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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 16 décembre 1994, n° ECOC9410264X

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kangourou Déménagements (SARL), Talençaise de déménagements (SARL), Déménagements Dubedat (SARL), Hontas

Défendeur :

Ministre de l'Économie et des Finances

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Feuillard

Avocat général :

M. Jobard

Conseillers :

M. Perie, Mme Kamara

Avoué :

Me Bolling

Avocats :

Mes Hontas, Laly.

CA Paris n° ECOC9410264X

16 décembre 1994

LA COUR est saisie des recours en annulation et réformation formés par les sociétés Kangourou Déménagements, Talençaise de déménagements (STD), Déménagements Dubedat et par M. Michel Hontas (entreprise Hontas Déménagements) contre la décision n° 94-D-19 du 15 mars 1994 du Conseil de la concurrence relative à la situation de la concurrence dans le secteur du déménagement à Bordeaux.

Il est fait référence pour l'exposé des éléments de la cause à cette décision et rappelé seulement que le ministre de l'Économie et des Finances, à la suite d'une enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, a, le 17 juillet 1992, saisi le Conseil de la concurrence de pratiques constatées dans le secteur du déménagement à Bordeaux.

Le Conseil a retenu que, d'une part, les entreprises Hontas Déménagements et STD, groupées pour répondre à l'appel d'offres ouvert publié par la ville de Bordeaux au Bulletin officiel des annonces des marchés publics en octobre 1990, et la société Kangourou Déménagements, en échangeant des informations préalablement au dépôt de leurs offres respectives, se sont livrées à des pratiques qui avaient pour objet et ont pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché du déménagement de la bibliothèque municipale de Bordeaux et que, d'autre part, les entreprises Hontas Déménagements, Kangourou Déménagements, Déménagements Dubedat et Demeco Bordeaux, en échangeant au cours des années 1990 et 1991 des informations sur la nature des prestations à effectuer et sur les prix en vue de l'établissement de devis de couverture, alors qu'elles étaient sollicitées par des particuliers en vue de la réalisation d'un déménagement, se sont livrées à des pratiques qui, dans onze dossiers, ont eu un effet anticoncurrentiel et, dans vingt-quatre autres, ont eu pour objet et pu avoir pour effet de restreindre la concurrence.

Faisant application des dispositions des articles 7, 13 et 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence, le Conseil a infligé les sanctions pécuniaires suivantes :

240 000 F à l'entreprise Hontas Déménagements ;

50 000 F à la société Kangourou Déménagements ;

10 000 F à la société Déménagements Dubedat ;

150 000 F à la société Talençaise de Déménagements ;

50 000 F à la société Demeco Déménagements,

et transmis le dossier au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Bordeaux.

L'entreprise Michel Hontas et les sociétés Kangourou Déménagements, STD et Déménagements Dubedat, requérantes, demandent à la cour de :

- à titre principal :

- annuler l'enquête ainsi que la procédure qui s'en est suivie et ses suites aux motifs que :

* le rapport d'enquête fait état d'éléments non communiqués dans le dossier soumis au Conseil de la concurrence ;

* l'enquête réalisée n'a pas respecté les principes posés par la nécessaire délimitation du marché concerné ;

* les enquêteurs ont outrepassé les pouvoirs qu'ils détenaient dans le cadre de l'article 47 de l'ordonnance de 1986 ;

* les personnes entendues n'ont pas été prévenues qu'elles avaient la possibilité de se faire assister par un conseil ;

* le principe de la non auto-incrimination a été violé en ce que les preuves obtenues l'ont été de façon contraire au principe de loyauté qui doit présider à la recherche des preuves et à l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui garantit le droit de toute personne à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable, les enquêteurs n'ayant pas fait connaître clairement aux personnes interrogées l'objet de l'enquête ;

* les procès-verbaux du 17 septembre 1994 relatent des faits inexacts ;

* les procès-verbaux versés aux débats ne comportent pas la mention manuscrite " lecture faite, persiste et signe " ;

* l'enquête n'a pas permis de recueillir les observations de chaque partie mise en cause, ce qui cause un grief ;

* le rapport d'enquête porte une appréciation sur la licéité des faits relatés au cours de l'enquête et se trouve en conséquence dénué de toute valeur procédurale car mélangé de fait et de droit ;

* la lettre de saisine adressée au président du Conseil de la concurrence, qui est un acte de procédure, est nulle ;

* la notification des griefs est nulle dès lors que l'absence ou l'empêchement du président du Conseil de la concurrence ne sont pas établis, alors que la compétence du vice-président n'est qu'accessoire et subsidiaire ;

* le rapport de Mme Texier, rapporteur, est nul compte tenu de l'irrégularité procédurale commise par ledit rapporteur dans l'obtention des pièces cotées 1165 et 1169, puisque l'envoi de la notification des griefs interdit la production de pièces nouvelles ; que ni la lettre du 28 juillet 1993, ni la réponse de la ville de Bordeaux, à laquelle serait annexée la cote 1165 à 1169, ne sont versées aux débats par le rapporteur, en violation du principe du contradictoire, des droits de la défense et des articles 18 et 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que, si le rapporteur veut procéder avant la clôture de l'instruction à une audition, il doit se conformer aux dispositions de l'article 20 du décret du 29 décembre 1986 et procéder à la rédaction d'un procès-verbal ; qu'en l'espèce aucun procès-verbal n'a été établi quant à l'obtention des pièces 1165 et 1169 et la procédure prévue par les textes n'a pas été respectée ;

- ordonner en conséquence le retrait des documents, pièces et actes litigieux et annuler les documents, pièces et actes de procédure subséquents ou en découlant ;

- juger n'y avoir lieu à poursuites à leur encontre ; les renvoyer de ce chef et les relaxer en tant que de besoin ;

- en conséquence, annuler et réformer en toutes ses dispositions et effets la décision du Conseil de la concurrence ;

- à titre subsidiaire :

- juger hors de cause la SARL Dubedat et la SARL STD dans le litige relatif à la bibliothèque de Bordeaux, comme n'ayant pas soumissionné ;

- dire hors de cause la société STD en ce qui concerne le marché des déménagements des particuliers ;

- juger que les faits reprochés ne constituent pas une infraction, notamment à l'égard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors que les pratiques incriminées n'ont pas affecté la situation de la concurrence sur le marché litigieux ; qu'elles n'avaient pas cet objet ; qu'elles n'ont pas fait obstacle à la libre fixation des prix et qu'en tout état de cause aucun effet sur les prix n'a été dûment constaté ;

- dire en conséquence qu'aucune amende ne pourra être prononcée ;

- à titre infiniment subsidiaire ;

- réformer la décision entreprise en ce qu'elle leur a infligé des sanctions disproportionnées, sans motiver la fixation de leur montant ;

- eu égard aux circonstances spécifiques au marché et à elles-mêmes, faire une application extrêmement bienveillante des dispositions répressives et une application particulièrement modérée de la loi.

Dans leurs dernières écritures, les requérantes prient la cour, vu la procédure pénale et l'instruction ouverte du chef de vol commis par un ancien salarié de l'entreprise Hontas Déménagement, d'ordonner la communication des différents documents, notamment des procès-verbaux qui ne font pas partie du dossier qui a pu être soumis au Conseil de la concurrence, alors qu'ils ont motivé la procédure d'enquête effectuée par les services de la DGCCRF ; d'ordonner plus spécialement la communication des différents procès-verbaux de déclaration.

Le ministre de l'Économie considère, dans ses observations, que tant la procédure d'enquête que celle suivie devant le Conseil sont régulières. Sur le fond, il estime que l'offre de couverture relative au marché du déménagement de la bibliothèque de Bordeaux, convenue entre la société Kangourou Déménagements et les entreprises Hontas Déménagements et STD, de même que les devis de couverture établis entre l'entreprise Hontas Déménagements, les sociétés Kangourou Déménagements, Déménagements Dubedat et Demeco Bordeaux (laquelle n'a pas formé de recours) constituent des pratiques prohibées. Il conclut au rejet du recours.

Le Conseil de la concurrence a fait connaître qu'il n'entendait pas user de la faculté de présenter des observations écrites.

Le ministère public a conclu oralement à la régularité de la procédure et à la confirmation de la décision attaquée.

Sur quoi, LA COUR,

I. - Sur la procédure :

A. - Sur l'enquête :

1° Sur la communication de documents :

Considérant en premier lieu que le Conseil de la concurrence a justement énoncé qu'aux termes de l'article 45 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 " des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l'Économie peuvent procéder aux enquêtes nécessaires à l'application de l'ordonnance " ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à l'Administration de justifier des motifs pour lesquels elle a décidé de procéder à une enquête en application des dispositions de l'article 47; que, dès lors, n'ont pas à être produites les notes internes éventuellement échangées entre ses services extérieurs et sa direction générale préalablement au déclenchement de l'enquête;

Qu'il s'ensuit qu'il ne saurait être retenu que les droits de la défense auraient été violés et que le rapport d'enquête, établi à l'encontre des entreprises Hontas Déménagements, Kangourou Déménagements, STD et Déménagements Dubedat, qui énonce que " le directeur général de la DGCCRF a prescrit une enquête auprès de certaines entreprises de déménagement de Bordeaux, notamment celles qui soumissionnent habituellement aux principaux appels d'offres lancés par les collectivités publiques ", serait irrégulier comme faisant état de documents non communiqués, à savoir la fiche d'indice d'action anticoncurrentielle du 28 décembre 1990 dressée par l'unité " Marchés publics " de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la Gironde, la note de transmission à l'administration centrale en date du 9 avril 1991 et la note du directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en date du 14 mai 1991 prescrivant une enquête, tous documents purement internes à l'administration ;

Considérant en second lieu que les procès-verbaux de déclaration versés au dossier pénal actuellement en cours d'instruction du chef de vol de documents commis par un ancien salarié de l'entreprise Hontas Déménagements, dont les requérantes sollicitent la communication, ne figurent ni dans la notification de griefs, ni dans le rapport dressé par le rapporteur, ni au dossier du Conseil ;

Que ni le rapporteur ni le Conseil ne se sont fondés sur ces pièces qui, même si elles ont pu motiver l'enquête, sont étrangères au débat lié devant le Conseil ;

Qu'il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu d'en ordonner la communication ;

2° Sur la délimitation du cadre de l'enquête :

Considérant que ni l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qui prohibe les pratiques anticoncurrentielles sur un marché, ni l'article 47 définissant les pouvoirs d'enquête nécessaires à l'application de l'ordonnance, n'imposent à l'autorité prescrivant une enquête de délimiter préalablement le marché sur lequel des investigations pourront porter, la qualification du marché relevant des pouvoirs du Conseil et, en cas de recours, de la cour;

Qu'en toute hypothèse, en l'espèce, le directeur général de la DGCCRF ayant prescrit une enquête auprès de certaines entreprises de déménagement de Bordeaux, notamment celles qui soumissionnaient habituellement aux principaux appels d'offres lancés par les collectivités publiques, le cadre de l'enquête se trouvait délimité au marché du déménagement sur lequel intervenaient des entreprises bordelaises, sans être restreint à celui du déménagement de la bibliothèque de la ville ;

Qu'il s'ensuit que les entreprises requérantes ne peuvent valablement prétendre que l'enquête ne devait porter que sur le marché du déménagement de la bibliothèque municipale de Bordeaux à l'exclusion de celui du déménagement des particuliers ;

Qu'en outre, si les enquêteurs sont tenus de faire connaître clairement aux personnes interrogées l'objet de leur enquête, il n'est pas démontré, ni même allégué, que les enquêteurs auraient énoncé qu'ils étaient chargés de procéder à une enquête exclusivement sur le déménagement de la bibliothèque de la ville de Bordeaux, pour ensuite faire porter leurs investigations sur un autre objet, le déménagement des particuliers, qu'ils n'auraient pas porté à la connaissance des personnes concernées ;

Que, dès lors, le moyen tiré du non-respect des principes posés par la nécessaire délimitation du marché concerné n'est pas fondé ;

3° Sur l'interdiction de demandes générales et imprécises de communication de documents :

Considérant que, si au regard de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la demande de communication de documents formulée par les enquêteurs ne peut être imprécise et générale mais doit porter sur des documents dont ils connaissent l'existence et qu'ils sont en mesure d'identifier, la demande faite par les enquêteurs le 17 septembre 1991 au siège de la société Kangourou Déménagements de la " communication de pièces et documents relatifs aux études et devis effectués par la société au cours des années 1990 et 1991 " n'était ni générale ni imprécise dès lors qu'elle identifiait les documents, devis et études de déménagements, ainsi que la période de leur établissement ;

Que, par suite, le moyen tiré de la violation de l'interdiction de demandes générales et imprécises de communication de documents est inopérant ;

4° Sur l'information relative à l'assistance d'un avocat :

Considérant, ainsi que l'a justement relevé le Conseil, que, si l'article 20 du décret du 29 décembre 1986 prévoit, dans son second alinéa, que " les personnes entendues peuvent être assistées d'un conseil ", ces dispositions ne s'appliquent qu'aux auditions auxquelles peuvent procéder, le cas échéant, les rapporteurs ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'énonce que les personnes entendues par les fonctionnaires mentionnés au premier alinéa de l'article 45 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 peuvent être assistées d'un conseil à l'occasion des enquêtes auxquelles il est procédé sur le fondement de l'article 47 ;

Que, dès lors, le moyen tiré de ce que les personnes interrogées lors de l'enquête administrative auraient dû être averties oralement de la possibilité de se faire assister par un conseil n'est pas fondé ;

5° Sur la violation du principe de non auto-incrimination :

Considérant qu'en vertu de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 " les enquêteurs peuvent recueillir sur convocation ou sur place les renseignements et justifications " et qu'aux termes de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 les procès-verbaux " énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués " ;

Qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'exige la mention dans les procès-verbaux des questions posées aux personnes concernées ;

Que le principe de non auto-incrimination ne saurait interdire aux agents enquêteurs d'obtenir des renseignements factuels et les documents s'y rapportant;

Considérant que les procès-verbaux dressés le 17 septembre 1991 mentionnent, pour le premier, la liste des documents communiqués par la société Kangourou Déménagements, et, pour le second, l'organisation et le mode de fonctionnement de l'entreprise ;

Qu'il ne ressort pas de ces éléments que les personnes entendues auraient été conduites à s'autoaccuser en violation de l'obligation de loyauté qui doit présider à la recherche des preuves, ou de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui garantit le droit de toute personne à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable ;

Qu'en conséquence le moyen tiré de la violation du principe de non auto-incrimination est sans fondement ;

6° Sur l'inexactitude des faits relatés et le défaut de paraphe d'un procès-verbal :

Considérant, d'une part, que le procès-verbal établi le 17 septembre 1992, à 11 heures, mentionne que " M. Rullier, directeur commercial de la société Kangourou, regagnant les locaux de la société à 12 h 30 prend connaissance des documents photocopiés " ;

Que le second procès-verbal dressé le même jour à 12 h 45, qui enregistre les déclarations de M. Rullier, n'indique pas que ce dernier aurait pris connaissance des documents susdits à l'issue de son audition ;

Qu'il n'y a donc pas de contradiction entre les deux documents ;

Considérant, d'autre part, que l'article 31 du décret du 29 décembre 1986, qui énonce que les procès-verbaux prévus à l'article 46 de l'ordonnance sont signés de l'enquêteur et de la personne concernée par les investigations, n'exige pas que chacune des pages du document soit paraphée;

Qu'en conséquence, le fait que le procès-verbal du 17 septembre 1991, à 11 heures, n'ait pas été paraphé par M. Rullier n'est pas de nature à entacher ledit procès-verbal d'irrégularité ;

7° Sur la remise d'un double du procès-verbal à la personne intéressée :

Considérant que, selon l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, un double des procès-verbaux est remis aux parties intéressées;

Que sont parties intéressées les entreprises soupçonnées de pratiques anticoncurrentielleset non les personnes dont les déclarations sont recueillies dans le cadre de l'enquête ;

Que le double du procès-verbal peut être valablement laissé au préposé de l'entreprise ayant produit les pièces et documents requis par les enquêteurs ;

Qu'en conséquence le double du procès-verbal établi le 17 septembre 1991, à 11 heures, a été valablement remis à Mme Soucaze Guillous, secrétaire de la société Kangourou Déménagements, qui avait communiqué aux enquêteurs les études et devis par eux demandés, étant au surplus observé qu'il n'est pas démontré que la susnommée n'aurait pas remis ce document à l'entreprise ;

8° Sur l'absence de la mention " lecture faite, persiste et signe " :

Considérant que, lorsque, comme en l'espèce, les procès-verbaux de déclaration ont été établis et signés conformément aux dispositions des articles 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 31 du décret du 29 décembre 1986, la mention " lecture faite, persiste et signe " n'est pas une formalité dont l'absence pourrait affecter la validité des procès-verbaux, étant au demeurant relevé qu'il n'est pas établi que les signataires des procès-verbaux en cause auraient été empêchés d'en contrôler la teneur;

9° Sur l'absence d'audition des sociétés Déménagements Dubedat et STD au cours de l'enquête :

Considérant que les règles de l'enquête définies par l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne font pas obligation aux agents qui réalisent les investigations de confronter les responsables des entreprises avec les auteurs des déclarations qui les mettent en cause ou de les interroger sur les pièces saisies chez des tiers, dont le contenu peut être contradictoirement discuté;

Que le Conseil de la concurrence peut se fonder, pour retenir à l'encontre des entreprises concernées des pratiques anticoncurrentielles, sur des documents se suffisant à eux-mêmes, lors même qu'ils n'émaneraient pas d'elles ;

Qu'en conséquence les enquêteurs n'étaient pas tenus d'entendre les responsables et salariés des sociétés Dubedat et STD sur les pratiques qui résultaient des documents communiqués par d'autres entreprises ;

Qu'au surplus les sociétés Dubedat et STD ont reçu notification des griefs formulés à leur encontre et ont donc été mises en mesure de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, en sorte que ne saurait être utilement invoquée une violation du principe du contradictoire et des droits de la défense ;

10° Sur la nullité du rapport d'enquête :

Considérant que la circonstance que le rapporteur ait porté certaines appréciations sur la licéité des faits relevés n'est pas de nature à affecter la validité du rapport d'enquête administrative ;

Qu'en effet la qualification des faits retenus dans le rapport n'est qu'indicative, le Conseil de la concurrence, saisi des faits qui lui sont dénoncés, ayant seul le pouvoir de les justifier juridiquement;

B. - Sur la procédure suivie devant le Conseil :

1° Sur la lettre de saisine :

Considérant que, si en vertu de l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil peut être saisi par le ministre chargé de l'Économie, le ministre est autorisé à déléguer sa signature;

Qu'en l'espèce, le Conseil a été saisi par lettre du 16 juillet 1992 signée par le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, titulaire d'une délégation permanente donnée par arrêté du ministre en date du 13 avril 1992 à l'effet de signer tous actes, décisions ou conventions, à l'exclusion des décrets ;

Que la publication de cet arrêté au Journal officiel dispense de sa mention et de son annexion à l'acte de saisine ;

2° Sur la notification de griefs :

Considérant qu'aux termes de l'article 18 du décret du 29 décembre 1986 la notification des griefs retenus par le rapporteur et la notification du rapport sont faites par le président du Conseil de la concurrence ; qu'aux termes de l'article 1er le président est suppléé, en cas d'absence ou d'empêchement, par un vice-président ;

Que la notification des griefs aux entreprises requérantes a donc été valablement faite par le vice-président du Conseil, la preuve de l'absence ou de l'empêchement du président résultant suffisamment du fait même qu'il a été suppléé ;

3° Sur la nullité du rapport :

Considérant que, comme l'a exactement retenu le Conseil, la notification de griefs, qui ouvre la phase contradictoire de la procédure, n'interdit pas la production de pièces nouvelles dans le respect des prescriptions de l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Que, les entreprises requérantes ayant, en réponse à la notification des griefs en date du 12 février 1993, contesté l'exactitude du fait que M. Rullier avait été présenté comme le gérant de la société Kangourou Déménagements dans la soumission de cette entreprise au marché du déménagement de la bibliothèque municipale de Bordeaux, le rapporteur a sollicité du maire la communication des pièces annexées à l'acte d'engagement de la société susdite ; que les pièces communiquées en réponse ont été jointes au rapport auquel les entreprises concernées ont pu répondre dans le délai de deux mois prévu par l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, étant observé qu'il n'était pas nécessaire que la demande du rapporteur et la lettre de transmission des pièces communiquées fussent annexées au rapport dès lors qu'elles étaient étrangères aux griefs établis par le rapporteur ;

Qu'il s'ensuit que les pièces cotées 1165 à 1169 ont été régulièrement obtenues et que les actes subséquents, en ce compris le rapport, n'ont pas lieu d'être annulés ;

II. - Sur le fond :

A. - Sur les pratiques anticoncurrentielles :

1° Sur le marché du déménagement de la bibliothèque municipale de Bordeaux :

Considérant qu'il résulte des éléments du débat, notamment les documents à l'en-tête de l'entreprise Hontas Déménagements relatifs au marché de la bibliothèque de Bordeaux découverts au sein de la société Kangourou Déménagements, que le groupement Entreprise Hontas Déménagements STD et la société Kangourou Déménagements se sont livrés à une simulation de concurrence à l'insu de la collectivité publique en échangeant des informations préalablement au dépôt de leurs offres respectives et en présentant deux offres distinctes sans faire connaître les liens qui existaient entre eux, tout en manoeuvrant pour que ces liens n'apparaissent pas ;

Qu'en effet, M. Hontas était gérant de la société STD, dirigeant de l'entreprise en nom personnel Hontas Déménagements et gérant de la société Kangourou Déménagements ; que toutefois M. Rullier, agent commercial de cette dernière, a signé l'acte d'engagement de celle-ci pour l'appel d'offres de la ville de Bordeaux en qualité de gérant afin de dissimuler les liens personnels entre les entreprises soumissionnaires, en accord avec M. Hontas et après lui avoir demandé des instructions sur les renseignements qu'il devait fournir pour répondre à l'appel d'offres, ainsi qu'il ressort des pièces cotées 1166, 235 et 236 ;

Considérant qu'en outre l'offre présentée par la société Kangourou est une offre de couverture destinée à faire apparaître le groupement Hontas/STD comme le moins-disant ;

Qu'en effet, la société Kangourou Déménagements n'a joint à son offre aucun devis détaillé, le détail chiffré fourni par les requérantes constituant en réalité une reconstitution du prix établi ; que celui-ci, qui aurait été calculé sur la base de 800 journées-hommes à 1 500 F, est incohérent au regard du devis dressé par le groupement Hontas STD qui retenait 2 000 journées-hommes à 1 000 F ; qu'enfin le coût des fournitures annexes figurant audit détail chiffré, égal à 1 053 000 F, est manifestement surévalué ;

Considérant que, de ce qui précède, il résulte que les entreprises Hontas Déménagements, STD et Kangourou se sont livrées à des pratiques qui avaient pour objet et ont pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré, la circonstance qu'une entreprise tierce ait finalement été attributaire étant sans influence sur la qualification des pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

2° Sur le marché du déménagement des particuliers :

Considérant qu'il n'est pas contesté qu'au cours des années 1990 et 1991 les entreprises Hontas Déménagements, Kangourou Déménagements, Déménagements Dubedat et Demeco Bordeaux (laquelle n'est pas requérante) se sont livrées à des échanges d'informations sur la nature des prestations à effectuer et sur les prix à proposer afin d'établir des devis de couverture, alors qu'elles étaient sollicitées par des particuliers en vue de la réalisation de déménagements ;

Que ces pratiques ne sont justifiées ni par la bonne foi des entreprises sanctionnées, qui n'est pas établie, ni par la dégradation de la conjoncture économique ou les difficultés de la profession ;

Qu'en réalisant un simulacre de concurrence, alors qu'elles se répartissaient les déménagements des particuliers grâce aux informations qu'elles se transmettaient, les entreprises se sont rendues coupables de pratiques qui avaient pour objet et ont eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence dans onze dossiers où l'entreprise présentée artificiellement comme la moins-disante a été choisie ;

Qu'à supposer que les devis de couverture aient été établis (ce qui n'est pas démontré) à la demande de clients bénéficiaires d'une prestation réglée par un tiers, une telle pratique, destinée à tromper celui-ci sur l'étendue d'une concurrence réelle entre plusieurs entreprises, avait nécessairement pour objet et pouvait avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré dans les vingt-quatre autres dossiers considérés ;

Que, par la suite, les pratiques incriminées sont prohibées par les dispositions du texte précité ;

B. - Sur les sanctions :

Considérant que le Conseil de la concurrence a exactement apprécié la gravité des faits reprochés aux entreprises requérantes et le dommage causé à l'économie en relevant, d'une part, la gravité des manœuvres mises en œuvre par l'entreprise Hontas Déménagements, la société STD et la société Kangourou Déménagements afin de tromper la ville de Bordeaux sur l'étendue de la concurrence pour le marché du déménagement de la bibliothèque municipale, d'autre part, la volonté systématique de fausser le jeu de la concurrence manifestée par les entreprises Kangourou Déménagements, Hontas Déménagements et Déménagements Dubedat, la première ayant participé à trente-quatre ententes trilatérales ou bilatérales, la deuxième à vingt-neuf et la troisième à quinze ;

Considérant que les sanctions prononcées représentent moins de 5 p. 100 du chiffre d'affaires du dernier exercice clos des sociétés en cause ;

Que ces dernières ne démontrent pas qu'elles se trouveraient en situation de fragilité financière, dès lors qu'elles ne produisent pas leurs bilans et comptes de résultats, mais une analyse partielle de ceux-ci, et qu'en toute hypothèse les résultats nets qu'elles avancent leur permettent de faire face au paiement des sanctions qui leur ont été infligées ou d'obtenir les concours pour ce faire ;

Qu'il s'ensuit que le montant des sanctions, exactement motivé par le Conseil, a été justement fixé ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il convient de rejeter les demandes de communication et de retrait de pièces, d'annulation et de réformation, ainsi que les demandes de mise hors de cause de la société Dubedat dans le litige relatif au déménagement de la bibliothèque de Bordeaux et de la société STD dans celui afférent au déménagement des particuliers, les susnommées n'étant pas en cause dans ces litiges respectifs, et encore la demande de mise hors de cause de la société STD du litige relatif au déménagement de la bibliothèque, auquel elle a effectivement soumissionné, conjointement avec l'entreprise Hontas Déménagements, et de confirmer la décision entreprise ;

Considérant que les motifs qui précèdent établissent le caractère manifestement abusif du recours des requérants ;

Que la cour ne peut que déplorer qu'elle n'ait pas la faculté de sanctionner, de manière efficace, un abus aussi caractérisé ;

Par ces motifs : Rejette les demandes de communication et de retrait de pièces, d'annulation, de réformation et de mise hors de cause ; Confirme la décision du Conseil de la concurrence n° 94-D-19 du 15 mars 1994 ; Met les dépens à la charge des requérants.