominante n'était démontré à la charge de cette société;

Considérant qu'il n'est pas établi, ni même sérieusement allégué, que la pratique de boycottage ci-dessus décrite puisse bénéficier des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant ainsi que c'est à bon droit que le conseil a retenu à la charge de ces syndicats de Bordeaux et sa région des pratiques concertées prohibées par l'article 7 de cette ordonnance;

Considérant que la confédération du Nord ne conteste pas avoir requis le mot d'ordre de boycottage qui avait été lancé à Bordeaux ; qu'elle a adressé, le 26 avril 1990, une lettre à tous ses adhérents demandant " à tous les cafetiers, limonadiers syndiqués ou non de cesser les achats du groupe Coca-Cola Fanta" ; que la presse locale s'est fait l'écho de cette circulaire en juin 1990 ;

Que cette manière de procéder excède les moyens légitimes de défense des intérêts professionnels dont un syndicat a la charge ; qu'elle ne peut être justifiée par le souhait de voir la société Coca-Cola respecter ses obligations en ce qui concernait la possession d'une licence de 1ère catégorie, les autorisations municipales d'implantation et l'application de la TVA au taux de 18,6 p. 100 ;

Considérant que c'est donc encore à bon droit que le Conseil a retenu à l'encontre de la Confédération du Nord le grief qui a été sanctionné ;

III. Sur les sanctions et les accessoires :

Considérant que le SGIHG ne conteste pas être, par le nombre de ses adhérents, le syndicat le plus important de la profession en Gironde ;

Qu'il ne peut contester sérieusement, en raison de son importance même et de l'absence de toute consigne antérieure émanant d'un autre syndicat, être à l'origine du mot d'ordre de boycottage ;

Que les autres syndicats requérants se sont associés au mouvement ;

Considérant cependant que ce mot d'ordre, dont les presses locales ont rendu compte, mais qui a été diffusé de manière non coordonnée, n'a pratiquement pas été suivi par les adhérents;

Qu'aucun préjudice n'a été subi par la société Coca-Cola, ce qui démontre que le marché des boissons rafraîchissantes sans alcool n'a pas été affecté ;

Que les syndicats requérants ont des ressources limitées ;

Considérant que ces circonstances justifient une minoration notable des sanctions pécuniaires qui ont été infligées et ne doivent être que de principe;

Considérant que la publication des décisions du Conseil est inopportune, car sans utilité réelle ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande du SGIHG fondée sur l'article 700 NCPC ; que sa demande relative à la publication du présent arrêt sera rejetée ;

Considérant que les frais de l'instance seront supportés par les syndicats requérants dans la proportion des sanctions pécuniaires qui leur seront infligées ci-après ;

Par ces motifs : Joint les recours inscrits au répertoire général de la Cour sous les numéros 92-1778, 92-1974, 92-2870 et 92-2894 ; Ecarte des débats comme éléments de preuve les procès-verbaux cotés VII 69,1X72, VIII 71 du 8 juin 1990 et IV 4 du 14 juin 1990 ; Réformant les décisions nos 91-D-56 et 91-D-57 du 10 décembre 1991 du Conseil de la concurrence ; Réduit les sanctions pécuniaires aux montants ci-après ; Syndicat général de l'industrie hôtelière de la Gironde: 100 000 F ; Syndicat général autonome de l'industrie hôtelière de la Gironde : 10 000 F ; Syndicat français de l'hôtellerie : 5 000 F ; Confédération des cafés, hôtels, restaurants, discothèques du Nord : 20 000 F ; Supprime la publication des décisions du conseil ; Rejette toute demande ou prétention autre, plus ample ou contraire des requérants ; Dit que les dépens de l'instance seront supportés par les requérants dans la proportion des sanctions pécuniaires ci-dessus fixées.